La Chine renforce sa diplomatie mondiale de la santé, en vue d’objectifs économiques puis politiques, en tirant parti de la pandémie du Covid-19.
Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, l’explique dans une note publiée le 26 mars 2020 à Paris.
Un outil d’influence rôdé. Pour contrer l’offensive diplomatique de la Chine nationaliste en Afrique, la Chine populaire envoie une équipe médicale en Algérie dès 1963. Jusqu’à la fin des années 2010, elle aura déployé sur le continent africain plus de 20.000 personnels de santé, qui auraient soigné plus de 200 millions de personnes. En 2014, elle participe à l’effort international de lutte contre l’épidémie du virus Ebola, qui aura tué plus de 11.000 personnes notamment en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Comme près de 20.000 de ses ressortissants résident dans cette région, la Chine y envoie 1.200 personnels de santé dans un centre de traitement de 100 lits en Sierra Leone. Elle fournit une contribution financière de 150 M$, soit plus que la France ou le Japon, et coopère avec les Etats-Unis pour la création d’un centre africain de contrôle et de prévention des maladies en 2016. Parallèlement, dès l’automne 2013, en visite au Kazakhstan et en Indonésie, le président chinois Xi Jinping présente son projet mondial dénommé « Une Ceinture, une Route », plus connu sous le nom de « Routes de la Soie » qui, outre la construction d’infrastructures de transport, vise aussi à renforcer l’influence de la Chine. La partie sanitaire apparaît officiellement dans le plan triennal 2015-2017 de la Commission nationale de la santé et planning familial. Il s’agit notamment d’organiser des forums de coopération en ce sens avec les pays participants au projet, avec ceux de l’Asie du Sud-Est, ceux d’Europe centrale et orientale et les pays arabes. Ensuite, il convient de créer un mécanisme de prévention et de contrôle des maladies infectieuses en Asie centrale et dans la région du Grand Mékong. Un plan de formation des personnels de santé sera mis en place avec l’Indonésie et le Laos. Une alliance des universités médicales est envisagée avec la Russie. Est aussi prévue la création d’un centre international de médecine chinoise traditionnelle, pour y sensibiliser les Etats membres de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est, à savoir Bruneï, la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Viêt Nam. Par ailleurs, la Chine entend devenir un producteur important d’équipements médicaux de diagnostic et de traitement médical en constituant de grands groupes nationaux, capables de devenir concurrentiels sur le marché pharmaceutique mondial. Le plan triennal souligne la nécessité de participer activement à la gouvernance mondiale de la santé et d’exercer une influence sur la recherche, la négociation et l’élaboration de normes, règles et lignes directrices internationales pertinentes.
Des coopérations accrues. Le 18 janvier 2017 à Genève, Xi Jinping signe un protocole d’accord avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) portant sur la promotion de la sécurité sanitaire le long des Routes de la Soie. Quelques semaines plus tard, l’intense activité diplomatique de la Chine atteint deux objectifs : l’élection de l’ancien ministre éthiopien de la Santé et des Affaires étrangères, Tedros Adhanom Ghebreyesus, à la tête de l’OMS ; l’attribution du poste de sous-directeur général de l’OMS, chargé du groupe maladies transmissibles, au médecin chinois Ren Minghui. La Chine apporte la deuxième contribution financière de l’OMS derrière les Etats-Unis…qui ont suspendu la leur (20 % du budget) le 22 avril 2020. En outre, elle prend des initiatives internationales : création du « Global Health Drug Discovery Institute » (Institut mondial de recherche sur les médicaments et la santé) au sein de l’Université Tsinghua de Pékin, en partenariat avec la Fondation (américaine) Bill-et-Melinda-Gates ; conférence sino-africaine des ministres de la Santé ; réunion des ministres de la Santé des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ; réunion sur la coopération sanitaire internationale dans le cadre du projet « Une Ceinture, une Route » (30 ministres de la Santé et dirigeants d’organisations internationales). Cette dernière (août 2017) donne lieu à la signature d’accords bilatéraux ainsi qu’avec le Programme commun des nations unies sur le VIH/sida, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation. L’Alliance pour le développement durable de l’industrie de la santé le long des « Routes de la Soie » vise aussi à accroître les parts de marché des industries sanitaires de la Chine et à faire adopter ses normes et standards. Des réseaux de recherche sur les politiques de santé sont créés à l’issue des sommets Chine-pays de l’Europe centrale et orientale (novembre 2017) et Chine-Afrique (septembre 2018).
L’opportunité du Covid-19. Le 24 mars 2020, le Quotidien du peuple, organe du Parti communiste chinois, souligne la collaboration de la Chine avec l’OMS sur la crise du Covid-19 et lie son aide apportée à l’étranger à sa responsabilité de grande puissance. Alors que la Chine recevait auparavant des masques et matériels médicaux de nombreux pays et d’une dizaine d’organisations internationales, elle en exporte désormais et communique sur son action (voir encadré). Selon Antoine Bondaz, la Chine tente de convaincre les pays en développement et de nombreux pays européens de sa capacité à les aider dans cette grave crise sanitaire…grâce à son système de gouvernance estimé plus efficace que le modèle démocratique occidental. Son 13ème Plan quinquennal (2016-2020) a mis notamment l’accent sur les vaccins, l’oncologie (traitement du cancer), les médicaments pour le système nerveux central et la médecine personnalisée. Le plan « Made in China 2025 » place les biotechnologies parmi les dix technologies prioritaires. Grâce au retour d’expérience de la gestion de l’épidémie du SRAS de 2002, 90 % des malades atteints du covid-19 auraient fait l’objet d’un traitement associant médecine conventionnelle et médecine traditionnelle chinoise.
Loïc Salmon
Selon le site officiel chinois Global Times News, à la date du 26 mars 2020, la Chine a apporté une assistance d’urgence à 4 organisations internationales et 89 pays, dont 9 en Amérique centrale, 16 en Europe, 26 en Afrique, 28 en Asie et 10 dans la région du Pacifique-Sud. Outre la fourniture de matériels médicaux, elle a envoyé 7 groupes d’experts médicaux en Italie, en Iran, en Irak, en Serbie et au Cambodge. Elle a fait un don de 20 M$ à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour lutter contre le Covid-19. Elle a partagé son expérience et ses diagnostics sur ce virus avec 180 pays, régions et organisations internationales. Elle a organisé plus de 30 vidéoconférences avec les experts d’une centaine de pays. Elle a conseillé les équipes étrangères d’aide médicale présentes dans 56 pays en développement pour contrôler l’épidémie. Enfin, elle affirme être la première à avoir isolé et identifié des souches virales puis en avoir partagé la séquence complète de leur génome avec l’OMS.
Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global
Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique