Depuis la disparition, en France, de la distinction entre menaces internes et externes, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) doit assurer « une veille permanente de qualité avec obligation de résultats », a déclaré son chef, le préfet Bernard Squarcini.
Ce dernier a présenté les activités de la DCRI au cours d’une conférence-débat, organisée le 8 décembre 2011 à Paris par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Outre ses fonctionnaires, la DCRI recourt, par contrat, à des techniciens, chercheurs, directeurs de ressources humaines, économistes, linguistes et graphologues. Elle concentre ses efforts dans quelques domaines précis. La lutte contre le terrorisme est prioritaire. A part le Hezbollah libanais qui bénéficie du soutien de l’Iran, les mouvements terroristes sont devenus le fait d’individus qui n’ont plus besoin de l’ordre d’un chef suprême. Menace polymorphe, les djihadistes (islamistes radicaux) sont suivis par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), les forces militaires françaises déployées hors du territoire national et les services de renseignement (SR) étrangers. Ils ciblent la France en raison de son passé colonial et de sa politique extérieure au Liban (Finul), en Afghanistan (FIAS) et dans la Corne de l’Afrique (lutte contre la piraterie). Installés en Irak, en Afghanistan, en Somalie et au Yémen, ils visent les intérêts français à l’étranger : ambassades, expatriés, journalistes et touristes. En France, ils ciblent les établissements militaires et recrutent des gens nés sur le territoire national. Ils utilisent internet pour diffuser leur propagande et inciter certains « radicaux » à passer à l’acte. Des informaticiens et des spécialistes des explosifs viennent même leur proposer leurs services. Les déplacements des terroristes ne s’effectuant qu’au dernier moment, les SR coopèrent entre eux pour casser les codes de leurs communications cryptées. Il s’agit d’évaluer la menace de la manière la plus fine possible : un même écrit peut être interprété différemment par la DGSE et la DCRI. La capacité d’analyse permet de cibler les objectifs opérationnels, en vue d’une neutralisation sur le plan judiciaire. Certains islamistes radicaux ont tenté de réaliser des attaques chimiques et bactériologiques. La DCRI redoute particulièrement les attentats simultanés sur une même cible (Bombay, juillet 2011), les actions kamikazes et les enlèvements d’otages… en vue de peser sur les campagnes électorales en France. Le contre-espionnage est la deuxième mission historique de la DCRI. Depuis la chute du mur de Berlin (1989), l’espionnage s’intensifie vers les entreprises, les moyens informatiques, la sécurité militaire et les nouveaux types d’armement. Les SR ont doublé leurs effectifs dans les ambassades et parmi les « clandestins ». Par exemple, un SR ami va coopérer dans la détection d’une menace contre l’intégrité du territoire français… qui fera aussi l’objet de toute son attention ! Ainsi, le FSB russe coopère dans la lutte contre le terrorisme, tandis que son homologue militaire va tenter de recruter des agents de la DCRI. « On fait alors passer un message pour éviter d’avoir à vider une ambassade… avec réciprocité », indique le préfet Squarcini. Les échanges de renseignements sont courants entre SR : la France apporte sa coopération en Afrique occidentale et la Grande-Bretagne la sienne dans la Corne de l’Afrique. De leur côté, les Etats-Unis disposent de moyens techniques considérables. La coopération est plus payante en bilatéral, car elle exige confiance et réciprocité. En revanche, elle fonctionne moins bien dans une enceinte européenne : le traité de Lisbonne (décembre 2009) stipule en effet que la sécurité relève de la souveraineté des Etats. La protection du patrimoine économique, avec ses conséquences sur la souveraineté, la compétitivité et les aspects sociaux en France, a conduit à la désignation d’un délégué interministériel à l’intelligence économique en matière de recherche, prévention, contre-ingérence économique et sécurité active. Les entreprises, grandes et petites, sont en effet vulnérables aux opérations hostiles de rachat en temps de crise économique. La DCRI leur apporte une assistance gratuite à la mise en place d’un système de veille adaptée. La lutte continue contre la subversion violente de groupes radicaux européens visant à la déstabilisation de l’Etat. Celle contre la prolifération des armes de destruction massive en Iran et en Corée du Nord se fait en coopération avec la DGSE, les SR amis et l’Agence internationale de l’énergie atomique. Les cyberattaques contre les installations gouvernementales, les entreprises et les infrastructures vitales mettent en péril la sécurité de la nation (voir revue téléchargeable juin 2011, p.9-16). Une coopération forte entre divers pays est indispensable pour l’identification et la traçabilité de ces attaques (phénomène de rebond), puis pour une commission rogatoire internationale en vue d’une action judiciaire. Face à cette technologie galopante, la DCRI recrute régulièrement des informaticiens par contrat (deux ans) pour anticiper les développements techniques possibles. Par ailleurs, une cyberattaque peut paralyser des forces interarmées en opération. « Défense et blindage des moyens informatiques, c’est la menace d’aujourd’hui », souligne le préfet Squarcini. Le développement de la cryptologie nécessite des moyens techniques très onéreux et, là aussi, la DCRI doit coopérer avec la DGSE et les SR étrangers. Enfin, la DCRI effectue 2.500 enquêtes par an de protection des secrets de défense nationale, dont la divulgation est une cause première de vulnérabilité. « Beaucoup de documents disparaissent par accident, maladresse ou volonté délibérée », rappelle son directeur.
Loïc Salmon
Le commissaire de police Bernard Squarcini est devenu chef de la division « enquêtes et recherche » à la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) en 1989. Par la suite, il a été chargé du renseignement anti-terroriste au Pays basque et en Corse. A ce titre, il a participé à la traque et à l’arrestation en 2003 d’Yvan Colonna, l’assassin présumé du préfet de Corse Claude Erignac. Nommé à la tête de la Direction de la surveillance du territoire (DST) en juin 2007, il prend, en juillet 2008, celle de la Direction centrale du renseignement intérieur, née de la fusion de la DCRG et de la DST.