Espace : lancement réussi des 3 satellites militaires CERES

Une constellation de trois satellites militaires CERES (CapacitE de Renseignement Electromagnétique Spatiale) a été lancée le 16 novembre 2021 depuis le centre spatial guyanais.

Capacités. Opérationnel en permanence, de jour comme de nuit, CERES peut recueillir du renseignement électromagnétique partout, en en tout temps et quelle que soit la couverture nuageuse. Ses trois satellites, positionnés à 700 km d’altitude, sont destinés à collecter des données sur des zones inaccessibles aux capteurs terrestres, maritimes ou aéroportés, en vue d’apporter aux armées françaises une meilleure connaissance des capacités et des intentions adverses. Ils permettront de détecter et localiser des radars et moyens radio ou de communication et de fournir leurs caractéristiques techniques. Grâce à la qualité et la précision des informations fournies, les forces armées pourront notamment cartographier les points d’intérêt dans différentes zones du monde et ainsi adapter les scénarios d’engagement opérationnel. Selon le droit spatial, CERES peut survoler le monde entier en toute souveraineté. Cette constellation accroît l’autonomie d’appréciation de situation et de décision de la France. Le lancement a été effectué par Arianespace et la maîtrise d’œuvre industrielle assurée par le groupement Airbus Defence & Space et Thales. Le programme CERES a coûté 450 M€. Conformément à la loi de programmation 2019-2025, le ministère des Armées aura investi 4,3 Mds€ dans le domaine spatial d’ici à 2025.

Lutte antisatellite. Les essais préliminaires à une éventuelle guerre dans l’espace ont commencé pendant la Guerre froide (1947-1991). De 1968 à 1982, l’Union soviétique a lancé des « satellites tueurs » destinés à exploser à proximité de leur cible. Le 13 septembre 1985, les Etats-Unis ont neutralisé le satellite scientifique Solwind P178-1, devenu obsolète, par l’impact direct d’un missile lancé depuis un avion de chasse F-15. De son côté, la Chine, considérant l’espace comme un champ possible de confrontation, a détruit un de ses satellites météorologiques en orbite de 800 km, au moyen d’un missile lancé le 11 janvier 2007. Le 21 février 2008, les Etats-Unis ont alors tiré un missile sur un de leurs vieux satellites à 247 km d’altitude. Le 27 mars 2019, l’Inde a détruit par missile un de ses satellites, lancé le 24 janvier précédent en orbite basse de 300 km. Plus de 6.500 débris de taille supérieure à 0,5 cm ont été ainsi générés, mais la plupart sont trop petits pour être repérés. En 2014, la Russie a lancé le satellite Kosmos 2499, soupçonné d’être un nouveau tueur, et déclaré opérationnel le missile Nudol en 2016. Selon la NASA américaine, ce dernier a détruit, le 15 novembre 2021, le satellite russe Kosmos 1408, spécialisé dans le renseignement électronique et mis en orbite en 1982. Des débris ont menacé la station spatiale internationale et polluent l’espace pendant des années, avec le risque d’endommager des satellites placés sur des orbites très utilisées. Selon l’Etat-major français des armées, leurs trajectoires seront surveillées pour prévenir tout risque de collision. La France dispose du système GRAVES (Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale), d’une portée de 1.000 km et mis en service en 2005. Ce dernier a déjà détecté plus de 9.000 objets d’une taille supérieure à 10 cm. Parmi les 800 satellites repérés, une trentaine serait des satellites espions américains et chinois non répertoriés. Seuls les Etats-Unis, la Russie et la France disposent d’une telle capacité autonome de surveillance de l’espace.

Loïc Salmon

Espace : lancement réussi du satellite militaire Syracuse 4A

Espace : CSO, renouvellement des moyens militaires français

Espace : sécurisation en question et dissuasion nucléaire

 




Espace : lancement réussi du satellite militaire Syracuse 4A

Première unité du programme Syracuse IV, le satellite de télécommunications Syracuse 4A, lancé le 24 octobre 2021 du Centre spatial guyanais, sera opérationnel dans 9 mois sur une orbite géostationnaire de 36.000 km.

Caractéristiques et performances. Syracuse IV, qui comptera 3 satellites, offrira une meilleure résistance aux brouillage et cyberattaques que le système actuel Syracuse III, en service depuis 2007. Il assurera un débit trois fois plus élevé, soit 1 gigabit/seconde et par satellite, pour permettre d’échanger des volumes de données plus importants à tous les niveaux de la chaîne de commandement. Voici les principales caractéristiques de Syracuse 4A : masse lancée, 3.850 kg ; durée de vie minimum, 15 ans ; position orbitale, 45,5 ° Est ; bande passante en bande X, 500 Mhz ; bande passante en bande Ka, 1 Ghz. Comme les futurs satellites 4B et 4C, Syracuse 4A dispose de 4 moteurs électriques en remplacement de la propulsion chimique et de son carburant. Pour la même durée de vie, cela permet une plus grande capacité d’emport de charge utile de communication et donc l’usage des deux bandes de fréquences différentes. Syracuse 4A (puis 4B) dispose d’un « processeur numérique transparent » pour la propulsion, la génération d’électricité et le contrôle de position. Cette « intelligence » du satellite peut être reconfigurée en permanence, pour s’ajuster au besoin opérationnel avec une très grande précision. Le système Syracuse IV inclut 400 stations sol plus puissantes, plus compactes et plus mobiles pour équiper la Marine, l’armée de Terre et celle de l’Air et de l’Espace. D’ici à 2023, ces nouvelles stations équiperont les frégates FREMM (multi-missions) et FDI (défense et intervention), les sous-marins nucléaires d’attaque de type Suffren, les porte-hélicoptères d’assaut et les véhicules blindés Griffon et Serval du programme Scorpion. A partir de 2026, l’avion Airbus A330 MRTT (transport et ravitaillement) Phénix sera le premier aéronef à emporter une station militaire aéroportée souveraine, qui renforcera ses aptitudes de plateforme de commandement.

Programme spatial militaire. Le programme Syracuse IV est conduit par la Direction générale de l’armement, en collaboration avec le Centre national d’études spatiales et le Commandement de l’espace de l’armée de l’Air et de l’Espace et en partenariat avec les industriels Airbus Defense and Space et Thales Alenia Space. Voici son calendrier : 2015, notification du contrat de réalisation des satellites Syracuse 4A et 4B ; 2019-2020, début des réalisations des stations sols ; fin octobre 2021, lancement de Syracuse 4A ; 2022, lancement de Syracuse 4B ; d’ici à 2025, commande de Syracuse 4C. Par ailleurs, dans le cadre de l’utilisation militaire de l’espace, le nouveau programme d’armement « Maîtrise de l’espace » compte deux volets. D’abord, la France doit améliorer la surveillance de ses satellites. Ensuite, lorsqu’un acte hostile a été détecté, caractérisé et attribué, elle doit pouvoir y répondre de façon adaptée et proportionnée, en conformité avec les principes du droit international. La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit 4,3 Mds€ pour le renouvellement des capacités spatiales militaires : observation, 3 satellites CSO dont 2 déjà opérationnels et le 3ème à lancer en 2022 ; renseignement électromagnétique, 3 satellites CERES à lancer en novembre 2021 ; télécommunications, Syracuse 4A et 4B ; développement de programmes futurs, dont ARES pour la surveillance de l’espace et de défense des satellites.

Loïc Salmon

Espace : nouveau théâtre des opérations militaires

Espace : un commandement dédié pour comprendre et agir

Stratégie : espace et BITD, nécessité d’anticiper




Union européenne : la sécurité et la défense après le « Brexit »

L’Union européenne (UE), réduite à 27 Etats membres, élabore une stratégie portant sur la réponse aux conflits et crises externes, le renforcement de ses capacités militaires et la protection de son territoire et de sa population.

L’équipe « B2 » (cinq auteurs) l’explique dans l’ouvrage intitulé « La boîte à outils de la défense européenne Nouveautés 2020-2021 », publié à Bruxelles aux éditions du Villard en mai 2021.

Les risques et menaces. La Russie multiplie les actes d’intimidation contre l’UE. Ont été attribués à ses services de renseignement : la cyberattaque contre le Bundestag (Parlement fédéral) allemand en 2015 ; l’agression chimique en mars 2018 contre l’ancien agent russe Sergueï Skripal, réfugié en Grande-Bretagne ; des explosions dans des entrepôts en République tchèque en 2014 ; l’accueil hostile, le 3 février 2021 à Moscou, réservé au Haut représentant de l’UE venu plaider la libération de l’opposant Alexeï Navalny. Depuis 2019, la Turquie se confronte aux pays européens. En Méditerranée orientale, elle effectue des forages d’hydrocarbures dans les zones maritimes considérées comme chypriotes ou grecques. Elle a conclu un accord avec la Libye sur une zone économique exclusive empiétant sur celles de l’Italie, de Chypre et de la Grèce. Elle en conclu un second de nature militaire avec l’envoi de soldats et de matériels. Lors de la guerre dans le Haut-Karabagh (27 septembre-10 novembre 2020), elle a soutenu l’Azerbaïdjan par l’envoi d’hommes et de matériels. Elle maintient une présence en Somalie et dans les Balkans. La Chine est perçue par l’UE comme rivale, partenaire et concurrente, qui affiche sa souveraineté très au-delà de son environnement proche. Elle intervient jusqu’en Europe par le développement des « Nouvelles routes de la Soie », l’acquisition de biens économiques souverains ou sa « diplomatie des vaccins ». Outre le terrorisme interne ou externe, les Etats membres de l’UE font l’objet de tentatives de déstabilisation par des groupuscules militarisés ou des mouvements séparatistes, notamment en Espagne (Catalogne et Pays basque). D’anciennes menaces réapparaissent : armes chimiques ou bactériologiques ; espionnage politique ou industriel ; pressions sur les approvisionnements en énergie. Conséquences des technologies émergentes, de nouvelles menaces surgissent, à savoir la désinformation, l’ingérence électorale et les cyberattaques.

L’analyse géopolitique et spatiale. Depuis novembre 2020, la menace est évaluée par le Centre unique d’analyse du renseignement (SIAC, sigle anglais), qui regroupe le centre de renseignement militaire de l’Etat-major de l’UE et le centre de situation et de renseignement du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), placé sous l’autorité du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Le SIAC reçoit des informations des services de renseignement civils ou militaires des Etats membres. L’UE dispose du Centre satellitaire de Torrejon (Espagne) pour le renseignement géo-spatial destiné aussi aux Etats membres et à des organisations internationales. Ainsi, lors du conflit dans l’ex-Yougoslavie (1991-2002), ce centre a adressé des cartes au Comité international de la Croix-Rouge. Il a fourni certaines analyses sur le Darfour à la Cour pénale internationale et d’autres à la mission de l’ONU en Libye. Il a confirmé l’existence de dépôts de munitions en Syrie, les déplacements de matériels le long de la frontière ukrainienne et les camps de prisonniers ouïgours dans le Xinjiang chinois. Par ailleurs, le centre de Torrejon évalue les risques de collision entre engins spatiaux et lance des alertes d’évitement. Il calcule les trajectoires d’objets artificiels lors de leur rentrée incontrôlée dans l’atmosphère. Il détecte et caractérise les fragmentations d’orbite. Enfin, l’UE dispose, à Bruxelles, du Collège européen de sécurité et de défense, dont le budget est passé de 500.000 € en 2013 à 2,06 M€ en 2021. Ce collège forme les personnels permanents du SEAE et ceux envoyés dans les missions de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ou du SEAE, avec renforcement des formations pour les missions civiles et le domaine du cyber.

Une BITD européenne. L’UE dispose de moyens militaires nombreux, mais disparates et à différents niveaux de modernisation et d’interopérabilité. Ainsi, elle compte : 1.700 avions de combat de 16 types différents ; 380 hélicoptères d’attaque de 5 types ; 4.200 chars de 12 types, contre un seul aux Etats-Unis ; 120 navires de surface de 33 types (4 aux Etats-Unis). Le développement d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) commune a nécessité l’instauration d’un fonds européen de défense (FED) pour la mise au point de nouvelles capacités de défense, mais pas leur acquisition…qui reste à la charge des budgets des Etats membres ! Adopté par le Parlement européen le 29 avril 2021, le FED se monte à 8 Mds pour la période 2021-2027, contre 0 € pour l’industrie de défense en 2014. L’enveloppe se répartit entre 2,7 Mds€ pour la recherche et la technologie et 5,3 Mds€ pour la recherche et le développement. La coopération en matière d’armement porte sur six domaines prioritaires : char de combat ; patrouilleurs de haute mer ; équipement individuel des fantassins ; lutte contre les drones et dénis d’accès ; défense spatiale ; mobilités aérienne et maritime ; installations logistiques ; résilience des systèmes informatiques.

Les conséquences du « Brexit ». Depuis l’entrée en vigueur du « Brexit » le 1er février 2020, l’UE a perdu 66 millions d’habitants et un important partenaire économique et financier, doté d’un vaste réseau diplomatique et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Toutefois, pendant des années, la Grande-Bretagne a limité sa contribution aux missions et opérations de la PSDC au strict minimum. Son départ élimine une possibilité de blocage de la PSDC. La politique étrangère, la sécurité extérieure et la coopération en matière de défense ne sont pas couvertes par l’accord avec l’UE. Depuis le 1er janvier 2021, il n’y a plus de cadre formel pour coordonner les « listes noires » individuelles (gel des avoirs0) ou les mesures d’embargo économique contre des pays tiers. La Grande-Bretagne ne peut plus participer aux missions et opérations de la PSDC ni aux structures de commandement de l’UE. Elle ne bénéficie plus des accords internationaux négociés par l’UE, dont ceux sur le transfert de pirates. Elle peut participer aux programmes européens de surveillance de la terre (Copernicus) et de surveillance par satellite (EU satellite surveillance & tracking). Mais elle n’a plus accès au signal crypté réservé à la sphère gouvernementale du système Galileo de positionnement par satellites. Considérée comme un pays tiers, elle ne peut plus participer aux efforts d’intégration de la défense et de développement des capacités. Elle ne participe plus aux réunions des ministres de la Défense ni à l’élaboration de la politique de défense européenne. Elle peut être associée à certains projets, sur décision au cas par cas. Enfin, elle reste étroitement associée à l’Agence européenne de cybersécurité.

Loïc Salmon

Stratégie : éviter le déclassement de l’Europe

Europe : défense future, la dimension militaire

Europe : l’autonomie stratégique, réflexion et construction d’une capacité




Stratégie : espace et BITD, nécessité d’anticiper

Face aux nouvelles menaces, le maintien de la souveraineté nationale dépend de la capacité d’agir dans l’espace et de la possession d’une base industrielle et technologique de défense (BITD).

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé en visioconférence, le 17 juin 2021 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN en partenariat avec l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Patrick Destremau, directeur de l’IHEDN ; Emmanuel Chiva, directeur de l’Agence de l’innovation de défense ; Philippe Pelipenko, Centre national d’études spatiales ; Saad Aqejjaj, groupe d’ingénierie industrielle Ausy.

Nouvelles alliances. L’industrie de défense s’inscrit dans un affrontement de puissances et dans un jeu d’alliances en compétition, indique le général Destremau. Pour des raisons de puissance, de sécurité et de prestige, les Etats exercent des contrôles directs et indirects sur leurs territoires et populations. Celles-ci ne vivent pas dans le cyberespace, domaine d’échanges et de combats hybrides. Même s’il permet de prendre l’ascendant sur l’adversaire, ce domaine ne constitue pas le centre principal d’affrontement. La Chine étend sa sphère d’influence en Asie du Sud-Est et sur la péninsule coréenne…à proximité du Japon, allié des Etats-Unis. Si ceux-ci entrent en guerre, la question se pose de savoir jusqu’où ira la solidarité entre Alliés. Par ailleurs, le concept de « territorialisation » de la mer (que pratique la Chine en mer de Chine méridionale), reste à définir dans le droit international, d’autant plus que l’océan Arctique devient lui aussi un champ d’affrontement stratégique.

Nouvelles conflictualités. La défense doit prendre en compte plusieurs domaines de « rupture », explique Emmanuel Chiva. Une tendance à « l’arsenalisation » de l’espace apparaît avec 60.000 satellites en orbite et les prototypes de « gardiens » de satellites géostationnaires. La guerre des mines va être menée sous les pôles et contre les câbles sous-marins de télécommunications. La manipulation de l’information se développe avec l’intelligence artificielle. La Chine a monté, sur camions, des radars « quantiques », capables de détecter les avions « furtifs » (à faibles signatures radar et infrarouge) et de leurrer les dispositifs adverses.

Conflits dans l’espace. Les doctrines américaine et chinoise comptent sur l’espace pour dominer les champs de bataille futurs, indique un rapport de l’association 3AED-IHEDN présenté par Philippe Pelipenko. Toute action offensive dans l’espace entraînera une riposte avec un impact au sol pour les belligérants et les autres nations, en raison des dégâts collatéraux, pas toujours réversibles. Ainsi, la perte de certains satellites par rayonnement ou débris d’objets en orbite, affectera tous les services offerts par ces satellites. Déjà, plus de 50 Etats disposent de satellites lancés par des pays ou acteurs tiers. Les conflits dans l’espace pourraient prendre une forme asymétrique. En effet, pour s’assurer une possibilité d’intervention mondiale, les Etats-Unis, l’Union européenne et la Russie dépendent des moyens spatiaux, facteurs de vulnérabilité. Cela pourrait inciter d’autres acteurs, mineurs mais technologiquement avancés, à les attaquer. De très petits acteurs peuvent même accuser des pays tiers d’ingérence à leur souveraineté en cas de dommages aux symboles de leurs progrès scientifiques ou aux services donnés à leurs populations. Par ailleurs, l’attribution d’une attaque s’avère difficile au-delà de la proximité physique de deux plates-formes, qui emploient laser, brouillage, cyberattaques et autres moyens. La guerre dans l’espace repose surtout sur des éléments d’information, de communication et de leur « séquencement » (suite ordonnée). Le mode de déclenchement d’un tel conflit correspond à des dimensions politique, militaire, économico-sociale et informationnelle de la souveraineté. Selon le « think tank » Rand Corporation, les moyens militaires des Etats-Unis dépendent à 30 % de l’espace. Le risque de déclenchement accidentel d’un conflit existe si un système satellitaire est rendu inopérant par une météorite, un débris ou une panne non détectée. L’affaire peut devenir réellement politique dans le cas de l’Inde et du Pakistan ou avec une forte probabilité dans celui de la Chine et les Etats-Unis. Le déclenchement peut provenir d’une « gesticulation » dans le but de communiquer, sur les plans militaire et politique, son aptitude à rendre réellement ou potentiellement un système satellitaire inopérant. Cela s’est produit pendant la guerre froide, entre les Etats-Unis et l’URSS, et récemment du fait de la Russie à l’encontre de satellites géostationnaires commerciaux. Un déclenchement offensif et identifiable répond à des objectifs précis politiques, militaires ou d’information. Déjà vingt pays disposent de lanceurs capables d’opérations simples et dix autres de moyens cyber. Aucun traité international ne couvre encore ce mode de déclenchement, sauf celui sur l’interdiction d’armes nucléaires dans l’espace. Des neutralisations localisées ont déjà eu lieu, comme l’aveuglement de satellites d’alerte américains, lors de manœuvres russes au Moyen-Orient, ou le brouillage russe du système GPS, pendant des exercices OTAN en Laponie.

BITD à l’horizon 2035. La construction et le maintien d’une BITD pour sécuriser les systèmes de défense nécessitent de remplir plusieurs conditions, indique Saad Aqejjaj. Celle-ci implique de disposer d’un réseau de personnels scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens et aussi d’une capacité financière constante pour soutenir les commandes publiques sur une longue durée. La capacité de recherches indépendantes repose d’abord sur le transfert de technologies en vue de développer une industrie autonome. Déjà, la Chine et la Corée du Sud concurrencent, en qualité, les pays occidentaux dans leurs propres sphères d’influence. En 2021, plusieurs pays émergents développent leur BITD. Celle de l’Afrique du Sud, solide du temps de l’apartheid, met l’accent sur les ressources humaines. Le Brésil maîtrise tous les éléments, mais ne reçoit pas de financements publics suffisants. La Turquie souhaite exporter des matériels de défense et prospecte parmi les pays de la mouvance islamique. Soumis à un embargo sur les armes, l’Iran a construit une industrie de défense avec, notamment, l’aide de la Corée du Nord. L’Inde recherche des capitaux étatiques et des investissements privés. La Corée du Sud progresse considérablement sur le plan technologique et pénètre les marchés de l’Indonésie, de la Turquie et de la Thaïlande. La BITD de l’Indonésie, résultat d’une volonté politique, développe des équipements navals et aériens avec la Turquie, l’Inde et la Corée du Sud. Singapour suit l’exemple d’Israël pour ses besoins terrestres et navals. L’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis disposent des moyens financiers, mais manquent de ressources humaines. En 2035, les Etats-Unis, la Russie, la Chine et Israël maintiendront une BITD de pointe, mais l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie affronteront la concurrence des pays émergents. L’Australie devra avoir développé la sienne, face à la menace chinoise.

Loïc Salmon

Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

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Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

La manœuvrabilité et la vitesse accrues des missiles balistiques rendront leur interception de plus en plus complexe par les dispositifs de défense, qui utiliseront l’intelligence artificielle pour modéliser leurs trajectoires.

Ronan Moulinet, expert radar au groupe Thales (électronique de défense), l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 9 avril 2021 à Paris, par l’association Les jeunes IHEDN.

Missiles balistiques. Porteurs de plusieurs têtes (armes nucléaires ou charges conventionnelles), les missiles intercontinentaux (ICBM) peuvent parcourir jusqu’à 10.000 km à raison de 7 km/seconde, soit la vitesse d’un satellite en orbite à 400 km d’altitude. D’une grande manœuvrabilité, ils positionnent une ou plusieurs têtes sur une ou plusieurs trajectoires et sont lancés en nombre pour saturer les défenses adverses. La phase « propulsée » dure de 3 à 6 minutes, la phase balistique proprement dite 25 minutes et la phase de rentrée atmosphérique environ 5 minutes à partir de 3 km d’altitude. Une trajectoire tendue à faible altitude réduit les délais de détection et de déclenchement d’alerte. La propulsion « liquide » facilite le contrôle de la poussée initiale, mais présente des contraintes de manipulation des ergols (comburant et carburant) toxiques et inflammables, de leur stockage sur une longue durée et de leur chargement dans le missile (plusieurs heures). Une propulsion « solide » rend son entreposage plus aisé, facilite la manipulation du missile et permet un lancement rapide (moins de 15 minutes), mais nécessite un contrôle plus contraignant de la poussée. Les missiles à courte portée (moins de 1.000 km), les plus nombreux, volent 5-6 minutes, les missiles intercontinentaux (plus de 5.500 km) environ 30 minutes et ceux lancés de sous-marins (de moins de 1.000 km à 11.000 km) 5-6 minutes pendant la phase propulsée. Les types de porteurs ou de lanceurs varient : silos terrestres ou sur lanceurs mobiles à roues pour les ICBM ; trains avec wagons aménagés ; avions de chasse ou bombardiers ; navires porte-conteneurs ou plates-formes navales reconverties ; sous-marins nucléaires lanceurs d’engins dits SLBM. Les Etats-Unis (450 ICBM et 200 SLBM) et la Russie (375 ICBM et 200 SLBM) disposent de 90 % du potentiel stratégique nucléaire mondial, mais la Chine monte en puissance. Les nations émergentes renforcent leurs arsenaux de missiles à portées moyennes (1.000-3.000 km) et intermédiaires (3.000-5.500 km). Quoique de nombreux missiles soient à propulsion liquide, la propulsion solide se développe et les lanceurs mobiles s’améliorent. Environ 150 missiles ont été lancés en 2018, dont 90 à courtes portées et 60 à moyennes et longues portées.

Défense antimissile. Depuis les années 1980, Etats-Unis, Russie et Chine développent des boucliers antimissiles. Israël a mis au point le sien après la guerre du Golfe (1991), où il avait subi les attaques de missiles Scud irakiens. Le principe repose sur une interception à une altitude variant de quelques milliers de mètres à des centaines de kilomètres. Dans l’espace, elle se fait par impact direct du vecteur « tueur ». Dans l’atmosphère, ce vecteur atteint directement le missile ou déclenche une explosion à quelques mètres de lui. En rentrant dans l’atmosphère, les missiles manœuvrent à 30 km d’altitude pour changer de zone, afin de contourner la « bulle » d’un diamètre de 10-20 km de la défense terrestre. Les systèmes d’interception intègrent des senseurs électro-optiques et des radars pour les détecter le plus rapidement possible. Dimensionnés pour une menace simple, ils doivent perpétuellement s’améliorer pour contrer l’évolution des missiles balistiques intercontinentaux.

Missiles « hypervéloces ». Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Grande-Bretagne et France développent des missiles balistiques dit « hypervéloces », dont la vitesse dépasse Mach 5 (1.715 m par seconde), indique Ronan Moulinet. Certains seront opérationnels en 2025. Ces sortes de navettes spatiales rebondissent comme des planeurs sur la couche dense de l’atmosphère pour atteindre leurs cibles initiales. Afin d’éviter de consommer trop d’énergie, des rétrofusées équilibrent la trajectoire de ces planeurs. Leur grande manœuvrabilité, programmée à l’avance, rend moins prédictible la détermination des zones attaquées. Elle réduit ainsi le préavis de détection par l’adversaire et évite certaines « couches » de défense antimissile dans différents endroits du globe. Le lancement, réussi, du missile russe air-sol hypervéloce KH47M2 Kinjal à haute précision, d’un poids de 4 t et porté par un avion de chasse MiG31K, a été annoncé par Moscou en 2018. Les missiles hypervéloces russes et chinois atteindront leur maturité vers 2028, Taïwan dispose déjà de moyens américains de défense antimissile.

Menaces extra-atmosphériques. L’altitude de 100 km marque la frontière entre l’espace dit « endo-atmosphérique », en dessous, et celui dit « extra-atmosphérique », au-dessus, rappelle Ronan Moulinet. Ce dernier espace est encombré de 20.000 objets (satellites et débris divers) avec les risques de collisions, intentionnelles ou non. S’y ajoutent les menaces cyber, de brouillage intentionnel ou non et les armes antisatellites à vocation de nuisance permanente ou temporaire. En orbite basse, les satellites militaires peuvent capter les communications ou paralyser les liaisons de systèmes GPS et mener des actions hostiles avec une grande réactivité. La Chine développe des satellites, dont les bras attrapent un satellite adverse pour modifier son orbite ou le rapporter sur terre. La Russie met au point  des « satellites mères », qui en placent d’autres en orbite. Des radars d’alerte avancée, évolutifs, surveillent l’espace pour détecter des manœuvres hostiles.

Loïc Salmon

Selon Ronan Moulinet, 16 Etats et entités disposent d’au moins une dizaine de satellites opérationnels : Etats-Unis, 549 ; Chine, 142 ; Russie, 131 ; entreprises multinationales, 108 ; Japon, 55 ; Grande-Bretagne, 39 ; Inde, 31 ; Canada, 27 ; Agence spatiale européenne, 24 ; Allemagne, 23 ; Luxembourg, 19 ; Espagne, 15 ; Israël, 12 ; Arabie saoudite, 11 ; France, 10 ; Pays-Bas, 10. Par ailleurs, 45 pays disposent de missiles balistiques, mais en majorité des Scud C à charge conventionnelle et de portée maximale de 600 km. Voici la répartition de la prolifération par zones géographiques : Amériques, Etats-Unis, Cuba, Equateur, Pérou et Argentine ; Extrême-Orient, Corée du Nord, Corée du Sud, Chine, Taïwan et Viêt Nam ; Afrique, Algérie, République démocratique du Congo, Angola, Libye, Egypte, Soudan et Ethiopie ; Proche-Orient, Syrie et Israël ; Moyen-Orient, Iran, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Yémen et Bahreïn ; Asie du Sud, Afghanistan, Pakistan et Inde ; Asie centrale, Kazakhstan, Arménie, Azerbaïdjan, Turkménistan et Géorgie ; Europe, Grande-Bretagne, France, Italie, Serbie, Turquie, Pologne, Ukraine, Bosnie-Herzégovine, Grèce, Roumanie, Bulgarie, Belarus et Russie. Selon l’Arms Control Association, 9 pays possèdent environ 13.500 têtes nucléaires, dont 9.500 en service opérationnel en 2020 et 4.000 en instance de démantèlement : Russie, 6.375 ; Etats-Unis, 5.000 ; France, 290 ; Grande-Bretagne, 215 ; Pakistan, 160 ; Inde, 150 ; Chine, 120 ; Israël, 50 ; Corée du Nord, entre 30 et 40.

La guerre future : hybride, majeure ou mondiale ?

Espace : nouveau théâtre des opérations militaires

Missiles balistiques : limitation, mais prolifération quand même




Espace : un commandement dédié pour comprendre et agir

Le Commandement de l’espace (CdE) développe en permanence ses capacités de surveillance et de réaction aux menaces croissantes dans ce domaine.

Le général de brigade aérienne Philippe Dedobbeleer, adjoint au commandant de l’Espace, l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 8 juin 2021 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Montée en puissance. Organisme interarmées, le CdE dépend directement du chef d’Etat-major des armées pour la stratégie, les capacités, la coopération internationale et les opérations. Il est rattaché à l’armée de l’Air et de l’Espace pour l’expertise, la préparation des forces, la mise en œuvre de contrats opérationnels, l’élaboration de la doctrine et le retour d’expérience dans le domaine spatial et enfin la maîtrise des risques. La pleine capacité des opérations spatiales militaires devrait être atteinte vers 2030. La tutelle du CdE sur le Centre national d’études spatiales (CNES) de Toulouse sera redéfinie pour y concentrer l’expertise de l’écosystème spatial. Celui-ci comprend des entreprises, des pôles de compétitivité et des centres universitaires à Paris, Lille, Saint-Quentin, Mulhouse, Besançon, Lyon, Grenoble, Nice, Marseille, Toulon, Bordeaux, Brest, Rouen et Cayenne (Centre spatial de Kourou). Le centre spatial de Toulouse verra ses effectifs passer de 200 personnes en 2019 à 500 en 2025. Il devra voir et écouter l’espace, mieux et plus loin, par l’acquisition de données par des satellites (optique, radar et infrarouge) à orbites basses, moyennes et hautes. Vu le nombre croissant d’objets divers dans l’espace à suivre pendant toute leur durée de vie, les données s’accumulent, de quelques mois à plusieurs décennies. La capacité de calcul à haute performance de l’intelligence artificielle permettra de traiter leur comportement quasiment en temps réel et, le cas échéant, d’agir vite puis rendre compte aux niveaux stratégique et tactique.

Innovation continuelle. Le CdE va construire un incubateur d’innovation dédié à l’espace militaire et ses applications. Dans un environnement sécurisé, un réseau aura pour missions de capter des idées, concrétiser des projets et conduire des expérimentations dans les laboratoires existants. A cet effet, l’Agence de l’innovation de défense développe des liens avec le CNES, la Direction générale de l’armement (DGA), la Direction du renseignement militaire, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales et les partenaires alliés.

Souveraineté et interopérabilité. Le développement d’un système spatial militaire constitue un enjeu de souveraineté numérique et d’autonomie stratégique, souligne le général Dedobbeleer. Celui d’une compréhension commune avec des pays alliés permet une interopérabilité des moyens avec des standards techniques identiques (doctrine, capacités et opérations). En février 2020, la France a adhéré à « l’Initiative opérations spatiales interalliées » (sigle anglais CSpO) et y a rejoint les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce forum de réflexion et d’échanges vise à coordonner les capacités alliées, en augmenter la résilience pour assurer le soutien aux opérations multi-domaines (terre, air, mer, cyber et spatial), garantir la liberté d’accès à l’espace et y protéger, en coalition, les moyens qui s’y trouvent. Il donne lieu à des travaux réguliers, auxquels participent le CdE, la DGA et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie.

Loïc Salmon

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Asie du Sud : Inde et Pakistan se veulent des puissances nucléaires responsables

Vecteurs de leur armes nucléaires, les missiles balistiques de l’Inde et du Pakistan affectent la sécurité régionale. La maîtrise des armements, réelle au niveau bilatéral, reste faible quant aux instruments juridiques internationaux.

Seule l’Inde a adhéré, en 2016, au Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC, voir encadré). Emmanuelle Maitre et Lauriane Héau, chargées de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, ont présenté la situation en Asie du Sud dans une note publiée à Paris en mars 2021.

Arsenaux balistiques. L’Inde a procédé avec succès à l’explosion d’un premier engin nucléaire en 1974 et le Pakistan en1998. Tous deux ont développé des technologies balistiques dès les années 1960. L’acquisition de missiles balistiques a été motivée par le statut et le prestige qui en résultent, la capacité d’infliger des dommages considérables, par l’emport d’armes de destruction massive (nucléaires, chimiques ou biologiques), et l’effet psychologique associé à une frappe éventuelle. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan et entre l’Inde et la Chine ont contribué au développement des arsenaux dans la zone Asie-Pacifique. Parallèlement à la recherche et au développement dans le domaine spatial, l’Inde a lancé des programmes de missiles dans les années 1970 et 1980. Dans la catégorie des missiles balistiques à courte portée (SRBM, jusqu’à 1.000 km), elle a mis au point, à partir de 1988, les Prithvi-I, II et III, Agni-1 et Dhanush et développe le Prahar. Elle dispose aussi du missile Agni-2 à moyenne portée (MRBM, de 1.000 à 3.000 km). Les missiles Agni-3 et 4 ont des portées intermédiaires (IRBM, de 3.000 à 5.000 km). Les Agni- 5 et 6, en développement, entrent dans la catégorie des missiles intercontinentaux (ICBM, au minimum 5.500 km). Le Sagarika K-15, réalisé, et le Sagarika K-4, en développement, pourront être tirés d’un sous-marin (SLBM, plus de 5.500 km). En outre, l’Inde a lancé un programme de défense anti-missile. De son côté, le Pakistan a poursuivi simultanément ses recherches spatiales et balistiques. Dès 1989, il a commencé les essais des SRBM Haft-1 et 2, suivis de ceux des Haft-3, 4 et 9. Dans la catégorie des MRBM, il dispose des Haft-5 et 6 et met au point les Ababeel et Shaheen 3. En outre, il développe plusieurs IRBM avec l’aide de la Corée du Nord (technologie Nodong) et de la Chine (achat de missiles M-11). De plus, il investit dans le système chinois LY 80 de défense aérienne à basse et moyenne altitudes et aurait acquis des « MIRV », à savoir des ogives de missiles capables d’emporter plusieurs bombes nucléaires et de les envoyer sur diverses cibles parfois distantes de centaines de km les unes des autres. Par ailleurs, dans la catégorie des missiles de croisière, l’Inde développe les BrahMos et Nirbay et le Pakistan les Ra’ad et Babur. Tous seront capables d’emporter une arme nucléaire ou une charge militaire conventionnelle.

Domaine spatial. A l’exception des Maldives, tous les Etats d’Asie du Sud possèdent au moins un satellite ou participent à sa mise en œuvre. Ainsi, l’Inde a construit le centre spatial Satish Dharwan à Sriharikola et la station équatoriale de lancement de fusées à Thumbo-Thiruvananthapuram. Sa présence s’affirme sur l’ensemble du spectre du domaine spatial : lanceur ; fusée sonde ; satellite de communications ; satellite d’observation terrestre ; satellite à vocation scientifique ; satellite militaire ; vol interplanétaire. Le Pakistan s’en rapproche : fusée sonde ; satellite de communications ; satellite d’observation terrestre ; satellite à vocation scientifique. Le Sri Lanka exploite des satellites de communications et à vocation scientifique. Le Bangladesh se limite aux satellites de communications ou à vocation scientifique. Actuellement, les satellites à vocation scientifique suffisent au Népal et au Bhoutan et ceux de communications à l’Afghanistan. L’exploitation pacifique des satellites porte notamment sur l’agriculture ou la réponse aux catastrophes naturelles. Toutefois, l’essai réussi d’une arme antisatellite par l’Inde en 2019 inquiète la communauté internationale, car tout nouvel essai d’une telle arme rendrait l’espace dangereux pour les entreprises civiles. Avec l’émergence du « New Space », industrie spatiale née aux Etats-Unis, des entités privées peuvent en effet utiliser des constellations de petits satellites en vue de développer des produits commerciaux. En conséquence, des petits systèmes de lancement pourraient envoyer dans l’espace des objets, dont certains risqueraient d’être confondus avec des missiles.

Freins limités à la prolifération. Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan et Sri Lanka ont ratifié (ou adhéré à) la Convention internationale sur les armes chimiques et à celle sur les armes biologiques. Tous ont envoyé un rapport initial au « Comité 1540 », créé en application de la Résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à l’unanimité le 28 avril 2004. Cette résolution stipule « que tous les États doivent s’abstenir d’apporter un appui, quelle qu’en soit la forme, à des acteurs non étatiques qui tenteraient de mettre au point, de se procurer, de fabriquer, de posséder, de transporter, de transférer ou d’utiliser des armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou leurs vecteurs, en particulier à des fins terroristes. » Toutefois, aucun n’a soumis au Comité 1540 de plan national de mesures de prévention de la prolifération de ces armes et de leurs vecteurs. Par ailleurs, l’Inde et le Pakistan n’ont pas ratifié le Traité sur la prolifération des armes nucléaires ni le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et ni le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Cependant, l’Inde a signé un protocole additionnel avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, ouvrant la voie à un accord de coopération avec les Etats-Unis en 2006. Quant à la lutte contre la prolifération de missiles balistiques, le Pakistan s’abstient systématiquement lors des votes des résolutions bi-annuelles de l’ONU en faveur du HCoC. Toutefois, l’Inde et le Pakistan ont conclu un accord en 2005, prolongé en 2011 et portant sur un préavis de 72 heures des essais en vol de missiles balistiques, en fixant des limites géographiques et des trajectoires claires pour ces essais.

Loïc Salmon

Seul instrument multilatéral centré sur les vecteurs d’armes de destruction massive, le Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC), créé en 2002, compte 143 Etats signataires en décembre 2020. Ceux-ci s’engagent à : respecter les traités de l’ONU et les conventions internationales sur la sécurité spatiale ; soumettre une déclaration annuelle sur leurs capacités en matière de missiles balistiques et leur politique nationale sur la non-prolifération et le désarmement ; envoyer des notifications préalables à tout lancement de missile balistique ou de lanceurs spatial. L’Autriche, qui assure le contact central immédiat du HCoC, met ces informations en ligne sur une plateforme réservée aux Etats signataires. Ceux-ci s’engagent à la plus grande retenue dans le développement de leurs capacités balistiques, sans pour autant y renoncer. Le HCoC permet d’accroître la transparence, d’éviter tout malentendu et de développer pacifiquement des activités spatiales.

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Armée de l’Air et de l’Espace : voir plus haut et décider plus vite que l’adversaire

Les opérations aériennes vont d’une durée de plusieurs heures à un temps fulgurant dans l’action. Leur tempo nécessite souplesse, intelligence et réactivité pour gagner du délai.

Elles ont fait l’objet d’un colloque organisé en visioconférence, le 24 novembre 2020 à Paris, par l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE). Y sont notamment intervenus : Elie Tenenbaum, chercheur à l’Institut français des relations internationales ; le général de corps aérien Vincent Cousin, commandant la défense aérienne et les opérations aériennes ; le général de division Pascal Facon, ancien commandant de la Force Barkhane au Sahel ; le général d’armée aérienne Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’AAE ; Emilien Dereclenne, docteur en philosophie, Université de Compiègne.

L’évolution de la menace. La guerre du Golfe (1991) a souligné l’importance de la maîtrise du ciel par le renseignement, la surveillance et la reconnaissance, rappelle Elie Tenenbaum. Depuis les attentats terroristes aux Etats-Unis en 2001, la puissance armée a été contournée par la décentralisation, la dissimulation, la « déception » (induire l’adversaire en erreur pour l’inciter à réagir contre ses propres intérêts) et le durcissement d’attaques nécessitant de plus en plus de moyens pour les contrer. Au cours des trente dernières années, les initiatives militaires des pays occidentaux ont cherché à produire des effets politiques. Les anciennes puissances, à savoir Russie, Chine, Inde, Iran et Turquie observent avec attention leurs points forts et leurs failles, notamment en matière de renseignement et d’actions cyber. La qualité des armements ne remplace pas leur quantité dans tous les domaines. L’émergence de la puissance économique et technologique se fait au profit de l’Asie-Pacifique. Par ailleurs, apparaît la volonté de remettre en cause le statut quo fondé sur le droit. Des zones territoriales se trouvent contestées en Syrie et en mer de Chine du Sud, affectant la liberté d’intervenir par la pratique du fait accompli. Il se crée des zones « grises », où la manœuvre en deçà du seuil critique réduit les risques d’escalade. Enfin, le coût militaire et politique d’une agression exerce un effet dissuasif.

L’intervention aérienne. En alerte permanente, l’AAE doit pouvoir intervenir sur 12.000 objectifs dans l’espace aérien au quotidien ; souligne le général Cousin. Lors des grands événements, elle doit détecter intrus et objets malveillants (drones). Dans une opération, la puissance aérienne devient un outil politique. En opération extérieure, elle donne une crédibilité à la parade politique par des frappes contre l’adversaire avec une faible empreinte au sol, comme l’a montré la guerre du Golfe. Elle est mise en œuvre à partir de la base de Lyon-Mont-Verdun pour l’opération « Barkhane » au Sahel ou, en coalition, à partir des Emirats arabes unis ou de Jordanie pour les actions au Levant. L’AAE doit acquérir des prototypes pour s’adapter aux menaces et anticiper leur évolution. Grâce à la numérisation et au partage d’informations, elle planifie et conduit les opérations « multi-domaines ». Celles-ci intègrent l’espace, le cyber, la guerre électronique et bientôt l’intelligence artificielle dans la défense anti-missiles, par la synchronisation des actions de tous les systèmes de combat. L’état final idéal consiste à fusionner les moyens pour une plus grande efficacité.

L’effet au sol. L’opération « Barkhane » contre les organisations terroristes Al Qaïda et Etat islamique dans le Grand Sahara se déroule sur un espace de 4 Mkm2, rappelle le général Facon. Chaque année, elle totalise 50 opérations majeures, 30 actions commandos et 10 opérations logistiques. Très sollicitée pour les liaisons aériennes et l’appui des troupes au sol, l’AAE joue un rôle majeur avec 1.200 sorties de chasse, 1.600 missions ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) et 800 engagements. Les troupes partenaires africaines ont compris l’intérêt de la capacité de guidage aérien contre des cibles mobiles. L’évolution porte sur un partenariat de combat avec les drones armés, qui permettent de gagner du temps. Ces troupes partenaires ont besoin d’avoir accès à la technologie. Les industriels français devraient réfléchir à l’exportation d’armes faciles à utiliser et dont le maintien en condition opérationnelle devrait être rustique et soutenable financièrement, estime le général Facon. Selon lui, les forces terrestres doivent se préparer à maîtriser la très haute technologie dans un environnement exigeant et avec des pertes importantes dans des combats marqués par une très grande violence. Enfin, le changement climatique aura un impact sur les opérations futures.

La montée en puissance. Employée au niveau stratégique par sa participation à la dissuasion nucléaire, l’AAE a maintenu sa capacité pendant la pandémie du Covid-19, souligne son chef d’état-major. En cas de crise sur le territoire national ou à l’extérieur, elle réagit à partir de ses bases, outils de résilience. Elle détecte, identifie et caractérise des menaces accrues, dont les drones chargés d’explosifs. Son segment spatial lui permet de voir jusqu’à 36.000 km d’altitude et non plus 10 km. La Chine démontre sa puissance dans l’espace. La Russie envoie ses avions à long rayon d’action jusqu’en Espagne et les Etats-Unis les leurs jusqu’en mer Noire et en Méditerranée. Aucune mission militaire ne peut bénéficier d’une complète liberté d’action sans le contrôle du ciel, qui permet de connaître, d’anticiper et de frapper l’adversaire pour le neutraliser. Afin de comprendre et décider plus vite que lui, il s’agit de discerner l’essentiel dans la masse des données. Au sein de la Force Barkhane, les officiers de renseignement analysent en direct les flux d’informations pour les traduire rapidement en action. Pour conserver la supériorité opérationnelle, les Rafale emportent le missile air-air Meteor d’une portée supérieure à 150 km. La concentration des moyens crée des opportunités, estime le général Lavigne. Bientôt, grâce à l’intelligence artificielle, les capteurs permettront aux pilotes, navigateurs et tireurs de moduler leurs effets. L’AAE devra innover dans les modes d’action et se doter d’équipements adaptés aux opérations. Un entraînement plus réaliste portera sur la simulation des menaces par les radars embarqués dans les aéronefs. Afin de répondre au besoin de puissance aérienne collective, l’AAE est déjà capable de combattre avec ses homologues belge, allemande et américaine dans le cadre de l’OTAN.

Loïc Salmon

L’avenir des opérations aériennes devra prendre en compte la technologie et l’éthique, estime Emilien Dereclenne. Il s’agit de combiner automatisation et autonomie en gardant l’homme dans la boucle, car il juge en fonction de ses valeurs. Le drone agit à distance mais son pilote reste omnipotent. Quoiqu’hyperconnecté et toujours plus automatisé, le SCAF (Système de combat aérien du futur, photo) maintiendra la place de l’homme au sein des mégadonnées, de l’intelligence artificielle et de l’interopérabilité entre alliés. L’espace ouvre un nouveau front sur le plan industriel avec des technologies d’innovations et de ruptures, mais aussi sur les plans éthique et politique.

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Défense : démonstrateur SCAF, missile ANL et futur site du Commandement de l’espace

Deux coopérations internationales se sont concrétisées le 20 février 2020 : contrat du démonstrateur de l’avion du système de combat aérien futur (SCAF) et tir de qualification du missile anti-navire léger (ANL/Sea Venom). Le lendemain, la ministre des Armées a évoqué le Commandement de l’espace.

Le SCAF tripartite. Florence Parly, ministre des Armées, Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre allemande de la Défense, et Angel Olivares Ramirez secrétaire d’Etat auprès de la ministre espagnole de la Défense, ont signé à Paris le contrat du démonstrateur de l’avion de combat du SCAF. Réalisé en coopération entre les trois pays pour un besoin militaire commun, le SCAF (photo) comprend : un avion de combat ; des drones d’accompagnement ; un « cloud » de combat, « système de systèmes » qui leur permet d’être connectés et d’interagir. Les vols d’essai du démonstrateur commenceront en 2026, pour une mise en service opérationnelle du SCAF après 2050.

L’ANL/Sea Venom bipartite. Suite aux tirs de développement effectués en 2017 et 2018, le tir de qualification du missile anti-navire léger franco-britannique a été réalisé avec succès sur le site d’essais de la Direction générale de l’armement, au large de l’île du Levant (Var), à partir d’un hélicoptère. Il s’agit d’un tir à longue portée avec vol du missile à très basse puis moyenne altitude et accrochage automatique de la cible en milieu de course. Pour la première fois, il a permis la mise en œuvre de la capacité du mode « homme dans la boucle ». Ainsi, grâce à la retransmission, à bord de l’hélicoptère, de l’image de la cible observée par le missile, un opérateur, qui s’y trouvait, a pu modifier le point d’impact du missile sur la cible. L’ANL/Sea Venom doit équiper, à terme, les hélicoptères AW-159 Wildcat britanniques et les futurs Guépard français. Le programme de ce missile a été lancé en 2014, dans le cadre de la coopération franco-britannique du traité bilatéral de Lancaster House (2010).

Le Commandement de l’espace. La ministre des Armées, Florence Parly, s’est rendue au Centre national d’études spatiales (CNES) à Paris pour évoquer la future implantation du Commandement de l’espace (CdE) de l’armée de l’Air, qui deviendra « l’armée de l’Air et de l’Espace ». Le CdE sera intégré dans les locaux du CNES jusqu’en 2021 avant de s’installer dans un site temporaire de 200 postes de travail au sein du CNES. Vers 2025, il déménagera à Toulouse dans un bâtiment de 5.000 m2. Ce centre répondra à trois objectifs : renforcement des usages militaires en matière d’observation, de communications et de recueil de renseignement ; extension des capacités de connaissance de la situation spatiale ; développement d’une capacité d’action. Le centre comprendra : 400 postes de travail ; une salle d’opérations organisée autour de toutes les compétences spatiales de surveillance, d’écoute et de repérage ; un laboratoire d’innovation ; un centre de formation ; une salle technique. Ce projet mettra en synergie tous les domaines relatifs au CdE et au CNES : opérations ; formation ; innovation ; infrastructure ; ressources humaines ; domaine juridique. Le CdE doit assurer la préservation et l’intégrité des satellites français et européens. Chaque jour, les citoyens français utilisent entre 10 et 40 satellites, via leurs applications personnelles ou professionnelles. Les opérations militaires françaises nécessitent de grandes capacités d’images et de géolocalisation. Le nombre de satellites en orbite, actuellement de 1.500, devrait passer à 7.000 d’ici à 2030.

Loïc Salmon

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De la terreur à la lune

Buts idéologiques, coût exorbitant, réussite scientifique, après de nombreux déboires, caractérisent les armes secrètes allemandes, à l’origine des missiles et des fusées spatiales.

Sur le plan militaire, dès 1232, des Chinois assiégés tirent des fusées improvisées contre les Mongols. L’idée, reprise par les Anglais entre 1802 et 1812, est abandonnée devant les progrès de l’artillerie. Il faut attendre les années 1920 pour que soient théorisé le principe de la fusée par l’Allemand Peter Wegener, à savoir une faible résistance à l’air, la stabilité par des ailerons à volets orientables et une trajectoire contrôlable. De son côté, le physicien américain Robert Goddard met au point une fusée à propergol liquide. Dès 1929, l’armée allemande s’intéresse au potentiel militaire de cet engin, qui lui permettrait de pallier l’absence de canons à longue portée proscrits par le Traité de Versailles (1919). Un centre d’essais de propulsion à réaction et de développement des fusées à combustible liquide est installé à Kummersdorf, dans le plus grand secret. Le savant Wernher von Braun (1912-1977), qui rêve d’exploration spatiale, et l’ingénieur et général Walter Dornberger (1895-1980) travaillent sur les projets d’armes secrètes allemandes, jusqu’à leur reddition aux forces armées américaines en mai 1945. Les recherches sur les fusées deviennent un secret d’Etat en 1933 et les chercheurs indépendants sont contraints d’y participer. L’année suivante, deux fusées atteignent 2.200 m d’altitude. Sont alors construits un site de tir et des infrastructures pour une soufflerie supersonique et un centre de mesures dans le petit port de Peenemünde, dans l’île d’Usedom (Baltique). Opérationnel en 1939, l’ensemble emploie 18.000 ingénieurs, scientifiques et techniciens qui développent, au cours des années suivantes, la « bombe volante V1 », avion sans pilote de la Luftwaffe, et la fusée « V2 » pour la Whermacht. Ces armes, dites de représailles par la propagande nazie, doivent briser le moral de la population britannique après l’échec de la Luftwaffe lors de la bataille d’Angleterre (1940). Les services de renseignement britanniques apprennent l’existence de Peenemünde, confirmée par des vols de reconnaissance qui découvrent, dans le Nord de la France, des structures bétonnées avec des rampes de lancement orientées vers Londres. Les bombardements aériens « Hydra » (britannique) et « Crossbow » (anglo-américaine) sont effectués de 1943 à 1945 contre les installations de V1, dont un grand nombre tombe sur Londres, Anvers et Liège. Dès août 1943, les SS s’approprient les V2, dont la production est assurée, dans une usine souterraine, par les détenus du camp de concentration de Dora dans des conditions inhumaines. A la date du 3 octobre 1944, 156 V2 ont touché 14 villes en Angleterre, France et Belgique pour saper le moral des populations civiles. Après l’arrivée de l’armée américaine à Peenemünde en 1945, des centaines de V2 sont envoyées par trains vers le port d’Anvers puis embarquées sur 16 navires avec 14 tonnes de plans à destination des Etats-Unis…juste avant l’arrivée des troupes soviétiques, car Peenemünde se trouve dans leur zone d’occupation décidée à la conférence de Yalta. Malgré leur impact limité sur l’issue de la guerre, les V1 et V2 vont bouleverser les rapports de forces dans les décennies suivantes, tant sur le plan tactique (missiles de croisière tirés d’avions, de navires ou de sous-marins) qu’au niveau stratégique (missiles balistiques intercontinentaux).

Loïc Salmon

« De la terreur à la lune », Hughes Wenkin. Editions Pierre de Taillac, 232 p, nombreuses illustrations, 29,90 €.

Armes secrètes de l’Allemagne nazie

Défense antimissiles : surtout protection des forces, moins celle des populations

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques