Interopérable avec les armées de Terre et de l’Air, la Marine française doit aussi assurer permanence de l’action, polyvalence des moyens, prévision et complémentarité avec les Marines alliées (Union européenne et OTAN).
Son chef d’état-major, l’amiral Bernard Rogel, l’a présentée au cours d’une rencontre organisée, le 10 juillet 2013 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.
Un théâtre dense. La Marine doit conserver sa cohérence dans un environnement mondial avec des moyens budgétaires restreints. Le trafic commercial maritime mondial a progressé de 40 % en 10 ans, induisant des mesures accrues de sécurité, sauvegarde et protection. En outre, les navires deviennent de plus en plus grands : les derniers porte-conteneurs atteignent 18.000 EVP (400 m de long, 59 m de large et 73 m de haut). Les hydroliennes, qui récupèrent l’énergie des courants marins, constituent autant d’écueils artificiels. L’exploitation des ressources minières en mer augmente : plus de 100 projets de plates-formes ont été lancés en 2012. Enfin, la « territorialisation » de la mer a fait son apparition : certains pays côtiers augmentent la surface de leur plateau continental pour protéger leur accès aux ressources naturelles, créant de fait de nouvelles frontières maritimes. La France s’intéresse aussi à l’océan Arctique : sa Marine s’y entraîne avec les Marines canadienne et norvégienne pour conserver son savoir-faire en zone polaire.
Des missions multiples. La dissuasion, avec dorénavant un seul sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer, reste la principale mission permanente de la Marine. Par ailleurs, les crises sont imprévisibles et rapides, rappelle l’amiral Rogel. La présence de bâtiments en Méditerranée orientale, dans le golfe de Guinée et en océan Indien (zones prioritaires) permet de récolter, à la mer, sur la côte et même au-delà, les renseignements indispensables à la connaissance et l’anticipation. Elle permet aussi de lutter contre la piraterie et les trafics illicites. En océan Indien, l’opération « Atalante » de lutte contre la piraterie, sous l’égide de l’Union européenne, est dirigée du Centre de Northwood (banlieue de Londres) par un amiral britannique, secondé par un amiral français. Elle porte ses fruits : le nombre d’attaques réussies est passé de 22 en 2011 à 3 au premier semestre 2013. En outre, 15 équipes de protection (5 à 10 hommes) embarquent sur des navires civils sous pavillon français, après autorisation du Premier ministre. Il s’agit de navires lents, bas sur l’eau et remorquant quelque chose : thoniers, câbliers et navires de recherche sismiques. La Marine assure 80 % des demandes. En revanche, la piraterie augmente dans le golfe de Guinée et change de forme. Ce n’est plus la prise d’un équipage en otage pour en obtenir une rançon comme en océan Indien, mais du brigandage à grande échelle. Au début, les pirates attaquaient les navires de servitude des plates-formes pétrolières offshore. Aujourd’hui, ils capturent les pétroliers eux-mêmes et les vident de leur cargaison pour la revendre. Par ailleurs, la Marine intervient également dans des opérations à l’intérieur des terres. Pendant l’opération « Serval » au Mali (2013), elle a déployé des commandos dans les forces spéciales pour l’intervention au sol et un avion radar de patrouille maritime ATL2 à long rayon d’action pour le renseignement électromagnétique et optique. En mer, l’ATL2 participe à la lutte anti-sous-marine et à la recherche et au sauvetage d’équipages. L’opération « Harmattan » en Libye (2011) a mobilisé 27 bâtiments : sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), frégates, porte-avions, bâtiments de projection et de commandement et chasseurs de mines. L’opération « Baliste » au Liban (2006-2008) avait porté sur l’évacuation de 13.000 ressortissants français et européens. Depuis 2013, des chasseurs de mines sécurisent les routes du pétrole en océan Indien. En outre, la Marine assure l’action de l’Etat en mer. En 2012, elle a contrôlé 9.500 navires civils dont 43 ont été déroutés, dressé 333 procès-verbaux, arrêté 135 passeurs d’immigrants illégaux, sauvé 200 personnes en mer et procédé à 2000 déminages (bombes, torpilles et munitions de la deuxième guerre mondiale). La protection des pêches dans les zones économiques exclusives nécessite une surveillance régulière. La lutte contre le narcotrafic (13 t de drogues saisies en 2 ans, surtout dans les Caraïbes) devient une véritable opération militaire avec un ATL2, une frégate et des commandos.
Un futur complexe. Selon l’amiral Rogel, la conception de la Marine de demain prend en compte deux impératifs : les missions et le temps. Il faudra défendre les frontières pour garantir la souveraineté de l’Etat, alors que des flux croissants de biens, de personnes et de données (cyberdéfense) traversent les frontières en toute liberté. Or, le temps se comprime de plus en plus. A l’époque de la « blogosphère » et des réseaux sociaux, l’information va vite, la réaction politique aussi et le préavis de l’intervention militaire raccourcit : la montée en puissance n’a pris que quelques heures pour les interventions en Libye et au Mali. Il faut donc se prépositionner au plus près et assurer une préparation opérationnelle permanente. Compte tenu du resserrement de son budget, la Marine devra pouvoir se maintenir sur 1 ou 2 théâtres extérieurs, au lieu de 3 auparavant, avec 15 ATL2 modernisés et 40 avions de la chasse embarquée. La coopération avec la Grande-Bretagne prévoit une force expéditionnaire commune avec 1 porte-avions (français ou britannique), 1 bâtiment amphibie, 1 escorte binationale et 1 état-major binational vers 2020. Les drones à voilure tournante, qui élargissent le périmètre de connaissance autour du bâtiment sans risque de pertes humaines, équiperont les frégates de haute mer dépourvues de plate-forme pour hélicoptère. L’amiral Rogel exclut l’externalisation du sauvetage en mer, qui nécessite des hélicoptères lourds (type Caïman) capables d’intervenir loin, de nuit et par mauvais temps et de rester longtemps en « stationnaire ». Enfin, l’arrivée des missiles de croisière navals à bord des frégates multi-missions (FREMM) et des SNA permettra des frappes dans la profondeur. « On peut les déployer dans une zone de crise, sans augmenter le niveau de crise », conclut l’amiral.
Loïc Salmon
La sécurisation des océans : un impératif mondial
La Marine déploie 5.000-7.000 personnels à la mer sur un effectif d’environ 30.000 hommes et femmes. La Loi de programmation militaire en cours (2009-2014) lui a supprimé 6.000 postes. Le Livre Blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale prévoit une enveloppe globale, toutes armées confondues, de 24.000 suppressions d’emplois supplémentaires. La Marine devra donc procéder à une nouvelle déflation d’effectifs, encore à déterminer, tout en fidélisant ses spécialistes de haut niveau (aéronautique et nucléaire).