Pour le Japon, allié des Etats-Unis et partisan du multilatéralisme en matière de politique étrangère, la sécurité régionale l’emporte parfois sur les enjeux commerciaux.
Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, l’explique dans deux notes publiées le 18 novembre 2020 et le 24 mars 2021.
Le contexte stratégique. Le pacte d’alliance entre le Japon et les Etats-Unis, conclu à l’issue de la seconde guerre mondiale, reste au cœur de la sécurité du Japon et de la région Asie-Pacifique. La Corée du Nord demeure la menace la plus immédiate (voir encadré). De mai 2019 à novembre 2020, celle-ci a effectué 35 tirs d’essais de missiles, dont un seul a échoué. Les derniers concernaient des missiles de courte portée à combustible solide, signe d’un progrès technologique considérable. Ces essais, prélude à une éventuelle attaque massive, constituent une menace crédible et immédiate pour le Japon, qui abrite les bases américaines les plus importantes en Asie. Par ailleurs, la Chine a remplacé l’Union soviétique comme adversaire commun du Japon et des Etats-Unis, Son idéologie communiste se trouve masquée par les réformes économiques et la stratégie d’ouverture sur le monde mise en œuvre depuis 1979. Toutefois, la Chine demeure un partenaire économique majeur pour le Japon. Son deuxième partenaire pour les exportations après les Etats-Unis, elle en est devenue le premier pour les échanges commerciaux, passés de 1Md$ par an à la fin des années 1970 à 317 Mds$ en 2019. La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine affecte certaines entreprises japonaises. Ainsi les fabricants de micro-processeurs sont concernés par l’interdiction de vente de technologies américaines à des entreprises chinoises, dont ZTE (réseaux et de communication et fabrication de téléphones mobiles) et Huawei (smartphones). La menace chinoise porte notamment sur l’archipel des Senkaku et d’autres îles de l’espace maritime japonais. Pour Pékin, la contestation des limites en mer de Chine orientale constitue un moyen de de contrôle de la puissance japonaise. Cette posture se traduit par la multiplication des incursions dans les eaux entourant les Senkaku. Entre avril 2019 et août 2020, des navires chinois ont passé 456 jours dans les eaux contigües. Des garde-côtes chinois ont même pénétré à quatre reprises dans les eaux territoriales japonaises en 2019 et sept fois en 2020. Certains sont restés 39 heures et même jusqu’à 59 heures, maintenant en alerte permanente les unités navales et de garde-côtes japonais. Le Livre blanc de la défense du Japon, publié en juillet 2020 mentionne comme menace importante « la tentative constante de modifier unilatéralement le statu quo autour des Senkaku et en mer de Chine méridionale en utilisant la coercition. » Selon un sondage réalisé le même mois, 90 % des personnes interrogées ont déclaré avoir une opinion négative de la Chine. Cette perception de la Chine comme une menace et un facteur d’instabilité croît dans la région. En conséquence, le Japon a adopté une stratégie de sécurité nationale en 2013. Le budget de la défense représente 1,1 % du produit intérieur brut pour l’année fiscale 2020-2021. Mais l’augmentation cumulée entre 2012 et 2019 a atteint 13 % à 48,6 Mds$. Une loi de 2015 autorise le principe « d’auto-défense collective ». Il s’agit de construire une « force de défense multi-domaines », capable de défendre le territoire, y compris les îles éloignées, et de donner aux forces d’auto-défense la capacité de contribuer à la paix, même loin des côtes.
L’action extérieure. La montée en puissance de la Chine transforme en profondeur le cadre de la politique extérieure du Japon. La « doctrine Fukuda » (Premier ministre de 1976 à 1978), énoncée en 1977, a amorcé le retour du Japon comme puissance pacifique sur la scène internationale, en commençant par l’Asie du Sud-Est, important récipiendaire de son aide au développement. Un premier accord de libre-échange, signé avec Singapour en 2002, a été suivi deux ans plus tard d’un autre avec l’ASEAN qui regroupe 11 pays (Brunei, Birmanie, Cambodge, Timor-Leste, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Viêt Nam). En vue d’un rééquilibrage entre les domaines économique et stratégique, le Japon soutient, dès 2016, le « Trans-Pacific Partnership » (Partenariat trans Pacifique), accord commercial entre Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Viêt Nam. Il propose des normes démocratiques, transparentes et libérales, face à l’influence chinoise. En effet, Pékin ne trace pas de frontières entre les théâtres d’actions économiques, militaires, stratégiques, scientifiques et légales, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, afin de servir les intérêts définis par le Parti communiste. En intégrant l’Organisation mondiale du commerce avec des conditions spécifiques, elle a tenté de se servir des règles qui l’avantagent, sans respecter celles qui limitent sa marge de manœuvre et en imposant son propre « multilatéralisme », à savoir le projet des « Nouvelles routes de la soie ». En outre, elle contrôle 4 des 15 organisations internationales sous l’égide l’ONU, afin d’exercer une influence indirecte par l’intermédiaire des Etats membres dont elle est proche. En vue d’équilibrer la puissance chinoise dans une vaste zone de libre-échange, le Japon a adhéré, en 2021, au « Regional Comprehensive Economic Partnership (Partenariat économique pour l’ensemble de la région), vaste zone de libre-échange entre Australie, Brunei, Cambodge, Chine, Indonésie, Laos, Malaisie, Birmanie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Singapour, Corée du Sud, Thaïlande et Viêt Nam. Par ailleurs, en 2018, le Japon a signé un accord de partenariat économique avec l’Union européenne, doublé d’un partenariat stratégique. Le concept d’une « zone indo-pacifique libre et ouverte », prôné par le Japon en 2016, refuse l’usage de la force, le non-respect des règles internationales et la remise en cause du libre-échange par décision unilatérale ou manipulation des règles existantes.
Loïc Salmon
Le 15 septembre 2021, les deux Corées ont procédé à des tirs de missiles. Le missile sud-coréen a été tiré d’un sous-marin de la classe Ahn Chang-ho, récemment mis en service et équipé de systèmes de lancement verticaux pour missiles de croisière. Quelques heures auparavant, deux missiles à courte portée, lancés depuis le centre de la Corée du Nord vers la mer du Japon, ont parcouru environ 800 km à une altitude maximale de 60 km, selon l’Etat-major interarmées sud-coréen. Le 13 septembre, la Corée du Nord avait annoncé que des « missiles de croisière à longue portée » avaient parcouru 1.500 km pendant deux heures au-dessus de son territoire et de ses eaux territoriales. Selon les analystes, ces missiles pourraient atteindre la Corée du Sud et le Japon. Les sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord portent sur l’armement nucléaire et les missiles balistiques, mais pas sur le développement de missiles de croisière. Le 28 septembre, l’agence de presse de la Corée du Nord a annoncé l’essai réussi d’un missile planeur hypersonique Hwasong-8 sur une distance de 200 km et une apogée de 30 km.
Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan
Asie-Pacifique : présence militaire française accrue
Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer