Sûreté en mer : enjeux de puissance et de souveraineté

En 2019, la piraterie et le brigandage maritime ont augmenté dans le golfe de Guinée, mais se sont stabilisés en Asie du Sud-Est. La piraterie reste faible au large de la corne de l’Afrique, mais le brigandage s’est accru dans les Caraïbes.

Ce constat, dressé par le premier rapport annuel du « MICA Center » (Centre d’expertise français à compétence mondiale dédié à la sûreté maritime), a été rendu public par la Marine nationale le 6 janvier 2020.

Approches maritimes menacées. Le terme « approche maritime » désigne la portion d’espace maritime qui inclut la zone économique exclusive en face d’un pays côtier donné. Se situant en général également au large du territoire d’autres Etats, cet espace peut connaître des attaques de pirates venant d’autres pays. Le rapport établit une liste des dix principales approches maritimes touchées par la piraterie et le brigandage avec le nombre d’événements en 2019 : Nigeria, 54 ; La Grenade, 30 ; Indonésie, 30 ; Saint Vincent et Grenadines, 18 ; Malaisie, 16 ; Panama, 12 ; Cameroun, 11 ; Venezuela, 7 ; Pérou, 6 ; Colombie, 6. La « piraterie » se définit comme un acte de violence commis en haute mer à des fins privées et hors des eaux territoriales. Voici le bilan par zone en 2019 avec une comparaison avec l’année la plus touchée : Asie, moins de 50 événements en 2019 contre 250 en 2015 ; Afrique de l’Ouest, environ 60 contre 90 en 2014 ; Afrique de l’Est, moins de 5 contre 10 en 2014 ; Amérique latine, moins de 5 contre 10 en 2017. Le « brigandage » correspond à un acte illicite, commis à des fins privées, contre un navire, des personnes ou des biens à son bord dans les eaux intérieures, les eaux archipélagiques ou la mer territoriale d’un Etat. Voici le bilan par zone en 2019 avec une comparaison avec l’année la plus ou la moins touchée : Asie, un peu plus de 40 contre un peu moins de 140 en 2014 ; Amérique latine, environ 110 contre moins de 40 en 2014 ; Afrique de l’Ouest, un peu moins de 60 contre 25 en 2014 ; Afrique de l’Est, moins de 5 contre moins de 10 en 2017. La forme des actes de piraterie ou de brigandage varie selon les régions et les saisons : enlèvement des membres d’équipage à des fins de rançon ; détournement de navires pour servir de bâtiment mère ; vol de la cargaison, notamment d’hydrocarbures ; vols avec violence ou larcins, dont les criminels peuvent tirer profit comme les accessoires du navire ou les biens personnels de l’équipage.

Coopération navale. Le MICA Center centralise les alertes en cas d’attaque, diffuse l’information utile vers les navires présents sur la zone, pour leur permettre de se protéger, et les centres compétents pour déclencher une intervention chaque fois que c’est possible. En outre, il évalue la situation sécuritaire dans les différentes zones, grâce aux signalements volontaires, et publie des bilans réguliers. La cellule « golfe de Guinée » assure le suivi et le traitement des actes de piraterie et de brigandage à partir de Brest et de Portsmouth. En effet, l’accord franco-britannique MDAT-GoG combine la connaissance de la région de la Marine française et son savoir-faire en matière de contrôle naval avec l’expertise technique britannique. Environ 950 navires sont enregistrés au MDAT-GoG, pour un suivi quotidien de 430 navires en moyenne. Pour la Corne de l’Afrique, le MICA Center héberge, à Brest, la cellule MSC-HOA, subordonnée au commandement, à Rota (Espagne), de l’opération européenne « Atalante » de lutte contre la piraterie en océan Indien. Le MICA Center entretient aussi des relations avec des organismes similaires à Singapour, en Inde et à Madagascar.

Loïc Salmon

Opération « Atalante » : bilan du commandement français

Golfe de Guinée : sécurité et sûreté en mer et à terre

303 – Dossier : “La piraterie… contenue, mais pas éradiquée”




Armée de Terre : opérations et relations internationales

La France n’agissant pas seule dans le monde, le « partenariat militaire opérationnel » a remplacé l’ancienne « coopération militaire » pour aller jusqu’à l’engagement armé si nécessaire.

Cette question a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 27 novembre 2019 à Paris, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger. Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée François-Xavier Le Pelletier de Woillemont, secrétaire général adjoint de la défense et de la sécurité nationale ; Hervé de Charette, ancien ministre des Affaires étrangères (1995-1997) ; Bertrand Badie, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et au Centre d’études et de recherches internationales ; le colonel des troupes de marine Thomas Pieau, projeté sur les théâtres d’opérations en Bosnie, en Afghanistan et au Liban ; le capitaine Charles Allègre, officier adjoint à la compagnie permanente du 9ème Régiment d’infanterie de marine en Guyane.

L’action militaire. L’interculturalité permet aux forces armées françaises de combattre au loin dans un environnement, sinon favorable, du moins peu hostile, souligne le général Le Pelletier de Woillemont. Elle transforme les procédures, la doctrine et l’entraînement pour agir mieux ensemble entre partenaires et alliés, acquérir l’expérience opérationnelle et la partager pour anticiper l’action de l’adversaire. Elle évite une forme d’isolement physique, linguistique et culturel, pour remplir la mission avec efficacité. Elle permet l’équilibre entre protection des soldats et proximité avec la population. Ainsi l’opération « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne implique 5 pays avec 5 cultures différentes, unifiées par la langue française. La France y agit pour assurer sa propre sécurité et celle de populations locales qu’il convient de respecter. La solidité d’une armée, rappelle le général, repose sur sa chaîne hiérarchique et sa capacité à tenir le terrain au contact. Les soldats français combattent donc ensemble avec leurs partenaires africains. Pour vivre au milieu d’autres cultures, les missions de longue durée (2-4 ans) sont préférables aux affectations de 4 mois de diverses unités, qui tournent trop vite au sein de « Barkhane ». Il incombe aussi aux armées africaines de « gagner les cœurs et les esprits », car les forces françaises partiront un jour. S’y ajoute le risque que les unités françaises soient gagnées à la cause des populations au sein desquelles elles vivent. Par ailleurs, indique le général, la France, dont la culture n’est plus dominante, promeut certaines valeurs universelles comme l’état de droit, le multilatéralisme et la dignité humaine. Or, parallèlement au besoin d’enracinement dans une société, se profilent les affirmations d’identité, de culture et de rapport de forces.

Le travail en amont. Depuis 2008, les troupes françaises sont mises en situation d’interculturalité aux niveaux individuel et collectif, indique le colonel Pieau. L’adaptation se fait en fonction des besoins à partir du plus petit échelon pour éviter les maladresses. L’état-major prépare l’approche tactique selon des méthodes de comportement validées par le chef, qui négocie avec les autorités locales. Une observation décalée permet une analyse plus fine, sachant que la conquête des cœurs et des esprits s’inscrit dans la durée.

L’action diplomatique. Pour défendre ses intérêts, la France prend en compte l’identité de ses interlocuteurs, dont la connaissance lui permet de se faire reconnaître par eux et de respecter leurs différences et particularités, indique Hervé de Charette. Elle doit privilégier l’ouverture sur le monde et éviter l’arrogance pour y conserver son influence et sa place. Parler avec tout le monde implique de ne pas placer les valeurs occidentales au-dessus des autres, mais ne signifie pas renoncer à celles d’une portée universelle, comme les droits de l’Homme. Une dimension affective entre dans la politique étrangère, comme l’a montré l’action de la diplomatie française en 1996, lors de l’opération israélienne « Raisins de la colère » contre le Liban, dans un contexte de tensions avec les organisations politico-militaires Hamas et Hezbollah. Adepte de la « diplomatie militaire », Israël recourt à la force chaque fois qu’il le juge nécessaire pour atteindre ses objectifs. Or, la France attache de l’importance à la souveraineté du Liban, sa première carte d’influence dans la région, pour relancer sa politique arabe et méditerranéenne. Une équipe de diplomates chevonnés, dirigée par le ministre des Affaires étrangères (Hervé de Charette), fait la navette pendant 15 jours entre Tel Aviv, Beyrouth, Damas et Le Caire. Elle obtient un cessez-le feu…qui va durer 4 ans ! Ce succès repose sur la longue expérience de la diplomatie française au Moyen-Orient. La solution a nécessité un dialogue avec la Syrie, qui encourageait le Hezbollah, et avec l’Iran, son principal fournisseur d’armement et inspirateur religieux. Les Etats-Unis considéraient Israël comme leur seul interlocuteur dans la région et refusaient l’intervention d’un pays tiers, mais n’avaient plus de relations diplomatiques avec l’Iran. La France avait accepté d’avance d’en subir les conséquences éventuelles.

La reconnaissance internationale. Le système westphalien (1648) a instauré la reconnaissance mutuelle des Etats sur les plans juridique, politique (leur rôle à jouer) et culturel (égalité et découverte de l’autre), explique Bertrand Badie. Toutefois, il s’ensuit une compétition entre Etats, en rivalité permanente, et un classement hiérarchique. L’entrée de l’idée d’universalité dans l’histoire philosophique européenne a débouché sur l’évangélisation puis la colonisation. En Occident, la découverte de l’altérité s’est manifestée par la solidarité aux niveaux national (XIXème siècle), puis international (XXème siècle). Ensuite, la mondialisation de l’interculturalité a entraîné interdépendance et migrations. La culture, dont la définition varie avec le temps, a servi d’emblème. Lors des décolonisations, l’imposition de systèmes étatiques étrangers a suscité un sentiment d’aliénation de leur propre culture au sein des anciennes colonies. Le passé structure les comportements sociaux. L’altérité a été perturbée par l’humiliation du « dominé », paramètre incontournable des relations internationales, souligne Bertrand Badie. Elle entraîne des diplomaties de la revanche, où l’humilié va chercher à imposer l’humiliation à son tour, et de la réparation par l’ancien pays dominateur.

Loïc Salmon

Les distances et les difficultés de communication imposent la culture de l’autonomie, estime le capitaine Allège (photo), à l’issue d’une étude comparative des missions de combat au Tonkin (journaux de marche 1945-1954) et de lutte contre les orpailleurs clandestins en Guyane (son propre carnet de bord). Milieu difficile, la forêt équatoriale mettant hommes et matériel à rude épreuve, il s’agit d’apprendre de ceux qui y vivent en permanence et d’adapter la logistique. Pour comprendre sa manière de réagir, il faut se mettre à la place de l’adversaire, rustique et qui maîtrise ce milieu. Le succès de la mission dépend de sa durée et du soutien de la population locale, composante essentielle de la mission. Le rapport humain facilite le recrutement local et permet de transformer un adversaire en allié potentiel…à condition de savoir l’utiliser !

Armée de Terre : prise en compte de « l’interculturalité »

Opex, des vies pour la France

Armée de Terre : gagner la paix après l’intervention en Opex

 

 




Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global

Le vaste projet chinois des nouvelles routes de la soie se présente sous une forme davantage géopolitique que commerciale avec, à terme, plus de menaces que d’opportunités.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 mai 2019 à Paris, par les Club HEC Géostratégies, l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : Etienne de Durand, directeur adjoint de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie au ministère des Armées ; Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002) ; Emmanuel Véron, enseignant chercheur à l’Ecole Navale ; Christoph Ebell, Emerging Technology Consultant.

Environnement à risques. Selon Etienne de Durand, la course aux armements a repris avec des programmes majeurs en développement en Russie, une rivalité technologique entre les Etats-Unis et la Chine et une accélération du progrès technologique. La compétition permanente entre grandes puissances, toutes nucléaires, se manifeste le long du « continuum paix, crises et conflit », mais souvent sous le seuil de ce dernier par des intrusions voire des agressions non revendiquées, notamment dans l’espace (approches des satellites nationaux) et le cyber (attaques quotidiennes). Elle s’étend même à l’économie et à la technologie. Les espaces communs sont de plus en plus contestés avec des velléités ou même tentatives d’appropriation par la revendication de territoires ou, en haute mer, par la poldérisation d’îles avec obligation de se déclarer pour tout navire qui s’en approche. Cette compétition présente des risques d’escalade, avec un arrière-plan nucléaire. Puissance devenue globale dans les domaines économique, militaire et stratégique, la Chine tente de remodeler l’ordre international, notamment en mer de Chine méridionale, met l’accent sur les technologies duales (usages militaires et civils) et déclare un budget militaire officiel de 170 Mds$/an, mais d’un montant réel supérieur le plaçant de fait juste après celui des Etats-Unis. Puissance spatiale, la Chine met au point des armes antisatellites et d’autres à énergie dirigée. En matière de capacités de projection de puissance, elle dispose de deux porte-avions, en construit un troisième, accélère le rythme de la production de sous-marins à propulsion nucléaire et développe ses facilités portuaires dans la zone indo-pacifique. Avec la mondialisation, une tension en océan Indien ou en mer de Chine du Sud aura des implications immédiates en Europe dans les domaines économique, de l’énergie et des approvisionnements.

Géostratégie. La Chine met en œuvre une géostratégie portuaire, diplomatique et commerciale d’abord en Asie du Sud-Est, puis en océan Indien vis-à-vis de l’Inde, du Pakistan et de l’Iran pour déboucher sur la Méditerranée et l’Europe du Nord, indique Emmanuel Véron. L’ouverture sur le Pacifique-Sud lui permettra d’accéder à l’Amérique latine. Elle construit tout type de navire, même un brise-glace à propulsion nucléaire. En raison de la concurrence locale en mer de Chine, sa flotte de grands bateaux de pêche s’aventure jusqu’à la côte péruvienne. Elle développe l’aquaculture, les biotechnologies, le dessalement de l’eau de mer et surtout la recherche océanographique pour la pose de câbles de communication numérique et pour servir son programme de sous-marins. Sur le plan militaire, outre l’installation d’armements, de relais et de moyens d’écoute sur les atolls aménagés en mer de Chine méridionale, elle a construit de nombreux navires, dont 1 porte-avions, 60 corvettes type 56 et 20 destroyers type 52 entre 2011 et 2018. Le programme de renouvellement des sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins va changer la donne dans le Pacifique vis-à-vis de la puissance navale américaine. La formation des 220.000-230.000 marins se poursuit ainsi que celle du corps expéditionnaire d’infanterie de Marine avec la composante commando. La diplomatie navale s’intensifie en Asie du Sud-Est, Afrique et Europe ainsi que la collecte d’informations, les réflexions sur la Marine à l’horizon 2030 et le soutien à l’export des équipements de sa base industrielle et technologique de défense. Enfin, la Marine chinoise effectue régulièrement des exercices communs avec son homologue russe.

Logique de puissance. L’Occident n’a pas encore intégré la perte du monopole de la puissance, estime Hubert Védrine. Le projet chinois des routes de la soie présente des similitudes avec les procédés du Portugal, de l’Espagne, de la France et de la Grande-Bretagne, pour établir des empires coloniaux et vis-à-vis de l’Empire ottoman au XIXème siècle : séduction ; promesses, sincères ou mensongères ; prêts avec l’engrenage de l’endettement ; opérations militaires, discrètes ou avouées. Pour les voisins de la Chine, les avantages à court, moyen et long termes, les opportunités commerciales, les inconvénients et les risques, plus ou moins graves, liés au projet varient selon les pays. En Afrique, la Chine a élaboré une politique très ambitieuse. La Russie, dont la population en Sibérie n’atteint pas 20 millions de personnes, s’en inquiète, mais se tourne vers la Chine en raison des tensions avec les pays occidentaux. L’Europe connaît un contraste entre l’idée de sa fondation sur des valeurs universelles et la réalité du monde, où les puissances anciennes et nouvelles, dont la Chine, se positionnent par rapport à elle. Dix-sept pays européens, dont la Grèce et ceux d’Europe de l’Est, demandent de l’argent chinois. De leur côté, les Etats-Unis considèrent la Chine comme leur adversaire principal, devant la Russie et l’Iran. L’affrontement, possible notamment sur la liberté de navigation dans les eaux internationales du détroit de Taïwan, dépendra, le moment venu, de l’intérêt de l’une ou l’autre partie de l’aggraver et de l’élargir. Quant à l’avenir du projet des routes de la soie, quelques pays deviendront des protectorats chinois, d’autres resteront à l’écart et certains résisteront, peut-être jusqu’à la contestation violente. Une option pour l’Europe, puissance, consisterait à obliger la Chine à le transformer en un vrai partenariat.

Loïc Salmon

Selon Christoph Ebell, le projet des routes de la soie prend aussi une dimension numérique avec les équipements informatiques, la valorisation des données et une cyberstratégie. Les fournisseurs chinois de services numériques proposent des applications pour les transactions financières. Ainsi en décembre 2018, Alibaba Cloud a signé un protocole d’accord avec le Koweït portant sur un centre d’échanges de données et d’informations entre tous les pays du monde. Les routes de la soie nécessitant des normes techniques communes, la Chine a construit des câbles de fibres optiques reliant Pékin aux Viêt Nam, Népal et Pakistan et a commencé à installer des réseaux 5 G. Parmi les cinq grands centres de calculs à haute performance entrant dans les applications de l’intelligence artificielle à grande échelle, les deux premiers se trouvent aux Etats-Unis et les trois suivants en Chine…qui dépend des Etats-Unis pour la fourniture des indispensables puces électroniques.

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

 

 




Sécurité : indice mondial de la paix en hausse en 2018

Le niveau général de sécurité dans le monde s’est amélioré en 2018 mais reste encore inférieur à celui de 2008, selon le rapport annuel de l’Institut de Londres pour l’Economie et la Paix rendu public le 12 juin 2019.

Depuis 13 ans, l’institut détermine un indice mondial de la paix (IMP) composé de 23 critères qualitatifs et quantitatifs pour couvrir les conditions de vie de 99,7 % de la population mondiale. Même si 86 pays ont amélioré leur IMP, 77 ont vu le leur se détériorer. L’Islande reste en tête, devant la Nouvelle-Zélande, l’Autriche, le Portugal et le Danemark. L’Afghanistan se trouve à la dernière place, précédé de la Syrie qui l’occupait l’année précédente, du Soudan du Sud, du Yémen et de l’Irak.

Facteurs de conflictualité. Selon le rapport, le changement climatique peut à long terme augmenter indirectement les risques de conflits violents par ses conséquences sur la disponibilité des ressources, la sécurité de la vie quotidienne et les migrations. Plus de 10 % de la population de huit des 25 pays les moins en paix vit dans des zones hasardeuses, soit 103,7milions de personnes résidant au Soudan du Sud, en Irak, en Libye, en République démocratique du Congo, au Soudan, en Corée du Nord, au Nigeria et au Mexique. Au cours des dix dernières années, deux critères de l’IMP se sont détériorés, à savoir des baisses de 8,69 % quant aux conflits en cours et de 4,02 % en termes de sécurité et de sûreté. Le terrorisme a augmenté dans 104 pays mais a baissé dans 38. Le nombre de morts dans les guerres civiles a crû de 140 % entre 2006 et 2017. Contrairement à ce que perçoit l’opinion publique, la « militarisation » mondiale a baissé de 2,6 % depuis 2008. Ainsi, le nombre de personnels armés par 100.000 habitants a diminué dans 117 pays. En outre, 98 pays ont réduit leurs dépenses militaires en pourcentage de leur produit intérieur brut, contre 63 qui les ont augmentées.

Impact économique. Selon l’IMP, 400 millions de personnes vivent dans les pays les moins stables. L’insécurité a fait perdre plus de 14 milliards de milliards de dollars en 2018 à l’économie mondiale, soit 11,2 % du produit brut ou 1.853 $ par personne. Pourtant, l’impact économique de la violence a baissé de 3,3 % en 2018. Ainsi, le montant dû aux conflits armés a baissé de 29 % jusqu’à 672 Md$, en raison de la diminution de l’intensité des conflits internes en Syrie, Colombie et Ukraine. En outre, l’impact économique du terrorisme a baissé de 48 % pendant le même temps. Toutefois, l’effet de la violence se fait encore sentir sur la croissance mondiale. Il correspond à 35 %, en moyenne, du produit intérieur brut des 10 pays les plus touchés, contre 3,3 % de celui des pays qui le sont le moins. Mais, il atteint 67 % en Syrie, 47 % en Afghanistan et 42 % en République centrafricaine.

Disparités régionales. L’Europe reste la zone la plus en paix dans le monde avec un IMP amélioré pour 22 de ses 36 pays. Terrorisme, guerres internes et externes se poursuivent en Asie-Pacifique. Les détériorations de l’IMP l’ont emporté sur ses améliorations en Amérique centrale et dans les Caraïbes. En Amérique du Nord, il reste stable au Canada, mais chute aux Etats-Unis. En Russie et Eurasie, l’IMP reste inférieur à la moyenne mondiale. En Amérique du Sud, il s’est amélioré en Colombie, en Uruguay et au Chili, mais s’est détérioré au Venezuela et au Brésil. En Afrique sub-saharienne, il s’est détérioré dans 27 pays sur 44. En Asie du Sud, il s’est amélioré au Népal, au Pakistan et au Bhoutan, mais s’est détérioré en Afghanistan. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, il a connu une amélioration marginale grâce à 11 pays.

Loïc Salmon

Sécurité : la paix, une exception en construction permanente

La paix : ceux qui la font




Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique

Outre l’accroissement de son expansion commerciale par les « nouvelles routes de la soie » et de sa présence culturelle par les « instituts Confucius », la Chine perfectionne sa propagande pour améliorer son image dans le monde.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 4 avril 2019 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus : le général (2S) Jean-Vincent Brisset, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques ; Selma Mihoubi, doctorante en géopolitique à l’Institut de géographie, Sorbonne Université Paris IV.

Enjeux géopolitiques. Selon le général Brisset, le prestige historique et culturel d’un pays produit son rayonnement et son influence culturelle résulte de sa puissance politique et économique. Dans les années 1950, la Chine incluait la Mongolie, la péninsule coréenne, l’Asie du Sud-Est et le Bhoutan dans sa sphère d’influence. Aujourd’hui, elle y ajoute le Japon et les Philippines. Elle développe ses échanges commerciaux sur les cinq continents, mais consacre 61 % de ses investissements en Asie, contre 16 % en Amérique latine, 11 % en Europe, 5 % en Océanie, 4 % en Afrique et 3 % en Amérique du Nord. Sa stratégie commerciale du « collier de perles » des années 1990 s’est transformée en « nouvelles routes de la soie (voir encadré). Ses investissements en infrastructures induisent une dépendance financière, qui inquiète notamment la Malaisie et a suscité le refus du Viêt Nam de s’y associer. Ses instituts Confucius pour la diffusion de la langue chinoise (voir encadré) sont cofinancés à son avantage : pour 1€ investi chez lui, le pays partenaire doit fournir 1,65 €. La Chine envoie 45.000 étudiants en France, mais n’accueille que 10.000 étudiants français. Sur le plan politique, elle implante des consulats dans les pays à forte diaspora chinoise et envoie des délégations de haut niveau dans presque tous les pays d’Afrique. Sur le plan technique, ses participations aux comités et sous-comités de l’Organisation internationale de la normalisation (ISO en anglais) la placent en troisième position derrière la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Elle tente ainsi d’imposer ses normes, notamment celle de la « 5 G », cinquième génération de « technologie réseau mobile » sur internet. Les Jeux olympiques de 2008 et l’Exposition universelle de 2010 constituent pour elle une fierté et un retour éclatant sur la scène mondiale après les « traités inégaux » (1839-1864) et sa mise au ban des nations après la répression sanglante des manifestations de la place Tien An Men à Pékin (1989). Son influence se manifeste par les « effets de mode » (périodes d’intérêt puis de désintérêt), les relais des médias et des personnalités étrangères sinophiles (les « idiots utiles » théorisés par Lénine) et enfin les campagnes de publicité rédactionnelle. Ainsi, lors de la visite du président Xi Jinping en France (mars 2019), les nouvelles opportunités offertes par les transports chinois ont été vantées dans les quotidiens français pour 1 M€ la page : Le Parisien (1 page pleine), Les Echos (1 page), Le Monde (2 pages) et Le Figaro (7 pages).

« Soft power ». La Chine veut se présenter comme un pays du Sud, explique Selma Mihoubi. En 1965, Mao Tsé-Toung se définissait comme le meneur des peuples d’Asie et d’Afrique et prônait l’amitié sino-africaine. Aujourd’hui, la Chine a conclu des accords d’exploitation de leurs ressources avec les pays de la bande sahélo-saharienne, riches en uranium, pétrole, gaz, or, fer et cuivre. Outre des projets d’oléoducs à travers l’Algérie et le Nigeria, ses entreprises s’intéressent aux axes routiers Nord-Sud, entre l’Algérie, le Niger et le Nigeria, et Ouest-Est entre le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Soudan, l’Ethiopie et Djibouti. Elle améliore son image et rejoint les grandes puissances en matière de « soft power » ou pouvoir d’influence. L’idéologue Wang Huning l’a théorisé en 1993 : « Si un pays a une culture et une idéologie admirables, les autres pays auront tendance à le suivre. Il n’a pas besoin de faire usage d’un hard power (coercition) coûteux et moins efficace. » En 2007, le 17ème Congrès du Parti communiste chinois (PCC) inscrit le soft power dans son programme politique. Les radios internationales, outils diplomatique et culturel des puissances mondiales, répondent à des orientations stratégiques. Dès 1921, le Département de la propagande du comité central du PCC régit la censure des médias nationaux et internationaux, laquelle a été adoucie en 2001 avec l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce. Reconnue par le Mali dès 1960, la Chine y a installé deux antennes d’ondes courtes à longue portée géographique, relayées en 2008 par la modulation de fréquence (FM) d’excellente qualité, afin que sa chaîne Radio Chine Internationale (RCI) puisse couvrir tout le continent. En 2018, RCI dispose aussi de relais FM en Mauritanie (1), au Sénégal (4) et au Niger (4) et se trouve en concurrence avec le BBC Word Service britannique et Radio France Internationale. Contrairement à ceux de l’Agence France Presse et de l’agence britannique Reuters, les services de RCI et de l’agence de presse Xinhua sont offerts gratuitement aux médias locaux, qui les reprennent abondamment. Leurs contenus, souvent très anti-occidentaux, diffusent les communiqués du PCC et des pays partenaires pour promouvoir les activités chinoises en Afrique. La Chine a investi 6 Mds$ dans les pays francophones, en vue de donner sa vision du monde et de profiter de l’ambiguïté de leurs relations avec la France pour se présenter comme un acteur de leur développement, sans se mêler de leur politique intérieure. RCI diffuse des programmes en français, chinois et même en wolof avec des journalistes sénégalais. Toutefois, le taux d’audience réelle reste inconnu. Par ailleurs, la Chine a organisé à Pékin deux forums sino-africains en 2018 : l’un sur les médias et l’autre sur la défense et la sécurité. En effet, pour elle, les opérations de maintien de la paix font partie du soft power. Enfin, les diplomates africains en visite en Chine défendent sa politique expansionniste en mer de Chine…au cours d’interviews par RCI et Xinhua !

Loïc Salmon

Créé en 2004 sous l’autorité du Bureau national pour l’enseignement du chinois langue étrangère, le réseau Confucius est passé de 358 instituts dans 105 pays en 2011 à 525 instituts et 1.113 classes dans 146 pays fin 2018. Il emploie 46.000 personnes et dispose d’un budget de 255 M€. Résurgence des anciennes routes de la soie (- 2000 à 1400) entre la Chine et l’Europe, les nouvelles suivent deux routes. La voie terrestre va de Pékin à Xi’an, Urumqi et Horgos pour se séparer en deux à Almaty (Kazakhstan). La route du Nord passe par Astana (Kazakhstan), Moscou (Russie), Duisbourg (Allemagne) pour arriver à Rotterdam (Pays-Bas). Celle du Sud passe par Douchanbé (Tadjikistan), Téhéran (Iran), Istanbul (Turquie) et se termine à Rotterdam. La voie maritime part de Tianjin vers Shanghai, Zhanjiang, Singapour avec une bifurcation vers Djakarta (Indonésie) et une autre vers Kuala Lumpur (Malaisie), Calcutta (Inde), Colombo (Sri Lanka), Nairobi (Kenya), Djibouti, Port-Saïd (Egypte), Le Pirée (Grèce), Venise (Italie) et bientôt Trieste ou Gênes (Italie). Elle redevient terrestre jusqu’à Rotterdam.

Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

Géopolitique : recomposition de l’ordre mondial et émergence de nouvelles puissances

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

 




Violence et passions

La violence interdit le débat, divise la société et attise la haine, mettant en péril la démocratie. La mort des idéologies a ressuscité le nationalisme et le fanatisme religieux.

Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, la guerre devient hybride, à la fois intérieure et extérieure, civile et militaire, régulière et irrégulière. La violence s’appuie sur : le réveil des sentiments identitaires ; l’exaltation de la guerre sainte par le fondamentalisme islamique ; la volonté de revanche des pays du Sud stimulés par leur décollage économique. L’humanité se concentre dans les mégalopoles, à proximité des côtes, dans un « réseau de villes-monde » entre Los Angeles, San Francisco et New York, Londres et Berlin, Dubaï, Singapour, Hongkong et Shanghai et bientôt Sao Paulo et Mexico, Lagos et Le Caire, Istanbul ou Djakarta. Ces métropoles accumulent talents, capitaux et richesses, face aux régions qui s’enfoncent dans misère, désertification et violence. Conflits armés, absence de développement et changement climatique alimentent des flux de réfugiés et de migrants vers l’Europe. Ces évolutions du monde ont conduit aux « démocratures », théorisées après la chute du mur de Berlin (1989). Celles-ci se caractérisent par le culte de l’homme fort, un populisme virulent et le contrôle de l’économie et de la société. Adossée au suffrage universel manipulé par une propagande, relayée par les médias et réseaux sociaux, cette suprématie de la « démocratie non libérale » se manifeste dans la Russie de Vladimir Poutine, la Chine de Xi Jinping, la Turquie néo-ottomane de Recep Erdogan, l’Egypte du maréchal Al-Sissi, les Philippines de Rodrigo Duerte, le Venezuela chaviste, la Hongrie de Viktor Orban et la Pologne des frères Kaczynski. Nationalisme, protectionnisme, xénophobie et racisme prospèrent aussi aux Etats-Unis. Avec 1,5 million de victimes depuis 1968, les armes à feu y ont causé plus de morts que l’ensemble des conflits entrepris depuis la guerre d’indépendance (1775-1783). En outre, la dynamique guerrière du djihad et des « démocratures » se traduit dans les dépenses militaires qui totalisent environ 1.700 Mds$, soit 2,3 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, et qui augmentent de 5-10 %/an. Les Etats-Unis vont porter leur budget militaire à 700 Mds$. La Chine a augmenté le sien de 132 % en 10 ans, jusqu’à 4 % de son PIB. La Russie l’a triplé en 15 ans jusqu’à 3,7 % de son PIB. Son intervention en Syrie lui permet de tester ses nouveaux équipements et armements et de montrer sa capacité à conduire des opérations complexes. Pour sa défense, l’Asie dépense 100 Mds$ de plus que l’Union européenne, qui y consacre 220 Mds$. Par ailleurs, les institutions internationales, à savoir, ONU, Fonds monétaire international, Banque mondiale et Organisation mondiale du commerce, subissent les feux croisés des Etats-Unis et des « démocratures ». Le projet chinois des « nouvelles routes de la soie » vise à : contrôler les réseaux vitaux de la mondialisation ; écouler les excédents chinois d’acier, d’aluminium et de ciment ; créer des débouchés pour les exportations ; garantir l’accès aux matières premières et sources d’énergie ; instaurer une dépendance par la dette ; diffuser le modèle « total-capitaliste » chinois. Toutefois, l’Union européenne a compris qu’elle ne peut plus sous-traiter sa sécurité aux Etats-Unis. Les démocraties redécouvrent que la sécurité et la liberté, comme la prospérité, se conquièrent.

Loïc Salmon

« Violence et passions », par Nicolas Baverez. Éditions de l’Observatoire, 132 pages. 15 €

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région




Sécurité : corruption et évasion fiscale, conséquences lourdes

Elément à part entière des relations économiques locales et internationales, l’argent « sale », issu de la corruption ou de l’évitement de l’impôt, sert à financer le terrorisme et les activités criminelles.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 20 mars 2018 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : le magistrat Eric Alt, vice-président de l’association Anticor ; Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS et co-auteure du livre « Argent sale. A qui profite le crime ? » ; Eric Vernier, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste du blanchiment de capitaux.

Complexification croissante. La définition de l’argent « sale » varie, car, même gagné de façon légale, il peut être considéré comme « noir » ou « gris » selon les pays et les époques, explique Carole Gomez. Cela permet de dissimuler l’origine des fonds à réinjecter dans les circuits économiques licites (blanchiment). Depuis l’Antiquité, les pouvoirs publics veulent gommer l’origine peu recommandable de certains fonds, afin de les faire rentrer dans les caisses de l’Etat. Ainsi, l’empereur romain Vespasien (9-79 après JC) avait taxé la collecte d’urine, qui servait à fixer la peinture. A son fils, le futur empereur Titus, qui s’en étonnait, il avait répondu : « L’argent n’a pas d’odeur ». Au Moyen-Age et à la Renaissance, les dirigeants politiques ont tenté de lutter contre la corruption, sans grand succès. Au XXème siècle et jusque dans les années 1990, les pots-de-vin versés pour emporter un marché étaient déductibles du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. L’argent sale provient des partis politiques, des groupes criminels, de la contrefaçon ou de trafics divers (drogue, prostitution et racket) pour alimenter des activités illégales. Transparency International, organisation non gouvernementale allemande anti-corruption étatique, établit des classements par pays mais selon des critères peu pertinents, précise Carole Gomez. Ainsi, certains pays comme le Soudan et la Syrie sont toujours mal traités et d’autres très bien, comme les pays scandinaves…dont certaines personnalités politiques ont pourtant placé des fonds dans les paradis fiscaux ! Ces derniers, qui permettent d’échapper à l’impôt, déresponsabilisent les particuliers qui en ignorent les dangers sous-jacents. Les flux d’argent sale se sont accrus avec la mondialisation et le développement de la technologie : la « crypto-monnaie » (argent électronique) a vu le jour en 1997. Les Etats et organisations internationales se sont rendus compte du danger, mais avec retard. Par ailleurs, les média renforcent l’idée de l’augmentation des flux en jeu. Toutefois, la crise économique persistante a rendu la société civile moins tolérante. La connaissance approfondie de ses mécanismes constitue un outil efficace contre l’argent sale. Mais les mesures de prévention et les actions des « lanceurs d’alerte » auront toujours un temps de retard.

Du « sale » au « propre ». Le blanchiment d’argent n’est jamais abordé dans les réunions du G-20 (19 pays et l’Union européenne), souligne Eric Vernier. L’argent du crime est estimé à 2.000 Mds$, soit autant que le produit intérieur brut du continent africain, et dont la moitié passe par les circuits bancaires. Le GAFI (Groupe d’action financière contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) établit une liste de pays non coopératifs, mais qui se vide au cours des années et n’inquiète guère la Russie, la Chine, Israël, le Liban, Singapour, Hong Kong ou l’Etat américain du Delaware. Selon des organisations non gouvernementales (ONG), seulement 1 % des avoirs des anciens dictateurs est retrouvé. Ainsi, des avocats recherchant ceux du colonel Kadhafi après sa chute (2011) en ont trouvé 800 M$ dans une banque sud-africaine. Les paradis fiscaux ne profitent qu’aux non-résidents, la France en étant un pour les riches Qataris, estime Eric Vernier. Les ONG spécialisées en dénombrent une soixantaine dans le monde. L’Union européenne (UE) a établi une liste de 17 pays, réduite à 7 après la publication des « Panama Papers » en avril 2016. Cette liste exclut une vingtaine d’Etats européens, dont les Pays-Bas, Malte, Chypre, Gibraltar, la Belgique et la Suisse. Les pays en développement qui acceptent des entreprises multinationales chez eux n’y figurent pas. Depuis, des sociétés extraterritoriales et tout à fait légales sont parvenues à des « arrangements ». Ainsi la société suisse de services financiers UBS a payé 2 Mds$ pour éviter une enquête sur le blanchiment d’argent. La Suisse doit donner les noms de 40.000 clients à la France…qui ne les réclame pas. Barons de la drogue d de la Colombie et du Mexique, hommes politiques et chefs d’entreprises de divers pays ont bénéficié des mêmes montages et avantages financiers. La publication des « Paradise Papers » (novembre 2017) a mis au jour un véritable « système de fraude fiscale », souligne Eric Vernier. Par exemple, un sportif français de haut niveau peut acheter légalement un bateau à Malte sans avoir à payer la taxe à la valeur ajoutée en France. Grâce à des montages sophistiqués, une société française, ayant pignon sur rue, aide des petites entreprises de commerçants ou d’artisans à s’installer en Grande-Bretagne pour éviter l’impôt. Dans le même but, l’agence de location de logements AirBnB propose à des particuliers d’ouvrir un « compte parabancaire » (non soumis aux obligations des banques) à Gibraltar, lequel ne sera pas déclaré aux autorités françaises. Les locations à Paris atteignent plusieurs centaines de millions d’euros par an. Selon Eric Vernier, les nouvelles technologies permettent aux marchés financiers supranationaux d’augmenter les fraudes, mais aussi de lutter contre.

Riposte possible. Au sein même de l’UE, certains Etats proposent des « optimisations fiscales » aux ressortissants des autres pays membres, rappelle Eric Alt. Toutefois, la coopération entre société civile et législateur a conduit à une loi sur la vigilance des sociétés mères et de leurs filiales. Des ONG comme Transparency International, Sherpa et Anticor ont obtenu l’agrément de se porter partie civile. Enfin, le parquet financier compte des personnalités qui prennent des décisions courageuses, conclut Eric Alt.

Loïc Salmon

Le service de renseignement « Tracfin » dépend du ministère des Finances. La cellule d’analyse stratégique exploite les informations disponibles, en vue d’identifier les tendances en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. Le département d’analyse, du renseignement et de l’information suit les déclarations relatives au soupçon et assure les relations internationales. Le département des enquêtes effectue les investigations approfondies sur tous les types de blanchiment. Le pôle juridique et judiciaire remplit des missions d’expertise et de conseil pour caractériser des faits susceptibles de constituer une infraction. Il travaille en liaison avec la Police nationale, la Gendarmerie nationale et l’Office de répression de la grande délinquance financière. La mission des systèmes d’information s’occupe du fonctionnement et de l’évolution des moyens informatiques de Tracfin.

Sécurité : la contrefaçon et ses conséquences économiques, sanitaires et criminelles

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Mexique : ambition économique mais violence récurrente

Très dépendant des Etats-Unis, le Mexique souhaite devenir la 6ème puissance économique mondiale, mais ne parvient pas à réduire une corruption endémique et une insécurité croissante.

Un groupe d’auditeurs de l’Association des auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale s’est rendu sur place du 19 au 30 janvier 2018 et y a rencontré des responsables officiels et d’organisations non gouvernementales.

Les atouts économiques. Deuxième économie d’Amérique latine et quinzième dans le monde, le Mexique dispose d’un vaste marché intérieur. La croissance économique, solide et continue, de ces dernières années lui a permis de passer de la mono exportation de matières premières, surtout de pétrole, à la fabrication de produits à haute valeur ajoutée, notamment dans le secteur automobile. Quoique son économie soit fortement liée à celle des Etats-Unis, le Mexique compte le Canada et la Chine comme principaux clients et le Japon et la Chine comme principaux fournisseurs. Membre du GATT (1986), de l’ALENA (1994) et de l’OCDE (1994), il a conclu 45 accords de de libre-échange. Sur le plan régional, il en négocie un avec le Brésil et l’Argentine. Avec le Chili, la Colombie et le Pérou, il a constitué « l’Alliance du Pacifique » (Panama et Costa Rica observateurs) pour contrebalancer le « Mercosur », qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay (Mexique observateur). En mars 2018, il a signé le nouveau « Partenariat Trans-Pacifique », dont les Etats-Unis se sont déjà retirés. Cet accord implique dix autres pays : Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Viêt Nam. Enfin, le Mexique et l’Union européenne ont signé, en avril 2018, un « accord de principe » pour moderniser et élargir le traité de libre-échange de 2000.

Le « grand voisin » nord-américain

Les relations avec les Etats-Unis, toujours ambigües, se caractérisent par une interdépendance indéniable et un pragmatisme nécessaire. Les Etats-Unis restent un partenaire obligé, tant sur le plan commercial que social, mais difficile en raison du contexte historique et de la politique de l’administration Trump. Parmi les 55 millions de Latino-Américains résidant aux Etats-Unis, figurent 30-35 millions de Mexicains. En 2015, les transferts de devises des migrants mexicains auraient été supérieurs aux revenus du pétrole. Le Consulat général américain de Monterrey délivre le plus grand nombre de visas de travail : 500.000 chaque année ! Les Etats-Unis sont certes consommateurs des drogues qui transitent par le Mexique, « entretenant » ainsi les trafics. Mais ils sont aussi les principaux pourvoyeurs d’armes au Mexique qui alimentent une violence déjà très forte. Il existe 9.000 points de vente d’armes à la frontière du Texas. Les migrants qui se rendent, illégalement, aux Etats-Unis seraient surtout des ressortissants d’Amérique centrale (Honduras, Guatemala et Salvador) et d’Amérique du Sud en transit par le Mexique, par l’entremise de cartels de « passeurs ». Le Mexique ne pourra résoudre seul ce problème et aura besoin de la coopération des Etats-Unis. Malgré les vicissitudes et difficultés actuelles, 120 ans de relations bilatérales ne peuvent cesser brutalement. Les 3.200 km de frontière commune ont forgé des liens forts et une longue histoire d’échanges, plus que de séparation et d’opposition. En outre, la situation sécuritaire ne pourra s’améliorer si les relations économiques se détériorent.

La sécurité en question. Les autorités mexicaines reconnaissent l’insécurité générale dans le pays. Toutefois, les résultats de la lutte contre la violence semblent surestimés au regard des chiffres rendus publics, notamment par les organisations non gouvernementales (ONG). Le discours officiel, très mesuré, reconnaît, certes, une violence liée à la drogue et aux trafics divers, mais la relativise pour la mettre en parallèle avec la violence ordinaire. La corruption est endémique, condamnée et dénoncée, mais ne semble pas vraiment combattue. Généralisée, notamment dans la police et la justice, elle profite de l’impunité. Ainsi, 70-80 % de la population admet avoir dû payer un « pot de vin » en 2016. Cela induit un manque de confiance dans les institutions et dans les partis politiques : ainsi 97% des victimes de crimes et délits ne porteraient pas plainte… Selon certaines ONG, le niveau d’insécurité au Mexique correspond à celui d’un pays en guerre. Cependant la lutte menée par les gouvernements fédéraux successifs, depuis le début des années 2000, n’a pas éradiqué la violence, mais ne semble pas non plus soutenue par toutes les composantes de la classe politique. Les controverses au sujet de la loi sur la sécurité intérieure, votée en décembre 2017, font apparaître les contraintes posées par le régime fédéral du pays et amènent à s’interroger sur ce qui fait finalement l’unité du Mexique. Les deux ministères en charge de la « Défense », à savoir le secrétariat à la Défense (armées de Terre et de l’Air) et le secrétariat à la Marine, jouent sans doute un rôle politique stabilisateur et fédérateur non négligeable. Mais certains s’interrogent sur la compatibilité de cette loi avec la constitution, dont l’article 21 affirme la séparation des pouvoirs et la seule responsabilité du pouvoir civil en matière de sécurité intérieure. La question se pose de savoir si ces dispositions, destinées à faire obstacle aux « pronunciamentos » (putschs ou coups d’Etat militaires) fréquents en Amérique latine, sont applicables dans les cas de « circonstances exceptionnelles », où la sécurité publique et la sécurité intérieure sont menacées. Le développement économique du Mexique, quoique patent depuis plusieurs années, ne profite pas à tous. Le grand défi à relever reste le partage équitable des richesses.

Hélène Mazeran

 Les relations entre la France et le Mexique, liées à l’émigration française au XIXème siècle, sont aujourd’hui confortées par un partenariat stratégique. Lors de sa visite en novembre 2017, le ministre français des Affaires étrangères, a proposé une évolution du statut de « partenaire » à celui « d’allié » et le président de la République est attendu au Mexique en 2019. En outre, la France et le Mexique ont des approches communes au sein des instances multilatérales, en matière de gouvernance mondiale et de maintien de la paix. Le Mexique développe sa participation aux opérations de maintien de la paix en coordination avec la France. Il s’intéresse aussi à l’OTAN en tant qu’observateur. Enfin, sur le plan économique, la relation du Mexique avec la France, bien que de second rang derrière les Etats-Unis, devrait pouvoir se développer avec notamment la présence de 500 grands groupes français et des opportunités pour les petites et moyennes entreprises.

 




Armée de l’Air : « Pégase 2018 », projection lointaine dans le Pacifique

La mission de projection de puissance aérienne « Pégase 2018 » (19 août-4 septembre), en Asie du Sud et du Sud-Est, vise à maintenir les aviateurs expérimentés en condition opérationnelle et à entraîner les jeunes dans un dispositif complexe.

Le général de corps aérien (2S) Patrick Charaix, qui la conduit, l’a présentée à la presse le 7 juin 2018 à Paris. En effet, les officiers généraux en 2ème section peuvent être rappelés pour une mission ponctuelle, en fonction de leurs compétences et de leur disponibilité.

Projection d’envergure. Pégase 2018 consiste à ramener, d’Australie en France, des moyens aériens composés de : 90 aviateurs ; 3 Rafale B ; 1 ravitailleur C135FR sur certaines étapes ; 1 avion de transport tactique A400M ; 1 avion multi-rôles A310 ; 40 t et 190 m3 de lot technique et de fret. Ces moyens avaient été envoyés en Australie pour participer à l’exercice « Pitch Black » (présenté plus loin). Pégase 2018 montre que l’armée de l’Air peut déplacer un dispositif contraignant et contribuer à valoriser l’industrie aéronautique de défense de la France et à renforcer sa présence dans cette zone d’intérêt stratégique, explique le général Charaix. Les escales permettent de développer l’interopérabilité avec les forces aériennes des partenaires régionaux, à savoir l’Australie, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et l’Inde. Le dispositif aérien, gardé aux escales par des fusiliers-commandos de l’Air, atterrit sur des terrains peu connus et ne peut se permettre une panne de plus de 24 heures, d’où l’importance de l’A400M pour le transport logistique. Les coopérations locales facilitent, le cas échéant, les opérations de recherche et de sauvetage. Par ailleurs, l’armée de l’Air dispose de moyens prépositionnés en permanence dans la zone Indo-Pacifique : détachement air 181 avec des avions de transport tactiques Casa CN-235 de l’ET 50 « Réunion » à La Réunion ; base aérienne 188 avec les Mirage 2000-5 de l’EC 3/11 « Corse » et les avions de transport tactique C160 Transall et hélicoptères Puma de l’ET 88 « Larzac » à Djibouti ; base aérienne 104 avec les Rafale de l’EC 1/7 « Provence » à Al Dhafra aux Emirats arabes unis ; base aérienne 186 avec les Puma et Casa CN235  de l’ET 52 « Tontouta » à Nouméa en Nouvelle-Calédonie ; détachement air 190 avec les Casa CN235 de l’ET 82 « Maine » à Tahiti en Polynésie française.

« Pitch Black ». Les 3 Rafale, l’A400M et le C135FR sont partis de France le 20 juillet pour atteindre les Emirats arabes unis. Ensuite, un avion MRTT australien a ravitaillé les Rafale et l’A400M jusqu’à Singapour. Finalement, le groupe aérien a atterri en Australie, où les a rejoints un Casa CN235 venu de Nouvelle-Calédonie, pour participer à l’exercice biennal « Pitch Black ». Du 27 juillet au 17 août, les bases aériennes de Darwin et Tindal ont accueilli 140 aéronefs de 16 pays : pays régionaux déjà cités ; Allemagne ; Canada ; Corée du Sud ; Japon ; Nouvelle-Zélande ; Pays-Bas ; Philippines ; Suède ; Thaïlande ; Etats-Unis. Les équipages se sont entraînés à la mission d’entrée en premier sur un théâtre face à un Etat-puissance, dans un environnement tactique non permissif et réaliste. « Pitch Black » a consisté à planifier, exécuter et débriefer des missions complexes. Il a mis en œuvre un avion d’alerte avancée AWACS et a inclus ravitaillements en vol, aérolargages, leurres, équipements infrarouges et bombardements réels. Les manœuvres ont été mémorisées à bord des avions pour faire « rejouer » les participants au retour. Enfin, les pilotes ont pu échanger leurs retours d’expériences (Mali pour les Français).

Loïc Salmon

Marine nationale : « Jeanne d’Arc 2018 », missions opérationnelles et de formation

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité




Marine nationale : les enjeux de la Nouvelle-Calédonie

L’action de l’Etat au large de la Nouvelle-Calédonie, qui mobilise des moyens aériens et navals, exprime la souveraineté de la France. Elle nécessite une coopération avec les pays voisins, notamment contre les bateaux de pêche étrangers en situation irrégulière.

Le capitaine de vaisseau Jean-Louis Fournier, commandant de la zone maritime de Nouvelle-Calédonie (ZMNC), l’a expliqué à la presse le 21 juin 2018 à Paris. Conseiller du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, il est aussi « adjoint mer » du commandant des Forces armées de Nouvelle-Calédonie dans leur zone de responsabilité permanente.

L’action de l’Etat en mer. La ZMNC couvre le quart de la surface du globe. En raison de son insularité généralisée, un trajet de 3 heures de vol correspond à 3 jours de mer. La zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie s’étend sur 1,6 Mkm2 et celle de Wallis et Futuna sur 265.000 km2. Les forces armées contribuent à l’action de l’Etat en mer pour faire respecter les lois dans les eaux sous souveraineté française, à savoir la protection de l’environnement, la sauvegarde des personnes et des biens et la lutte contre les trafics illicites. Cela implique de savoir ce qui s’y passe, de travailler en interministériel et d’agir à la hauteur de la menace. En conséquence, il faut adapter le dispositif d’intervention, concentrer des moyens aéromaritimes et coordonner l’intervention en mer avec des capacités de traitement à terre. La sécurité maritime régionale est assurée par une organisation quadrilatérale regroupant les Etats-Unis, la France, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette dernière va fournir des patrouilleurs et des avions de surveillance maritime aux petits pays du Pacifique-Sud, à savoir les îles Salomon, Vanuatu et Fidji. En outre, les forces armées françaises ont noué des partenariats internationaux avec leurs homologues australiennes et néo-zélandaises (Accord FRANZ) ou travaillent dans le cadre d’organisations internationales comme la Pacific Islands Forum Fishheries Agency.

 « Uatio ». L’opération « Uatio » en ZMNC vise à préserver la filière pêche locale, faire respecter la réglementation pour la protection de la richesse halieutique et mettre un terme aux pêches illicites. Sa 10ème édition s’est déroulée, du 27 novembre au 5 décembre 2017. Des bateaux de pêche vietnamiens de 25 m de long, peints en bleu, effectuent 30 à 40 jours de navigation pour récupérer, au fond de la mer, des « holothuries » (concombres de mer) mettant ainsi en péril l’écosystème. Animal marin, au corps mou et doté de tentacules autour de la bouche, l’holothurie se vend 1.000 $ le kg sur le marché chinois. En coopération interministérielle, Uatio 10, véritable opération militaire, a mobilisé un avion de surveillance maritime Gardian, pour détecter deux bateaux bleus, la frégate Vendémiaire et la vedette côtière Dumbéa pour les intercepter et les accompagner à Nouméa. Il s’agit de supprimer toute rentabilité aux incursions : confiscation de la pêche estimée à 140.000 $ ; condamnation immédiate des capitaines à des peines de prison ferme ; renvoi des équipages au Viêt Nam ; déconstruction des bateaux dans un chantier de Nouméa, qui emploie des jeunes Néo-Calédoniens. Les 70 données d’Uatio 10 ont été envoyées au Secrétariat général de la mer, rattaché au Premier ministre, afin que le ministère des Affaires étrangères adresse une protestation officielle au Viêt Nam et un « carton jaune » (blâme) à l’Union européenne, qui revend les holothuries pêchées par les bateaux bleus.

Loïc Salmon

Marine nationale : la police en mer, agir au bon moment et au bon endroit

Asie-Pacifique : zone d’intérêt stratégique pour la France