Indo-Pacifique : convergence stratégique possible entre les Etats-Unis et la France

La France peut apparaître comme un partenaire crédible pour les États-Unis dans la zone Indo-Pacifique, à condition de limiter ses ambitions à ses moyens sans ignorer le rôle de Washington.

Lisa Curtis, directrice du programme de sécurité Indo-Pacifique du « think tank » américain Center for a New American Security, l’a expliqué au cours d’une conférence organisée le 15 novembre 2022 par la Fondation pour la recherche stratégique et l’association Jeunes IHEDN.

Centre de gravité mondial. Au cours du premier mandat du président démocrate Barack Obama (2009-2017), la zone Indo-Pacifique, a été replacée au cœur de la priorité géopolitique américaine. Ce pivot vers l’Asie n’a pas été remis en question par l’alternance républicaine de Donald Trump (2017-2021), malgré son retrait unilatéral de l’accord de Partenariat transpacifique en 2017. En comparant le « Cadre stratégique de l’Indo-Pacifique », suivi par l’administration Trump, et la « Stratégie pour l’Indo-Pacifique », publiée par l’administration de son successeur démocrate Joe Biden, les objectifs apparaissent identiques, à savoir garantir la liberté, l’ouverture, la prospérité et la sécurité de ce bassin océanique vital pour les intérêts américains. La Chine, la Corée du Nord et la Russie demeurent les adversaires désignés de ce cadre sécuritaire régi par les normes internationales. Cependant, l’administration Biden préfère aujourd’hui désigner le changement climatique comme principale menace à la stabilité de la région, plutôt que le terrorisme. Une approche multilatérale est à nouveau privilégiée pour obtenir l’abandon du programme nucléaire de Pyongyang et endiguer les ambitions de Pékin.

La Chine. Les États-Unis voient la Chine comme leur principale concurrente et la première opposante systématique au modèle d’économie de marché en Asie. La paix semble remise en question par le discours du président chinois Xi Jinping, qui souhaite parvenir à la réunification avec Taïwan, y compris par la force si nécessaire. Dans le cas d’une guerre sino-taïwanaise, une intervention des États-Unis ne fait aucun doute selon les récentes déclarations du président Biden. L’ambiguïté de la stratégie américaine, rappelle Lisa Curtis, repose sur le degré réel de cette intervention, dont le secret est censé dissuader toute prise de risque. En outre, la tactique de la « zone grise », pratiquée par la Chine pour imposer sa souveraineté en mer de Chine méridionale par des activités maritimes illicites, devient préoccupante. Un conflit menacerait la liberté de navigation dans cette zone riche en ressources et où transite un tiers des trafics pétroliers et de conteneurs. Le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie soulève de nombreuses inquiétudes pour la sécurité et le libre-échange en Asie. Les investissements fonctionnent, selon Washington, comme « un piège à dette » qui remet en question la souveraineté des États débiteurs. En défaut de paiement, le Sri Lanka a ainsi dû concéder le port de Hambantoa à la Chine par un bail de 99 ans et ne peut s’opposer aux escales de ses navires militaires.

Partenariats tous azimuts. Selon Lisa Curtis, le succès de la politique américaine réside dans la multiplication des dialogues internationaux permettant d’inclure davantage de partenaires, parfois au-delà des frontières traditionnelles de l’Indo-Pacifique. Cette relance multilatérale cible d’abord l’Association des nations d’Asie du Sud Est (ASEAN), qui regroupe l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, les Philippines, Brunei, le Viêt Nam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge. Les États-Unis désirent renforcer cette organisation intergouvernementale, qui entretient des rapports complexes avec la Chine, entre investissements massifs et différends maritimes. Au cours d’une réunion ASEAN-États-Unis en mai 2022, le président Biden a promis une aide de 150 M$ aux pays de la région dans les domaines de la santé, du transport, de l’éducation, de l’énergie et de la protection de l’environnement. De son côté, la Chine y a investi 13 Mds$ en 2021. C’est pourquoi la contribution d’autres États et organisations proches des États-Unis est indispensable pour proposer des investissements alternatifs aux Nouvelles Routes de la Soie. En 2017, les États-Unis ont ainsi relancé le dialogue quadrilatéral de sécurité (QUAD) avec l’Inde, l’Australie et le Japon. Son objectif est d’agir suivant une vision commune des enjeux de la région en matière de sécurité maritime et de développement économique durable. Lors du sommet du QUAD à Tokyo en mai 2022, un fonds de 50 Mds$ sur cinq ans a été décidé pour contribuer au développement des pays de la région. Un partage d’informations satellitaires a été mis en place pour lutter contre les actions illégales en mer de Chine méridionale. Selon Lisa Curtis, l’Union Européenne est aussi amenée à jouer un rôle par ses capacités financière et diplomatique via le programme « EU Global Gateway Initiative », fonds d’investissements centré sur la lutte contre le réchauffement climatique et sur la transition énergétique. Une enveloppe de 10 Mds€ a été actée par la Commission européenne en décembre 2022 au profit des pays de l’ASEAN.

La France. L’alliance militaire AUKUS entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis a été conclue en septembre 2021 pour endiguer la montée en puissance de la Chine. Ce traité comprend en particulier des échanges de technologies dans les domaines du nucléaire, de l’intelligence artificielle, de la cyberguerre et des sous-marins. Selon Lisa Curtis, la rupture par l’Australie du contrat de 90 Mds$ avec la France, portant sur un programme de sous-marins, ne signifie pas une opposition entre la France et les États-Unis dans la région. Elle concède que la création d’AUKUS aurait pu se conclure en consultant Paris au préalable. Elle souligne qu’il n’a jamais été question de tenir la France à l’écart, dont la zone économique exclusive et les moyens d’action en mer en font une partenaire incontournable. Depuis 2017, Paris porte un nouveau regard sur l’importance de la zone Indo-Pacifique dans sa politique internationale. Ses objectifs se rapprochent de ceux de Washington : développement économique ; lutte contre les effets du changement climatique ; sécurité maritime. Dans cette optique, la France a adhéré en décembre 2020 à l’Association des États riverains de l’océan Indien, où elle contribue à l’initiative de protection du domaine maritime par le partage d’images satellitaires. Toutefois, la question d’une intégration de la France dans le QUAD reste suspendue à une contribution matérielle et financière plus importante, estime Lisa Curtis. La notion de « puissance d’équilibre », mentionnée dans le document officiel français « Revue nationale stratégique 2022 », n’est pas clairement définie. Pour Washington, cela laisse planer une incertitude sur la volonté de la France de s’engager davantage.

Louis Lamiot

Les États-Unis maintiennent une présence militaire en Indo-Pacifique depuis plus de 70 ans. Entre l’Inde et le Pakistan et entre les îles Kouriles au Nord du Japon et l’Antarctique, la VIIème Flotte déploie un ou deux porte-avions, 50 à 70 navires de surface et sous-marins, 140 avions et environ 20.000 marins et « marines » (troupes de débarquement). Dans les golfes Arabo-Persique, d’Oman et d’Aden ainsi qu’en mer Rouge et mer d’Arabie, la Vème Flotte déploie deux porte-avions, 20 navires, une centaine d’avions et environ 20.000 marins et marines pour, notamment, surveiller le canal de Suez et les détroits d’Ormuz et de Bab el Mandeb. En outre, les États-Unis disposent de bases militaires sur la zone : Japon, 39.300 soldats ; Corée du Sud 23.400 militaires et système antimissile THAAD ; Australie,1.250 marines et 2.500 à terme ; Guam et Saipan, 6.000 militaires et système THAAD ; Djibouti, 4.000 soldats et drones ; Diego Garcia, base britannique concédée aux États-Unis jusqu’en 2036, 4.000 personnels militaires et civils. Enfin, les États-Unis ont conclu des traités d’alliance militaire avec la Corée du Sud, le Japon, la Thaïlande et Taïwan.

Asie-Pacifique : présence militaire française accrue

Industrie de défense : les armes hypersoniques à l’heure asiatique

Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires




Attendez ici – Terminé

Rigueur de l’entraînement, dépassement de soi, opiniâtreté, volonté de vaincre et fraternité d’armes. Ces caractéristiques du combattant ont permis à des soldats japonais de survivre dans la jungle pendant des années et même des décennies.

En 1945, pour atteindre rapidement le Japon, la stratégie américaine consiste à contourner certaines îles du Pacifique en misant sur le fait que leurs garnisons japonaises, privées de ravitaillement, ne représentaient pas de danger. Des milliers de soldats japonais se sont retrouvés, seuls ou en petits groupes, isolés, abandonnés mais armés. Beaucoup n’ont pas été informés de la fin de la guerre. Ceux qui ont continué le combat ont été capturés ou tués jusque dans les années 1950. D’autres, souvent des appelés du contingent, se sont cachés par peur de la captivité ou du sort que leur aurait réservé la sévère hiérarchie militaire japonaise. Beaucoup sont morts de maladies ou victimes de la faune de la jungle. Les quatre militaires de ce roman intitulé « Attendez ici – Terminé » sont inspirés de personnages bien réels : Itô Masahi, capturé à Guam en 1960 ; Shoichi Yokoi, caché à Guam jusqu’en 1972 ; Téruo Nakamura, d’origine taïwanaise, capturé en Indonésie en 1974 ; Hiroô Onoda, combattant dans l’île philippine de Lubang jusqu’en 1972 avant sa reddition en 1974. Le titre reprend les messages radio, brefs et clairs pour ne pas encombrer les ondes : « Attendez ici » correspond à l’ordre à exécuter. « Terminé » met fin à la conversation avec le chef. Officier de renseignement, le sous-lieutenant Onoda (1922-2014) avait été entraîné pour résister des années sur les arrières de l’ennemi jusqu’à la reconquête des territoires abandonnés. Le roman rend compte des préoccupations quotidiennes et des sentiments de ces soldats, persuadés que la guerre continuait. Ils se méfiaient des autochtones, car les Américains avaient la réputation de les envoyer en première ligne et de tuer tous les prisonniers. Dans le îles, les Japonais creusaient des postes de combat tournés vers la mer pour affronter des fantassins américains, sans blindés ni logistique ni canons. Ils pensaient que la préparation et la motivation du défenseur compenseraient l’avantage du nombre de l’assaillant. La récupération d’un poste de radio et de piles permettait d’écouter les nouvelles de Bangkok, de Saïgon ou de Brunei. Mais après des années sans informations de l’extérieur, les soldats japonais interprétaient la guerre du Viêt Nam (1955-1975) de façon erronée. A l’unité secrète de Nakano (Japon), les instructeurs avaient ordonné aux officiers de ne pas se suicider, de ne jamais abandonner la mission ni d’envoyer des hommes à la mort de façon inconsidérée. Les cours portaient sur la survie, le sabotage, l’emploi d’explosifs, la résistance aux interrogatoires, l’usage des émetteurs-récepteurs, les codes, l’anglais, les arts martiaux et l’observation de l’ennemi. Outre ses missions de renseignement, un officier devait maintenir le moral et la volonté de son groupe par une discipline de fer, face à ce qu’il considérait comme de la propagande ou une manœuvre d’influence adverse. Le largage de tracts par hélicoptères, appelant à la reddition, ou la diffusion de messages par haut-parleurs, répétant que la guerre mondiale était finie, ne pouvaient qu’être que des ruses pour déstabiliser les soldats japonais, avant de les traquer et les tuer. Mais après 29 ans de résistance et de certitude, Onoda (le lieutenant Ikéda dans le roman) a commencé à douter. Pourquoi l’ennemi consacrait tant de temps et de moyens pour faire sortir de la jungle un seul soldat japonais, alors qu’ils devaient être des milliers insérés, comme lui, derrière les lignes de combat ? Dans la réalité, le journaliste japonais Norio Suzuki parvient à rencontrer Onoda dans la jungle le 20 février 1974. Les autorités japonaises et philippines organisent alors la venue du chef direct d’Onoda en 1945, devenu libraire, qui lui donne l’ordre de se rendre.

Loïc Salmon

« Attendez ici – Terminé », Noël-Noël Uchida. Éditions Pierre de Taillac, 116 pages, illustrations, 16,90 €.

La puissance au XXIème siècle : les « pôles » du Pacifique

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan

Exposition « Forces spéciales » aux Invalides




Armée de l’Air et de l’Espace : mission « Pégase 2022 », projection vers l’Asie-Pacifique

Alliant projection de puissance et diplomatie, la mission « Pégase 2022 » (10 août-18 septembre) a rallié la Nouvelle-Calédonie en moins de 72 heures, parcouru 36.000 km et effectué 950 heures de vol. Elle vise à renforcer la crédibilité de la France dans la zone indopacifique.

Le général de division Stéphane Groen, chef de l’état-major du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes, l’a présentée à la presse le 23 septembre 2022 à Paris.

La phase opérationnelle. Commandée depuis le Centre de planification et de conduite des opérations à Paris et contrôlée depuis la base aérienne de Lyon-Mont Verdun, « Pégase 2022 » a mobilisé une centaine d’aviateurs, 3 avions de chasse Rafale, 3 avions de transport polyvalents A400M Atlas, 2 avions multi rôles de ravitaillement en vol et de transport (MRTT) A330 Phénix et 1 avion de ligne A330-200, renforcés par 1 avion tactique de transport Casa CN235 et des personnels des forces armées prépositionnées en Nouvelle-Calédonie. Elle a nécessité 20 ravitaillements en vol, délivré 242,1 t de pétrole et reconfiguré ses moyens en moins de 15 heures après le posé. Elle a participé à l’exercice multinational « Pitch Black 22 », organisé par l’armée de l’Air australienne en vue de d’entraîner les équipages à la mission d’entrer en premier face à un État-puissance et consolider l’interopérabilité avec les forces aériennes partenaires. « Pitch Black 22 » a mis en œuvre 100 aéronefs de France, d’Australie, d’Allemagne, d’Inde, d’Indonésie, du Japon, de Singapour, de Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de Corée du Sud. Parmi les 2.500 participants, figuraient également des personnels des Philippines, de Thaïlande, des Émirats arabes unis, du Canada, des Pays-Bas, de Malaisie et de Nouvelle-Zélande. Instauré en 1981 par l’Australie dans le cadre d’un engagement de haute intensité, « Pitch Black » a accueilli les Etats-Unis en 1983 puis la France depuis 2004 avec une interruption en 2020 à cause de la pandémie du Covid19. Sa zone de manœuvre s’étend sur 175.000 km2. Projection à plus de 18.000 km de la métropole, « Pégase 22 » s’inscrit dans la continuité de la mission « Heifara » en 2021 et de « Pégase 2018 ».

Le volet diplomatique. A l’issue de l’exercice « Pitch Black », 3 Rafale, 2 MRTT, 1 A400M et 170 personnels se sont rendus en Indonésie puis à Singapour, afin de montrer le savoir-faire français, d’interagir avec les ressortissants français et de coopérer sur le plan opérationnel avec les armées de l’Air locales. Partenaire stratégique depuis 2011, l’Indonésie a conclu un accord bilatéral de défense avec la France le 28 juin 2021. Elle a commandé 42 Rafale F4 en février 2022, des radars GM403 le 17 mai et, selon la presse locale, aurait approuvé l’achat de 5 A400M en septembre. Son armée de l’Air est notamment équipée de Casa CN235 et C295 (avion cargos tactiques), d’hélicoptères Caracal, de chasseurs F16 (A, B et C) américains, Su-27 et Su-30 russes et TA-50 sud-coréens et enfin d’avions d’entrainement britanniques Hawk (53, 109 et 209). Partenaires des forces armées en Nouvelle-Calédonie, les forces indonésiennes ont participé à l’exercice interallié « Croix du Sud » en 2018. Point d’appui pour les opérations françaises dans la zone indopacifique, Singapour déploie un groupe aérien à la base de Cazaux depuis vingt ans. Son armée de l’Air est équipée de MRTT, Caracal, radars GM200 et missiles Aster 30. Des KC-135 singapouriens, basés au Qatar, ont ravitaillé des Rafale français dans la lutte contre Daech au Levant (opération « Chammal »). Un accord de soutien logistique a été signé en juin 2022. Autre point d’appui majeur depuis 2008, la base aérienne d’Al Dhafra aux Émirats arabes unis abrite des Rafale et un ravitailleur C-135FR, renforcés par un Atlantique 2 (renseignement) et un Awacs (système de détection aéroporté) pour « Chammal ».

Loïc Salmon

Armée de l’Air : « Pégase 2018 », projection lointaine dans le Pacifique

Armée de l’Air et de l’Espace : « Skyros 2021 », mission en interalliés en Eurasie

Armée de l’Air : CDAOA, permanence et réactivité




Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires

La diplomatie maritime de la France et de l’Union européenne (UE) vise à rassurer les micro-Etats de la zone indo-pacifique, vulnérables aux enjeux stratégiques, économiques, environnementaux et humains.

Ce thème a été abordé au cours d’une visioconférence organisée, le 19 avril 2022 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : Christian Lechervy, ambassadeur de France en Birmanie et ancien ambassadeur auprès de la Communauté du Pacifique ; le contre-amiral Jean-Mathieu Rey, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française (Alpaci) ; Julia Tasse, chercheuse à l’IRIS et responsable du programme « climat, énergie, sécurité ».

Face aux puissances régionales. En raison de leurs alliances, il ne faut pas sous-estimer les micro-Etats du Pacifique qui représentent 10 % des pays membres de l’ONU, souligne l’ambassadeur Lechervy. Ils intéressent notamment Cuba, la Turquie, le Maroc et les Emirats arabes unis. A ces 15 Etats, en comptant le Timor oriental, s’ajoutent 10 territoires et d’autres entités diverses (voir encadré). Certains Etats non-souverains ont conclu des accords de coopération avec des organisations régionales, non-régionales ou même internationales dont l’ONU, l’OMS, l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est et la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique. Les parlements entretiennent des relations politiques entre eux. Certains accords portent sur la société civile et les entreprises. Les Etats-Unis redéfinissent leur stratégie dans la zone avec Hawaï, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud. Comme la France en Polynésie, les Etats-Unis et Grande-Bretagne ont procédé à des essais nucléaires dans les Iles Marshall, débat récurrent. Depuis l’attaque imprévue de Pearl Harbor par le Japon en 1941, Washington veut éviter toute surprise de la part de Pékin. La bataille de Guadalcanal (1942-1943) dans les îles Salomon avait opposé les troupes du Japon à celles de l’Australie et des Etats-Unis. Or en 2019, l’Etat des Îles Salomon a établi des relations diplomatiques avec la Chine, suivies d’un accord de sécurité en avril 2022. Outre la coopération policière, cet accord, d’une durée de cinq ans et renouvelable, autorise le déploiement de moyens navals chinois de soutien. Dès 2006, la Chine avait procédé à des évacuations de ses ressortissants dans la région, démontrant sa capacité de projection civile mais aussi militaire. Les Îles Salomon constituent un point d’appui pour le grand projet chinois de « Nouvelles routes de la soie », qui inclut un volet de coopération militaire. Les Etats-Unis et la Chine veulent impliquer les Etats insulaires dans leur architecture de sécurité. Toutefois, ces deniers préfèrent se tenir à distance des grandes puissances et développer leurs capacités militaires (aérienne, navale et sous-marine). L’Espagne, le Portugal, l’Allemagne et les Pays-Bas se sont implantés dans le Pacifique pendant plusieurs décennies, mais la France y maintient une présence depuis un siècle. Au cours du premier semestre 2022, dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) et pour se positionner comme une puissance d‘équilibre, elle a organisé : le Forum sur la sécurité maritime : le One Ocean Summit sur la protection et la gestion durable des océans ; le Forum ministériel pour la coopération dans l’Indo-Pacifique, incluant l’UE, le Japon, l’Indonésie et la Nouvelle-Zélande.

Présence militaire française. La moitié des sous-marins en service dans le monde se trouve dans le Pacifique, indique l’amiral Rey. Environ 2 millions de ressortissants français vivent dans la zone Indo-Pacifique, aussi vaste que l’Europe. Alpaci dispose de 7.000 militaires, 15 navires et 40 aéronefs, renforcés par des éléments métropolitains de passage, pour remplir ses missions de garde-côtes, d’action de l’Etat en mer dans la zone maritime exclusive et d’assistance humanitaire. Ainsi, outre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la France a envoyé des secours, à partir de la Polynésie française, lorsque l’archipel de Tonga a été isolé du monde après une éruption volcanique et un tsunami en décembre 2021. En cas de conflit régional, Alpaci, représentant du chef d’Etat-major des armées, doit rechercher un règlement pacifique. Il s’entretient régulièrement avec son homologue chinois sur zone. La stratégie française des partenariats concerne les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, Singapour, la Malaisie, l’Indonésie et le Chili.

Dérèglement climatique. Le changement climatique exerce un impact direct sur la sécurité, rappelle Julia Tasse. La submersion des infrastructures aériennes et maritimes sur le littoral d’une partie des îles entraîne des conséquences économiques. L’intensification des cyclones accroît le besoin de dispositifs de secours. La sècheresse accrue dans les zones cultivables, trop exploitées, aggrave les conditions de vie dans l’agriculture et les transports. Le blanchissement des côtes par le dépérissement du corail mène à une perte des bancs de poissons associés aux récifs. L’arrivée massive des flottilles de pêche des pays asiatiques entraîne une surpêche dans les eaux profondes et celles proches des côtes. Il s’ensuit une migration croissante d’une partie de la jeunesse des Etats insulaires vers la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Nouvelle-Calédonie, pour des raisons financières et économiques. Par ailleurs, précise Julia Tasse, la politique chinoise d’appropriation territoriale de la mer par l’occupation de récifs et la poldérisation d’atolls inhabités comme en mer de Chine ne peut s’appliquer dans le Pacifique. En effet, sa vaste étendue entraîne « une tyranie des distances », estime l’amiral Rey.

Loïc Salmon

Dans l’océan Indien, la présence de la France inclut : les départements de La Réunion et de Mayotte ; la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises (Îles Kerguelen, Îles Crozet, Îles Saint-Paul-et-Amsterdam et Îles Eparses). Dans l’océan Pacifique, elle comprend trois collectivités d’outre-mer : Polynésie française (Îles de la Société, Archipel des Tuamotu, Îles Gambier, Îles Australes et îles Marquises) ; Wallis-et-Futuna ; Île de Clipperton. La Grande-Bretagne possède l’Île Pitcairn dans l’océan Pacifique et dispose du territoire de l’Archipel de Chagos dans l’océan Indien. Dans l’océan Pacifique, la présence des Etats-Unis inclut : l’Etat d’Hawaï ; des territoires (Guam, Samoa américaines, Île Baker, Île Howland et Récif Kingman) ; des réserves naturelles (Île Jarvis et Atoll Palmyra) ; les Îles Mariannes du Nord ; l’Atoll Johnson ; les Îles Midway ; l’atoll de Wake. Dans l’océan Indien, l’Australie inclut des territoires extérieurs : Îles Ashmore-et-Cartier ; Île Christmas ; Îles Heard-et-McDonald ; Îles Cocos. Dans l’océan Pacifique, elle est associée au territoire autonome de l’Île de Norfolk. Dans l’océan Pacifique, la présence de la Nouvelle-Zélande inclut : les Îles Chatham ; le territoire de Tokelau ; les Etats en libre association des Îles Cook et de Niue. La Papouasie-Nouvelle-Guinée inclut le territoire de Bougainville. Les Philippines incluent la région autonome de Bangsamoro. Le Chili est présent dans l’Île de Pâques et l’Antarctique. L’Indonésie inclut la Nouvelle-Guinée occidentale. Dans l’océan Indien, l’Etat de l’île Maurice inclut la région autonome de Rodrigues et la Tanzanie l’entité administrative autonome de Zanzibar.

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique

Asie-Pacifique : présence militaire française accrue

Armée de l’Air et de l’Espace : missions « Heifara » et « Wakea » dans le Pacifique




OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Le resserrement du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine est perçu par l’OTAN comme déstabilisateur de l’ordre international. Pour les Etats-Unis, l’importance de la présence navale française dans la zone indopacifique contribue de façon significative à la sécurité régionale.

Un document de l’OTAN, rendu public lors du sommet des 29-30 juin 2022 à Madrid, réactualise le concept stratégique de 2010. Le 11 juillet, une source de l’Etat-major de la Marine française a indiqué les perspectives navales avec les Etats-Unis. Le même jour, l’Etat-major des armées (EMA) a exposé la situation du conflit en Ukraine.

Situation en Ukraine. Les gains territoriaux au Nord de la Crimée et à l’Ouest du Donbass augmentent (stries rouges sur la carte). Selon l’EMA, les frappes russes (astérisques jaunes) demeurent intenses sur toute la ligne de front et dans la profondeur, surtout sur le Donbass, et ciblent à nouveau les régions de Sumy et Chernihiv. L’artillerie ukrainienne vise les dépôts logistiques russes. Sur le front Nord, les frappes ont repris au Nord-Ouest et les combats se poursuivent autour de Kharkiv (1). Sur le front Est, les forces russes poursuivent leur offensive, lente et méthodique, vers les localités de Sloviansk et Kramatorsk. Les forces ukrainiennes tiennent leurs lignes de défense (2). Sur le front Sud, la situation s’est stabilisée. Les forces ukrainiennes font face aux dernières lignes de défenses russes dans les régions de Kherson et Zaporizhia, ciblant leurs approvisionnements sur leurs arrières (3). Selon la source navale française, cette guerre permet d’exploiter les erreurs de la Russie et d’évaluer ses capacités tactiques terrestre et navale (Île aux Serpents). Elle souligne le risque de chantage alimentaire en Afrique, en raison du contrôle russe de la mer Noire. Au 11 juillet, la Russie avait tiré plus de 1.000 missiles de croisière, dont une centaine depuis la mer. En conséquence, la Marine française portera ses efforts sur la lutte contre les drones et le brouillage des communications.

Russie et Chine. Pour l’OTAN, la Russie constitue la principale menace pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. Avec des moyens conventionnels, cyber ou hybrides, elle tente d’exercer un contrôle direct et d’établir des sphères d’influence par la coercition, la subversion, l’agression et l’annexion. Brandissant la menace nucléaire, elle modernise ses forces nucléaires et développe de nouveaux vecteurs à capacités conventionnelle et nucléaire aux effets perturbateurs. Outre la déstabilisation des pays situés à l’Est ou au Sud du territoire de l’Alliance atlantique, elle entrave la liberté de navigation dans l’Atlantique Nord, zone d’acheminement de renforts militaires vers l’Europe. Son intégration militaire avec la Biélorussie et le renforcement de son dispositif militaire en mer Baltique, mer Noire et Méditerranée sont considérés comme portant atteinte à la sécurité et aux intérêts des pays de l’Alliance atlantique. Toutefois, estimant ne pas présenter une menace pour la Russie, l’OTAN ne cherche pas la confrontation et souhaite maintenir des canaux de communications pour gérer et réduire les risques, éviter toute escalade et accroître la transparence. Par ailleurs, selon l’OTAN, la Chine renforce sa présence dans le monde et projette sa puissance par des moyens politiques, économiques et militaires. Elle cible notamment les pays de l’Alliance atlantique par des opérations hybrides ou cyber malveillantes, une rhétorique hostile et des activités de désinformation. Elle tente d’exercer une mainmise sur des secteurs économiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique, des matériaux (terres rares) et des chaînes d’approvisionnements stratégiques. En outre, elle sape l’ordre international fondé sur des règles, notamment dans les domaines spatial, cyber et maritime (entraves à la liberté de navigation).

NRBC, cyber, technologies, climat. Selon l’OTAN, des Etats et des acteurs non-étatiques hostiles recourent à des substances ou des armes chimiques, biologiques radiologiques ou nucléaires, qui menacent la sécurité des pays de l’Alliance atlantique. Ainsi, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leurs programmes d’armement nucléaire et de missiles. La Syrie, la Corée du Nord, la Russie et des acteurs non-étatiques ont déjà employé des armes chimiques. La Chine développe son arsenal nucléaire à un rythme soutenu et met au point des vecteurs de plus en plus sophistiqués. Dans le cyberespace, théâtre d’une contestation permanente, des acteurs malveillants essaient d’affaiblir la défense de l’OTAN en cherchant à endommager des infrastructures d’importance critique, perturber le fonctionnement des services publics, dérober des renseignements, voler des contenus soumis à la propriété intellectuelle ou entraver des activités militaires. En outre, des pays compétiteurs stratégiques et des adversaires potentiels de l’OTAN investissent dans des technologies émergentes ou de rupture, capables d’endommager ses capacités spatiales, et de cibler ses infrastructures civiles ou militaires. Enfin, multiplicateur de crises et de menaces, le changement climatique provoque une montée du niveau des mers et des feux de végétations, désorganisant des sociétés. Souvent appelées à intervenir en cas de catastrophe naturelle, les forces armées doivent désormais agir dans des conditions climatiques extrêmes.

Zone indopacifique. Face à la Chine, les Etats-Unis ont besoin d’Alliés, indique la source navale française. Ils ont pris en compte l’implantation de la France dans la zone indopacifique, car ils partagent avec elle la même prudence vis-à-vis de la Chine, la nécessité de la prévention des combats dans la région et le souhait d’y limiter le développement des activités militaires. Depuis la seconde guerre mondiale, la Marine américaine domine les océans. Mais la Marine chinoise développe ses capacités de mener des opérations de coercition et de se déployer dans le monde, comme l’a démontré l’escale d’une frégate chinoise à Bata (Guinée). Elle a mis au point un porte-avions à catapulte et son avion spécifique et a loué des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) russes de la classe Akula. Autre alliée des Etats-Unis dans la région, l’Australie a annulé le contrat de sous-marins avec la France pour se tourner vers eux. Or le taux de remplacement dans la Marine américaine est passé de 2 unités par an à 1 par an, repoussant à 2040 la perspective pour l’Australie de prendre livraison de SNA opérationnels, à prélever sur la flotte américaine. Pour se renforcer dans le Pacifique, les Etats-Unis ont réduit de 70 % leur présence dans l’océan Indien, compensée par celle de la France, dont la posture stratégique dans la zone indopacifique complique l’analyse géopolitique de la Chine.

Interopérabilité navale. Selon la source navale française, des arrangements techniques entre les Marines américaine et française portent sur la validation, à différents niveaux, des systèmes d’informations concernant le commandement, les sous-marins et l’avion de chasse F-35 C. La 4ème génération de ce dernier en augmentera la furtivité, mais la 5ème entraînera un comportement différent, enjeu de la coordination avec le Rafale Marine

Loïc Salmon

Union européenne : présidence française, acquis de la défense

Ukraine : hégémonie navale russe en mer Noire

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique




Union européenne : présidence française, acquis de la défense

L’engagement écrit de nouveaux financements pour l’acquisition de capacités de défense, obtenu lors de la présidence de la France au premier semestre 2022, manifeste le réveil stratégique de l’Union européenne (UE).

Ce dernier et la « boussole stratégique », actualisée en cohérence avec le nouveau concept stratégique de l’OTAN, ont été présentés à la presse, le 7 juillet 2022 à Paris, par Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées.

L’Europe puissance. Véritable Livre blanc de la défense de l’UE à l’horizon 2030, la boussole stratégique a été adoptée par les 27 Etats membres. L’invasion de l’Ukraine, le 22 février, a rendu nécessaires la crédibilité de l’OTAN et sa coordination avec l’UE pour dissuader la Russie d’attaquer l’un des membres de l’Alliance atlantique. La boussole stratégique sera mise en œuvre et déclinée en liaison étroite avec la République tchèque puis la Suède, qui succèdent à la France à la tête du Conseil européen jusqu’au 30 juin 2023. Elle porte d’abord sur une capacité de déploiement rapide, adossée à des processus de décision plus flexibles, plus réactifs et plus adaptés aux besoins des pays partenaires. Les missions PSDC (politique de sécurité et de défense commune) seront rénovées pour permettre des coopérations structurelles, plus en soutien des besoins de souveraineté des partenaires de l’UE et des modalités d’actions. Un investissement de l’ensemble des Etats membres doit garantir un accès sûr à l’espace, au cyber et à la haute mer, domaines contestés, avec les lancements d’une présence maritime coordonnée dans l’océan Indien et d’une stratégie spatiale avec l’exercice Aster X, tenu à Toulouse le 4 mars. Outre la zone indopacifique, l’accent a été mis sur les Balkans et l’Afrique. Le dialogue entre l’UE et les Etats-Unis a repris en matière de sécurité et de défense. Conçue pour la gestion de crise dans les Balkans ou en Afrique, la « Facilité européenne pour la paix », instrument extrabudgétaire créé en 2021, visait d’abord à financer les équipements et armements des troupes des EUTM (missions de formation de l’armée d’un pays tiers). Depuis, elle a été mobilisée pour fournir des armes à l’Ukraine pour un montant de 2 Mds€.

La BITD européenne. Des réponses urgentes ont été apportées pour combler les lacunes capacitaires. Lors de sa réunion des 24 et 25 mars et avant même l’adoption de la boussole stratégique, le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement a demandé à la Commission européenne et à l’Agence européenne de défense de proposer des solutions de court et moyen termes pour soutenir et renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne. En outre, il a décidé de créer un « hub » (plateforme) en charge de l’innovation au sein de l’Agence européenne de défense. Par ailleurs et sur sa demande, la Commission européenne a proposé la création de deux nouveaux instruments d’incitation à l’acquisition conjointe d’équipements militaires. Le premier est un plan d’urgence pour réapprovisionner les stocks de matériels pour un montant de 500 M€ sur 2022-2024, soutenu par le budget de l’UE. Le second consiste en un programme européen d’investissements de défense pour faciliter l’achat conjoint, via des exemptions de taxe à la valeur ajoutée et des flexibilités réglementaires. Il offre la possibilité de mobiliser des financements du budget de l’UE pour renforcer la BITD. Même après la guerre en Ukraine, les dépenses de défense devraient continuer à augmenter de façon significative, estime Alice Guitton.

Loïc Salmon

OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Océan Indien : espace de coopération internationale

Armée de l’Air et de l’Espace : imaginer et mettre en œuvre une défense spatiale




Marine nationale : agir face au dérèglement climatique

La connaissance des risques météo-climatiques permet d’anticiper les catastrophes naturelles et d’agir en adaptant la réflexion à l’action, notamment de la Marine nationale.

Nicolas Regaud, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, et un capitaine de frégate du bureau stratégie et politique de l’Etat-major de la marine l’ont expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 13 avril 2022 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine.

Dégradation accélérée. Le nombre de catastrophes naturelles a été multiplié par 5 au cours des 50 dernières années avec une intensité croissante des cyclones et ouragans, indique Nicolas Regaud. La température de la planète a augmenté de 1° C entre 1850 et 1900 et pourrait croître encore de 1,5° C d’ici à 2030, de 2° C vers 2050 et même de 3° C en 2100. A cette date, le risque de fragmentation de la banquise en Arctique et en Antarctique pourrait provoquer une hausse de 2 m du niveau de la mer. Toutefois, le réchauffement climatique et la montée des eaux déjà constatés varient selon les régions. Dans l’Arctique, cela a entraîné des perspectives pour le transport maritime, l’exploitation des ressources naturelles, dont les hydrocarbures, et l’accroissement de l’activité militaire russe depuis dix ans. Le changement climatique augmente la salinité et la désoxygénation des eaux, modifie le tracé des côtes et rend vulnérables des zones fertiles comme le delta du Nil et le Bengladesh. Il provoque des déplacements de ressources halieutiques et donc de la pêche illicite dans les zones économiques exclusives. Il induit des migrations internes et internationales de populations et amplifie les tensions et les violences politiques, dont pourraient profiter les groupes terroristes. En conséquence, l’OTAN prépare, pour 2024, un plan d’action sur les enjeux stratégiques de l’environnement et des mesures pour réduire les émissions des gaz à effet de serre. Etat archipel, la France maintient une présence militaire dans les zones subtropicales à risques climatiques. En métropole, le port de Brest, plus menacé que celui de Toulon, devra renforcer ses infrastructures concernant le transport maritime, la production d’électricité et les télécommunications.

Prévention et réactivité. Il faut observer et voir pour intervenir et conserver la supériorité opérationnelle, souligne le capitaine de frégate. Le navire logistique polaire Astrolabe (photo) du Service hydrographique et océanique de la marine ravitaille les Terres australes et antarctiques françaises et y effectue la police des pêches. Outre les 300 météorologues embarqués sur les autres bâtiments de la Marine, les timoniers sont formés à effectuer des relevés météorologiques. En 2018, le bâtiment de soutien et d’assistance métropolitaine Rhône a franchi pour la première fois le passage du Nord-Est (Arctique). Toutes les données climatiques ainsi récoltées sont envoyées à Météo-France. Les connaissances sur le dérèglement climatique s’améliorent, grâce à la coopération avec les pays riverains dans le golfe de Guinée et avec les Marines britannique, américaine, indienne, australienne, néo-zélandaise et chinoise dans la zone indopacifique. Par ailleurs, la composante navale de la dissuasion nucléaire nécessite des déplacements maritimes très lointains pour la protection des intérêts vitaux de la France. En effet, la convention de 1976 sur l’interdiction de techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ne constitue pas une garantie absolue.

Loïc Salmon

Environnement : conséquences du changement climatique sur la sécurité internationale

Océan Indien : espace de coopération internationale

Marine nationale : le CEPPOL, outil contre la pollution en mer




Marine : interopérabilité et résilience, plus vite et plus fort

Avec ses innovations technologiques et ses talents, la Marine se prépare aux futures interventions en interarmées et en coalition. L’Europe va se projeter au-delà de la Méditerranée, jusqu’à l’arc Iran-Pakistan et l’Afrique.

L’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine (CEMM), l’a expliqué au cours d’une rencontre organisée, le 8 mars 2022 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Bouleversement géopolitique. Le monde vient d’entrer dans une logique de puissance remettant en cause l’architecture de sécurité internationale, souligne le CEMM. L’intervention russe en Ukraine ne constitue pas une crise, comme au Proche-Orient, mais un changement profond sur les plans militaire et économique affectant les approvisionnements en pétrole, gaz (russe) et blé (russe et ukrainien). Elle ne se réduit pas à la mer Noire, mais s’inscrit dans un ensemble cohérent du port de Sébastopol (Crimée) à celui de Mourmansk (Nord du cercle polaire arctique). Déployé en Méditerranée orientale en support de la mission OTAN, le groupe aéronaval lance deux patrouilles de chasseurs Rafale et une de l’avion de guet aérien Hawkeye chaque jour. Un Rafale peut effectuer un aller-retour jusqu’en Roumanie en 1h30. Un sous-marin nucléaire d’attaque se trouve en océan Indien et la frégate de surveillance Vendémiaire en mer de Chine. Selon le document Brèves Marines (octobre 2021) du Centre d’études stratégique de la marine, des Etats historiquement maritimes renforcent leurs capacités en sous-marins et navires de surface et de débarquement. Plusieurs puissances émergentes, dont la Turquie, acquièrent des capacités de protection, d’intervention et parfois de projection océanique. En outre, l’Asie rassemble 55 % des sous-marins en service dans le monde, d’abord en Chine, au Japon, en Corée du Sud, en Australie, en Inde et au Pakistan, puis au Viêt Nam, en Birmanie, en Thaïlande et au Bangladesh. Faute de pouvoir mettre en œuvre un porte-avions, des Etats se dotent de bâtiments d’assaut amphibies.

Combat aéromaritime. L’exercice « Polaris 2021 » a permis de renforcer les capacités en combat aéromaritime de haute intensité. Du 18 novembre au 3 décembre 2021 sur les façades méditerranéenne et atlantique, il a mobilisé plus de 6.000 militaires français (130 soldats de l’armée de Terre) et étrangers et, notamment, le porte-avions nucléaire Charles-de Gaulle et le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre. « Polaris 21 » a provoqué un changement de la manière de penser, estime le CEMM. Il a mis en œuvre deux forces symétriques, qui ont dû gérer leurs ressources en pétrole et en munitions et innover sur le plan tactique. Les commandants d’unités ont dû utiliser de nouvelles technologies et de nouveaux concepts, afin de surprendre l’adversaire pour conserver leur liberté d’action. Habitué à se préparer à la guerre selon une doctrine et par l’entraînement, le chef d’aujourd’hui doit faire face à l’incertitude, l’imprévu et la vulnérabilité consécutive à une perte de communication par satellite ou un dysfonctionnement du GPS, indispensables aux missiles de croisière. Il s’agit de maintenir le combat au même niveau, mais en mode dégradé, grâce à la résilience globale où chaque opérateur doit pouvoir être remplacé par un autre. Des marins « ambassadeurs internes » expliquent à d’autres marins comment changer de métier en cours de carrière. Sur le plan technique, le drone naval mode hélicoptère, véritable œil déporté, sera expérimenté mi-avril pendant la mission « Jeanne d’Arc 2022 ».

Loïc Salmon

Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

Union européenne : penser les opérations maritimes futures

Marine : « Jeanne d’Arc 2022 », océan Indien et golfe de Guinée




Union européenne : penser les opérations maritimes futures

La sécurité maritime de l’Union européenne (UE) s’étend jusqu’au golfe de Guinée et à la zone Indo-Pacifique, en raison de la « militarisation » des océans et de la « maritimisation » des activités criminelles croissantes qui menacent ses échanges économiques.

Ce thème a fait l’objet du colloque « Forum Sûreté Maritime », suivi dans 29 pays en « distanciel » et organisé le 12 janvier 2022 par la Présidence française du Conseil de l’Union européenne et la Marine nationale. Y sont notamment intervenus : Josep Borell, vice-président de la Commission européenne et Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine française ; le vice-amiral espagnol José Nunez, commandant de l’opération « Atalanta » ; Eva Pejsova, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique ; Julia Tasse, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques.

Acteur mondial. L’UE dépend des transports et des infrastructures maritimes, rappelle Josep Borell. Les rivalités géostratégiques, la criminalité et le terrorisme transforment les océans, espaces communs, en zones de plus en plus prisées et contestées. L’utilisation pacifique et libre des océans se trouve perturbée par des contentieux juridiques, la politique du fait accompli, les cyber-activités et d’autres « zones grises ». Mais l’UE dispose de l’expertise, des capacités et des ressources nécessaires pour y faire face. Elle s’y est déjà engagée avec les opérations « Irini » en Méditerranée et « Atalanta » dans l’océan Indien. Elle peut tirer profit des moyens navals et aériens déjà déployés par les Etats membres pour accroître ses capacités pour agir dans les zones maritimes où ses intérêts sont menacés, notamment dans le golfe de Guinée où la piraterie se répand. Dans le Nord-Ouest de l’océan Indien, zone d’intérêt majeur, elle vise à promouvoir une architecture de sécurité régionale fondée sur la coopération, le respect du droit international et la protection des routes maritimes. L’UE va y accroître sa présence navale pour augmenter sa visibilité dans le domaine maritime et affirmer son rôle stratégique sur les océans dans le contexte des rivalités croissantes et des menaces hybrides. Selon le vice-amiral Nunez, l’opération « Atalanta », lancée fin 2008, a protégé 1.598 navires du Programme alimentaire mondial (ONU), qui ont livré 2,28 Mt de marchandises d’urgence en Somalie, et transféré 171 pirates aux autorités judiciaires régionales. En outre, elle contribue à l’embargo sur les armes vers la Somalie et à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Outil diplomatique de l’UE, « Atlanta » coopère avec le Centre de sécurité maritime de la Corne de l’Afrique et avec la Commission pour l’océan Indien (La Réunion, Madagascar, les Seychelles et l’Ile Maurice). Elle assure aussi une mission de formation au Mozambique.

Spectre d’action élargi. La zone Indo-Pacifique présente des intérêts économiques, politiques et stratégiques pour l’UE, souligne Eva Pejsova. Elle assure 50 % de son commerce maritime avec l’Asie, dont les échanges bilatéraux ont totalisé 1,5 milliard de milliards d’euros en 2018, soit le tiers des exportations de l’UE. La Chine constitue le deuxième partenaire commercial de l’UE. Cette dernière est le premier partenaire commercial de la Chine avec 1 Md€/jour. Les échanges UE-Japon représentent 25 % du produit intérieur brut mondial. L’Association des nations du Sud-Est (ASEAN, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, Viêt Nam, Laos, Birmanie et Cambodge) est devenue la principale récipiendiaire des investissements directs de l’UE à l’étranger avec 189 Mds€ en 2020. Sur les 19 ports situés le long des principales voies maritimes mondiales, 16 se trouvent en Indo-Pacifique, où la France assure une présence permanente. Pour renforcer sa crédibilité dans les relations internationales, l’UE a conclu divers accords-cadres ou des partenariats stratégiques avec la Corée du Sud en 2016, le Japon (2018 et 2019), l’ASEAN (2020), le Viêt Nam (2020) et l’Inde (2020). En effet, les ambitions maritimes de la Chine dans la zone Indo-Pacifique exacerbent les tensions régionales par sa volonté d’étendre une souveraineté, contestée, sur des îlots et atolls en mer de Chine orientale et méridionale. Elle augmente ses capacités d’action en haute mer et construit des bases navales ou des ports à usage civil et militaire sur la partie maritime des « Nouvelles Routes de la Soie ». La situation de la zone se trouve fragilisée par la rivalité sino-américaine, la piraterie, les trafics illicites, la surpêche et les dégradations de l’environnement (voir encadré).

Approche sécuritaire globale. Le droit de la mer, en vigueur depuis 1982, est contesté et parfois violé, souligne l’amiral Vandier. La « territorialisation » d’espaces océaniques se poursuit en mer de Chine et en Méditerranée, tandis que la piraterie et le brigandage maritime persistent dans le golfe de Guinée et le détroit de Singapour. Outre la vulnérabilité des détroits d’Ormuz, de Suez, Malacca et Bab-el-Mandeb, des tensions se font sentir sur les routes maritimes essentielles, dans le golfe de Guinée et en mer de Chine. Aujourd’hui, la conflictualité porte sur la mer, l’espace extra-atmosphérique et le cyberespace, caractérisés par l’absence de frontière physique, la liberté de mouvement par la maîtrise de la technologie de pointe, leurs enjeux commerciaux, leurs dimensions et leur opacité qui facilite des actions sous le seuil d’affrontement et difficilement attribuables. Le réarmement naval se confirme en Méditerranée et en Asie. L’influence géopolitique de l’opération « Atalanta », unanimement reconnue et modèle de la défense de l’UE, complète l’OTAN, que renforce la Politique (européenne) de sécurité et de défense commune. La coopération civilo-militaire, principe d’action de l’UE, se concrétise par les projets Crimario et Mase (océan Indien), Yaris (golfe de Guinée) et Esiwa (Asie). Le plan d’action de la Stratégie de sûreté maritime de l’UE, mis à jour en 2018, bénéficie du partage de l’information par le MICA Center de Brest. Le concept de présences maritimes coordonnées, dans une zone maritime d’intérêt pour l’UE, va renforcer l’interopérabilité des Marines de l’UE déployées en océan Indien. Celles-ci totalisent un nombre de frégates et de destroyers équivalent à ceux de la Chine et des Etats-Unis.

Loïc Salmon

Selon Julia Tasse, la sécurité de l’environnement constitue un enjeu stratégique, en raison du réchauffement climatique et de la perturbation de l’équilibre des écosystèmes de la biodiversité. L’élévation de la température de la surface de la mer va provoquer des migrations des bancs de poissons de la zone tropicale vers la haute mer. Les pêcheurs feront alors des incursions dans les zones économiques exclusives des pays voisins. Dans quelques décennies, l’élévation du niveau des eaux devrait submerger 30 % du delta du Mékong, zone de production alimentaire en Asie du Sud-Est, et entraîner des déplacements de populations. En outre, d’ici à 2050, elle risque de menacer des villes de plus de 10 millions d’habitants, à savoir Londres, Istanbul, Mumbai, Chennai, Shanghai, Dacca, Bangkok, Djakarta, Dar es Salaam, Luanda, Lagos, Dakar, Buenos Aires, Lima et New York.

Union Européenne : présidence française, les enjeux de défense

Marine nationale : le « MICA Center », compétence mondiale

Afrique : golfe de Guinée, zone de coopération stratégique

 




Asie-Pacifique : Inde, Chine et Taïwan, acteurs de la sécurité

La récurrence d’incidents frontaliers avec la Chine pourrait conduire l’Inde à inclure Taïwan dans sa contribution à l’architecture de sécurité régionale.

C’est ce qui ressort d’une note publiée en juillet 2021 à Paris par Gilles Boquerat, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique.

Contentieux frontalier. Le différend territorial entre la Fédération indienne et la République populaire de Chine porte sur le tracé de la frontière himalayenne, à savoir sur l’Aksai Chin à l’Ouest et sur l’Etat indien l’Arunachal Pradesh à l’Est (voir carte). A l’Ouest, aucune démarcation n’a été tracée au sol. A l’Est, une ligne, dite Mac Mahon, suit la ligne de crête himalayenne. De fait, la Chine contrôle l’Aksai Chin depuis son invasion du Tibet en 1950. Elle y a construit une route reliant le Tibet à sa province du Xinjiang. A l’Est, l’Inde revendique une démarcation passant au pied des contreforts himalayens en bordure de la vallée du Brahmapoutre et incluant une zone dénommée « Tibet du Sud » par la Chine. En 1960, Pékin a proposé de reconnaître la ligne Mac Mahon en échange de l’Aksai Chin. Le refus de New Delhi a débouché, deux ans plus tard, sur une guerre…gagnée par la Chine, qui s’est contentée de consolider ses positions sur l’Aksai Chin. Une « Line of Actual Control » (LAC, ligne de contrôle effectif) sépare les deux pays sur 3.500 km, dont 1.600 km dans l’Aksai Chin. Le tracé de cette LAC, jamais accepté formellement par les deux parties, fait l’objet de désaccords ponctuels. Pour prévenir toute confrontation, Pékin et New Delhi ont conclu des accords en 1993, 2003, 2012 et 2013, excluant le retour à la force et prônant le développement de relations bilatérales, surtout économiques. Pour affirmer ses revendications sur la LAC, l’Inde a organisé 65 points de patrouille par ses forces armées et de police au Ladakh. Les 5 et 9 mai et 15 juin 2020, des affrontements meurtriers se sont produits entre soldats indiens et chinois. Depuis, les forces déployées sur la frontière restent en état d’alerte. Fin août, une unité indienne de la Force spéciale des frontières, composée notamment de réfugiés tibétains, a pris par surprise le contrôle de la chaîne du Kailash, surplombant la rive Sud du lac Pangong et la garnison chinoise de Moldo. Des pourparlers en avril et juin 2021 n’ont pas abouti à un retrait chinois de Gogra/Hot Spring ni des autres zones contestées. Pour l’Inde, la plaine de Depsang constitue un enjeu important, car l’aéroport militaire de Doulat Beg Oldie (DBO) y a été construit, à 5.000 m d’altitude, lors du conflit de 1962. La piste d’atterrissage se trouve près de la nouvelle route stratégique Darku-Shylok-DBO (en vert sur la carte), longue de 255 km et qui permet de ravitailler les forces déployées jusqu’au pied du col de Karakorum.

Militarisation accrue. L’Inde cherche à mettre en place une dissuasion crédible contre toute intrusion chinoise sur l’ensemble de la LAC et disposer d’une capacité de surprise. Depuis l’été 2020, 50.000 soldats y sont déployés sur 800 km. Le 1er Corps d’armée, composé de deux divisions d’infanterie, a été déplacé de la frontière avec le Pakistan vers le Ladakh. Le 17ème Corps, seule unité de montagne, reste basé dans le Bengale occidental, face aux Etats du Nord-Est (Sikkim, Népal et Bhoutan). La construction de routes, d’héliports et de camps est programmée dans les zones frontalières, afin de faciliter le déplacement de soldats et de matériels. Les sévères conditions météorologiques éprouvent les chars de combat T72MI Aleya et T905 Bhishma, les véhicules de combat d’infanterie BMP-2, les obusiers M777 de 155 mm et les batteries de missiles. Pour améliorer sa capacité de transport, l’armée de l’Air indienne a récemment acquis des hélicoptères CH-47 Chinook et des avions de transport tactique C-130J Super Hercules et Boeing C-17. De son côté, l’armée chinoise a équipé ses avant-postes de radars, capteurs et drones et les relient aux installations de l’arrière par des routes et la pose de fibres optiques. De plus, des villages sont édifiés à la frontière pour servir de postes de surveillance et matérialiser les revendications territoriales. A l’Est, la construction d’une voie ferrée entre Chendu (Sichuan) et Lhassa (Tibet), permettra le déploiement rapide de troupes et d’équipements en cas de tension frontalière entre l’Arunachal Pradesh et le Sikkim. Un premier tronçon de 435 km entre Lhassa et Nyingchi, a été inauguré en juin 2021. Toutefois, l’Inde ne semble guère en mesure de reconquérir le terrain perdu. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, le budget de défense de la Chine a atteint 252 Mds$ en 2020, contre 72,9 Mds$ pour celui de l’Inde. De 2011 à 2020, les dépenses militaires ont augmenté de 76 % en Chine, contre 34 % en Inde. Par ailleurs, pour contrer l’expansionnisme maritime chinois, l’Inde a relancé, en 2020, le forum « Quadrilateral Security Dialogue » (Dialogue quadrilatéral sur la sécurité), portant notamment sur une synergie entre sa Marine et celle des Etats-Unis, du Japon et de l’Australie.

Contexte économique. L’Inde a reconnu très tôt la légitimité de la Chine populaire, après son accession au pouvoir en 1949. Puis, dans les années 1990, elle a procédé à un échange de représentations commerciales faisant office d’ambassades avec Taïwan. Après les incidents frontaliers de 2020, le représentant de Taïwan en Inde a proposé d’étendre les relations bilatérales à la sécurité régionale. Une montée de la tension entre Pékin et Taipei aurait en effet des conséquences géopolitiques graves. La liberté de navigation dans le détroit de Taïwan constitue un enjeu stratégique pour l’Inde, car 40 % de son commerce avec l’Asie orientale y transite. En octobre 2020, l’institution National Maritime Foundation, qui dépend du ministère indien de la Défense et de la Marine, a signé un accord avec la Taïwan-Asia Exchange Foundation pour réfléchir ensemble sur les questions d’intérêt commun liées au domaine maritime. Début 2019, l’Inde a proposé à Taïwan une assistance technologique pour la construction de sous-marins et a évoqué une collaboration en matière de cybersécurité. Pékin avait alors mis en garde New Delhi contre toute coopération militaire avec Taipei. En novembre 2020, l’Inde a refusé d’adhérer au « Regional Comprehensive Economic Partnership (Partenariat économique pour l’ensemble de la région), vaste zone de libre-échange entre Australie, Brunei, Cambodge, Chine, Indonésie, Japon, Laos, Malaisie, Birmanie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Singapour, Corée du Sud, Thaïlande et Viêt Nam. Elle y voit un moyen pour la Chine de renforcer sa position économique dominante sur la zone indopacifique. Toutefois, elle dépend de la Chine dans les secteurs de l’électronique, de l’industrie pharmaceutique, de l’automobile et des télécommunications. Pour l’exercice 2019-2020, ses achats à la Chine, incluant machines et équipements médicaux, ont atteint 65,3 Mds$ et ses ventes 16,6 Mds$, surtout des minerais pour soutenir le rebond de l’économie chinoise. En incluant Hong-Kong, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Inde, devant les Etats-Unis. L’Inde n’est que le 17ème partenaire commercial de Taïwan, qui reste son 31ème partenaire.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Asie du Sud : Inde et Pakistan se veulent des puissances nucléaires responsables

Japon : multilatéralisme dans un contexte stratégique tendu