Géopolitique : poids de l’élément religieux dans les relations internationales

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Sphère religieuse et monde politique s’instrumentalisent mutuellement, à des degrés variables, au sein de la communauté internationale. Toutefois, l’influence de la première, quoique réelle, ne semble guère déterminante dans les relations entre les Etats.

C’est ce qui ressort d’une visioconférence-débat organisée, le 5 mai 2020 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : François Mabille, chercheur à l’IRIS et au Centre national de la recherche scientifique ; Blandine Chelini-Pont, professeure à l’Université d’Aix-Marseille ; Dominique Vidal-Sephiha, journaliste et écrivain.

La résurgence. Au XIXème siècle, les grands Etats ont utilisé la religion dans leurs desseins géopolitiques, rappelle François Mabille. Toutefois, la France de la IIIème République n’a pas cherché à exporter la laïcité. Entre les deux guerres mondiales, la « Question romaine » n’a porté que sur les relations entre le Saint-Siège et le gouvernement italien. En 1947, la fin de l’Empire britannique des Indes a conduit, pour des raisons religieuses, à la partition entre l’Inde (hindouiste) et le Pakistan (musulman), devenus enjeux de la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS. Lors de la décolonisation, les liens se forment entre religion et nationalisme et religion et pacifisme. A la fin des années 1970, quatre événements accroissent l’importance du facteur religieux. En 1978, l’élection du pape polonais Jean-Paul II aura pour conséquence une décentralisation de la Curie romaine (ensemble des organismes et institutions du Saint-Siège) par un glissement progressif du centre du catholicisme, de l’Europe de l’Ouest vers celle de l’Est. L’identité religieuse s’affirme comme une entité politique opposée au communisme athée. En 1979, la révolution en Iran se manifeste comme une condamnation des politiques culturelle et économique du Shah, liées à l’Occident. Le régime des mollahs, qui associe religion et politique, tente d’exporter le chiisme jusqu’aux années 2000, où le pouvoir politique utilise alors « l’arme religieuse » pour se rallier la population. Cette idée sera reprise en Italie du Nord, en Inde et en Hongrie. En 1979 également, la prise d’otages de la Grande Mosquée de La Mecque par des fondamentalistes islamistes correspond à une critique du régime saoudien. La même année, l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS suscite une résistance locale, appuyée sur une identité religieuse internationale. La loi américaine de 1998 sur la liberté religieuse permet sa prise en compte dans la politique étrangère des Etats-Unis, malgré leurs relations avec des pays qui ne la respectent pas. En 2008, le ministère français des Affaires étrangères se dote d’un bureau des religions, pour en comprendre les enjeux. Dans sa gestion des crises, la Suisse inclut le soutien à des organisations religieuses dans leur action pour la paix. La charte de l’Union européenne prévoit d’entreprendre un dialogue régulier et transparent avec les instances religieuses de son sol. Selon François Mabille, la religion relève de la puissance d’influence, qu’utilisent la Russie, vis-vis de sa population chrétienne orthodoxe, et l’Arabie saoudite envers les musulmans sunnites.

L’Eglise catholique. Le Saint-Siège entretient des relations avec tous les Etats du monde, tradition qui remonte au XVIIIème siècle, rappelle Blandine Chelini-Pont. Après Jean-Paul II (1978-2005), la diplomatie pontificale change de logique et de ton avec une « désoccidentalisation » de son discours international. Le pape François (élu en 2013) multiplie les critiques sur la crise financière et la pédophilie au sein de l’Eglise, sur son action internationale et sur l’état du monde. Sud-américain, il se sent solidaire de l’humanité face aux urgences pandémique et écologique. Il préconise une réponse internationale globale face à la dérégulation financière, les inégalités sociales et la logique d’escalade militaire. Pour mobiliser les catholiques, il compte sur ses voyages (40 déplacements à l’étranger depuis 2013) et la diffusion d’encycliques sur la pauvreté, le sort des migrants et un dialogue inter-religieux avec l’islam. Il se prononce contre la corruption politique en Afrique, pour des élections libres et la fin des présidences à vie. Il souhaite un rapprochement avec la Chine, afin d’y contrer la concurrence de l’Eglise évangélique américaine (protestante). Devant la guerre endémique, il s’implique dans la plateforme de l’ONU contre les armes nucléaires et s’est déclaré favorable à l’accord sur le dossier nucléaire iranien. Face à la puissance militaire des Etats-Unis, il condamne l’emploi des drones, robots et bombardements ciblés dans leur lutte contre le terrorisme. Il critique la présence en Europe de l’OTAN, qui augmente sa périphérie et sa puissance financière. En vue d’un rapprochement œcuménique avec l’Eglise orthodoxe, il s’abstient de prendre parti dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, mais critique l’intervention militaire de celle-ci au Moyen-Orient. Enfin, il se déclare favorable à la création d’un Etat palestinien. Toutefois, la politique internationale du Vatican ne fait guère l’unanimité parmi toutes les communautés catholiques dans le monde, précise Blandine Chelini-Pont.

Le Proche et Moyen-Orient. La religion joue un rôle indéniable mais non primordial dans la géopolitique au Proche-Orient, indique Dominique Vidal-Sephiha. Elle a rempli le vide causé par la disparition du communisme et du nationalisme dans les pays arabes. L’Arabie saoudite et l’Iran l’utilisent pour affirmer leur prééminence régionale. En Israël, elle sert d’alibi pour justifier l’annexion des territoires occupés. Au XIXème siècle, le sionisme, fondé par des juifs européens, souhaitait créer une société laïque. Mais il a eu besoin des religieux, pour constituer une identité nationale basée sur un héritage culturel de 2.000 ans, et de la Bible, pour justifier le retour des juifs en Palestine et y instaurer un Etat en 1948. Après la guerre de 1967 et l’annexion de Jérusalem-Est, le gouvernement a laissé les colons s’installer en Cisjordanie sous la protection des forces armées. Dix ans plus tard, un changement de majorité, obtenu grâce aux juifs orientaux et aux juifs orthodoxes, se traduit par l’émergence du concept de « Grand Israël », où la colonisation correspond à une vision messianique…proche de celle de l’Eglise évangélique américaine. Pourtant, selon un sondage récent, 57 % des Israéliens se déclarent favorables à la séparation de l’Etat et de la religion.

Loïc Salmon

Selon la revue « Les clés du Moyen-Orient », les chrétiens (catholiques, protestants et orthodoxes) totalisent actuellement 2,2 milliards de personnes, soit 32 % de la population mondiale. Les chrétiens d’Orient sont entre 10 et 16 millions au début du XXIème siècle. Les musulmans sont environ 1,5 milliard (23 % de la population mondiale), dont 87,4 % de sunnites (toutes écoles confondues). Environ 800 millions d’entre eux se trouvent en Asie, à savoir en Indonésie (premier pays musulman du monde), en Afghanistan, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et en Chine. Ils seraient entre 350 millions et 400 millions au Moyen-Orient (Turquie, Egypte et Iran compris) et un peu moins de 90 millions en Afrique du Nord. Les hindous sont 1 milliard, les bouddhistes 500 millions et les juifs 14 millions, dont 25 % en Israël.

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