La première guerre mondiale fut le triomphe du bruit jamais entendu auparavant, en raison de la canonnade à outrance le long du front, mais aucun enregistrement original ne subsiste. Par ailleurs, les musiques ont joué un rôle important pendant ce conflit.
C’est ce qu’explique le catalogue de l’exposition « « Entendre la guerre », organisée par l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme) du 27 mars au 16 novembre 2014. Dans les années 1920, le cinéma reconstitue l’atmosphère sonore de la guerre par des « trucages ». Ainsi, le succès du film américain The Big Parade de King Vidor (1925) doit beaucoup aux « bruisseurs », cachés derrière l’écran, qui imitent les sons des canons et mitrailleuses, les sifflements des obus et les éclatements de « shrapnels ». La notoriété du roman Les croix de bois de Roland Dorgelès (1919) est accrue par ses adaptations à l’écran en 1931 et 1936. Le cinéma parlant fait alors revivre la guerre des tranchées avec le brouhaha général, le bruit des armes, l’argot et les chansons des « poilus ». Les scènes de bataille et de bombardement des films des années 1930 deviendront les « vraies fausses archives » de la guerre 1914-1918. Les bandes-son intégrées aux images d’actualités muettes sont encore « repiquées » aujourd’hui dans des documentaires pour perpétuer la mémoire du conflit. Jusqu’au XIXème siècle, la musique militaire devait transmettre les ordres, régler les mouvements de troupes et, éventuellement, semer la terreur parmi l’ennemi sur le champ de bataille, à l’instar du « meher » des janissaires ottomans ou des cornemuses des troupes britanniques pendant la guerre de Crimée (1853-1856). Par la suite, la musique militaire adopte des chansons d’origine civile pour rythmer les marches. Ainsi, La Madelon, créée en 1914 pour le café-concert « L’Eldorado », demeure la chanson emblématique de la première guerre mondiale. Cette « Marseillaise des tranchées » améliore le moral des troupes, à la grande satisfaction du commandement. De même, la chanson It’s a long way to Tipperary , écrite pour le music-hall en 1912, connaît un rapide succès avec l’arrivée des troupes britanniques en France en 1914. La musique du film Le pont de la rivière Kwaï (1957) est inspirée d’une marche de 1914, qui avait connu un immense succès commercial à l’époque. En 1917, le jazz débarque en France avec les troupes américaines. Un régiment de soldats noirs, considéré comme inapte au combat, est confiné dans la logistique. Mais l’année suivante, il intervient au feu sous commandement français et devient, pour la postérité, celui des « Harlem Hellfighters » (Combattants de l’enfer de Harlem). Son orchestre de parade, car chaque régiment américain en dispose, suscite l’enthousiasme du public à chacun de ses concerts avec la marche militaire Stars and Stripes Forever, mais aussi le morceau de jazz syncopé Memphis Blue. Le régiment s’illustre tellement au combat qu’il reçoit la croix de Guerre à Munchausen, sur le front du Rhin le 13 décembre 1918. Par ailleurs, cette guerre provoque des traumatismes d’oreille d’une ampleur sans précédent, par suite du souffle d’explosions et de bruits trop intenses. Chaque fois que le canon se tait, s’installe « le silence de mort », synonyme de la mort elle-même et rappel de la souffrance endurée par les combattants. Le rite de la « minute de silence », en hommage aux morts, date de la Grande Guerre.
Loïc Salmon
Les généraux français de la Grande Guerre
« Entendre la guerre », ouvrage collectif sous la direction de Florence Gétreau. Éditions Gallimard/Historial de la Grande Guerre, 160 pages. 24 €