La logistique doit être taillée sur mesure pour chaque opération. Mal dimensionnée, elle limite le mode d’action de la force engagée et hypothèque la suite de l’opération.
Telle est l’opinion du général Arnaud Sainte-Claire-Deville, commandant les forces terrestres, exprimée lors d’un colloque organisé, le 4 février 2016 à Paris, par les Écoles militaires de Bourges (train et matériel). Y sont aussi intervenus : le colonel Guillaume Santoni, École du train ; le colonel Christophe Barbe, Commandement des forces terrestres ; le colonel Dominique Pinczon du Sel, Corps de réaction rapide-France.
Culture expéditionnaire. L’arme du train est composée de spécialistes qui sont aussi des combattants, rappelle le général Sainte-Claire-Deville. Ils effectuent un entraînement en ce sens et participent notamment à l’opération « Sentinelle » de protection du territoire national aux côtés des forces de sécurité. Leurs cadres suivent une formation interarmes. Placée sous la tutelle du Commandement des forces terrestres (CFT), la formation interarmes inclut l’entraînement et la préparation à l’engagement, en vue de travailler en synergie. Toutes les fonctions opérationnelles sont complémentaires, explique le général, qui entend conserver la culture du convoi de l’arme du train, reconnue sur le plan international depuis la bataille de Verdun (1916). Les commandements de la logistique et de la maintenance resteront à Lille, siège du CFT.
Maîtrise des flux et des interfaces. Un engagement rapide, lointain et dur face à un adversaire hybride nécessite des soutiens complexes, explique le colonel Santoni, qui précise qu’une journée de combat correspond à 190 kg de fret par homme. Ainsi, l’opération « Serval » (Mali, 2013) a mobilisé 6 trains, 6 navires et 300 rotations aériennes pour acheminer 17.550 t de fret, regroupé d’abord à Istres et Toulon. Des bases logistiques ont été installées à Dakar (transit maritime) et Bamako (transit aérien). Sur le théâtre d’opérations, il a fallu constituer : 47 convois, qui ont parcouru 1 Mkm pour acheminer 3.000 t de fret et 3.000 m3 de carburant ; des escortes sous blindage ; un ravitaillement de l’avant ; des livraisons aériennes ; des boucles logistiques arrière. En 2016, l’arme du train rassemble environ 10.000 personnels, agissant en interarmes et en interarmées. Engagée sur l’ensemble des missions du milieu aéroterrestre, elle doit passer de la logistique expéditionnaire aux dispositifs les plus complexes. La maîtrise des flux terrestres, appui aux mouvements et à la mobilité des forces, nécessite concentration des efforts, économie des moyens, rapidité d’action, protection des convois et renseignement.
Structures internationales. Le Traité de Lancaster House (2010) scelle la coopération franco-britannique en matière de défense et de sécurité avec déploiement et emploi de forces armées, rappelle le colonel Barbe. La Force expéditionnaire commune, interarmées et binationale, a la capacité d’entrer en premier pour des opérations allant jusqu’à la haute intensité, d’une durée maximale de 90 jours et incluant une force de réaction très rapide. Sans caractère permanent, elle agit en binational ou dans le cadre de l’OTAN, de l’Union européenne ou autres. Composante à part entière, la logistique est gérée par un état-major de niveau opératif (111 personnes). Commandée par un seul chef (français ou britannique), elle a pour missions de ravitailler, stocker, réparer et soigner. Tout est mutualisé, sauf les pièces de rechanges et munitions qui restent sous contrôle national. La langue de travail est l’anglais, mais les Britanniques apprennent le français, afin que tout le monde puisse vraiment se comprendre. Chaque État membre de l’OTAN est responsable des ressources et du déploiement de ses forces, indique le colonel Pinczon du Sel. Toutefois, pour les opérations multinationales, les responsabilités de logistiques opérationnelles sont partagées au sein du « Joint Logistic Support Group », dont le concept évolue en fonction du contexte géopolitique en Europe et de la maîtrise des budgets nationaux dédiés à la défense. Le déploiement logistique, effectué en amont des opérations, concerne notamment le transport, les chargements et déchargements par voies maritime et aérienne, le stockage de tout type de ressources, le soutien médical, la protection et le soutien des véhicules en déplacement et en stationnement.
L’horizon « Scorpion ». « Système de systèmes » s pour une intégration interarmes au plus bas niveau des intervenants, le programme « Scorpion » signifie Synergie du contact renforcé par la polyvalence et l’infovalorisation. Il place la tactique et la logistique sur le même plan en partageant l’information tactique, technique et logistique, indique le colonel Santoni. La révolution numérique met en œuvre un combat « collaboratif », où tout sera connecté, et facilitera le soutien. Le système d’information de combat Scorpion, en cours de développement, reliera les engins du génie, les hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de Terre, le système Félin du fantassin et les véhicules de combat. Il sera connecté aux équipements de « vétronique » (architecture centralisée des systèmes d’information et de contrôle), qui seront installés sur les futurs matériels à partir de : 2019 sur les véhicules blindés multirôles Griffon (1.722 prévus) ; 2020 sur les engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar (248) ; 2020 sur les chars Leclerc rénovés (200) ; 2021 sur les véhicules blindés multirôles légers (358) pour l’échelon national d’urgence et les unités de guerre électronique. Il servira aussi à la simulation et l’entraînement dès 2019. « Scorpion » a pour ambition d’en savoir plus que l’adversaire pour le dépasser dans sa boucle de décision, afin d’agir plus vite que lui, souligne le colonel. Il présente d’autres atouts tactiques : être imprévisible et concentrer les tirs ; réarticuler le dispositif et changer d’attitude plus vite ; saisir l’initiative pour avoir un temps d’avance et effectuer des frappes d’opportunité ; optimiser les effets, car celui qui décide le premier prend l’ascendant. La logistique sera plus rapide et précise grâce à la « géolocalisation », qui situe avec exactitude les unités à ravitailler.
Loïc Salmon
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Les ravitaillements par voie routière approvisionnent les forces déployées au lieu, en temps, en quantité et en qualité voulus, depuis la métropole jusqu’aux zones de combat en adaptant les flux aux besoins. Le 516ème Régiment du train transporte des groupements de forces blindées, en métropole et en opérations, afin de préserver leur potentiel pendant leur phase de projection. Le 1er Régiment du train parachutiste assure les transits aériens en opération et la continuité terre-air-terre des ravitaillements : équipement des soutes des avions ; conditionnement et largage de personnel, matériels et véhicules devant être livrés par voie aérienne. Le 519ème Régiment du train s’occupe de la continuité terre-mer-terre en chargeant et déchargeant les navires. Sa spécialité amphibie permet de livrer du matériel et des ravitaillements en s’affranchissant des infrastructures portuaires, d’une plage ou d’un navire en mer.