Défense et sécurité : anticiper puis gérer les crises

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Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale assure le suivi de tous les événements « sensibles », assiste les autorités politiques dans la gestion des crises et coordonne l’action des différents ministères concernés.

Ce domaine a été abordé lors d’un colloque tenu les 22 et 23 novembre 2016 à Paris, à l’occasion de son 110ème anniversaire. Y sont notamment intervenus : Yann Jounot, coordonnateur national du renseignement ; Sébastien-Yves Laurent, politologue de l’Université de Bordeaux ; Gunter Heiss, directeur général et coordonnateur des Services fédéraux (Allemagne) ; Paddy McGuiness, conseiller adjoint à la Sécurité nationale (Grande-Bretagne) ; Christian Masset, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et du Développement international ; Roseline Letteron, professeur de droit public à l’Université Paris IV-Sorbonne.

Lever les incertitudes. Le Conseil national du renseignement définit les orientations et les priorités stratégiques et planifie les moyens humains et techniques des services spécialisés. Il s’agit d’éclairer la politique gouvernementale avant, pendant et après une crise et de neutraliser une menace avant qu’elle se produise sur le territoire national, explique Yann Jounot. Ainsi après la crise au Levant, la menace, terroriste ou autre, peut se manifester sur un théâtre différent. La politique du renseignement recherche la synergie des acteurs, la protection contre toute ingérence extérieure et la cohérence de la réponse à donner en fixant la nature de la cible et le mode opératoire. La coopération interministérielle s’appuie sur la Direction générale de la sécurité intérieure pour la prévention et la Direction de la sécurité extérieure pour l’action. Une feuille de route journalière facilite l’interaction entre les services. Depuis les attentats terroristes de 2015 à Paris, les moyens de collecte du renseignement ont été renforcés, mais les données brutes (« big data », coordonnées GPS et adresses des courriels) ne suffisent pas, souligne Sébastien-Yves Laurent. Les sciences humaines, qui analysent les variables sociétales, permettent d’acquérir  une connaissance indispensable à l’anticipation par la détection des « signaux faibles ». Par exemple, le « printemps arabe » de 2011 a constitué une surprise stratégique des deux côtés de la Méditerranée, avec l’émergence de mutations sociales, souvent ignorées et à l’origine d’une insécurité locale, nationale ou régionale, parfois violente. Cette transformation aurait pu être anticipée avec les outils adaptés, à savoi un travail de terrain empirique et une analyse scientifique. Il convient alors de relever deux défis : la « temporalité », qui va de l’interprétation du contexte à la prospective ; la complexité d’un phénomène social, qui ne se réduit pas à quelques données variables.

Orienter les décisions. Le ministère des Affaires étrangères (MAE) a effectué  350 exercices de prospective en 10 ans et son centre de planification globale procède à des exercices de prévention  et de gestion de crises depuis 2014. Selon Christian Masset, il peut faire l’analyse immédiate d’une crise et lancer une alerte précoce. Mais l’absence de capacité de prévision de 3 à 6 mois ne permet pas de lever le « brouillard de la crise ». Le MAE collecte toutes les informations possibles en vue d’identifier les dangers et de présenter des recommandations nationales ou collectives auprès des organisations internationales, afin de réduire les risques. Il s’agit d’agir globalement sur tous les secteurs : sécurité et défense ; politique ; économie ; développement. Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du MAE imagine des scénarios de manière interdisciplinaire, en collaboration avec le SGDSN, les services de renseignement (SR) et l’administration fiscale, afin d’anticiper le pire dans les 6 mois à venir. Les directions géographiques du MAE réunissent périodiquement leurs agents pour évaluer les crises en cours et discerner les « signaux faibles », en vue d’une synthèse. Le Centre de crises et de soutien fournit des éléments chiffrés sur l’évolution des crises à court et moyen termes, la menace sur les intérêts français, qui changent en conséquence, et les principaux risques. Ses informations proviennent des ambassades et de leurs correspondants institutionnels à l’étranger. Quelque 100 fiches « risques pays » et thématiques sont  actualisées tous les 3 mois, auxquelles s’ajoutent les fiches d’alerte précoce. Tout est partagé avec le SGDSN et les ministères de la Défense et de l’Intérieur. Une « Task force » (organisation opérationnelle temporaire) de pré-crise envoie des missions sur place pour procéder à des exercices de résilience internationale. Après la crise, une équipe de 100 personnes reste disponible pour un soutien dans une région donnée. Le retour d’expérience est pris en compte.

Visions de pays voisins. En Allemagne, les SR coopèrent avec le ministère de la Défense et selon une coordination au niveau de la Chancelière, explique Gunter Heiss. Ils analysent les crises porteuses d’incertitude sur l’avenir et de risques pour la stabilité économique et sociale du pays. Des rapports réguliers examinent tous les aspects d’une crise et proposent des mesures pour la gérer. Les SR renforcent leurs échanges d’informations au niveau international. La chute du mur de Berlin (9 novembre 1989) semblait annoncer une période de paix définitive. Mais les crises en Ukraine (depuis 2013) et l’annexion de la Crimée par la Russie (2014) ont incité les SR à réactiver leurs réseaux dans cette région, en vue de transmettre leurs informations aux pays alliés. En Grande-Bretagne, le Secrétariat à la sécurité nationale a été créé dès 1902, face aux expansionnismes français et allemand, indique Paddy McGuiness. Les SR « MI5 » (intérieur) et « MI6 » (extérieur) ont vu le jour en 1909, suivis en 1919 du Service des écoutes et interceptions radio, devenu « GCHQ ». Depuis 2006, la sécurité nationale inclut la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité, l’évaluation de tous les risques possibles, civils et militaires. Il s’agit de mesurer l’intensité d’une menace et sa portée. La résilience nationale est intégrée aux activités de défense. Les priorités du Premier ministre en matière de renseignement font l’objet de réunions régulières de tous les SR. La coopération actuelle avec ceux de l’Union européenne se poursuit jusqu’à la sortie effective de la Grande-Bretagne (« Brexit »). Enfin, les budgets des SR seront augmentés de 40 % au cours des cinq prochaines années.

Loïc Salmon

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Selon Roseline Letteron, le secret de l’État concerne la défense nationale mais aussi les entreprises. Le « secret-défense »  définit une information que l’autorité compétente décide de classifier. Il a valeur législative depuis 2011, car le Conseil constitutionnel estime qu’il participe de la sauvegarde de la nation. Selon l’article 16 de la Constitution, un ministre peut s’opposer à la décision d’un juge de le lever. Les parlementaires n’ont pas accès aux informations classées « secret-défense », sauf les membres, dûment habilités, des délégations sur le renseignement , avec des restrictions sur les opérations en cours et les procédures opérationnelles. En revanche, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les juges et les avocats spécialisés y ont accès, mais uniquement lors de sessions fermées.

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