La mer devient de plus en plus un enjeu stratégique, en raison des flux de marchandises en transit et du partage des ressources du sous-sol et de la colonne d’eau par l’instauration de zones économiques exclusives (ZEE). Ce phénomène d’appropriation, qui remet en cause la liberté des mers et entraîne de nouveaux types de confrontations, a fait l’objet d’un colloque organisé, le 17 juin 2011 à Paris, par le Centre d’enseignement supérieur de la Marine et l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire.
Selon Pierre Cochonat, directeur adjoint à l’Ifremer, les ressources marines sont d’abord vivantes : la pêche intensive, les biotechnologies (aquaculture, biocarburants, produits sanitaires post-antibiotiques) et l’environnement. Ensuite, la mer recèle du pétrole et du gaz à de grandes profondeurs (jusqu’à 3.000 m) ainsi qu’un potentiel d’énergies renouvelables : vents, courants marins, vagues, marées et énergie thermique. Enfin, de grandes quantités de minerais polymétalliques (sulfures de zinc, cuivre et fer) ont été découvertes dans les grands fonds du Pacifique oriental. L’Autorité internationale des fonds marins délivre des permis de prospection minière sur des bandes de 1.000 km de long et 60 km de large. Les équipes scientifiques françaises prospectent les « dorsales » (chaînes de montagnes sous-marines), « plaines abyssales » et « marges continentales » de l’Atlantique, du Sud-Ouest de l’Inde, de la Polynésie et de Wallis et Futuna. En effet, grâce à ses départements et territoires d’outre-mer, la France dispose d’une ZEE de 11 Mkm2, la deuxième du monde après celle des Etats-Unis. De plus, elle est la seule puissance riveraine de tous les océans, sauf l’Arctique. La mer est le théâtre d’une compétition internationale où entrent les Etats émergents (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud), de la lutte contre la criminalité organisée (piraterie et trafics illicites) et enfin de la sécurisation des flux commerciaux et des approches des côtes. Aujourd’hui, les routes maritimes océaniques, soit la moitié de la planète, sont totalement contrôlées par les pays occidentaux, indique Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime Nantes/Saint-Nazaire. Joseph Henrotin, professeur à l’Université libre de Bruxelles, souligne le développement de bases navales à Djibouti (France), à Singapour (Etats-Unis) et au Pakistan (Chine) et considère des affrontements navals possibles vers 2020-2030. Par ailleurs, estime Alexandre Sheldon-Duplaix du Service historique de la défense, les Etats-Unis ont acquis une supériorité de projection de la mer vers la terre depuis la fin de la guerre froide (1947-1991), avec des porte-avions, pétroliers-ravitailleurs, frégates et bâtiments hôpitaux et, aussi, en recherchant des bases navales autour du monde auprès de leurs alliés. Les Etats côtiers, aux moyens plus modestes, ont choisi le déni de leurs accès maritimes par des sous-marins, mines et missiles supersoniques tirés de frégates, à l’exemple de l’ex-URSS. La Russie d’aujourd’hui utilise son unique porte-aéronefs pour assurer la défense aérienne des zones d’opérations de ses sous-marins nucléaires lance-engins. L’Inde déploie le sien pour couvrir sa flotte de surface. La Chine suit l’exemple russe et prépare une Marine de projection dans les 10-15 ans à venir. Enfin, ses sous-marins nucléaires d’attaque constituent ses seuls moyens capables de menacer les lignes de communications adverses, en cas de conflit avec Taïwan, allié des Etats-Unis.
Loïc Salmon