Arme du combat naval, le sous-marin a pris une dimension stratégique dans la conduite de la guerre, la dissuasion nucléaire et le déni d’accès à un théâtre.
Alexandre Sheldon Duplaix, chercheur au Service historique de la défense et conférencier à l’Ecole de guerre, l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 3 décembre 2020 à Paris, par l’association Les Jeunes IHEDN.
Evolution technologique. Le premier submersible, mu par la force humaine, apparaît en1776 aux Etats-Unis pour transporter, sans succès, une charge explosive jusqu’à la coque d’un vaisseau adverse. Au cours du XIXème siècle, l’invention des piles et batteries électriques va déboucher sur un mode de propulsion mixte pour le « torpilleur submersible ». Celui-ci se déplace en surface au moyen d’un moteur à vapeur, qui lui permet aussi de recharger des batteries alimentant son moteur électrique pour naviguer en plongée. Pendant la première moitié du XXème siècle, le sous-marin augmente sa vitesse, grâce à sa forme hydrodynamique, pour attaquer en plongée des navires de surface avec des torpilles acoustiques. Toutefois, le « schnorchel », tube d’acier alimentant en air son moteur diesel pour recharger les batteries sans faire surface, constitue une vulnérabilité. En 1954, la propulsion nucléaire, développée aux Etats-Unis, lui permet de s’en affranchir, d’augmenter sa vitesse, de renouveler l’oxygène du bord et d’alimenter toutes les installations électriques. Le Nautilus devient le premier sous-marin nucléaire d’attaque (SNA). Dès 1961, l’armement nucléaire puis la technologie MIRV (missiles à plusieurs têtes suivant une trajectoire indépendante) donnent une dimension stratégique aux sous-marins américains lanceurs d’engins (SNLE). Pour combler son retard, l’URSS installe des missiles balistiques sur ses sous-marins à propulsion diesel-électrique puis construit des SNLE. Parallèlement dans les années 1950 et 1960, les Etats-Unis immergent des systèmes d’hydrophones dans les océans Atlantique et Pacifique pour surveiller les déplacements des submersibles soviétiques. Puis, l’augmentation de la portée des missiles n’oblige plus les SNLE américains à s’approcher des côtes soviétiques. L’URSS déploie alors des avions à long rayon d’action pour protéger les zones de patrouille de ses SNLE. Les Etats-Unis envoient des SNA chasser ses SNLE et menacent ses bases au moyen de leur aviation embarquée et de missiles de croisière. Par ailleurs, France, Grande-Bretagne et Chine construisent à leur tour des SNA pour développer une composante stratégique (SNLE). La Grande-Bretagne adopte la technologie et les missiles balistiques Polaris américains. Au début, la France dépend des Etats-Unis pour l’aide technique et l’uranium nécessaire aux réacteurs de ses sous-marins. Puis, elle met au point le concept de dissuasion pour interdire une attaque de l’URSS en visant ses principales métropoles. Dans les années 1980, l’URSS obtient, par espionnage, les codes et les zones de patrouille des sous-marins américains et les plans des hélices des SNA. A la fin de la guerre froide (1991), la Russie commence à déployer des SNA discrets.
Arme égalisatrice. L’arme sous-marine est déployée pendant les guerres de Crimée (1853-1856) et de Sécession (1861-1865). En 1917, l’Empire allemand lance la guerre sous-marine à outrance dans l’Atlantique, avant que les Etats-Unis soient prêts à intervenir. Les Marines alliées instaurent alors le blocus des ports allemands et organisent la protection des convois pour le transport rapide des troupes américaines. Entre les deux guerres mondiales, les Etats-Unis mettent au point le « plan Orange » pour couper les voies de communications du Pacifique au Japon, qui prévoit d’y affaiblir la flotte de croiseurs américains par des attaques de sous-marins avant une bataille navale décisive. L’Allemagne lance la production de sous-marins en 1942, alors que la Grande-Bretagne a déjà cassé le code de la machine Enigma utilisée par la Kriegsmarine. La guerre sous-marine américaine dans le Pacifique coupe les approvisionnements en combustibles du Japon, dont les pilotes ne peuvent obtenir une formation suffisante dès 1943. Dans les années 1980, le sous-marin intervient dans la guerre psychologique. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne l’utilisent dans des opérations spéciales pour inquiéter l’URSS. Ainsi, suite à l’échouement accidentel d’un submersible soviétique sur une côte suédoise en 1981, des incursions sous-marines dans les eaux suédoises sont attribuées à l’URSS et admises par les Etats-Unis en…2000. Pendant la guerre des Malouines (1982), un SNA britannique coule le croiseur argentin Belgrado, contraignant la flotte de surface argentine à rester dans ses ports. Le sous-marin assure des missions de renseignement et d’infiltration-exfiltration de commandos. Il participe aux guerres contre l’Irak en 1991 et 2003, avec le lancement de missiles de croisières américains Tomahawk. Des SNA restent déployés en Adriatique pendant toute la guerre du Kosovo (1998-1999) et au large de la Libye en 2011. Par ailleurs, le sous-marin classique devient une arme du combat littoral. Les Marines américaine, britannique et française, qui n’en possèdent plus, développent des drones sous-marins pour la reconnaissance et la lutte contre les torpilles, afin de conserver leurs SNA au large. Enfin, les petits sous-marins sont déjà utilisés par les narcotrafiquants pour le transport de la drogue et pourraient l’être, bientôt, par les organisations terroristes.
Dissuasion géopolitique. Les Etats-Unis préparent des missiles de croisière, contre les missiles de croisière développés par la Chine, non contrainte par les traités de limitation conclus entre Washington et Moscou. Outre la mise en chantier d’un 2ème porte-avions, celle-ci a construit des pistes d’aviation sur 7 îlots et atolls poldérisés en mer de Chine du Sud, pour protéger ses côtes contre le Japon, la Malaisie et l’Australie. Elle compte sur le projet, en cours, des « Routes de la soie » pour apaiser les tensions politiques avec ses voisins, mais veut empêcher toute indépendance formelle de Taïwan, l’intégrer sans combat et empêcher la VIIème Flotte américaine, stationnée dans le Pacifique Ouest et l’océan Indien, d’intervenir. Elle modernise en conséquence ses sous-marins classiques anaérobies, pouvant rester en plongée quelques jours sans sortir leur schnorchel, et développe des SNA qui patrouillent en mer de Chine du Sud. Ses SNLE sont équipés de missiles balistiques J-L 2 d’une portée de 8.000 km. Les essais réussis du J-L 3 d’une portée de 14.000 km lui permettront de frapper des objectifs sur la côte Ouest des Etats-Unis et, si tirés dans le Pacifique, d’atteindre Washington. Par ailleurs, Israël dispose d’une capacité de frappe nucléaire à partir de sous-marins anaérobies. L’Inde va lancer un SNA et construit un SNLE. L’Iran développe des sous-marins classiques pour sa Marine et des petits submersibles pour l’organisation paramilitaire des Gardiens de la Révolution. La Russie, qui ne dispose que du sixième des la flotte sous-marine de l’ex-URSS, développe des drones sous-marins pour patrouiller en Baltique. L’Australie va construire 12 sous-marins anaérobies bénéficiant de la recherche sur les SNA français.
Loïc Salmon