L’IBEO pour évaluer les besoins humains des bâtiments futurs

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La simulation prépare les équipages des bâtiments de la Marine nationale à travailler en nombre restreint et dans un environnement opérationnel de plus en plus complexe. Les Illustrateurs de Besoin d’Exploitation Opérationnelle (IBEO) en sont les outils principaux.

Martine Pellen-Blin, expert « facteur humain » à la Direction générale de l’armement (DGA) techniques navales, les a présentés au cours d’un séminaire organisé, le 12 juin 2012 en région parisienne, par le Commissariat général du salon d’armements terrestres Eurosatory 2012.

La réduction des équipages concerne tous les futurs bâtiments, qui seront de plus en plus sophistiqués et devront remplir les mêmes missions qu’aujourd’hui. Ainsi, l’équipage d’une frégate passera de 220 personnels à 108, celui d’un sous-marin nucléaire d’attaque de 72 à 60 et celui d’un pétrolier-ravitailleur de 160 à 100. En outre, les données à traiter et à exploiter vont considérablement augmenter. Pour éviter que les opérateurs ne soient saturés d’informations, il est devenu nécessaire de réduire la complexité des systèmes et de définir des aides à la prise de décision. Des ruptures technologiques importantes sont en cours : surfaces d’affichage de plus en plus grandes, tables tactiles, réalité augmentée, représentations en trois dimensions et interaction gestuelle. Le facteur humain (organisation du travail) aura un impact sur l’architecture et les niveaux d’automatisation d’un système. Celui-ci comporte plusieurs phases : faisabilité, conception préliminaire, conception détaillée, réalisation et enfin utilisation à bord d’un bâtiment. Les risques liés au facteur humain doivent être identifiés dès la faisabilité. Il faut donc agir le plus en amont possible dans le programme pour augmenter le niveau d’automatisation et d’intégration des fonctions.

Des outils de simulation de type iPhone permettent d’améliorer l’efficacité opérationnelle avec les retours d’expérience. En quelques minutes, les opérateurs sont immergés dans un environnement opérationnel réaliste comme sur un bâtiment. L’état-major de la Marine (forces) et la DGA (ingénieurs) effectuent une démarche conjointe pour déterminer les besoins des opérateurs, en vue de l’exploitation future de systèmes, à l’aide de simulations de situations de travail au PC navire, à la passerelle et au CO (central opérations). Dans une perspective de formation et d’entraînement, les IBEO évaluent la charge de travail de chacun, qui ne doit être ni trop élevée ni pas assez. Ils répartissent les tâches individuelles dans le travail collectif pour réduire les risques inhérents à toute nouvelle organisation. Enfin, ils évaluent les interfaces homme/machine et les aides à apporter aux opérateurs. L’ingénierie du facteur humain fait partie de l’ingénierie du système. Après analyse de la mission de chacun et des fonctions associées, un IBEO alloue des fonctions homme/machine, élabore l’activité (tâche et rôle de l’opérateur pour éviter la surcharge de travail), détermine les critères de performance du facteur humain selon les contraintes temporelles et constitue des postes de travail à partir des éléments de visualisation/commande liés à la tâche. Le chef de quart à la passerelle peut déléguer une partie de sa charge de travail. En outre, les opérateurs peuvent se contrôler mutuellement.

Les scénarios conduisent à des expérimentations, dont l’analyse donnera lieu à des recommandations. Par exemple, plusieurs IBEO spécifiques ont été définis et développés pour la nouvelle frégate multimissions Aquitaine, qui a effectué ses essais à la mer au printemps 2012. Pour la passerelle de navigation, un IBEO a servi à optimiser la centralisation des informations et des commandes, automatiser les fonctions (architecture intégrée et consoles multifonctions) tout en garantissant un haut niveau de performance opérationnelle (sécurité nautique), réguler la charge de travail des opérateurs et leur fournir une vision commune de la situation. Il s’agit d’optimiser le travail « collaboratif », auquel participent plusieurs personnes grâce aux technologies de l’information et de la communication. Pour le CO, il a fallu automatiser certaines fonctions. Des campagnes sur l’IBEO ont été réalisées pour gérer les risques des grands « collectifs » de travail : veille air/surface, mise en œuvre des armes, lutte anti-sous-marine, guerre électronique et liaison de données tactiques. Cela a permis de supprimer certains niveaux de coordination, créer de nouveaux rôles d’opérateurs et réduire les effectifs pour la mise en œuvre des armes. Deuxième exemple, un IBEO a été utilisé pour la prise en charge d’un drone de reconnaissance à la mer. Il a fallu intégrer un module drone à l’IBEO du CO mettant en œuvre des moyens optronique, infrarouge et vidéo, un radar de surveillance, un équipement de guerre électronique et un système d’identification automatique. Ensuite, l’impact de l’exploitation du drone aérien sur le CO a été évalué. Cela a mis en évidence : la nécessité d’un niveau d’intégration élevé pour permettre des échanges efficaces entre le drone et le système de commandement ; la complexité de la distance minimale d’approche ; la charge de travail élevée lors d’une veille sur deux zones distinctes ; la définition des modalités de collaboration entre l’équipage du drone et les opérateurs du CO. Troisième exemple, un IBEO a expérimenté la menace « asymétrique », constituée par un canot pneumatique de commandos dissimulé dans un trafic maritime dense et qui, tôt ou tard, va se démasquer. Les enjeux portent sur : la clarification des rôles des opérateurs de la chaîne fonctionnelle « menace asymétrique » ; la fourniture de nouveaux moyens d’aide à la décision en identifiant les moyens nécessaires ; la limitation de la charge de travail liée à la gestion des interfaces homme/machine. Pour agir le plus vite possible, les opérateurs doivent pouvoir disposer d’une présentation de la situation tactique « simplifiée », d’aides à la décision et de tables tactiles avec une interaction uniquement gestuelle. En fin de compte, le processus IBEO permet notamment de connaître le besoin d’un opérateur et de ne plus le remettre en question, de faciliter le dialogue lors de la prise de décision, d’accompagner le changement et de proposer des solutions innovantes et créatives.

Loïc Salmon

 L’illustrateur de besoin d’exploitation opérationnelle (IBEO) prend en compte le facteur humain dans l’évolution des bâtiments dans un contexte de budgets militaires de plus en plus restreints. Ainsi, les frégates multimissions (FREMM) verront leurs effectifs fortement diminuer. Ceux du central opérations passeront de 22 à 25 personnes  aujourd’hui à 11 demain ; ceux de la passerelle de navigation de 5 à 16 actuellement à 3 à 5 à terme ; ceux du PC navire de 4 à 5 aujourd’hui à 3 demain. Il faudra donc repenser l’organisation des tâches et vérifier que les niveaux d’automatisation et d’intégration des fonctions permettent une charge de travail acceptable par les personnels.

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