L’informatique concerne la totalité du navire : navigation, automates, maintenance, communication, sûreté et sécurité. De plus, interconnexions et mondialisation modifient profondément les activités maritimes.
La « marétique », symbiose des mondes numérique et maritime, a fait l’objet d’un colloque organisé, le 19 juin 2015 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine (CESM), le Centre des hautes études du cyberespace (CHECy) et le Groupement des industries de construction et activités navales. Y sont notamment intervenus : Pierre Bellanger, président-directeur général de la station de radio Skyrock ; le capitaine de vaisseau Olivier Foillard de l’état-major de la Marine ; Vincent Le Gall, président du simulateur des pilotes de l’Atlantique, Bretagne et Outre-Mer ; Benoît de Saint-Sernin, président du CHECy.
Omniprésence ambivalente. Selon Pierre Bellanger, l’internet vient remplacer l’humain. La numérisation progresse de façon constante, mais l’effet de réseau croît de façon exponentielle. Si la capacité de l’ordinateur double à peu près chaque année, le logiciel va 43 fois plus vite en efficacité. Il s’ensuit une migration des données vers les réseaux. Or, les données constituent une valeur en elles-mêmes. Ainsi, un journal quotidien qui n’est pas acheté représente un gaspillage de papier… et de bois ! Aujourd’hui, le numérique remplace le gaspillage par une donnée immatérielle. L’effet réseau affecte l’humanité : valeurs, emplois, pouvoir et puissance vont sur le cyberespace. L’internet correspond à l’utopie de l’absolue liberté des années 1960, mais en partie seulement. Après l’émergence du complexe militaro-industriel des années 1950, la suprématie des États-Unis se maintient par le « complexe militaro-numérique ». Cette symbiose de l’industrie et du renseignement débouche sur la puissance de l’État et la logique impériale. Il s’ensuit « des réseaux sociaux en Californie et des plans sociaux en Picardie ». L’incertitude du monde des données est résolue par leur mutualisation, mais un impact sur un réseau affecte tous les réseaux interconnectés. Un pays doit disposer de frontières dans le cyberespace, estime Pierre Bellanger. Selon lui, il faut donc autoriser le chiffrement, exploiter un réseau comme un système souverain et créer un contrôle des données personnelles. Toutes les données sont liées entre elles, car le système doit rester ouvert pour garder son efficacité. La démocratie repose sur le secret du choix politique individuel. Or, dans l’internet, il n’y a pas d’isoloir, donc pas de secret, ni de vie privée, ni de diplomatie, ni de stratégie. Il s’ensuit une opacité ciblée pour les plus forts et une transparence absolue pour les autres, avec la possibilité de manipulation, conclut Pierre Bellanger.
Spécificités navales. A bord d’un navire comme au sein d’une force navale, tous les systèmes sont intégrés, explique le capitaine de vaisseau Foillard. Le travail en réseau a commencé dès 1960 sur les frégates lance-missiles, en vue d’une plus grande performance opérationnelle. Les sonars numérisés de lutte anti-sous-marine (ASM) plongent plus profondément et les radars sont plus précis. En 2015, les informations, partagées en réseau en temps réel, sont envoyées au centre de commandement de la force navale et au centre stratégique à terre. L’accélération du cycle de la décision renforce la supériorité opérationnelle. La numérisation des systèmes d’armes accroît leurs précision et performances. La simplification de l’interface homme/machine réduit le temps de formation. Les systèmes de communication satellitaires en UHF et VHF diminuent les ruptures de liaisons entre la terre et la mer et fluidifient les échanges. Les drones navals informent en temps réel le Centre de planification et de conduite des opérations à Paris. La navigation est devenue électronique avec la numérisation des capteurs GPS et du loch (instrument de calcul de la vitesse du navire). L’emploi d’automates à bord a réduit les personnels aux postes, sans valeur ajoutée, de quart à la passerelle et de maintenance machines. La simulation à quai et à bord prépare et entraîne les équipages. La numérisation des données facilite l’exploitation du renseignement. L’intégration des systèmes est prise en compte dès la conception du navire pour en modifier l’architecture. Ainsi, celle-ci a été optimisée par la fédération de certaines fonctions, qui a permis de diminuer le poids des câbles de réseaux. Les locaux ont été disposés de façon à mieux protéger les baies (armoires informatiques) des senseurs, de plus en plus nombreux, contre les tirs de fusils d’assaut kalachnikov par exemple. Tous les systèmes sont automatisés, mais des verrous existent à différents niveaux de la conduite du navire et de l’emplacement des armes. La numérisation a réduit à 108 les membres de l’équipage de la nouvelle frégate FREMM, capable de missions stratégiques plus importantes que la frégate ASM à 240 personnes. Pour améliorer les performances opérationnelles d’une force navale et réduire les dépenses en personnels, certaines tâches sont déportées à terre, comme la « téléadministration » et le soutien. La cybersécurité est devenue un domaine de lutte à part entière, dirigée par l’amiral chargé des opérations. Elle concerne la connaissance de systèmes en mode dégradé, la surveillance en réseau et l’entraînement des équipages. Enfin, selon Benoît de Saint-Sernin, un drone naval est aujourd’hui capable de s’approcher d’une côte et d’envoyer un signal vidéo aux nageurs de combat, pour les prévenir qu’ils peuvent sortir de l’eau sans risque.
Technologies civiles. Le transport maritime a intégré la numérisation, indique Vincent Le Gall, avec : la carte électronique ; le système d’identification automatique de navires ; le GPS et le radar fiabilisent les navigation et localisation géographique ; le positionnement dynamique du navire à passagers par ses propres moyens de propulsion ; l’aide au pointage automatique des navires, qui prévoit la manœuvre et évite les collisions. La simulation inclut des retours d’expérience pour mettre l’élève pilote en situation rare et potentiellement dangereuse, afin qu’il prenne la bonne décision. Des études sont en cours sur les futurs modes de propulsion et de manœuvre du navire. Enfin, selon Benoît de Saint-Sernin, l’Union européenne va consacrer 3,5 Md€ à l’option d’un navire marchand sans présence humaine.
Loïc Salmon
Le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) regroupe 159 entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de 8,5 Md€ avec 40.000 personnes (juin 2014). Il couvre : la construction et la réparation navales civiles ; la construction navale militaire, le maintien en condition opérationnelle, les systèmes d’armes, les services et le soutien associés ; les équipements navals civils et militaires ; la sécurité, la sûreté et l’environnement maritime ; les énergies marines renouvelables et les autres activités offshore. Le Centre des hautes études du cyberespace (CHECy) propose une formation pluridisciplinaire de haut niveau : géostratégique, politique, économique, sociologique, technologique, juridique, criminologique et culturelle.