Japon : stratégie de défense et de sécurité et programmation militaire renforcées

Conséquence de la guerre en Ukraine, le Japon a décidé de se doter des capacités de dissuasion d’une invasion de son territoire et de sa défense en première ligne. Toutefois, il doit trouver un équilibre entre les États-Unis, son protecteur militaire, et la Chine, son premier partenaire économique, dont la rivalité devrait s’exacerber dans les dix prochaines années.

Dans une note publiée le 24 mars 2023 en région parisienne par la Fondation pour la recherche stratégique, Valérie Niquet, maître de recherche, analyse la nouvelle stratégie de sécurité et de défense du Japon et son programme militaire 2023-2027.

Augmentation des capacités militaires. Dès 2027, le Japon veut pouvoir répondre efficacement à une invasion ennemie avec le soutien des États-Unis, conformément au traité bilatéral de sécurité de 1951 qui autorise la présence de forces armées américaines sur son territoire. A l’horizon 2030, il compte pouvoir repousser une attaque plus tôt et plus au large. Cela nécessite d’abord de développer des capacités dans sept domaines prioritaires : tirs à distance de sécurité ; renforcement de la défense anti-aérienne et antimissiles ; développement d’une force de drones ; renforcement de la synergie entre les opérations dans les milieux terrestre, aérien, maritime et spatial ; le cyber ; le commandement et la conduite des opérations (renseignement, déploiement et mobilité) ; l’action militaire dans la durée et la résilience. Par ailleurs, le Japon compte porter le budget de sa défense à 2 % de son produit intérieur brut en 2027 (voir encadré) et acquérir plusieurs centaines de missiles de croisière américains Tomahawk de 1.500 km de portée, afin de contre-attaquer jusque dans le territoire ennemi. Vers 2030, le Japon devrait étendre la portée de ses propres missiles antinavires T12 à 1.000 km, soit la distance le séparant de la Corée du Nord. Combinée à la défense anti-missiles, cette allonge vise à dissuader une attaque de l’ennemi par missiles balistiques, de croisière ou hypersoniques ou à l’empêcher de lancer une seconde frappe. Il s’agit de ralentir sa décision et de compliquer son calcul du bénéfice escompté par rapport au coût induit. Tout cela implique un partage du renseignement avec les États-Unis. Dès septembre 2022, les deux pays ont décidé d’analyser conjointement les informations fournies par les drones américains MQ9 Reaper. En novembre, les forces navales d’autodéfense japonaises ont procédé, au large de l’archipel d’Hawaï, à des tirs d’essais de missiles Aegis SM3 block IB et SM3 block IIA, développés en commun par les États-Unis et le Japon. Ce dernier va renforcer ses moyens satellitaires de renseignements optiques et coordonner leur exploitation. Aujourd’hui, seuls les États-Unis peuvent lui fournir les renseignements nécessaires au ciblage d’objectifs ennemis et aux frappes à longues distances.

Menaces en Extrême-Orient. Le Japon est d’abord préoccupé par l’activité de Chine dans la région, qui n’hésite pas à recourir à la force ou à la coercition pour modifier une situation. En effet, elle manifeste une présence navale constante devant les îles japonaises de Senkaku et multiplie les intimidations militaires autour de Taïwan, tout en prônant une réunification pacifique. En outre, elle accroît ses capacités militaires par l’intégration des technologies civiles et le développement de missiles hypersoniques, qui réduisent l’efficacité des systèmes japonais de défense antimissiles. Selon Tokyo, sa stratégie de déni d’accès vise à dissuader ou à ralentir l’intervention de puissances étrangères dans sa zone d’action potentielle, notamment face à Taïwan et au Japon. Toutefois, les intérêts économiques du Japon restent considérables en Chine, où sont installées plus de 40.000 de ses entreprises et où ses investissements représentent 16,9 % du total des investissements directs étrangers. La volonté de réduction de cette dépendance économique se heurte à l’impossibilité d’un découplage. Outre l’importance du marché chinois, les entreprises japonaises rentabilisent leurs investissements par la capacité de la Chine à produire de façon réactive à des prix encore compétitifs. Quoique 63 % des entreprises japonaises estiment que le rivalité Chine-États-Unis constitue un risque pour le monde, elles sont 30 % à l’imputer à la Chine et 70 % aux États-Unis, dont les règles de contrôle des investissements et des exportations sont perçues comme de entraves. Cette vision rejoint celle de l’Union européenne. Toutefois, comme les Pays-Bas, le Japon a décidé de ne pas fournir à la Chine les technologies de production de semi-conducteurs de dernière génération. Par ailleurs, la Corée du Nord reste la deuxième menace pour le Japon, en raison de la multiplication de tirs de missiles dans la mer du Japon de la perspective d’un nouvel essai nucléaire. La Russie arrive en troisième position, par suite de son rapprochement avec la Chine et de l’organisation d’exercices militaires communs au large du Japon, notamment dans le détroit de Tsushima séparant les îles de Honshu et de Hokkaïdo. Pour Tokyo, le conflit russo-ukrainien apparaît comme un signal d’alarme du risque de guerre imminente, avec la similitude des situations de l’Union européenne et du Japon face aux menaces russes et chinoises.

Coopérations interalliées accrues. Vu le contexte régional tendu, le Japon entend renforcer son alliance avec les États-Unis et profiter de sa dissuasion nucléaire. Lui-même s’interdit de posséder, d’importer ou d’introduire des armes nucléaires sur son territoire…depuis1967 ! De leur côté, les États-Unis attendent de lui un plan d’action en cas de conflit dans le détroit de Taïwan. Actuellement, les forces américaines stationnées au Japon ne peuvent intervenir à partir de leurs bases qu’avec l’autorisation de Tokyo. Le conflit russo-ukrainien a donné au Japon l’occasion de se ranger du côté de l’Occident, de fournir une aide économique et du matériel paramilitaire défensif à l’Ukraine et d’accueillir certains de ses ressortissants, qualifiés de « personnes déplacées » et non pas de « réfugiés » pour éviter de créer un précédent. Cette guerre souligne l’importance des stocks de munitions, des drones et de l’interaction entre le cyber, la guerre informationnelle et l’espace, domaines au centre de la réflexion stratégique de l’alliance nippo-américaine. Au début des années 2010, des accords de coopération en matière de transferts d’équipements et de logistique ont été conclus avec les États-Unis, l’Australie, la Grande-Bretagne, l’Inde et la France. En outre, le Japon a signé des « accords d’accès réciproques » avec la Grande-Bretagne en janvier 2022 et avec l’Australie en janvier 2023, autorisant des exercices militaires communs de grande ampleur.

Loïc Salmon

Selon l’organisme « Global Firepower », qui classe 145 pays selon leurs capacités militaires conventionnelles (hors armements nucléaires), le Japon occupe le 8ème rang mondial en 2023 après les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Grande-Bretagne, la Corée du Sud et le Pakistan. Il dispose de 1.400 aéronefs, 36 frégates dont 8 équipées du système d’armes naval américain Aegis (radars et missiles antinavires et anti-aériens), 21 sous-marins et 2 porte-aéronefs. En cas de crise, le ministère de la Défense exerce un contrôle direct sur les garde-côtes, qui dépendent du ministère des Territoires, des Infrastructures et du Tourisme. Partage d’informations et rapprochement opérationnel ont déjà eu lieu. Le ministère de la Défense devrait prendre à sa charge une partie du budget des garde-côtes. Par ailleurs, il pourra participer au financement de la recherche et du développement du pays en général et à celui des infrastructures publiques. En décembre 2022, le gouvernement japonais a décidé de porter le budget de la défense à 2 % du produit intérieur brut d’ici à 2027, pour donner suite aux demandes répétées des États-Unis et correspondant à l’objectif de l’OTAN. Le budget de la loi de programmation militaire 2023-2027 atteindra alors 315 Mds$. Celui de l’année fiscale 2023-2024 (avril-mars) se monte à 51 Mds$ avec une hausse annuelle de 26,3 %, la plus élevée depuis 1952.

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