Défense : l’emploi de l’IA sur le champ de bataille de demain

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Le combattant va devoir accepter l’aide de l’intelligence artificielle (IA) en soutien de « l’intelligence tactique » pour converger vers la victoire, tout en conservant le contrôle de la technologie.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 30 janvier 2019 à Paris, par le Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CREC). Y sont intervenus : le colonel Gilles Haberey, chef d’état-major du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement ; le colonel Marc Espitalier, coordonnateur environnement Scorpion (armée de Terre) ; le capitaine de frégate Camille Girard, état-major de la Marine ; le colonel Etienne Faury et un lieutenant-colonel, tous deux de l’état-major de l’armée de l’Air ; Alexandre Hervieu, expert IA à DGA Maîtrise de l’information ; Yonathan Teboul, responsable IA chez le missilier MBDA.

La fascination technique. Tous les décideurs politiques et militaires ont tenté de trouver des procédés pour dominer la complexité du champ de bataille et ses facteurs de ruptures, explique le colonel Haberey. La guerre est conduite en vue de la construction d’une paix durable et non pas pour éradiquer l’ennemi, comme le montrent les opérations en Afghanistan et en Syrie. Or il existe des solutions multiples pour garantir la fin des hostilités. La clé du succès réside dans le discernement pour imaginer la phase post opérationnelle. Le militaire fait preuve d’ingéniosité et d’initiative dans les actions de guerre. L’IA, qui lui facilitera la tâche, constitue une condition nécessaire mais pas suffisante pour vaincre demain. Elle synthétise le contexte : ami ou ennemi ; réalités physique et humaine. Mais la décision du chef, probabilité qui remet en cause tous les équilibres, ne se modélise pas. Par son aide inégalée à la prise de décision et à la compréhension de la situation tactique, l’IA augmente les capacités du chef. Dans la bataille présentée sous ses différents aspects, elle lui propose une solution mathématique, mais ne permet pas la recherche de l’erreur humaine, de la responsabilité et de la culpabilité. Elle identifie les cibles et les traite avec précision et létalité contrôlée, plus facilement dans les milieux aérien et maritime que terrestre. Ce traitement « chirurgical », qui ne s’applique pas partout, tient la guerre à distance de la société. Or au cours de ses missions de pacification ou de résolution de crises l’armée de Terre se trouve confrontée à des formes complexes de conflictualité. Le guerrier, l’ingénieur, le philosophe et le sociologue doivent réfléchir ensemble pour gagner sur le terrain, avec une technologie maîtrisée et dans une limite éthique. Aux Etats-Unis, indique le colonel Haberey, ce qui est faisable est légal et donc moral. Mais en France, la cause juste donne un sens à l’action.

L’armée de Terre. Les forces terrestres opèrent dans un milieu physiquement complexe, difficile à modéliser et face à un ennemi hybride, avec le risque de dommages collatéraux, souligne le colonel Marc Espitalier. Les unités, éloignées les unes des autres, collectent des données, les traitent et les partagent. Elles s’adaptent, se protègent et doivent durer sur le terrain. L’IA, capable de démultiplier les effets, permettra à chaque soldat, dépositaire d’une partie de la mission et donc de la force, de se concentrer sur des tâches à haute valeur ajoutée et de prendre des initiatives. Elle s’intègre au « système infovalorisé Scorpion », qui mettra en service le futur char de combat franco-allemand à l’horizon 2035, et combine intelligence tactique, puissance et résilience. L’intelligence tactique inclut : la compréhension de la situation grâce au traitement des données par les algorithmes des capteurs ; la performance du commandement pour atteindre et maintenir la supériorité décisionnelle. La puissance nécessite : la masse, accrue par la robotique ; la coopération avec les forces alliées ; l’influence par la communication au bon moment et la lutte contre la désinformation ; l’agilité, résultant d’une adaptation permanente des structures par une reconfiguration des systèmes. La résilience concerne : la force morale, acquise par l’entraînement en quasi-expérience ; l’endurance, par une « maintenance prédictive » des équipements réduisant le déploiement des moyens logistiques sur le terrain.

La Marine nationale. L’IA développera la capacité opérationnelle à localiser 500.000 navires dans le monde, explique le capitaine de frégate Girard. La « veille collaborative navale » met en œuvre plusieurs frégates qui partagent la situation tactique, en vue d’un pistage précoce et de meilleures classification et analyse de la cible. Les Marines américaine, britannique et française procèdent à des exercices de « wargaming » pour établir de nouvelles doctrines face aux bâtiments russes et chinois. A l’horizon 2024, le groupe aéronaval français pourra évaluer la présence d’unités russes ou chinoises dans le golfe Arabo-Persique, en les détectant dans le détroit d’Ormuz. Par ailleurs, l’IA intervient dans la conception du système de lutte anti-mines du futur. Un « bâtiment mère », en communication satellitaire avec un centre d’exploitation à terre, déploie des drones sous-marins et un de surface. Ce dernier remorque un sonar, qui complète l’action des drones sous-marins pour détecter un champ de mines. Ensuite, il envoie son robot sous-marin télécommandé, qui met en œuvre des moyens de neutralisation.

L’armée de l’Air. L’IA facilitera la gestion de la navigation aérienne et de la manœuvre char/avion dans le combat futur, explique le lieutenant-colonel (Air). Elle raccourcit le cycle OODA (observer, orienter, décider et agir) dans la conduite d’une opération dans le temps court et, quand elle dure, de la gérer sur le long terme. Elle s’inscrit dans la préparation opérationnelle avec le simulateur de la base de Mont-de-Marsan, pour anticiper le combat aérien de demain et rejouer les scénarios précédents. L’IA apporte puissance de calcul et reconnaissance automatique d’images. Par ailleurs, indique le colonel Faury, tout est enregistré dans un avion en mission, où les cyberattaques constituent un risque majeur. Toutefois l’homme conservera toujours le moyen de revenir en mode basique de pilotage et de combat au cours de la mission.

Loïc Salmon

En matière d’intelligence artificielle (IA), indique Alexandre Hervieu, les travaux de la Direction générale de l’armement portent sur les systèmes multi-agents, la connaissance et le raisonnement, la recherche opérationnelle et l’apprentissage automatique. Celui-ci inclut la reconnaissance d’images, le traitement automatique du langage et l’analyse de séries temporelles. L’IA présente diverses vulnérabilités sur : la reconnaissance d’images visibles par infrarouge, radar à synthèse d’ouverture et sonar ; les données sonores par leurrage ; les textes par « empoisonnement » des données d’entraînement ; les suites numériques par des « portes dérobées ». Selon Yonatan Teboul, l’IA apporte une aide au renseignement par la fusion des informations d’images, de textes et du contexte pour comprendre la situation. Le même signal peut donner lieu à des interprétations différentes nécessitant une fusion sémantique. L’IA traduit en termes compréhensibles des équations mathématiques, caractérisés par leurs effets : formes, objets et couleurs.

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