La mise en œuvre des « systèmes d’armes létaux autonomes » (SALA) reste du ressort du chef, qui donne un sens à l’action dans le respect du droit.
Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé le 9 novembre 2021 à Paris par le Centre de recherche de l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (CReC) et la Croix-Rouge française. Y sont notamment intervenus : Gérard de Boisboissel, ingénieur de recherche au CrEC ; lieutenant-colonel David Schuster, Etat-major de l’armée de Terre ; lieutenant-colonel Marc-Antoine Gérard, Etat-major de l’armée de l’Air et de l’Espace ; professeur Jean-Marc Moschetta, Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace ; professeur Michaël Krajecki, Agence de l’innovation de défense ; Eric Carrey, directeur audit, contrôle interne et de la qualité à la Croix-Rouge française.
Opportunités en robotique militaire. En déportant les fonctions, la robotique permet l’extension de la zone d’action d’une unité tactique, explique Gérard de Boisboissel. Les plateformes robotiques embarquent des modules fonctionnels, activables et utilisés selon leurs élongations, pour la surveillance d’une zone d’intérêt, la détection et l’identification de l’adversaire, sa neutralisation, l’usage de la guerre électronique et la protection de l’unité par un leurre. La robotique réduit l’exposition des combattants à ce qui est dangereux, sale et répétitif. Les robots servent au transport de charges lourdes et à la logistique et contribuent au besoin de masse des armées. Discrets et en veille permanente, les robots présentent de meilleures réactivité et précision et permettent le combat « collaboratif », par l’intervention d’une plateforme différente de celle ciblée par l’adversaire. L’autonomie permet de décharger le militaire du pilotage et de poursuivre l’objectif de la mission, même en mode « sans contact ». L’automatisme, qui reproduit des séquencements déterminés et donc prédictifs, diffère de l’autonomie totale, qui définit ses propres règles. En revanche, les « systèmes d’armes létaux intégrant l’autonomie » (SALIA), à des niveaux variables, prennent en compte les règles et contraintes d’engagement imposées par le commandement humain, l’adaptation à l’environnement et l’évaluation des résultats. Le chef doit pouvoir reprendre la main sur le SALIA, en cas de perte de communication ou de comportement non attendu, par une désactivation ou même une autodestruction automatique.
Milieu terrestre. L’emploi de drones augmente la profondeur tactique et change les modes d’action, rappelle le lieutenant-colonel Schuster. Dans l’exécution de la manœuvre, l’emploi des systèmes automatisés doit d’abord permettre de réserver les ressources humaines (vie des soldats) et d’augmenter la liberté d’action du chef en conservant les unités en réserve. Il s’agit alors de développer la masse des forces terrestres, de manière permanente ou temporaire, en déployant des systèmes automatisés « sacrifiables ». Certaines tâches opérationnelles peuvent être déléguées à des systèmes automatisés, afin d’économiser le potentiel humain des forces terrestres et donc d’accroître leur endurance. Le combattant va alors se concentrer sur des actions tactiques et opératives (niveau théâtre) choisies, en s’appuyant sur la meilleure synergie possible homme/systèmes automatisés pour augmenter l’agilité des forces terrestres. Enfin, il convient de concilier ce que l’on veut (besoins tactiques), ce que l’on peut (faisabilité technique) et ce que l’on a (ressources financières).
Milieu aérien. Le développement d’armements de pointe par la Russie et l’accroissement constant du budget de défense de la Chine conduisent à anticiper un affrontement futur entre puissances, estime le lieutenant-colonel Gérard. Les stratégies de déni d’accès et d’interdiction de zone, utilisées par divers pays, mobilisent avions de chasse, défense sol-air, veille radar et camouflage. La bataille se joue dans tout le spectre du champ électromagnétique. Le temps alloué à la décision politique se réduit. La vitesse hypersonique et la capacité accrue de manœuvre nécessitent d’accélérer la boucle OODA (Observer, s’Orienter, Décider et Agir). La préparation des frappes, planifiées ou sur des cibles mobiles, met en œuvre des moyens de détection infrarouge et électromagnétique, automatisés par l’intelligence artificielle embarquée. Le pilote gère les trajectoires des armes après reconnaissance et identification. L’autorisation d’engagement d’une frappe aérienne prend en compte la défense adverse sol-air, démasquée par les capteurs infrarouges puis trompée par des leurres tirés à distance de sécurité. La manœuvre d’attrition contre l’adversaire se gère en temps réel sur des cibles, préalablement validées par le commandement selon la situation. Un système hybride se révèle plus performant qu’un système entièrement habité. Par ailleurs, le réarmement d’un avion de chasse est passé de quelques minutes pour un Mirage III, pendant la guerre israélo-arabe de 1967, à plusieurs heures pour un Rafale aujourd’hui. La complexification des systèmes nécessitera le déploiement de robots de maintenance sur les théâtres d’opération pour réduire ce délai.
Opérations en essaims. Selon le professeur Moschetta, les essaims de micro-drones présentent plusieurs intérêts opérationnels : résistance au brouillage et aux agressions ; faible coût, car emport possible de plusieurs charges utiles, drones remplaçables et mobilisant peu d’opérateurs ; discrétion et furtivité, grâce à des faibles signatures équivalentes radar, infrarouge, visuelle et acoustique et nécessitant peu de communication longue distance. Largués en essaims par avion pour réduire les élongations, les micro-drones doivent éviter toute collision, maintenir le cap fixé et ne pas s’éloigner les uns des autres. Ils peuvent reconstituer une synthèse de la situation sur le terrain grâce à : un calcul déporté, distribué et miniaturisé ; une communication interne, à courte distance et à haut débit, d’images et de reconnaissance de cibles ; une communication avec le sol, à faible débit et à grande distance, pour recevoir les ordres de haut niveau. Toutefois, leur emploi souffre de leur faible élongation et des difficultés liées au mode de déploiement. Sur le plan éthique, il est impossible de contrôler chaque « soldat » de l’essaim et de faire la différence entre combattants et civils.
Technologie et éthique. La Croix-Rouge française aide le gouvernement à développer le droit humanitaire international et un cadre normatif pour les SALA, indique Erice Carrey. Un plan national de formation porte sur les questions éthiques et opérationnelles et de nouvelles règles contraignantes, en précisant leur degré d’applicabilité.
Loïc Salmon
Selon Michaël Krajecki, l’intelligence artificielle (IA) permet de répondre à diverses interrogations tactiques. Ainsi, la présence et la classification d’un objet particulier sont traitées par la détection, la reconnaissance et l’identification. Ensuite, l’appréciation de la situation permet d’évaluer l’intensité de la menace et l’évolution possible de l’objet. Enfin, l’IA propose des recommandations pour répondre à l’objectif de la mission. Mais le maintien d’un contrôle suffisant ne peut être délégué par l’humain à la machine, pas plus que la permanence de la responsabilité du commandement.
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