Armée de Terre : « Scorpion », le combat collaboratif infovalorisé

Avec le début du programme « Scorpion » en 2019, les forces terrestres préparent la supériorité opérationnelle sur l’adversaire par le partage immédiat de l’information et l’accélération de l’action au combat.

Un point de situation a été présenté à la presse, le 11 avril 2019 à Paris, par trois colonels : le chef de bureau « capacités Mêlée-Inter domaines Scorpion » du Commandement des forces terrestres ; l’officier de programme Scorpion à l’état-major de l’armée de Terre ; le commandant de la Force d‘expertise du combat Scorpion (FECS).

Equipements et infrastructures. Le programme d’armement Scorpion comprend : le véhicule blindé multi-rôles Griffon (24,5 t) ; l’engin blindé de reconnaissance et de combat Jaguar (25 t) ; le véhicule blindé multi-rôles léger Serval (17 t) ; le char Leclerc rénové (55 t) ; le système d’information du combat Scorpion (SICS) pour tous les niveaux du groupement tactique interarmes (GTIA), livré en 2019 ; le poste de « radio logicielle » Contact (communications numériques tactiques et de théâtre) de nouvelle génération à haut débit et sécurisé, livré dès 2020 ; le système de préparation opérationnelle. La « vétronique », à savoir l’électronique embarquée sur les véhicules Scorpion, transforme les informations captées (bruit et départ de missile) en informations de combat partagées entre tous les véhicules. D’ici à 2025, seront livrés : 936 Griffon sur une série cible de 1.872 ; 150 Jaguar (300) ; 489 Serval (978) ; 122 chars Leclerc rénovés (200). En matière d’infrastructures, l’Ecole du matériel de Bourges a déjà reçu des bâtiments logistiques en 2018. D’autres sont en construction au 3ème Régiment d’infanterie de marine de Vannes et au 13ème Bataillon de chasseurs alpins de Chambéry, lesquels recevront les premiers Griffon. Conclu en 2018 avec la Belgique, le partenariat stratégique « Camo » (capacité motorisée) prévoit la vente de 382 Griffon, de 60 Jaguar et du SICS à l’armée belge. Son volet opérationnel inclut des entraînements, de la formation et le maintien en condition opérationnel des matériels. Le programme Scorpion sera bientôt interopérable avec le système « Strike », dont se dote l’armée britannique.

Formation et expertise. Toute en conduisant ses opérations extérieures (« Chammal » et « Barkhane ») et intérieure (« Sentinelle »), l’armée de Terre assure une formation décentralisée de ses personnels, pour raccourcir le temps de mixité entre équipements d’ancienne et de nouvelle générations. Des « primo-formateurs » sont formés dans différents centres ou écoles pour des sessions de 2,5 jours pour 15 personnels (8 instructeurs et 7 moniteurs-pilotes). Ensuite, ils vont assurer les formations individuelles dans leurs propres unités et régiments, qui seront suivies d’entraînements collectifs en centres spécialisés (photo). Il faut 2,5 ans pour former un régiment. Le Laboratoire du combat Scorpion expérimente, par des exercices, la doctrine Scorpion jusqu’à sa validation sur le terrain par les troupes combattantes. Il analyse aussi l’apport des technologies civiles ou de l’industrie de défense : intelligence artificielle, réalité augmentée, robotique, munitions intelligentes ou armes laser. Depuis l’été 2018, la trentaine d’experts du combat collaboratif infovalorisé de la FECS conduisent des exercices d’évaluation technico-opérationnelle et tactique pour mesurer la performance de toutes les composantes du futur GTIA Scorpion. Enfin, des rendez-vous sont prévus tous les trois ans pour l’intégration de nouvelles technologies, avec le concours de l’Agence innovation défense.

Loïc Salmon

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Défense : le « plan mixité » pour la performance opérationnelle

Donner envie aux femmes de rejoindre les armées, fidéliser celles qui y sont et lever les appréhensions des candidates potentielles par une meilleure image.

Tels sont les objectifs du « plan mixité », présenté à la presse, le 7 mars 2019 à Paris, par la ministre des Armées, Florence Parly, accompagnée de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Armées, du général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de Terre, du vice-amiral d’escadre Stanislas Goulez de la Motte, major général de la Marine nationale et du général de corps aérien Alain Ferran, directeur des ressources humaines de l’armée de l’Air (photo).

L’égalité. Il ne s’agit pas d’un plan de la féminisation des armées, souligne Florence Parly. : « Il n’y aura pas de discrimination positive, il n’y aura pas de passe-droit. La sécurité des Français est en effet notre priorité absolue, l’outil militaire, c’est notre assurance-vie. (…) Chaque poste sera donc attribué au regard des compétences et des mérites. » Dans la société civile, explique-t-elle, la réussite professionnelle d’une femme dépend de la bienveillance de son supérieur… et de son compagnon. Dans les armées, le taux « d’évaporation » des effectifs est plus rapide chez les femmes, en raison de la difficile conciliation entre les vies professionnelle et familiale. Par ailleurs, les femmes peuvent désormais accéder à toutes les spécialités militaires. En 2018, un équipage de quatre femmes a été validé sur un sous-marin lanceur d’engins. En outre, les futurs sous-marins d’attaque Barracuda sont aménagés pour l’accueil de femmes dans un espace plus confiné. Une adaptation des critères physiques généraux fait l’objet d’une réflexion. Toutefois, certaines situations de combat exigent les mêmes aptitudes physiques pour la sécurité du groupe, précise Florence Parly.

Le pragmatisme. Le plan mixité se décline en 22 mesures concrètes, dont 6 dites « phares ». La 1ère diversifie les profils dans les corps d’officiers, en élargissant le recrutement sous contrat et sur titre universitaire, au sein des grandes écoles militaires, à des profils non scientifiques. La 2ème assouplit la gestion pour l’accès aux grades et aux responsabilités afin de conserver les droits à l’avancement, lors d’un congé parental ou pour élever un enfant, dans la limite de cinq ans au cours de la carrière. La 3ème développe le « mentorat » pour tous, par des accompagnateurs hors hiérarchie, volontaires et expérimentés, pour les aider à construire leur carrière. La 4ème assouplit les conditions d’accès aux examens et concours, notamment à l’Ecole de guerre, pour les officiers sous contrat ou pour les candidats ayant acquis des compétences dans le civil lors d’une disponibilité. La 5ème généralise la mise en place de « référents mixité », qui assurent un rôle de prévention, conseil et appui au commandement. La 6ème renforce la féminisation du haut encadrement militaire, à savoir 10 % de femmes/an parmi les lauréats du concours de l’Ecole de guerre d’ici à 2025 et 10 % de femmes parmi les officiers généraux d’ici à 2022.

La féminisation en 2018. Les armées emploient 32.02 femmes militaires, soit 15,5 % des effectifs. Elles constituent 8 % des militaires déployés en opérations extérieures et 38 % des personnels civils. Elles représentent 15 % des officiers, 18 % des sous-officiers et 13 % des militaires du rang. L’armée de Terre emploie 10 % de femmes, la Marine 14 %, l’armée de l’Air 23 %, le Services des essences 30 % et le Service de santé 58 %, dont 40 % de médecins.

Loïc Salmon

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Marine : GAN et « Mission Jeanne d’Arc » en océan Indien

Le groupe aéronaval (GAN) et l’Ecole d’application des officiers de marine (« Mission Jeanne d’Arc ») se déploient en océan Indien entre avril et juin 2019.

Leurs périples respectifs ont été présentés le 21 février 2019 à Paris.

« Mission Clemenceau ». Avant son départ, le GAN a validé sa capacité à conduire des opérations lors de l’exercice « Fanal » en Méditerranée occidentale, pendant deux semaines de février. Le porte-avions Charles-de-Gaulle, escorté de frégates française, espagnole et italienne et d’un destroyer américain, a couvert l’ensemble du combat naval : projection de puissance ; maîtrise des espaces aéromaritimes ; luttes anti-sous-marine, anti-aérienne et antinavires. Son groupe aérien se compose de 20 Rafale et 2 avions de guet aérien Hawkeye, de 2 hélicoptères Dauphin et d’un hélicoptère Caïman Marine. Il a procédé à 250 catapultages et appontages et divers entraînements, du pistage d’un sous-marin au sauvetage d’un pilote éjecté dans une zone de combat. Parti de Toulon début mars, le GAN entame sa « Mission Clemenceau » au Levant et en océan Indien jusqu’en juillet : pré-positionnement stratégique en Méditerranée orientale (mars-avril) ; franchissement du canal de Suez et du détroit de Bab-el-Mandeb pour un pré-positionnement similaire dans les zones Ouest et Est de l’océan Indien (avril, mai et juin). Ce déploiement s’adapte en fonction de situation des missions et des opérations. La « Mission Clemenceau » vise à : renforcer l’appréciation de situation ; développer l’interopérabilité et la coopération militaire ; renforcer des partenariats stratégiques ; réaffirmer la présence de la France dans ses zones d’intérêt ; intervenir en cas de menace sur la sécurité régionale. Le GAN doit se rendre à Singapour, mais pas en mer de Chine. Il pourrait participer à l’opération « Chammal » au Levant, dès l’arrivée de son groupe aérien sur zone. Des exercices bilatéraux sont prévus : dans le golfe du Bengale avec la Marine indienne (mai) puis avec les Marines japonaise, américaine et australienne (juin) ; en mer Rouge avec la Marine égyptienne (juillet). Outre le Charles-de-Gaulle, le GAN compte : 4 frégates, multi-missions Provence et Languedoc, anti-sous-marine Latouche-Tréville et de défense aérienne Forbin avec leurs 5 hélicoptères embarqués ; le bâtiment de commandement et de ravitaillement Marne ; un sous-marin nucléaire d’attaque. Un avion de patrouille maritime ATL2, des frégates danoise, britannique et portugaise et des bâtiments américain et australien apportent leur concours.

« Mission Jeanne d’Arc ». L’Ecole d’application des officiers de marine se compose du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre et de la frégate furtive La-Fayette. Elle embarque 130 officiers en formation (15 étrangers) et reçoit les concours de : l’armée de Terre jusqu’à Djibouti, avec 2 hélicoptères Gazelle, 150 passagers et leurs véhicules ; 2 hélicoptères Cougar espagnols ; 1 appareil de transport hybride V22 Osprey du Corps américain des marines (USMC). Entre février et juillet, la « Mission Jeanne d’Arc » effectue d’abord une préparation opérationnelle interarmées et interalliés en Méditerranée orientale, pour la protection des approches maritimes. Des exercices amphibies sont prévus : avec les forces égyptiennes en mars, puis djiboutiennes (mars) en mer Rouge ; au Brésil (mai), puis aux Etats-Unis (juin) dans l’océan Atlantique. La gestion de crise humanitaire sera traitée en avril à Mayotte (océan Indien), puis en juin aux Antilles (océan Atlantique) avec la Marine néerlandaise. L’exercice final se déroule près de Toulon (juillet).

Loïc Salmon

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Armée de l’Air : l’humain, les opérations et la modernisation

La formation optimisée des personnels de l’armée de l’Air va de pair avec l’amélioration de leur cadre de vie et la modernisation des équipements pour affronter les menaces futures.

Son chef d’état-major, le général d’armée aérienne Philippe Lavigne, l’a expliqué lors d’une rencontre organisée, le 4 décembre 2018 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Formation et fidélisation. Quoique le recrutement soit passé de 2.000 jeunes en 2014 à 3.000 en 2018, l’armée de l’Air entend conserver ses anciens personnels, dont l’expérience permet de travailler le savoir être et le savoir-faire, souligne le général. La « smart school » ou méthode de formation repose sur la numérisation et l’intelligence artificielle pour gérer les compétences. Les personnels demandent de la valorisation et la reconnaissance des compétences acquises. L’adaptation aux besoins présents et futurs, du niveau brevet technique supérieur à celui de la recherche, nécessite d’obtenir la validation des enseignements par des diplômes reconnus par l’Education nationale. L’Ecole de l’Air de Salon-de-Provence a noué des partenariats avec l’ONERA et le CNES. Il s’agit de réduire le temps de formation au « juste besoin », afin de pouvoir exercer rapidement le métier. Ainsi, la réalité virtuelle permet de faire le tour de l’avion…sans avion. L’élève « voit » la manœuvre ou la réparation à effectuer. La simulation permet d’économiser les heures de vol. Un pilote de chasse français, qui effectue actuellement 164 h de vol sur avion et 70 h sur simulateur, devra, à terme, atteindre l’objectif OTAN, soit 180 h de vol et 70 h sur simulateur. La base de Mont-de-Marsan dispose d’un simulateur avec radar de pilote fictif et genèse de plots supersoniques, de missiles de croisière, d’avions de transport ou d’hélicoptères. Il élabore des scénarios de missions de plus en plus complexes et crée un lien avec le pilote qui vole réellement. Ensuite, la vigilance s’impose pour fidéliser les aviateurs, en améliorant leurs conditions de travail sur une base aérienne et celles de leur famille (Plan famille). Le secteur privé accueille en effet très facilement mécaniciens d’aéronautique, informaticiens, personnels médicaux et commandos.

Modernisation et coopération. La Russie et la Chine manifestent leur puissance en déniant l’accès à des théâtres pour des opérations des forces aériennes occidentales, par avions, missiles, défense sol-air et brouillages de GPS et de communications, indique le général Lavigne. D’ici à 2040, la menace portera sur la furtivité, qui sera déjouée par la recherche des failles techniques, et l’hypervélocité. Celle-ci, supérieure à mach 5, nécessitera d’augmenter la distance de tir, par un radar plus puissant, et le combat « collaboratif » : l’appareil repéré fuit, tandis qu’un autre tirera. L’avion de nouvelle génération sera piloté, car un robot n’inspire aucune confiance. Il sera équipé d’intelligence artificielle, comme le sont déjà certains capteurs. La transmission de données par satellite fera progresser le combat collaboratif. Déjà, un exercice dénommé « Point Blank » s’est déroulé en novembre 2018 en Grande-Bretagne pour tester les interopérabilités technique et opérationnelle entre le Rafale et le F-35 américain. Le prochain aura lieu en France en 2020. Le projet franco-allemand SCAF (système de combat aérien futur), dont les études vont commencer dans chaque pays, vise à élaborer des normes communes en vue de réaliser un démonstrateur. Toutefois, quels que soient les domaines concernés, il conviendra de conserver sa souveraineté en ne dévoilant pas tout.

Loïc Salmon

Armée de l’Air : anticipation, audace et créativité

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Armée de l’Air : anticipation, audace et créativité

Les capacités de décider et de gérer l’aléatoire entrent dans la formation des cadres de l’armée de l’Air, qui devra créer compétences et scénarios pour les missions du futur, plus complexes.

Ces questions ont fait l’objet du colloque qu’elle a organisé le 29 novembre 2018 à Paris. Y sont notamment intervenus : le chef d’état-major de l’armée de l’Air (CEMAA), le général d’armée aérienne Philippe Lavigne ; Olivier Zadec, maître de conférences, université Lyon 3 « Jean Moulin » ; le général de brigade aérienne Frédéric Parisot, sous-chef d’état-major « préparation de l’avenir » ; le lieutenant-colonel Anne-Laure Michel, directrice générale de la formation militaire à l’Ecole de l’air de Salon-de-Provence (photo).

Projets structurants 2019-2025. Dans le document « Plan de vol » de l’armée de l’Air présenté lors du colloque, le CEMAA avertit que l’emploi de la puissance aérienne pourrait se trouver, à terme, entravée par la contestation croissante du milieu aérien. Cela résulte du durcissement de la dynamique des Etats puissances (Russie et Chine) et des organisations non étatiques ainsi que de la fragilisation des mécanismes de régulation internationaux. Le « Plan de vol » s’inscrit dans la remontée en puissance de l’armée de l’Air, initiée par la loi de programmation militaire 2019-2025. Il doit lui permettre de garder un temps d’avance et de conserver à la France une position forte sur la scène internationale. L’armée de l’Air assure en permanence la maîtrise du domaine aérien et spatial ainsi que la composante aérienne de la dissuasion nucléaire, avec la Marine nationale. Ses modes d’action vont du recueil de renseignement au déploiement de forces terrestres et de la destruction des moyens militaires adverses aux missions humanitaires. La puissance permet de conserver l’avantage en opération, souligne le CEMAA. Elle se combine avec une « agilité », accrue notamment par : l’avion de ravitaillement en vol et de transport stratégique Phénix ; le commandement des opérations aériennes « JFAC France » dans le cadre de l’OTAN ; les opérations spatiales ; le Rafale au standard F3-R, équipé du missile air-air longue portée Meteor, de la nacelle de désignation d’objectif Talios et de la version à guidage terminal laser de l’armement air-sol modulaire, adapté aux cibles mobiles ; le drone Reaper armé ; les capacités de lutte contre le déni d’accès à un théâtre ; la modernisation de la composante nucléaire aéroportée ; le système franco-allemand de combat aérien futur. Lors d’une rencontre avec la presse, le CEMAA a indiqué que l’avion de transport tactique A400M est en train d’acquérir les capacités d’atterrissage sur terrain sommaire et de largage de parachutistes par la porte arrière (ouverture commandée) et par les portes latérales (ouverture automatique). En outre, le ravitaillement en vol d’hélicoptères, qui leur permettra d’aller plus loin dans la profondeur, évitera d’installer des plots de ravitaillement au sol. Il réduira d’autant « l’empreinte au sol » des forces spéciales, qui imaginent l’usage de certains équipements pour répondre aux menaces existantes ou futures. Par ailleurs, « agilité » et « audace » induisent le décloisonnement des organisations et le recours aux « Big data » (mégadonnées), à l’intelligence artificielle (IA, transformation numérique) et à la connectivité. Sont ainsi concernés : le combat aérien ; la capacité de l’hélicoptère lourd ; l’action aérienne de l’Etat ; le Rafale au futur standard F4, successeur du F3-R à partir de 2025, équipé d’un système de reconnaissance capable de trier en direct les éléments d’intérêt militaire ; l’avion léger de surveillance et de reconnaissance ; la capacité universelle de guerre électronique, à savoir trois avions de renseignement stratégique livrables entre 2025 et 2027. Enfin, la coopération en interalliés porte sur l’interopérabilité entre les armées de l’Air française, américaine et britannique ainsi que sur l’installation d’un escadron de transport franco-allemand de six Hercules C-130J à la base d’Evreux.

Complexité et accélération. La complexité politique d’un conflit, consécutive à la culture et à l’Histoire, s’inscrit dans le temps long, explique Olivier Zadec. Elle inclut le temps réel des opérations, avec des lignes de réaction politiques à prévoir. Il s’agit de trouver l’équilibre entre le temps prévisible et le temps imprévu. La transformation de très nombreuses données en connaissance entre dans l’accélération de la boucle décisionnelle, en vue de réduire l’adversaire. L’OTAN a fabriqué de l’interopérabilité mais laisse l’indispensable autonomie de décision. Or la réactivité se vit au quotidien avec une action sur court préavis, rappelle le général Parisot. Les frappes en coalition se décident en quelques heures. Les avions peuvent décoller entre 2 et 7 minutes, avec la capacité de rappel pour un raid limité au résultat le plus significatif. La réussite de la mission rend impératif le recours à l’innovation technologique. L’IA prépare les informations utiles, complétées par celles de l’état-major, et présente des options au chef, qui décidera en toute connaissance de cause. Ainsi, au Levant, indique le général Parisot, média et réseaux sociaux influencent le rythme des opérations. En effet, une mission peut être interrompue à la suite d’une information, dont la vérification fera perdre du temps. Seul un modèle d’armée complet permet de trouver une place dans une coalition, mener une action autonome et disposer d’une certaine masse pour rester longtemps sur plusieurs théâtres et affronter une menace nouvelle, souligne le général. Enfin, le maintien de la supériorité opérationnelle, par l’innovation technologique, répond à l’ambition de pouvoir, en permanence, entrer en premier sur un théâtre, capacité des seules forces armées américaine, britannique et française.

Loïc Salmon

Le taux de féminisation dépasse 20 % dans l’armée de l’Air et dans son Ecole de Salon-de-Provence. Quoique toutes les spécialités soient ouvertes aux femmes, faute de volontaires aux aptitudes suffisantes, elles ne sont que 12 pilotes de chasse, dont le lieutenant-colonel Anne-Laure Michel. Selon elle, les élèves de l’Ecole de l’air, âgés de 18 à 30 ans, ultra-connectés car nés à l’ère du numérique et des réseaux sociaux, s’adaptent vite à la formation scientifique et technique dispensée. Une « smart school » ou formation à la carte, via la communication par internet, est en cours ainsi que des licences d’excellence sur le cyber, l’espace et les drones. Tout au long de sa carrière, un officier pourra accéder à son « passeport numérique de compétences ». La préparation au commandement consiste à faire prendre conscience de l’engagement en alliant compétences et qualités humaines pour obtenir l’adhésion des équipiers. Par exemple, lors de l’opération « Pamir » en Afghanistan (2001-2014), une mission de 6 heures, avec ravitaillements en vol dans un environnement hostile avec tirs possibles de missiles sol-air, était toujours dirigée par un « leader » apportant précision et audace. L’incertitude fait partie du métier de pilote de chasse, qui doit prendre la bonne décision au bon moment pour remplir sa mission. Les exercices interalliés permettent d’élaborer des méthodes communes par un travail « collaboratif », en vue d’une opération ultérieure en coalition.

Armée de l’Air : l’humain, les opérations et la modernisation

Armée de l’Air : le combat numérique au cœur des opérations




Guerre : maîtriser la violence humaine et technologique

L’armement létal de demain, potentiellement accessible aux organisations terroristes, ne saurait échapper au contrôle du soldat, formé et entraîné à la maîtrise de la violence par ses qualités humaines, à savoir la force, la justice, la prudence et la tempérance.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 mai 2018 à Paris, par l’Ecole de guerre. Y sont intervenus : Mgr Antoine de Romanet, évêque aux Armées ; Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire ; le général de division Benoît Durieux, chef du cabinet militaire du Premier ministre ; le lieutenant-colonel Jean-Gaël Le Flem et le capitaine de frégate Olivier Brossolet, stagiaires à l’Ecole de guerre.

La guerre des robots. Un système d’arme létal autonome (SALA) ou « robot tueur » est capable de choisir sa cible et de s’adapter à un environnement évolutif sans intervention humaine, explique Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer. Le robot tueur se différencie du système d’arme automatique, qui réagit toujours de la même façon aux mêmes stimuli, que ce soit à bord d’un navire, sur un camion ou à partir d’un point fixe. Ainsi, les systèmes SGR-A1 surveillent la frontière entre les deux Corées. Si l’homme est dans la boucle décisionnelle, il peut arrêter le processus à tout moment (drones télépilotés). S’il ne l’est pas, l’arme continue sa mission, même en cas de rupture de communications (missiles tirés de sous-marins). Les SALA font l’objet d’un débat au sein de la représentation de l’ONU à Genève, où se prennent les décisions sur le droit humanitaire, dans le cadre de la Convention sur certaines armes conventionnelles. Les discussions annuelles réunissent 30 Etats et aussi des organisations non gouvernementales. Celles-ci, partisanes de l’interdiction préventive des SALA, ont rallié à leur cause 26 Etats d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient, l’Autriche et même la Chine, mais seulement pour les SALA « entièrement autonomes ». Selon Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, un débat moral sous-jacent entre sur la scène politique : la guerre souhaitable doit-elle être conforme à une norme (le droit) ou à des règles si elle entraîne de meilleures conséquences sur l’issue d’un conflit ? Ainsi, un bombardement sans discrimination, comme en Syrie par les forces russes et celles du régime syrien, apparaît plus problématique que le tir ciblé et sans dégât collatéral d’un SALA sur un pickup armé. Pourtant, les partisans de l’interdiction des SALA estiment que ceux-ci engendrent des risques : abaissement du seuil de l’emploi de la force, incitant des Etats à s’en doter ; course aux armements entre la Russie, la Chine et les Etats-Unis ; asymétrie des moyens, notamment par l’emploi d’essaims de SALA pour saturer les défenses anti-aériennes (argument de la Chine) ; réaction en chaîne incontrôlable ; acquisition de SALA par des organisations terroristes. Faute d’une entité supra-étatique de vérification avec des pouvoirs contraignants, les discussions semblent s’orienter vers un « code de bonne conduite » s’appuyant sur le droit applicable existant, en y incorporant certaines règles. Il ne s’agit plus d’empêcher la course aux armements dotés d’intelligence artificielle, mais de contrôler la situation pour ne pas inciter certains Etats à développer des SALA, conclut Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer.

Guerre et politique. Depuis des siècles, le concept européen de la guerre consiste à dépasser la contradiction entre la violence (nier l’autre) et la politique (définir ensemble un avenir commun), explique le général Durieux. La guerre est d’abord un reflet de l’environnement politique et une approche déterminante du sens de l’Histoire. Ainsi, en 1815, une victoire de Napoléon à Waterloo n’aurait pas réglé la crise politique profonde. De même en 1962, le général de Gaulle avait compris que la guerre d’Algérie n’entrait plus dans le combat politique. Aujourd’hui, l’usage de la guerre (déclarée) s’avère difficile, en raison de la pression médiatique et de l’évolution de l’opinion publique. La violence politique, visible, se présente comme un moyen « juste » face au « mal ». Elle apparaît comme une solution simple à un problème complexe et apporte des résultats rapides à une situation qui dure. Une belle opération tactique attire toujours les militaires, car techniquement bonne, immédiate et visible. Mais une réflexion s’impose sur son sens stratégique, à savoir l’évolution de la situation politique et une appréciation correcte de la guerre. Une autre concerne le statut de la guerre en tant que violence régulée. En cent ans, rappelle le général Durieux, la guerre a été rendue justifiable (droit international), impossible (dissuasion nucléaire) et inutilisable (opérations ciblées). Mais la violence s’accroît par l’élimination de l’adversaire, pour ne pas avoir à négocier avec lui. L’autorité politique fixe les objectifs, les militaires remplissent leur mission puis l’autorité politique reprend la main, par la diplomatie. De fait, dans la doctrine occidentale de l’effet recherché, l’autorité politique joue un rôle militaire par les plans de frappe et règles d’engagement. En opération extérieure, les militaires exercent un rôle politique par leur interaction avec les chefs de milices locales et entités non-étatiques.

Retours d’expériences.  Selon le lieutenant-colonel Le Flem, lors de l’engagement en Afghanistan (2001-2014), la maîtrise de la violence, pour la coalition occidentale, concernait la limite à ne pas dépasser mais, pour les Afghans, la capacité à vivre sereinement. Il s’agissait donc de comprendre cet écosystème et le risque de dégâts collatéraux par une surutilisation de la violence. Le chef militaire devait rendre ses hommes capables de violence en opération, tout en restant à des niveaux acceptables sur les plans technique et humain. De son côté, le capitaine de frégate Brossolet a souligné l’importance de la sélection des personnels des forces spéciales, aptes à maîtriser tout le spectre de la violence pour ne l’utiliser qu’au niveau requis, implacable ou très mesuré. Il s’agit de permettre à l’autorité politique un contrôle maximal de l’opération pendant un maximum de temps. Cela nécessite une planification extrême et élaborée en commun à tous les échelons, pour imaginer des solutions tactiques favorisant le contrôle de la violence et limitant les dommages collatéraux. Il s’agit d’éviter les dérives dues au surmenage, lors de la lutte contre le terrorisme ou la libération d’otages.

Loïc Salmon

Mgr Antoine de Romanet a mis en garde contre le risque de déshumanisation dû au sentiment d’invulnérabilité. La période de 1985 à 1995 a vu la transformation du vivant, celle de 1995 à 2005 l’essor des nanotechnologies et la suivante leur combinaison avec les communications. Il s’agit donc de savoir jusqu’où laisser la machine décider seule dans un contexte stable ou évolutif. La robotisation déresponsabilise, car chaque partie a été programmée par des individus isolés du « tout ». Malgré la tentation de toute-puissance (technologique), le soldat doit conserver une part de responsabilité pour pouvoir vaincre l’adversaire. L’enjeu consiste à éviter de transformer en machine l’homme par nature vulnérable, car en relation entre la biologie et le psychisme (émotion).

Lieutenants en Afghanistan, retour d’expérience

Forces spéciales : opérations selon le droit de la guerre




Armée de l’Air : le nouvel avion d’entraînement Pilatus PC-21

Le mono turbopropulseur Pilatus PC-21, en service opérationnel en septembre 2018, assure les mêmes formations de pilotage que les actuels Epsilon et Alphajet, avec transposition directe sur Rafale des compétences acquises.

Sa présentation à la presse, le 13 septembre 2018 à Paris, a inclus ses atouts pédagogiques par le colonel Julien Moreau, commandant les Ecoles de formation du personnel navigant, et son contrat d’acquisition par l’ingénieur en chef de l’Armement Audrey Hermant, directrice du programme PC-21.

Un saut technologique. Destiné aux pilotes de chasse de l’armée de l’Air et de la Marine nationale ainsi qu’aux navigateurs officiers systèmes d’armes, le PC-21 prépare au combat aérien d’aujourd’hui et de demain, explique le colonel Moreau. Dans un environnement de plus en plus complexe, évolutif et connecté, le pilote de chasse doit être réactif et savoir durer, combattre, projeter force et puissance ou porter assistance. Par exemple, un groupe de plusieurs Rafale partis de France pour une mission de frappes lointaines au Levant, bénéficie des informations fournis par un avion d’alerte avancée AWACS et de plusieurs ravitaillements en vol jusqu’à l’arrivée sur zone. L’un d’eux largue son missile Scalp, dont la croisière, guidée par satellite, continue à basse altitude et franchit les défenses sol-air pour atteindre sa cible après un guidage terminal. Actuellement, la formation d’un pilote de chasse, d’une durée de 2,5 ans, se déroule en quatre phases : formation générale des officiers à la base de Salon-de-Provence ; formation des pilotes sur les avions biplaces monomoteurs Grob 120 et TB30 Epsilon ; spécialisation sur Alphajet, avion d’entraînement et d’attaque au sol, à l’Ecole d’aviation de chasse de Tours pour l’obtention du brevet de pilote ; formation au combat aérien à l’Ecole de transition opérationnelle de Cazaux, en vue d’une orientation sur Rafale ou Mirage 2000. Après une phase de transformation, le pilote rejoint son affectation en unité navigante. A l’horizon 2021, la phase 1 se déroulera à Salon-de-Provence sur Cirrus SR20 et la phase 2 sur Grob 120 et PC-21 à Cognac pour l’obtention du brevet de pilote. D’ici à février 2019, les écoles de formation du personnel navigant recevront 17 PC-21. Cet avion embarque un système d’armes garantissant un haut niveau de représentativité des missions tactiques, grâce à ses capacités de simulation air-air (tir de missiles et détecteur d’alerte) et air-sol (canon, tir de bombe en palier et en semi-piqué). Il permet l’acquisition des bases d’un système d’armes, de son pilotage vers son management avec de nouvelles compétences, à savoir tête haute, liaisons de données et carte numérique. Enfin, 40 % de la formation sur PC-21 se fait sur simulateur au sol. En 2018, l’Ecole de Cognac forme 30 pilotes de chasse et 10 navigateurs officiers systèmes d’armes de l’armée de l’Air, 10 pilotes de chasse embarquée de la Marine nationale et 10 moniteurs de simulateur de vol. Les prévisions portent sur 25 instructeurs formés en juin 2019 et début de transformation des navigateurs officiers système d’armes en janvier 2020.

Une organisation étatique. Le besoin porte sur 11.000 heures de vol par an, indique l’ingénieur en chef Hermant. Le contrat unique du programme PC-21 a été notifié en décembre 2016 à l’entreprise Babcock Mission Critical Services France. De type location-vente, il prévoit un transfert à l’Etat, en 2022, des moyens de formation (avions, système de préparation et de restitution de mission et simulateurs), du soutien et des infrastructures.

Loïc Salmon

Armée de l’Air : « Pégase 2018 », projection lointaine dans le Pacifique

Armée de l’Air : l’appui aérien aux opérations terrestres




Armée de Terre : pas de victoire sans le soutien de la nation

Affrontement de deux volontés et fondé sur des ressources matérielles et immatérielles, la victoire implique, pour l’armée de Terre, la poursuite de son mandat sur 20-30 ans et l’intégration des innovations d’usage immédiat.

Ce thème a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 6 février 2018 à Paris, par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre. Un diplomate et deux généraux de haut rang y sont intervenus.

Le dilemme du temps. Le pouvoir politique veut des victoires rapides, car l’opinion publique se lasse des engagements militaires longs après ceux en Afghanistan (13 ans), en Centrafrique (3 ans) et au Sahel (depuis janvier 2013), explique le diplomate. Il voit sa propre communication contestée par le « complexe militaro-industriel » dans les médias…qui racontent la guerre à sa place ! L’incertitude du monde actuel estompe l’idée de « guerre juste » et donc de victoire militaire définitive. L’ennemi soviétique d’hier a été remplacé par le terrorisme islamiste, avec une vision du monde différente de celle des Etats démocratiques. Quoique ce dernier soit identifiable au Levant et au Mali, la difficulté d’une interposition internationale entre factions rivales conduit à un combat sans fin et une victoire impossible. Sans accompagnement économique massif, les effets pervers l’emportent sur la victoire. Ainsi en Libye, la réussite militaire franco-britannique de 2011 s’efface devant l’émergence des centres de transit de migrants clandestins et de trafics d’armes, comme en Irak depuis l’intervention américaine de 2003. Les contraintes budgétaires nécessitent de s’intégrer à une alliance, facteur de dépendance dans la prise de décision. En France, la fin du service militaire obligatoire et la recherche du « zéro mort » dans un conflit ont conduit à l’absence de prise de risques et donc de victoire. Or, souligne le diplomate, le monde doit reconnaître que la France porte un message, reste fidèle à son histoire et maintient son rang, le rôle de sa diplomatie étant de transformer la victoire aux yeux de tous en une paix durable. Les dirigeants politiques actuels n’ont connu ni le second conflit mondial ni les guerres de décolonisation. Mais conscients de l’Histoire ils s’imprègnent de la culture militaire par leurs fréquentes visites sur le terrain. Par ailleurs, aux Etats-Unis, les généraux sont reconnus comme les artisans de la victoire, alors qu’en France, cet honneur revient aux dirigeants politiques, en raison de la mauvaise image des militaires dans la nation après les guerres de décolonisation. Toutefois, les attentats terroristes de 2015 et 2016 ont eu pour conséquence de valoriser les services de renseignement, autrefois mal vus, et les militaires avec l’opération « Sentinelle ».

La constance et la patience. Le chef militaire doit concilier le temps de son action sur le terrain avec celui, très court, du pouvoir politique, et celui, très long, du diplomate et éviter qu’ils divergent, indique l’un des généraux. Cela passe d’abord par une réflexion sur les crises, toujours différentes, et la connaissance de leurs acteurs, pour ne pas appliquer à une crise nouvelle la solution de la précédente. La fascination pour les images de départs de navires et de déploiements d’avions et d’hélicoptères dans la gestion des crises occulte la nécessité de jouer sur tous les leviers et dans le temps long, surtout quand elles durent plus de dix ans (Kosovo, Irak, Afghanistan). Entre 2014 et 2017, la coalition internationale a largué 100.000 bombes contre Daech en Syrie et en Irak, soit cinq fois plus que sur Dresde en 1944. Par ailleurs, tout pays membre d’une coalition internationale doit rester lucide quant à son poids dans la décision opérationnelle. Ainsi, dans celle contre les talibans, la France n’a fourni que 2,5 % des effectifs pour contrôler 3 % du territoire afghan. Une erreur consiste à tenter de résoudre les crises une par une, en partant du principe qu’elles sont disjointes, alors qu’elles surviennent en réseau, comme en Libye, Irak et Syrie. L’action précipitée, sous le coup de l’émotion et de la pression médiatique, peut avoir de graves conséquences, comme le brusque afflux de 5.000 migrants clandestins en Méditerranée après la diffusion mondiale d’une vidéo montrant un enfant mort sur une plage. Enfin, précise le général, l’engagement politico-militaire ne peut reposer sur un consensus lent. Le pouvoir politique doit donner une directive claire et rapide sur les objectifs à atteindre, pour lesquels les militaires présentent des options d’action avec les risques encourus.

L’action durable. Autrefois, gagner la guerre consistait à remporter une grande bataille ou s’emparer d’une capitale pour détruire une idéologie. Aujourd’hui, souligne l’autre général, la liberté d’action s’impose à l’armée de Terre pour défendre les intérêts de la France dans un monde multipolaire, asymétrique et connecté. Elle doit pouvoir agir vite et loin, en toute circonstance, où il faut et autant que nécessaire, par une opération aéroportée ou amphibie. Cela implique maîtrise du renseignement, masse et épaisseur. Cela va de l’interopérabilité avec les armées des Etats baltes, à l’adversaire hybride dans la bande sahélo-saharienne et à la combinaison des forces armées avec celles de la sécurité intérieure (autorités civiles, douane et gendarmerie). En cas de coup dur, la résilience inclut action de communication, acte juridique et application de règles éthiques pour éviter la barbarie. La spécificité militaire (donner et recevoir la mort) nécessite endurance, aguerrissement et volonté du pouvoir politique de détruire l’ennemi. L’initiative sert à mener l’action pour exercer une influence et obtenir un effet final pertinent. Elle implique imposition du tempo à l’adversaire et réversibilité de l’action, car le temps militaire diffère de celui de la reconstruction. L’efficience repose sur une intervention brutale et décisive des forces spéciales et conventionnelles. Pour empêcher l’adversaire de prendre un ascendant tactique par l’emploi inattendu de moyens bon marché, comme un drone commercial armé de façon rudimentaire, l’achat d’une technologie de pointe « sur étagère » satisfait le besoin d’urgence opérationnelle. Par ailleurs, une intervention armée ne se justifie qu’avec le soutien de la population locale. Ainsi l’opération « Serval » au Mali (2013) l’a pris en compte dans le cadre d’une approche globale régionale, avec un appui international et le partage de renseignements sur place et en France.

Loïc Salmon

Le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre anime la pensée militaire au profit de l’efficacité opérationnelle des forces terrestres. Il assure la formation des futurs décideurs à différents niveaux. L’enseignement militaire supérieur Terre prépare à l’exercice de hautes responsabilités ou de postes de direction exigeant un niveau élevé de qualifications scientifiques et techniques. Il enseigne le travail en état-major et en interarmées, au sein de quatre établissements : Ecole d’état-major pour jeunes capitaines et sous-officiers ainsi que pour les officiers candidats au concours d’entrée à l’Ecole de guerre ; Cours supérieur interarmes ; Enseignement militaire supérieur scientifique et technique ; Ecole supérieure des officiers de réserve spécialistes d’état-major.

Les diplomates, acteurs de la politique étrangère et représentants de la France

Armée de Terre : faire face à toutes menaces, ici et là-bas




Marine nationale : « Jeanne d’Arc 2018 », missions opérationnelles et de formation

Outre son volet « entraînement », le voyage annuel du Groupe école d’application des officiers de marine (GEAOM), dit « Mission Jeanne d’Arc », constitue un outil de connaissance et d’anticipation et un ensemble de moyens visibles pour intervenir loin.

Le GEAOM est déployé du 26 février au 20 juillet 2018 dans le Sud de la Méditerranée, la mer Rouge et les océans Indien et Pacifique. Il compte le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude, la frégate Surcouf et 5 hélicoptères (1 Alouette III Marine, 2 Gazelle de l’armée de Terre et 2 Wildcat de la Marine britannique). Son commandant, le capitaine de vaisseau Jean Porcher, s’est entretenu avec la presse, le 7 juin à Paris, en visioconférence à bord du BPC.

Les opérations. Le déploiement dans des zones d’intérêt stratégique pour la France permet un soutien naval à sa diplomatie, une interopérabilité militaire et une coopération internationale pour conduire une action militaire de haute intensité ou une opération de gestion de crise humanitaire. La préparation opérationnelle a inclus un exercice amphibie en Corse en février, puis des entraînements avec les forces maritimes libanaise, israélienne et égyptienne. En mars, l’exercice amphibie majeur « Wakri 18 » a mobilisé 300 militaires du 3ème Régiment d’infanterie de marine et du 5ème Régiment interarmes d’outre-mer, les moyens interarmées des forces françaises stationnées à Djibouti et 45 « marines » américains. En mai, le GEAOM a participé à l’exercice de soutien humanitaire « Komodo 2018 », qui a nécessité 35 navires et 27 aéronefs de 42 autres pays au large de l’île indonésienne de Lombok. En outre, il s’est entraîné avec les Marines de l’Inde, de Malaisie, de l’Indonésie, de Singapour, du Viêt Nam et de l’Australie, partenaires stratégiques de la France. En effet, environ 1,5 million de ressortissants des départements et territoires d’outre-mer et 200.000 expatriés résident dans la zone Indo-Pacifique. Les escales, équilibrées avec les différents pays de la zone, sont préparées en amont par la Direction des relations internationales et de la stratégie. En tant que membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, la France contribue au respect de la liberté de navigation en mer de Chine méridionale. La « Mission Jeanne d’Arc » s’y est rendue en mai, avec des observateurs européens (militaires, réservistes et universitaires) pour montrer ce qui s’y passe et comment elle agit. Elle a patrouillé autour des atolls et îlots artificiels, où la Chine construit des ports et des aéroports, et y a recueilli des renseignements par radar, photos, caméras, drones et hélicoptères. Les échanges, courtois, avec les navires chinois, se sont faits selon le code de communication « Q », commun à 11 pays asiatiques, pour éviter toute incompréhension fâcheuse.

La formation « in situ ». Le GEAOM embarque 131 officiers-élèves, 35 cadres, 60 stagiaires (administrateurs des Affaires maritimes, médecins, sous-lieutenants de Saint-Cyr Coëtquidan, ingénieurs de l’armement et élèves de l’EDHEC), 25 marins de la flottille amphibie, 21 fusiliers marins, 7 membres du détachement drone, 9 commissaires « Marine », 10 officiers étrangers et 36 marins britanniques (pilotes d’hélicoptères, techniciens et soutien). Les missions de ces derniers portent sur le renforcement de la capacité « porte-hélicoptères d’assaut » du BPC et le partage de savoir-faire amphibie, pour intensifier l’intégration des forces armées franco-britanniques.

Loïc Salmon

L’océan Indien : espace sous tension

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer




Armée de Terre : connaissance, coopération et influence

La réflexion sur le rôle des sciences humaines et sociales entre dans la résolution des crises, afin de transformer une réussite tactique en succès opératif et politique.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 novembre 2017 à Paris, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger. Y sont intervenus : Pascal Rey, docteur en géographie du développement, universités de Paris I et de Djibouti ; le commandant guinéen Mamadi Doumbouya, stagiaire à l’Ecole de guerre (2017-2018).

Caractéristiques locales. La compréhension des organisations sociales facilite la coopération, souligne Pascal Rey, qui centre son propos sur l’Afrique subsaharienne de l’Ouest et Madagascar. Selon l’animisme originel, un chasseur s’aventure dans les endroits interdits, à la recherche d’un territoire pour établir un village. Il entre alors en contact et négocie avec des génies et entités surnaturelles. Ce contrat ou « acte fondateur » assure la légitimité du territoire et des droits éminents pour lui et ses descendants. Après accord du génie, il pourra accueillir d’autres familles de sa tribu ou même étrangères, qui deviendront ses dépendants par consolidation du droit d’usage des terres agricoles. Dans cette société matrilinéaire, le « père » considéré comme tel n’est pas le géniteur mais celui qui élève l’enfant, à savoir le ou les oncles maternels. Le lignage du fondateur, par la branche aînée, devient l’autorité coutumière, responsable de la gestion durable et cohérente des ressources naturelles. Cette hiérarchie se maintient au sein de la même famille, où le plus âgé prend souvent la parole. L’administration coloniale a rencontré des difficultés au début pour entrer en contact avec les chefs locaux, qui lui envoyaient des délégués non décisionnaires. Aujourd’hui, dans une administration locale décentralisée, les élus restent sous la coupe des autorités coutumières et ne peuvent prendre de décisions rapides. Sur le plan religieux, une construction syncrétique de l’islam a remplacé la nature par les sourates du Coran pour l’organisation sociale. Le clan du fondateur doit maintenir la paix sociale par consensus et l’accès de tous aux ressources, même de façon inégale. A l’échelle locale, les droits individuels et ceux liés au lignage se superposent sous le contrôle des fondateurs, qui bénéficient d’un accès plus aisé aux espaces de production : agriculture, pêche, élevage, extraction du sel et plantations de palmiers à huile. Toutefois, le droit d’usage étant imprescriptible, la presque totalité des ménages peut pratiquer une culture annuelle. La gestion des conflits se caractérise par sa partialité, souligne Pascal Rey, car elle repose sur les hiérarchies sociales établies sur l’hérédité et sans égalité des chances. Sur le plan économique, les ménages ne peuvent dépendre d’un emploi unique et multiplient leurs sources de revenus en cumulant la culture vivrière avec d’autres activités. La modicité des salaires des fonctionnaires entraîne diverses conséquences : absentéisme pour pouvoir travailler dans le secteur privé ; corruption, considérée comme un avantage annexe de la fonction ; petits commerces ou trafics divers et variés. Par ailleurs, l’art de la parole, où la forme l’emporte sur le fond, reste la première qualité chez un homme. Pour un gouvernement, l’armée constitue un outil pour l’emploi et lui permet de se maintenir au pouvoir. Pascal Rey recommande aux militaires français en poste en Afrique de manifester au quotidien leur volonté de comprendre les coutumes locales, afin de diminuer les risques de rupture de confiance avec la population. Les familles, qui représentent aussi l’institution, ne devraient pas rester cloîtrées dans leur domicile mais apprendre ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Quoique présents au titre de la coopération, les militaires français portent le poids politique de leurs prédécesseurs et ne peuvent se désolidariser de l’héritage colonial, à l’origine de frustrations. Lors des interventions en secours d’urgence, ils doivent se montrer équitables dans la distribution de vivres, mais en évitant de contourner les autorités coutumières. Enfin, ils doivent s’appuyer sur les relais locaux pour diffuser des messages.

Une perception militaire africaine. Le commandant Doumbouya a présenté un constat partagé par ses condisciples d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Dans l’ensemble, les représentations françaises à l’étranger ou les officiers français détachés dans les armées africaines sont accueillis avec une grande fraternité d’armes. Mais leur connaissance trop théorique de l’Afrique se trouve en décalage avec la réalité du moment. Leur enthousiasme à se renseigner sur les moyens des armées locales finit par paraître suspect. Les gouvernants africains accordent plus de crédit à leurs compétences qu’à celles de leurs compatriotes. Conseillers des hauts responsables politiques et militaires, les officiers français donnent l’impression d’influencer leurs décisions selon les intérêts de la France. Ils peuvent débloquer des situations rapidement, comme l’obtention de munitions, sans être soupçonnés de fomenter un coup d’Etat. Ils sous-estiment les capacités humaines et intellectuelles de leurs partenaires africains, dont certains sont passés par l’Ecole de guerre, et ne cachent pas leur mépris vis-à-vis d’officiers supérieurs locaux accédant à de très hautes fonctions. En matière de compétences, les militaires étrangers ont perdu la considération automatique de leurs homologues africains, qui attendent d’eux plus de respect et moins de condescendance. Si l’intention des coopérants français est jugée généralement bonne, ces derniers, ne disposent plus des moyens de leur politique, contrairement aux Américains qui proposent munitions et structures pour s’entraîner. Sur le plan privé, ils entretiennent peu de contacts avec les officiers africains et préfèrent les circuits touristiques officiels au vécu quotidien des populations locales.

Loïc Salmon

Centrafrique : l’opération « Sangaris » au niveau « opératif »

Afrique : les armées et leur implication dans la politique

L’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger (EMSOME) assure la formation et l’adaptation des militaires qui doivent y aller dans le cadre d’une affectation, d’une mission de courte durée ou d’une opération extérieure. Il pilote aussi les domaines outre-mer, étrangers et amphibie de l’armée de Terre. Il assume la responsabilité organique des onze formations terrestres stationnée hors métropole : 9ème Régiment d’infanterie de marine (Guyane) ; 3ème Régiment étranger d’infanterie (Centre spatial guyanais de Kourou) ; 33ème Régiment d’infanterie de marine (Antilles) ; 43ème Bataillon d’infanterie de marine (Côte d’Ivoire) ; 6ème Bataillon d’infanterie de marine (Gabon) ; 5ème Régiment interarmes d’outre-mer (Djibouti) ; 2ème Régiment de parachutistes d’infanterie de marine (La Réunion) ; Régiment d’infanterie de marine du Pacifique-Nouvelle-Calédonie ; Régiment d’infanterie de marine du Pacifique-Polynésie ; Détachement de Légion étrangère de Mayotte ; 5ème Régiment de cuirassiers (Emirats arabes unis). Interface entre les régiments, le Commandement des forces terrestres et l’état-major de l’armée de Terre, l’EMSOME s’occupe des ressources humaines, de la chancellerie, de la logistique et de l’entraînement spécialisé. Il a formé 12.000 stagiaires en 2016.