Les Etats tendent à déléguer leurs responsabilités de sécurité et, parfois, militaires à des sociétés privées, dont le cadre juridique international reste à définir. Les pratiques de certaines d’entre elles s’apparentent au mercenariat, consistant à faire la guerre ou proposer des services « militaires » pour de l’argent.
Une table ronde sur le sujet, organisée le 6 février 2012 à Paris par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale, a réuni Franck Latty, professeur de droit public à l’université Paris 13, Emeric Lhuisset, enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, artiste et photographe, et des intervenants ayant travaillé dans des « sociétés militaires privées » (SMP) ou des « entreprises militaires et de sécurité privées » (EMSP).
Sur le terrain : les SMP et EMSP, au personnel international, connaissent un véritable essor depuis la fin de la guerre froide (1991), consécutif à la professionnalisation des armées dont le soutien (logistique et surveillance) est de plus en plus confié à des prestataires civils. Elles ont pu s’équiper grâce aux armes disponibles sur le marché dès la disparition de la menace soviétique et après la chute du régime Kadhafi en Libye (2011). Les Etats employeurs de SMP ne comptabilisent pas leurs pertes au combat. Les opinions publiques nationales ne s’émouvant pas, ils peuvent ainsi continuer à maintenir indirectement des forces sur le terrain. Les Etats-Unis le font en Irak et en Afghanistan. Plus grande SMP du monde, la société américaine « Black Water », devenue « Xe » puis « Academi », applique une logique proche du mercenariat. Elle a été sollicitée pour sécuriser l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad, participer à la lutte contre les pirates en océan Indien et lutter contre les pillards après le passage de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. Elle dispose d’une filiale pour la fabrication d’engins blindés. De son côté, la CIA américaine recourt aussi à des organismes de renseignement… privés ! En Afghanistan, des entreprises privées ont fait appel à des SMP sri-lankaises armées de kalachnikovs. Certaines compagnies maritimes embarquent des SMP sur leurs navires. Des ONG concluent des contrats avec des EMSP. Toutefois, les montants des contrats de SMP sont élevés, car ils incluent le logement et l’assurance de leurs personnels dans la zone de conflit. Par ailleurs, la conduite de certaines SMP a défrayé la chronique : trafics d’armes et de jeunes femmes en Bosnie-Herzégovine (1999), déclenchement d’une fusillade mortelle au-delà de la légitime défense contre des civils en Irak, escroquerie à l’égard des forces américaines et proxénétisme en Afghanistan…
Emeric Lhuisset, qui avait rencontré des SMP en Afghanistan en 2004, a étudié le profil de ces nouveaux « mercenaires », qui entretiennent la paranoïa ambiante dans une zone à risques pour proposer leurs services. Pour ce faire, il a fondé la société fictive de sécurité intitulée « Mercenary International Corporation », avec un site internet accrocheur (voir encadré). Le titre prêtant à confusion, il a reçu une cinquantaine de candidatures en trois ans… dont une seule l’a interrogé sur la légalité de ce travail ! Il s’agit surtout de « retraités » de leur services d’origine : « marines » américains ayant combattu en Irak et en Afghanistan, militaires croates, policiers français, membres des SAS britanniques, soldats de la Légion étrangère, vigiles sans expérience militaire et… même un groupe de sept membres des forces spéciales chinoises désireux de travailler ensemble ! Ces curriculum vitae ont fait l’objet d’un livre d’analyse de leurs motivations.
Droit et déontologie : les SMP et EMSP, assurant de la protection, ne sont pas assimilées à des sociétés de sécurité comme celles de transport de fonds, dont le personnel peut être armé. Alors que le mercenariat s’exerce contre un Etat en place, les SMP et EMSP agissent dans le cadre législatif du pays hôte. Toutefois, travaillant sous contrat en dehors de toute hiérarchie militaire, elle jouissent d’une impunité de fait, en cas de dérives, et peuvent se délocaliser dans un Etat où la législation est moins contraignante. En France, la législation sur le mercenariat et la sécurité privée (vigiles) n’est pas adaptée aux SMP et EMSP, alors que les pays anglo-saxons ont tendance à mélanger les deux. Quant aux Etats hôtes, ils les contrôlent davantage quand la situation intérieure se stabilise. Ainsi, en Irak, les autorités refusent désormais de renouveler le port d’armes des personnels de ces diverses sociétés dites « contractantes ». De fait, le droit international ne comporte pas encore de règles s’appliquant à des entreprises privées régies par les droits nationaux, mais une harmonisation semble possible. L’encadrement des SMP et EMSP passe par celui des législations nationales. Sur le plan international, le « Document de Montreux » mentionne le respect des droits de l’Homme et une bonne pratique des EMSP par l’Etat employeur, mais sans recommandations aux sociétés elles-mêmes. Le projet de convention du Conseil des droits de l’homme de l’ONU prévoit que chaque Etat adapte son droit : licence, enregistrement, sanctions pénales pour les infractions et droit de recours pour les victimes. Comme il implique la responsabilité de l’Etat employeur, ce projet semble difficile à réaliser. Il reste alors l’autorégulation, prônée par le Code de conduite international des entreprises de sécurité privées et signé par la plupart des EMSP. Ce dernier énonce des normes de comportement souples : légitime défense, interdiction de la torture et de la traite d’êtres humains. Cependant, il ne prévoit pas de mécanisme de contrôle qui montrerait du doigt les EMSP qui ne le respecteraient pas. Le mot de la fin revient au théoricien italien Machiavel (1469-1527), cité par Emeric Lhuisset : « L’expérience a prouvé que les princes et les Républiques, qui font la guerre par leurs propres forces, obtenaient seuls de grands succès et que les troupes mercenaires ne causaient jamais que du dommage ».
Loïc Salmon
Cette société FICTIVE rencontre un certain succès. La présentation qui suit, rédigée en anglais et en français, a en effet de quoi attirer les mercenaires potentiels, invités à envoyer leur curriculum vitae. « Voulez vous gagner de 50 000 à 200 000 dollars par an ou plus, travailler dans des lieux exotiques autour du monde ? La Mercenary International Corporation™ a les meilleurs propositions du marché pour les gens qui ont une expérience du combat et recherchent des métiers à hauts risques dans des zones de guerre. Postulez et partez dans une des destinations de votre choix : Afghanistan, Soudan, Israël, Colombie, Liberia, Irak, Côte d’Ivoire, Somalie, le Pacifique Sud et bien d’autres destinations à travers le monde ! »