Dissuasion : nécessité de la modernisation des forces nucléaires françaises

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A l’horizon 2035, la modernisation des composantes océanique et aérienne de la dissuasion nucléaire de la France s’impose pour lui permettre de maintenir sa crédibilité dans le monde et protéger ses intérêts vitaux.

Telle est la conclusion d’un rapport de la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées présenté à la presse, le 28 juin 2017 à Paris, par les sénateurs Xavier Pintat et Jeanny Lorgeoux.

Un monde plus « nucléarisé ». Début 2016, selon l’Institut international de recherches sur la paix de Stockholm, neuf Etats possèdent environ 15.395 armes nucléaires, dont 4.120 déployées dans les forces opérationnelles et 1.800 maintenues en état d’alerte avancée : Etats-Unis ; Russie ; Grande-Bretagne ; France (voir encadré) ; Chine ; Inde ; Pakistan ; Corée du Nord ; Israël. Tous développent, pérennisent ou modernisent leurs capacités.

La Russie dispose de 7.290 ogives nucléaires, dont 1.790 déployées et 2.800 en alerte. Elle renouvelle la gamme de missiles de portée inférieure à 500 km ou supérieure à 5.500 km. Déjà, 40 nouveaux missiles intercontinentaux Sarmat et Rubzeh peuvent percer les systèmes de défense antiaérienne les plus sophistiqués. Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la classe Boreï, équipés du missile Boulava (10 têtes à trajectoires indépendantes), entrent en service. La composante aérienne de bombardiers lourds furtifs Tu-60 sera renforcée par un nouvel avion stratégique, après 2025. Outre la mise en chantier de grands moyens de simulation, l’entraînement des forces nucléaires sera accru : exercices des composantes et des chaînes de commandement ; patrouilles sous-marines ; vols de bombardiers sur longues distances. La nouvelle doctrine militaire (décembre 2014) souligne le recours à l’arme nucléaire en riposte à une attaque nucléaire ou une agression massive à l’arme conventionnelle contre la Russie ou ses alliés ou de menaces contre l’existence même de l’Etat.

Les Etats-Unis possèdent 7.000 ogives nucléaires (1.930 déployées et 2.500 en alerte). Le nouveau SNLE de la classe  Columbia, en service en 2029, sera équipé de 16 tubes missiles et d’une chaufferie à uranium hautement enrichi, qui ne nécessitera pas de changement de combustible pendant les 42 ans de vie du submersible. Les missiles Trident IID5, embarqués sur les SNLE de la classe Ohio (24 tubes), seront prolongés jusqu’en 2042. Les 400 missiles Minuteman III de la composante terrestre resteront en service après 2030. D’ici là, un programme de missiles  balistiques, tirés de silos, devrait être lancé en 2018. Le nouveau bombardier stratégique furtif B21, prévu pour 2025, emportera le nouveau missile de croisière nucléaire à long rayon d’action LRSO dès 2028. La flotte de B52H sera modernisée pour durer jusqu’en 2040 et emporter le LRSO. Les bombardiers B2 seront adaptés à l’emport des nouvelles armes nucléaires B61-12 et LRSO.

La Grande-Bretagne dispose d’un stock de 215 ogives nucléaires (120 déployées), qui sera réduit à 180 à partir de 2025. Conformément aux accords de Nassau (1963), les SNLE britanniques de la classe Vanguard embarquent des missiles américains Trident, opérationnels jusqu’en 2040 et équipés d’ogives britanniques. Les nouveaux SNLE de la classe Dreadnought, qui remplaceront les Vanguard à partir de 2030, auront le même compartiment missiles que les Columbia américains.  Ils maintiendront une permanence à la mer d’un SNLE équipé de 8 missiles opérationnels emportant 40 têtes.

La Chine possède 260 ogives nucléaires. Elle  modernise toute la gamme de ses missiles balistiques et de croisière, capables d’emporter des charges conventionnelles ou nucléaires. Elle renforce leurs capacités de pénétration des défenses adverses et ses propres défenses antiaériennes et antimissiles. Pour diversifier sa frappe en second, elle développe une nouvelle génération de SNLE, plus discrète que l’actuel Jin et capable de lancer un missile d’une portée supérieure à celle du JL2 (8.600 km). Par ailleurs, elle prévoit la mise en service d’un planeur hypersonique emportant une charge nucléaire, d’ici à 2020, et d’un missile de croisière hypersonique aéroporté vers 2025. Compte tenu du vieillissement des têtes nucléaires, un programme de simulation, proche des normes occidentales, devrait être développé.

L’Inde dispose de 100-120 ogives nucléaires et de 250 chasseurs- bombardiers T50 de nouvelle génération, développés avec la Russie. Elle a conclu l’achat de 36 Rafale français en 2016 et négocie pour d’autres. Son premier SNLE, Arihant, entré en service en 2016, sera équipé du futur missile K 4 (3.500 km de portée). La composante terrestre repose sur la famille de missiles balistiques Agni (jusqu’à 6.000 km). Une défense anti-missile est en cours de développement.

Le Pakistan possède 100-130 ogives nucléaires. A partir de 2028, il prendra livraison de 8 sous-marins chinois de la classe Yuan à propulsion diesel-électrique et destinés à recevoir des dérivés du missile Babur (450 km) pour une frappe en second. Il développe la capacité de pénétration de sa composante terrestre pour contrer la supériorité conventionnelle de l’Inde.

La Corée du Nord, qui posséderait 10 ogives nucléaires, a déjà procédé à 5 essais nucléaires souterrains et à une soixantaine de tirs de missiles, plus ou moins réussis. Elle cherche à développer une composante sous-marine. Le placement en orbite d’un satellite lui permettra de concevoir des missiles balistiques intercontinentaux pour menacer la Corée du Sud, le Japon et, à terme, les Etats-Unis.

Israël possède 80 ogives nucléaires. Il teste un missile balistique de longue portée et dispose d’une flotte de chasseurs-bombardiers d’assaut F15I, capables de raids à longue distance.

L’Iran a atteint le seuil de réalisation de matières fissiles pour réaliser des armes nucléaires. En 2030, il sera délié de l’accord international sur la suspension de son programme militaire et disposera de missiles capables d’atteindre l’Europe occidentale.

Et la France ? Le rapport sénatorial recommande 15 mesures pour maintenir la dissuasion nucléaire dans sa stricte suffisance. Vu l’augmentation prévue du budget de la défense en 2025, les crédits de la dissuasion devraient rester stables à 12 % environ.

Loïc Salmon

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 En 2017, la dissuasion française repose sur 300 têtes nucléaires (280 déployées et 10 en alerte opérationnelle avancée) ainsi réparties  : 48 missiles balistiques M51 (portée de 9.000 km) embarqués sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la Force océanique stratégique (FOST) ; 54 missiles ASMP-A (air sol moyenne portée amélioré allant jusqu’à 500 km) transportés par des Rafale de l’armée de l’Air (Forces aériennes stratégiques) et de la Marine nationale (Force aéronavale nucléaire). La FOST déploie 4 SNLE à 16 tubes dont au moins un en permanence à la mer. Les futurs SNLE, équipés du missile M51.3, seront en service de 2048 à 2080. La composante aérienne repose sur le trio Rafale, ASMP-A et avion ravitailleur. L’ASMP-A, retiré du service en 2035, devrait être remplacé par le futur ASN4G, qui devrait durer jusqu’en 2070.

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