Armée de l’Air : « Pégase 2018 », projection lointaine dans le Pacifique

La mission de projection de puissance aérienne « Pégase 2018 » (19 août-4 septembre), en Asie du Sud et du Sud-Est, vise à maintenir les aviateurs expérimentés en condition opérationnelle et à entraîner les jeunes dans un dispositif complexe.

Le général de corps aérien (2S) Patrick Charaix, qui la conduit, l’a présentée à la presse le 7 juin 2018 à Paris. En effet, les officiers généraux en 2ème section peuvent être rappelés pour une mission ponctuelle, en fonction de leurs compétences et de leur disponibilité.

Projection d’envergure. Pégase 2018 consiste à ramener, d’Australie en France, des moyens aériens composés de : 90 aviateurs ; 3 Rafale B ; 1 ravitailleur C135FR sur certaines étapes ; 1 avion de transport tactique A400M ; 1 avion multi-rôles A310 ; 40 t et 190 m3 de lot technique et de fret. Ces moyens avaient été envoyés en Australie pour participer à l’exercice « Pitch Black » (présenté plus loin). Pégase 2018 montre que l’armée de l’Air peut déplacer un dispositif contraignant et contribuer à valoriser l’industrie aéronautique de défense de la France et à renforcer sa présence dans cette zone d’intérêt stratégique, explique le général Charaix. Les escales permettent de développer l’interopérabilité avec les forces aériennes des partenaires régionaux, à savoir l’Australie, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et l’Inde. Le dispositif aérien, gardé aux escales par des fusiliers-commandos de l’Air, atterrit sur des terrains peu connus et ne peut se permettre une panne de plus de 24 heures, d’où l’importance de l’A400M pour le transport logistique. Les coopérations locales facilitent, le cas échéant, les opérations de recherche et de sauvetage. Par ailleurs, l’armée de l’Air dispose de moyens prépositionnés en permanence dans la zone Indo-Pacifique : détachement air 181 avec des avions de transport tactiques Casa CN-235 de l’ET 50 « Réunion » à La Réunion ; base aérienne 188 avec les Mirage 2000-5 de l’EC 3/11 « Corse » et les avions de transport tactique C160 Transall et hélicoptères Puma de l’ET 88 « Larzac » à Djibouti ; base aérienne 104 avec les Rafale de l’EC 1/7 « Provence » à Al Dhafra aux Emirats arabes unis ; base aérienne 186 avec les Puma et Casa CN235  de l’ET 52 « Tontouta » à Nouméa en Nouvelle-Calédonie ; détachement air 190 avec les Casa CN235 de l’ET 82 « Maine » à Tahiti en Polynésie française.

« Pitch Black ». Les 3 Rafale, l’A400M et le C135FR sont partis de France le 20 juillet pour atteindre les Emirats arabes unis. Ensuite, un avion MRTT australien a ravitaillé les Rafale et l’A400M jusqu’à Singapour. Finalement, le groupe aérien a atterri en Australie, où les a rejoints un Casa CN235 venu de Nouvelle-Calédonie, pour participer à l’exercice biennal « Pitch Black ». Du 27 juillet au 17 août, les bases aériennes de Darwin et Tindal ont accueilli 140 aéronefs de 16 pays : pays régionaux déjà cités ; Allemagne ; Canada ; Corée du Sud ; Japon ; Nouvelle-Zélande ; Pays-Bas ; Philippines ; Suède ; Thaïlande ; Etats-Unis. Les équipages se sont entraînés à la mission d’entrée en premier sur un théâtre face à un Etat-puissance, dans un environnement tactique non permissif et réaliste. « Pitch Black » a consisté à planifier, exécuter et débriefer des missions complexes. Il a mis en œuvre un avion d’alerte avancée AWACS et a inclus ravitaillements en vol, aérolargages, leurres, équipements infrarouges et bombardements réels. Les manœuvres ont été mémorisées à bord des avions pour faire « rejouer » les participants au retour. Enfin, les pilotes ont pu échanger leurs retours d’expériences (Mali pour les Français).

Loïc Salmon

Marine nationale : « Jeanne d’Arc 2018 », missions opérationnelles et de formation

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité




Marine nationale : « Jeanne d’Arc 2018 », missions opérationnelles et de formation

Outre son volet « entraînement », le voyage annuel du Groupe école d’application des officiers de marine (GEAOM), dit « Mission Jeanne d’Arc », constitue un outil de connaissance et d’anticipation et un ensemble de moyens visibles pour intervenir loin.

Le GEAOM est déployé du 26 février au 20 juillet 2018 dans le Sud de la Méditerranée, la mer Rouge et les océans Indien et Pacifique. Il compte le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude, la frégate Surcouf et 5 hélicoptères (1 Alouette III Marine, 2 Gazelle de l’armée de Terre et 2 Wildcat de la Marine britannique). Son commandant, le capitaine de vaisseau Jean Porcher, s’est entretenu avec la presse, le 7 juin à Paris, en visioconférence à bord du BPC.

Les opérations. Le déploiement dans des zones d’intérêt stratégique pour la France permet un soutien naval à sa diplomatie, une interopérabilité militaire et une coopération internationale pour conduire une action militaire de haute intensité ou une opération de gestion de crise humanitaire. La préparation opérationnelle a inclus un exercice amphibie en Corse en février, puis des entraînements avec les forces maritimes libanaise, israélienne et égyptienne. En mars, l’exercice amphibie majeur « Wakri 18 » a mobilisé 300 militaires du 3ème Régiment d’infanterie de marine et du 5ème Régiment interarmes d’outre-mer, les moyens interarmées des forces françaises stationnées à Djibouti et 45 « marines » américains. En mai, le GEAOM a participé à l’exercice de soutien humanitaire « Komodo 2018 », qui a nécessité 35 navires et 27 aéronefs de 42 autres pays au large de l’île indonésienne de Lombok. En outre, il s’est entraîné avec les Marines de l’Inde, de Malaisie, de l’Indonésie, de Singapour, du Viêt Nam et de l’Australie, partenaires stratégiques de la France. En effet, environ 1,5 million de ressortissants des départements et territoires d’outre-mer et 200.000 expatriés résident dans la zone Indo-Pacifique. Les escales, équilibrées avec les différents pays de la zone, sont préparées en amont par la Direction des relations internationales et de la stratégie. En tant que membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, la France contribue au respect de la liberté de navigation en mer de Chine méridionale. La « Mission Jeanne d’Arc » s’y est rendue en mai, avec des observateurs européens (militaires, réservistes et universitaires) pour montrer ce qui s’y passe et comment elle agit. Elle a patrouillé autour des atolls et îlots artificiels, où la Chine construit des ports et des aéroports, et y a recueilli des renseignements par radar, photos, caméras, drones et hélicoptères. Les échanges, courtois, avec les navires chinois, se sont faits selon le code de communication « Q », commun à 11 pays asiatiques, pour éviter toute incompréhension fâcheuse.

La formation « in situ ». Le GEAOM embarque 131 officiers-élèves, 35 cadres, 60 stagiaires (administrateurs des Affaires maritimes, médecins, sous-lieutenants de Saint-Cyr Coëtquidan, ingénieurs de l’armement et élèves de l’EDHEC), 25 marins de la flottille amphibie, 21 fusiliers marins, 7 membres du détachement drone, 9 commissaires « Marine », 10 officiers étrangers et 36 marins britanniques (pilotes d’hélicoptères, techniciens et soutien). Les missions de ces derniers portent sur le renforcement de la capacité « porte-hélicoptères d’assaut » du BPC et le partage de savoir-faire amphibie, pour intensifier l’intégration des forces armées franco-britanniques.

Loïc Salmon

L’océan Indien : espace sous tension

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer




Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Face à la montée en puissance des États-Unis en Asie-Pacifique, la Chine compte sur sa puissance économique pour s’imposer aux pays riverains. Mais ceux-ci sont passés de la dépendance des deux « Grands » à leur mise en concurrence, renforçant ainsi l’ambiguïté stratégique de la zone.

Cette situation a fait l’objet d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y ont notamment participé Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Delphine Allès, professeur en sciences politiques à l’université de Paris-Est (Créteil).

Vision chinoise. La zone Asie-Pacifique se caractérise par son dynamisme et sa stabilité, contrairement au Moyen-Orient, sujet à une violence chronique, ou l’Europe, atteinte par la crise économique et financière de 2008, souligne Valérie Niquet. Le nouvel intérêt de Washington pour l’Asie, inquiète Pékin, d’autant plus qu’après sa réélection en 2012, le président Barack Obama a préféré se rendre d’abord, non pas en Chine, mais au Japon, en Corée du Sud et même au Myanmar, sphère d’influence de la Chine. Depuis l’arrivée au pouvoir du président chinois Xi Jinping la même année, les tensions se sont aggravées avec le Japon, les Philippines et le Viêt Nam. Elles font partie d’une affirmation de puissance du pays définie par le Parti communiste chinois, consécutive à une analyse des rapports de forces avec les autres pôles de puissance (États-Unis, Union européenne et Russie) et à une volonté de stabilité interne, en raison des failles du régime (inégalités et troubles sociaux). Selon Valérie Niquet, la Chine tente de rassurer ses interlocuteurs sur sa volonté de prolonger cette période d’opportunités et de paix dans la zone Asie-Pacifique, qui a assuré sa montée en puissance : interdépendance des relations économiques avec les Etats-Unis ; maintien de la stabilité en Asie par son influence sur la Corée du Nord. Mais, en même temps, Pékin affirme la défense de ses intérêts vitaux, non négociables, en mer de Chine méridionale et poursuit le « rêve chinois » d’occuper, comme du temps de l’empire, le « centre » de l’Asie… pour assurer la survie du régime communiste ! Les analystes chinois estiment que la fin de la guerre froide (1947-1989) a coïncidé en Asie avec une augmentation des tensions et même des risques de guerre. Ils dénoncent le renforcement de l’appareil de défense du Japon, l’augmentation des missions d’observation militaire des États-Unis en mer de Chine et le déploiement de bâtiments militaires des Philippines, alors que la Chine n’y envoie que des unités de garde-côtes « civils ». Malgré un climat de défiance, le partenariat avec la Russie est considéré comme stratégique, comme le montre le contrat signé le 21 mai 2014 portant sur la fourniture de gaz russe pendant 30 ans.

Vision du Sud-Est asiatique. Le retour périodique des différends territoriaux constitue une source de tensions récurrentes, explique Delphine Allès.  Ainsi, la Thaïlande et le Cambodge se disputent un territoire frontalier où se trouve le temple de Preah Vihear, classé par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité et donc susceptible d’y attirer le tourisme. En outre, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Myanmar font face à des contestations séparatistes, dues à l’héritage territorial des anciens empires, à la centralisation des États modernes et à la volonté de contrôle des ressources naturelles locales. Par ailleurs, les incidents de frontières maritimes résultent de la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Au-delà des 12 milles des eaux territoriales, le partage se complique lorsque le plateau continental d’un pays déborde de sa ZEE. En outre, Pékin considère la mer de Chine méridionale comme partie intégrante de ses eaux territoriales. Sont alors contestées les îles inhabitées qui s’y trouvent : Paracels, Spratleys et le récif de Scarborough. Or, dans ces zones, le volume des réserves d’hydrocarbures est peu prouvé et les ressources halieutiques se révèlent modérément élevées. De plus, leur intérêt purement stratégique reste limité. D’abord, ces îles sont trop petites pour y construire des installations militaires. Ensuite, les États riverains peuvent les menacer par des missiles. Enfin, un sous-marin, caché à proximité, peut en interdire l’accès aux bâtiments de surface. Par ailleurs, les tensions sont alimentées par l’implication de puissances extérieures. En outre, depuis les années 1990, les enjeux territoriaux traditionnels des pays de la zone Asie-Pacifique sont occultés par les questions non militaires et non étatiques, où la coopération et le partage d’informations s’imposent : environnement et catastrophes naturelles ; sécurité sanitaire ; terrorisme ; migrations ; trafics illicites ; piraterie maritime. Celle-ci a diminué après l’instauration du droit de poursuite des bateaux pirates dans les eaux  territoriales d’un pays riverain. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la sécurité humaine, à savoir le lien entre défense extérieure et sécurité intérieure, est valorisée par la communauté internationale et s’intègre dans les doctrines stratégiques des pays membres de l’ASEAN. En vue d’éviter l’internationalisation de conflits intérieurs ou bilatéraux, ceux-ci veulent dépolitiser les enjeux régionaux et favoriser la coopération stratégique. Ils augmentent leurs dépenses militaires en renouvelant leurs matériels à moindre coût auprès des États-Unis. Ils refusent de se positionner en bloc vers la Chine ou les États-Unis. Ainsi, Singapour, les Philippines et le Viêt Nam sont devenus les partenaires privilégiés des États-Unis, mais le Laos, le Cambodge et le Myanmar ont préféré la Chine. S’y ajoutent des partenariats croisés entre l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. La Chine multiplie les efforts diplomatiques envers la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande, augmente les patrouilles paramilitaires et le déploiement de pêcheurs sur zone et développe sa capacité de déni d’accès naval à Taïwan. De leur côté, les États-Unis accroissent leurs capacités aériennes et navales dans la zone, renforcent leur présence en Australie et aux Philippines, procèdent à des exercices maritimes et apportent un soutien diplomatique à l’ASEAN.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Marine et Diplomatie

L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a été fondée en 1967 par les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande, rejoints ensuite par Brunei (1984), le Viêt Nam (1995), le Laos (1997), le Myanmar, ex-Birmanie, (1997) et le Cambodge (1999). Le Timor oriental pourrait y adhérer en 2015. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a le statut d’observateur. Chaque année, 16 chefs d’État de la région se rencontrent au Sommet de l’Asie de l’Est, où la Russie a le statut d’observateur. « L’ASEAN Regional Forum », qui compte 26 membres, traite des questions de sécurité en Asie-Pacifique. « L’ASEAN + 3 », qui se tient pendant les sommets de l’ASEAN, inclut la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le « Dialogue Asie-Europe » réunit de façon informelle l’ASEAN + 3 et l’Union européenne. Enfin, il existe un sommet ASEAN-Russie au niveau des chefs d’État.




Sécurité : corruption et évasion fiscale, conséquences lourdes

Elément à part entière des relations économiques locales et internationales, l’argent « sale », issu de la corruption ou de l’évitement de l’impôt, sert à financer le terrorisme et les activités criminelles.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 20 mars 2018 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : le magistrat Eric Alt, vice-président de l’association Anticor ; Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS et co-auteure du livre « Argent sale. A qui profite le crime ? » ; Eric Vernier, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste du blanchiment de capitaux.

Complexification croissante. La définition de l’argent « sale » varie, car, même gagné de façon légale, il peut être considéré comme « noir » ou « gris » selon les pays et les époques, explique Carole Gomez. Cela permet de dissimuler l’origine des fonds à réinjecter dans les circuits économiques licites (blanchiment). Depuis l’Antiquité, les pouvoirs publics veulent gommer l’origine peu recommandable de certains fonds, afin de les faire rentrer dans les caisses de l’Etat. Ainsi, l’empereur romain Vespasien (9-79 après JC) avait taxé la collecte d’urine, qui servait à fixer la peinture. A son fils, le futur empereur Titus, qui s’en étonnait, il avait répondu : « L’argent n’a pas d’odeur ». Au Moyen-Age et à la Renaissance, les dirigeants politiques ont tenté de lutter contre la corruption, sans grand succès. Au XXème siècle et jusque dans les années 1990, les pots-de-vin versés pour emporter un marché étaient déductibles du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. L’argent sale provient des partis politiques, des groupes criminels, de la contrefaçon ou de trafics divers (drogue, prostitution et racket) pour alimenter des activités illégales. Transparency International, organisation non gouvernementale allemande anti-corruption étatique, établit des classements par pays mais selon des critères peu pertinents, précise Carole Gomez. Ainsi, certains pays comme le Soudan et la Syrie sont toujours mal traités et d’autres très bien, comme les pays scandinaves…dont certaines personnalités politiques ont pourtant placé des fonds dans les paradis fiscaux ! Ces derniers, qui permettent d’échapper à l’impôt, déresponsabilisent les particuliers qui en ignorent les dangers sous-jacents. Les flux d’argent sale se sont accrus avec la mondialisation et le développement de la technologie : la « crypto-monnaie » (argent électronique) a vu le jour en 1997. Les Etats et organisations internationales se sont rendus compte du danger, mais avec retard. Par ailleurs, les média renforcent l’idée de l’augmentation des flux en jeu. Toutefois, la crise économique persistante a rendu la société civile moins tolérante. La connaissance approfondie de ses mécanismes constitue un outil efficace contre l’argent sale. Mais les mesures de prévention et les actions des « lanceurs d’alerte » auront toujours un temps de retard.

Du « sale » au « propre ». Le blanchiment d’argent n’est jamais abordé dans les réunions du G-20 (19 pays et l’Union européenne), souligne Eric Vernier. L’argent du crime est estimé à 2.000 Mds$, soit autant que le produit intérieur brut du continent africain, et dont la moitié passe par les circuits bancaires. Le GAFI (Groupe d’action financière contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) établit une liste de pays non coopératifs, mais qui se vide au cours des années et n’inquiète guère la Russie, la Chine, Israël, le Liban, Singapour, Hong Kong ou l’Etat américain du Delaware. Selon des organisations non gouvernementales (ONG), seulement 1 % des avoirs des anciens dictateurs est retrouvé. Ainsi, des avocats recherchant ceux du colonel Kadhafi après sa chute (2011) en ont trouvé 800 M$ dans une banque sud-africaine. Les paradis fiscaux ne profitent qu’aux non-résidents, la France en étant un pour les riches Qataris, estime Eric Vernier. Les ONG spécialisées en dénombrent une soixantaine dans le monde. L’Union européenne (UE) a établi une liste de 17 pays, réduite à 7 après la publication des « Panama Papers » en avril 2016. Cette liste exclut une vingtaine d’Etats européens, dont les Pays-Bas, Malte, Chypre, Gibraltar, la Belgique et la Suisse. Les pays en développement qui acceptent des entreprises multinationales chez eux n’y figurent pas. Depuis, des sociétés extraterritoriales et tout à fait légales sont parvenues à des « arrangements ». Ainsi la société suisse de services financiers UBS a payé 2 Mds$ pour éviter une enquête sur le blanchiment d’argent. La Suisse doit donner les noms de 40.000 clients à la France…qui ne les réclame pas. Barons de la drogue d de la Colombie et du Mexique, hommes politiques et chefs d’entreprises de divers pays ont bénéficié des mêmes montages et avantages financiers. La publication des « Paradise Papers » (novembre 2017) a mis au jour un véritable « système de fraude fiscale », souligne Eric Vernier. Par exemple, un sportif français de haut niveau peut acheter légalement un bateau à Malte sans avoir à payer la taxe à la valeur ajoutée en France. Grâce à des montages sophistiqués, une société française, ayant pignon sur rue, aide des petites entreprises de commerçants ou d’artisans à s’installer en Grande-Bretagne pour éviter l’impôt. Dans le même but, l’agence de location de logements AirBnB propose à des particuliers d’ouvrir un « compte parabancaire » (non soumis aux obligations des banques) à Gibraltar, lequel ne sera pas déclaré aux autorités françaises. Les locations à Paris atteignent plusieurs centaines de millions d’euros par an. Selon Eric Vernier, les nouvelles technologies permettent aux marchés financiers supranationaux d’augmenter les fraudes, mais aussi de lutter contre.

Riposte possible. Au sein même de l’UE, certains Etats proposent des « optimisations fiscales » aux ressortissants des autres pays membres, rappelle Eric Alt. Toutefois, la coopération entre société civile et législateur a conduit à une loi sur la vigilance des sociétés mères et de leurs filiales. Des ONG comme Transparency International, Sherpa et Anticor ont obtenu l’agrément de se porter partie civile. Enfin, le parquet financier compte des personnalités qui prennent des décisions courageuses, conclut Eric Alt.

Loïc Salmon

Le service de renseignement « Tracfin » dépend du ministère des Finances. La cellule d’analyse stratégique exploite les informations disponibles, en vue d’identifier les tendances en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. Le département d’analyse, du renseignement et de l’information suit les déclarations relatives au soupçon et assure les relations internationales. Le département des enquêtes effectue les investigations approfondies sur tous les types de blanchiment. Le pôle juridique et judiciaire remplit des missions d’expertise et de conseil pour caractériser des faits susceptibles de constituer une infraction. Il travaille en liaison avec la Police nationale, la Gendarmerie nationale et l’Office de répression de la grande délinquance financière. La mission des systèmes d’information s’occupe du fonctionnement et de l’évolution des moyens informatiques de Tracfin.

Sécurité : la contrefaçon et ses conséquences économiques, sanitaires et criminelles

Afrique : fraude et corruption des agents publics, des fléaux difficiles à éradiquer




Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global

Le vaste projet chinois des nouvelles routes de la soie se présente sous une forme davantage géopolitique que commerciale avec, à terme, plus de menaces que d’opportunités.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 mai 2019 à Paris, par les Club HEC Géostratégies, l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : Etienne de Durand, directeur adjoint de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie au ministère des Armées ; Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002) ; Emmanuel Véron, enseignant chercheur à l’Ecole Navale ; Christoph Ebell, Emerging Technology Consultant.

Environnement à risques. Selon Etienne de Durand, la course aux armements a repris avec des programmes majeurs en développement en Russie, une rivalité technologique entre les Etats-Unis et la Chine et une accélération du progrès technologique. La compétition permanente entre grandes puissances, toutes nucléaires, se manifeste le long du « continuum paix, crises et conflit », mais souvent sous le seuil de ce dernier par des intrusions voire des agressions non revendiquées, notamment dans l’espace (approches des satellites nationaux) et le cyber (attaques quotidiennes). Elle s’étend même à l’économie et à la technologie. Les espaces communs sont de plus en plus contestés avec des velléités ou même tentatives d’appropriation par la revendication de territoires ou, en haute mer, par la poldérisation d’îles avec obligation de se déclarer pour tout navire qui s’en approche. Cette compétition présente des risques d’escalade, avec un arrière-plan nucléaire. Puissance devenue globale dans les domaines économique, militaire et stratégique, la Chine tente de remodeler l’ordre international, notamment en mer de Chine méridionale, met l’accent sur les technologies duales (usages militaires et civils) et déclare un budget militaire officiel de 170 Mds$/an, mais d’un montant réel supérieur le plaçant de fait juste après celui des Etats-Unis. Puissance spatiale, la Chine met au point des armes antisatellites et d’autres à énergie dirigée. En matière de capacités de projection de puissance, elle dispose de deux porte-avions, en construit un troisième, accélère le rythme de la production de sous-marins à propulsion nucléaire et développe ses facilités portuaires dans la zone indo-pacifique. Avec la mondialisation, une tension en océan Indien ou en mer de Chine du Sud aura des implications immédiates en Europe dans les domaines économique, de l’énergie et des approvisionnements.

Géostratégie. La Chine met en œuvre une géostratégie portuaire, diplomatique et commerciale d’abord en Asie du Sud-Est, puis en océan Indien vis-à-vis de l’Inde, du Pakistan et de l’Iran pour déboucher sur la Méditerranée et l’Europe du Nord, indique Emmanuel Véron. L’ouverture sur le Pacifique-Sud lui permettra d’accéder à l’Amérique latine. Elle construit tout type de navire, même un brise-glace à propulsion nucléaire. En raison de la concurrence locale en mer de Chine, sa flotte de grands bateaux de pêche s’aventure jusqu’à la côte péruvienne. Elle développe l’aquaculture, les biotechnologies, le dessalement de l’eau de mer et surtout la recherche océanographique pour la pose de câbles de communication numérique et pour servir son programme de sous-marins. Sur le plan militaire, outre l’installation d’armements, de relais et de moyens d’écoute sur les atolls aménagés en mer de Chine méridionale, elle a construit de nombreux navires, dont 1 porte-avions, 60 corvettes type 56 et 20 destroyers type 52 entre 2011 et 2018. Le programme de renouvellement des sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins va changer la donne dans le Pacifique vis-à-vis de la puissance navale américaine. La formation des 220.000-230.000 marins se poursuit ainsi que celle du corps expéditionnaire d’infanterie de Marine avec la composante commando. La diplomatie navale s’intensifie en Asie du Sud-Est, Afrique et Europe ainsi que la collecte d’informations, les réflexions sur la Marine à l’horizon 2030 et le soutien à l’export des équipements de sa base industrielle et technologique de défense. Enfin, la Marine chinoise effectue régulièrement des exercices communs avec son homologue russe.

Logique de puissance. L’Occident n’a pas encore intégré la perte du monopole de la puissance, estime Hubert Védrine. Le projet chinois des routes de la soie présente des similitudes avec les procédés du Portugal, de l’Espagne, de la France et de la Grande-Bretagne, pour établir des empires coloniaux et vis-à-vis de l’Empire ottoman au XIXème siècle : séduction ; promesses, sincères ou mensongères ; prêts avec l’engrenage de l’endettement ; opérations militaires, discrètes ou avouées. Pour les voisins de la Chine, les avantages à court, moyen et long termes, les opportunités commerciales, les inconvénients et les risques, plus ou moins graves, liés au projet varient selon les pays. En Afrique, la Chine a élaboré une politique très ambitieuse. La Russie, dont la population en Sibérie n’atteint pas 20 millions de personnes, s’en inquiète, mais se tourne vers la Chine en raison des tensions avec les pays occidentaux. L’Europe connaît un contraste entre l’idée de sa fondation sur des valeurs universelles et la réalité du monde, où les puissances anciennes et nouvelles, dont la Chine, se positionnent par rapport à elle. Dix-sept pays européens, dont la Grèce et ceux d’Europe de l’Est, demandent de l’argent chinois. De leur côté, les Etats-Unis considèrent la Chine comme leur adversaire principal, devant la Russie et l’Iran. L’affrontement, possible notamment sur la liberté de navigation dans les eaux internationales du détroit de Taïwan, dépendra, le moment venu, de l’intérêt de l’une ou l’autre partie de l’aggraver et de l’élargir. Quant à l’avenir du projet des routes de la soie, quelques pays deviendront des protectorats chinois, d’autres resteront à l’écart et certains résisteront, peut-être jusqu’à la contestation violente. Une option pour l’Europe, puissance, consisterait à obliger la Chine à le transformer en un vrai partenariat.

Loïc Salmon

Selon Christoph Ebell, le projet des routes de la soie prend aussi une dimension numérique avec les équipements informatiques, la valorisation des données et une cyberstratégie. Les fournisseurs chinois de services numériques proposent des applications pour les transactions financières. Ainsi en décembre 2018, Alibaba Cloud a signé un protocole d’accord avec le Koweït portant sur un centre d’échanges de données et d’informations entre tous les pays du monde. Les routes de la soie nécessitant des normes techniques communes, la Chine a construit des câbles de fibres optiques reliant Pékin aux Viêt Nam, Népal et Pakistan et a commencé à installer des réseaux 5 G. Parmi les cinq grands centres de calculs à haute performance entrant dans les applications de l’intelligence artificielle à grande échelle, les deux premiers se trouvent aux Etats-Unis et les trois suivants en Chine…qui dépend des Etats-Unis pour la fourniture des indispensables puces électroniques.

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

 

 




Violence et passions

La violence interdit le débat, divise la société et attise la haine, mettant en péril la démocratie. La mort des idéologies a ressuscité le nationalisme et le fanatisme religieux.

Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, la guerre devient hybride, à la fois intérieure et extérieure, civile et militaire, régulière et irrégulière. La violence s’appuie sur : le réveil des sentiments identitaires ; l’exaltation de la guerre sainte par le fondamentalisme islamique ; la volonté de revanche des pays du Sud stimulés par leur décollage économique. L’humanité se concentre dans les mégalopoles, à proximité des côtes, dans un « réseau de villes-monde » entre Los Angeles, San Francisco et New York, Londres et Berlin, Dubaï, Singapour, Hongkong et Shanghai et bientôt Sao Paulo et Mexico, Lagos et Le Caire, Istanbul ou Djakarta. Ces métropoles accumulent talents, capitaux et richesses, face aux régions qui s’enfoncent dans misère, désertification et violence. Conflits armés, absence de développement et changement climatique alimentent des flux de réfugiés et de migrants vers l’Europe. Ces évolutions du monde ont conduit aux « démocratures », théorisées après la chute du mur de Berlin (1989). Celles-ci se caractérisent par le culte de l’homme fort, un populisme virulent et le contrôle de l’économie et de la société. Adossée au suffrage universel manipulé par une propagande, relayée par les médias et réseaux sociaux, cette suprématie de la « démocratie non libérale » se manifeste dans la Russie de Vladimir Poutine, la Chine de Xi Jinping, la Turquie néo-ottomane de Recep Erdogan, l’Egypte du maréchal Al-Sissi, les Philippines de Rodrigo Duerte, le Venezuela chaviste, la Hongrie de Viktor Orban et la Pologne des frères Kaczynski. Nationalisme, protectionnisme, xénophobie et racisme prospèrent aussi aux Etats-Unis. Avec 1,5 million de victimes depuis 1968, les armes à feu y ont causé plus de morts que l’ensemble des conflits entrepris depuis la guerre d’indépendance (1775-1783). En outre, la dynamique guerrière du djihad et des « démocratures » se traduit dans les dépenses militaires qui totalisent environ 1.700 Mds$, soit 2,3 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, et qui augmentent de 5-10 %/an. Les Etats-Unis vont porter leur budget militaire à 700 Mds$. La Chine a augmenté le sien de 132 % en 10 ans, jusqu’à 4 % de son PIB. La Russie l’a triplé en 15 ans jusqu’à 3,7 % de son PIB. Son intervention en Syrie lui permet de tester ses nouveaux équipements et armements et de montrer sa capacité à conduire des opérations complexes. Pour sa défense, l’Asie dépense 100 Mds$ de plus que l’Union européenne, qui y consacre 220 Mds$. Par ailleurs, les institutions internationales, à savoir, ONU, Fonds monétaire international, Banque mondiale et Organisation mondiale du commerce, subissent les feux croisés des Etats-Unis et des « démocratures ». Le projet chinois des « nouvelles routes de la soie » vise à : contrôler les réseaux vitaux de la mondialisation ; écouler les excédents chinois d’acier, d’aluminium et de ciment ; créer des débouchés pour les exportations ; garantir l’accès aux matières premières et sources d’énergie ; instaurer une dépendance par la dette ; diffuser le modèle « total-capitaliste » chinois. Toutefois, l’Union européenne a compris qu’elle ne peut plus sous-traiter sa sécurité aux Etats-Unis. Les démocraties redécouvrent que la sécurité et la liberté, comme la prospérité, se conquièrent.

Loïc Salmon

« Violence et passions », par Nicolas Baverez. Éditions de l’Observatoire, 132 pages. 15 €

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région




Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

 

Ressources halieutiques et énergétiques convoitées, revendications territoriales d’îlots, récurrence de la piraterie et prolifération des sous-marins affectent la sécurité de l’Asie du Sud-Est. Tous les pays de la région renforcent leurs budgets de défense en conséquence.

Tel a été le thème traité au cours d’une conférence-débat organisée, le 19 avril 2017 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine. Y sont intervenus : la capitaine de frégate Marianne Péron-Doise, Institut de recherche stratégique de l’école militaire ; le capitaine de frégate Damien Lopez, ancien commandant (2016) de la frégate de surveillance Vendémiaire, basée en Nouvelle-Calédonie.

Géostratégie maritime chinoise. Pour l’Asie du Sud-Est, la mer constitue un marquage identitaire en raison des flux commerciaux internationaux, explique la capitaine de frégate Péron-Doise. Chaque année, 70.000 navires franchissent le détroit de Malacca, lieu de passage entre l’Europe, le Moyen-Orient et les grands pays économiques de l’Asie du Nord-Est (Chine, Japon et Corée du Sud). La mer de Chine méridionale s’étend sur 3 Mkm2 avec de nombreux îlots et atolls ne se découvrant qu’à marée basse. Le plateau continental ne présente aucune continuité avec les archipels, dont plusieurs pays riverains revendiquent la souveraineté (encadré). La Chine pratique une stratégie du fait accompli. Au delà du potentiel halieutique et énergétique de la mer de Chine méridionale, elle cherche à assurer la sécurité de ses approvisionnements en pétrole et gaz via l’océan Indien. Les Paracels sont situées à environ 170 milles marins (315 km) de la côte vietnamienne et de l’île chinoise de Hainan, qui abrite la base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Leur revendication par la Chine lui permet de protéger ainsi sa dissuasion nucléaire, dont la capacité se trouve déjà amoindrie par l’installation du système de missiles antibalistiques américain THAAD en Corée du Sud. La poursuite de cet objectif a été amorcée dès 2009. La Chine avait alors invoqué des raisons historiques pour justifier sa souveraineté sur 2.000 km2 de mer de Chine méridionale puis, en 2012, sur la totalité en y incluant les archipels des Paracels  et des Spratleys. Déjà en 1988, un atoll des Spratleys avait été le théâtre d’un grave incident entre les Marines vietnamienne et chinoise. Par ailleurs, au nom de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer, la Marine chinoise harcèle régulièrement les bateaux de pêche vietnamiens et philippins. Saisi en 2009 par les Philippines, La Cour permanente d’arbitrage de La Haye a conclu en 2016 que la légitimité historique de la Chine sur les Spratleys ne repose sur aucun élément et que celle-ci ne peut donc prétendre à une zone économique exclusive du fait de l’occupation de ces îlots. Depuis, la Chine a développé une flotte de garde-côtes, qui inspectent tous les navires pénétrant dans les eaux contestées. La nouvelle milice maritime de Tanmen (Hainan), embarquée sur des unités à coque rigide, coupe les filets des bateaux de pêche ou en saisissent les cargaisons. Ce dispositif coercitif ne concèderait que des droits de pêche épisodiques aux Philippins. En février 2017, la Chine a révisé sa loi sur le trafic maritime afin d’empêcher l’accès de navires au motif d’éventuels troubles à la sécurité. Ainsi, un sous-marin doit naviguer en surface en arborant son pavillon. Tout navire, militaire ou civil, doit demander l’autorisation de transit. La protection des systèmes de missiles surface/air, installés dans les îles artificielles des Spratleys, a été renforcée.

Situation géopolitique. Selon la capitaine de frégate Péron-Doise, la Chine exerce une forte dépendance économique des pays de l’ASEAN, dont elle mésestime les droits. Le Viêt Nam entretient des partenariats avec l’ensemble des autres pays, mais évite d’être trop marqué avec l’un pour ne pas indisposer la Chine. Il autorise les escales de bâtiments militaires français, japonais et australiens au port de Cam Ranh pour manifester l’indépendance de sa diplomatie navale de contrepoids face à la Chine. De leur côté, le Japon et l’Australie s’inquiètent de la stratégie chinoise d’appropriation maritime, qui pourrait limiter l’accès au détroit de Malacca. Leurs Marines participent à des exercices avec la VIIème flotte américaine. Les Etats-Unis ont opté pour une « dialectique du pivot » de l’Europe vers l’Asie, pour se montrer de façon plus visible. En fait, ils assument depuis longtemps une présence militaire au Japon, en Corée du Sud et surtout à Guam (archipel des Mariannes). De son côté, la France a conclu des partenariats avec Singapour et la Malaisie.

La France dans le Pacifique. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France exerce une responsabilité globale sur toutes les mers, rappelle le capitaine de frégate Lopez. La Marine nationale a pour mission d’affirmer le principe de liberté de navigation, menacée notamment en mer de Chine par la poldérisation de certains atolls et îlots. Sa stratégie repose sur la présence, la coopération, l’observation et le rayonnement pour maintenir sa liberté d’action. La diplomatie navale correspond à un comportement clair : ne pas prendre parti dans les différends ; promouvoir un ordre international fondé sur le droit ; résoudre les conflits par le dialogue. La présence se manifeste  par la participation à toutes les instances régionales : Réunion annuelle des chefs d’Etat-major des armées des pays du Pacifique ;  Symposium naval du Pacifique occidental ; Forum des garde-côtes du Pacifique Nord ; Association de l’océan Indien ; Rencontre des ministres de la Défense de pays du Pacifique Sud ; Groupe de coordination de défense quadrilatéral (Australie, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis et France). Il a fallu 11 ans pour se mettre d’accord sur le code (40 signes) sur les rencontres inopinées à la mer, en vue d’éviter les risques de méprise sur le comportement. Chaque année, des bâtiments français, venus de métropole, de Tahiti ou de Nouméa, se rendent en mer de Chine en adoptant une posture ferme mais sans action d’éclat, source de tension. La coopération porte sur des exercices communs avec les Marines étrangères pour mieux se comprendre : tirs ; ravitaillements à la mer ; partages d’expérience pour aider certains pays à développer leur défense maritime.

Loïc Salmon

L’appropriation des mers

Marine et Diplomatie

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

L’archipel des Spratleys, qui compte 14 îles naturelles et 150 récifs s’étendant sur 439.820 km2, fait l’objet de revendications de la part de la Chine, de Taïwan, du Viêt Nam, de la Malaisie, des Philippines et de Brunei. Depuis 2013, la Chine construit aéroports, héliports, ports et immeubles sur 7 îles artificielles adossées à 9 récifs totalisant 13,5 km2. L’archipel des Paracels (130 îlots coralliens, 25.000 km2), revendiqué par le Viêt Nam et la Chine, est occupé par celle-ci depuis 1974 et abritait environ 1.000 habitants en 2014. L’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) regroupe 10 pays : Brunei ; Birmanie ; Cambodge ; Indonésie ; Laos ; Malaisie ; Philippines ; Singapour ; Thaïlande ; Viêt Nam. La France dispose d’une zone économique exclusive de 11 Mkm2, dont 62 % dans le Pacifique. Elle en est riveraine par la Nouvelle-Calédonie, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française et l’île de Clipperton.

 




Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan

Les provocations militaires de la Chine envers Taïwan menacent la stabilité de la zone Indopacifique. Un affrontement armé pourrait déboucher sur une guerre avec les Etats-Unis. En conséquence, Taïwan renforce son action diplomatique et sa capacité militaire.

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, l’a expliqué au moyen de deux programmes en audio, les 13 et 28 janvier 2021, et d’une note publiée le 8 mars, après son audition par le Parlement européen le 24 février.

Diplomatie taïwanaise. Depuis 2016, date de l’arrivée au pouvoir de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen réélue en 2020, Pékin renforce sa stratégie d’isolement de Taipei sur la scène internationale. Aujourd’hui, seulement 15 Etats, dont le Vatican, maintiennent des ambassades avec Taïwan, qui dispose toutefois de 111 « bureaux de représentation diplomatique » à l’étranger. Selon Antoine, Bondaz, ce réseau lui donne la 7ème position en Asie, devant la Malaisie, et la 31ème place dans le monde, devant la Suède et Israël. Peu présent en Afrique, il l’est beaucoup plus dans les Amériques et en Europe. Malgré l’absence d’ambassades, Taïwan reste pour la France et l’Union européenne un partenaire économique et commercial ainsi que dans la recherche, le changement climatique, l’éducation, l’enseignement supérieur et la coopération culturelle et linguistique.

Pressions militaires chinoises. Depuis 2019, les incursions aériennes dans la « zone d’identification aérienne de défense » de Taïwan se sont multipliées. Au total, plus de 380 avions de chasse ou de reconnaissance chinois y sont entrés en 2020, dont 41 entre le 1er novembre et le 31 décembre. C’est le plus haut niveau atteint depuis les crises dans le détroit de Taïwan de 1954, 1958 et 1996, souligne Antoine Bondaz. Cette tendance se poursuit avec 81 incursions aériennes au cours du mois de janvier 2021. A l’appui, la propagande chinoise s’exerce par ses relais d’opinion, notamment le journal Global Times dont l’édition en anglais lui donne une audience internationale importante. Un récent éditorial annonce même que les avions de chasse et les navires militaires chinois ont « normalisé leurs vols et leur navigation autour de l’île ». Il indique aussi que la politique de respect de la zone d’identification aérienne de défense de la ligne médiane du détroit de Taïwan, en vigueur depuis vingt ans, ne s’applique plus. Ces incursions visent à s’approprier le détroit, tester le dispositif de défense anti-aérienne de Taïwan et accélérer le vieillissement de ses capacités aériennes. Pékin compte ainsi faire pression sur le gouvernement de Taïwan, intimider ses forces armées, démoraliser sa population, influencer son opinion publique et…évaluer la réaction de la communauté internationale ! La Chine, qui dispose des forces armées les plus nombreuses du monde (plus de deux millions de militaires), les modernisent en augmentant leur budget grâce à sa puissance économique. Elle dépense plus pour sa défense que tous les pays de la zone Indopacifique réunis. Selon l’Institut international de Stockholm de recherche sur la paix, la Chine a multiplié, par sept en vingt ans, ses dépenses militaires, passées de 40 Mds$ en 1999 à 265 Mds$ en 2019. Pendant cette période, les dépenses militaires du Japon ont stagné à 45 Mds$ et celles de Taïwan à 10 Mds$. Entre 2014 et 2018, la Marine chinoise a accru sa flotte d’un tonnage équivalent aux flottes française et italienne combinées. Pour développer sa capacité amphibie dans le détroit de Taïwan, l’effectif du Corps de marines, passé de 10.000 soldats en 2017 à 35.000 en 2020, devrait se monter à 100.000 à terme. Pour moderniser ses équipements militaires, la Chine investit massivement dans les nouvelles technologies dans le cadre de la stratégie nationale civilo-militaire de 2015, qui tire notamment profit de la surveillance limitée de certaines coopérations scientifiques et techniques sensibles…en Europe ! En réponse à cette progression quantitative et qualitative des forces armées chinoises, le ministère taïwanais de la Défense a obtenu une hausse de son budget, qui atteint quasiment 15 Mds$ en 2021. Les investissements portent sur l’augmentation des capacités de lutte antinavires, de défense antimissile et de guerre électronique.

Conséquences possibles. L’article 8 de la loi chinoise anti-sécession de mars 2005 prévoit le recours à la force, notamment après épuisement de toutes les possibilités de « réunification pacifique » de Taïwan, considérée par Pékin comme une province de la Chine. Celle-ci, estime Antoine Bondaz, augmente ainsi la flexibilité de sa réponse politico-militaire dans la cadre d’une ambiguïté stratégique délibérée. Par ailleurs, l’ouvrage « La science de la stratégie militaire », publié en 2013 par l’Académie chinoise des sciences militaires, recommande une préparation prioritaire à un conflit avec Taïwan, susceptible d’entraîner une intervention américaine sur un champ de bataille maritime et dans un contexte de dissuasion nucléaire. Toutefois, les forces armées chinoises pourraient se contenter de constituer un blocus aérien et maritime autour de Taïwan, en vue de la forcer à capituler avant l’unification. Le Parti communiste chinois considère comme plus efficace de dissuader les Etats-Unis d’intervenir plutôt que d’envahir l’île. L’impact psychologique devrait forcer le gouvernement de Taïwan à entamer des négociations politiques. Pour Pékin, la détermination de la population et des forces armées de Taïwan à se battre ainsi que la volonté d’intervention des Etats-Unis comptent davantage que leurs capacités militaires. Par ailleurs, toute crise autour de Taïwan ou dans la péninsule coréenne, aurait un impact considérable sur la sécurité de l’Union européenne, tant sur le plan militaire qu’économique. La fermeture du détroit de Taïwan aurait des conséquences sur ses approvisionnements, notamment en micro-processeurs indispensables à son industrie, et ses échanges commerciaux avec la Chine, la Corée du Sud et le Japon. L’Union européenne et la France n’entretiennent plus de relations officielles avec Taïwan et ne prévoient pas d’en avoir à l’avenir. Toutefois, elles partagent avec Taïwan des intérêts communs en matière de sécurité : lutte contre la manipulation de l’information ; liberté de navigation ; diversification des chaînes d’approvisionnement ; lutte contre les cyberattaques ; prévention d’une future pandémie ; résilience démocratique ; protection des droits humains ; prévention et assistance en matière de catastrophe naturelle.

Loïc Salmon

D’une superficie de 35.980 km2, l’île-Etat de Taïwan compte une population de 23,6 millions d’habitants. Sixième puissance économique de la zone Indopacifique, elle réalise le double du produit intérieur brut du Viêt Nam. Le Forum économique mondial la classe en 3ème position, devant la Corée du Sud et l’Australie pour la compétitivité. L’organisation Reporters sans frontières la met à la 5ème place pour la liberté de la presse, devant le Japon. Elle occupe la même pour le développement humain, calculé par l’ONU, devant la Corée du Sud. Elle atteint la 4ème en matière de libertés publiques selon l’indice publié chaque année par les Instituts Cato (Etats-Unis), Liberales (Allemagne) et Fraser (Canada).

Chine : montée en puissance régionale et internationale

Chine : cyber-espionnage et attaques informatiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer




Armée de Terre : prise en compte de « l’interculturalité »

Le réseau des attachés de défense relayé par les pôles opérationnels de coopération permet une plus grande proximité avec les forces militaires de cultures différentes et leur accompagnement en cas d’intervention.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 novembre 2017, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger (EMSOME). Y sont notamment intervenus : Olivier Hanne, expert en islamologie ; l’historien Eric Deroo, chercheur au CNRS ; le général de corps d’armée (2S) Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère des Affaires étrangères.

Le fait religieux au Sahel. Le terrorisme nécessite des groupes motivés, armés et soutenus par une population capable de les intégrer dans ses réseaux traditionnels, explique Olivier Hanne. Sa variante, le djihadisme, évolue selon le contexte, profite d’une fragmentation sociale et échappe à toute tradition stricte. Son projet idéologique lui permet de se détacher des particularismes locaux et de s’internationaliser. En cas de rupture sociale avec l’Etat, le prétexte religieux donne une légitimité aux groupes radicaux et facilite la gestion du manichéisme, par exemple l’opposition entre chrétiens et musulmans. Ainsi, les émirs de l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), issus de mouvements rebelles pendant la guerre civile algérienne (1991-2002), ont élaboré un projet politique anti-occidental avant de se rallier à Al Qaïda en 2007 puis ont recruté des troupes subsahariennes. Boko Haram apparaît dans le Nord-Est du Nigeria en 2010 et prend racine sur le rejet de l’autorité centrale. Sa dimension religieuse avec l’application rigoureuse de la « charia » (loi islamique) ne suscitant guère l’adhésion de la classe dirigeante, l’organisation bascule dans le terrorisme (éliminations physiques et viols). En 2014, Daech profite de l’effondrement du régime libyen pour instaurer le « califat », prêcher l’imminence de la fin du monde et recruter des étrangers, mais échoue au Niger et au Mali. Le djihadisme sahélo-saharien (attentats au Mali), qui recourt à la mémoire du mouvement de résistance des Peulhs à la présence française au XIXème siècle, profite de l’affrontement interethnique entre sédentaires et pasteurs. Le terrorisme africain s’accommode des « forces invisibles », indique Olivier Hanne. En effet, la magie (récupération de talismans dans les tombeaux) et la sorcellerie ancestrale se mélangent à l’islam et crée un sentiment anxiogène au sein des armées africaines. Des généraux viennent même consulter des féticheurs pour des raisons mystiques. Au Nigeria, la sorcellerie est utilisée à titre préventif au plus haut niveau de l’Etat pour contrer l’influence de Boko Haram. Par ailleurs, aucun courant djihadiste peulh n’a été constaté au Cameroun. Le Tchad assure sa propre sécurité, coopère avec la France et négocie avec la Libye pour sécuriser les zones propices aux trafics. La situation est aujourd’hui stabilisée entre Madama (Niger) et Faya-Largeau (Tchad).

L’expérience coloniale. Les officiers des troupes coloniales ont beaucoup écrit sur les territoires qu’ils découvraient. Cela permet de comprendre comment le modèle de société imposé a finalement été accepté par les populations locales, malgré le rapport de forces de « dominants » à « dominés », explique Eric Deroo. Le concept de l’évolution humaine conduit à classer les populations en « sauvages », « barbares » et « colonisées ». L’élément biologique resurgit dans la hiérarchie des races à travers un discours scientifique et idéologique. Au XIXème siècle, les deux principales puissances coloniales européennes développent une approche différente. Héritière de la tradition catholique et du siècle des Lumières, la France place l’homme universel au cœur de son discours républicain et décide d’enseigner sa langue aux peuples colonisés. En Grande-Bretagne, tout volontaire pour l’armée des Indes doit apprendre un dialecte local. Les Eglises protestantes traduisent la Bible dans les langues vernaculaires, alors que l’Eglise catholique l’interdit. La République, une et indivisible, devient le tronc commun de l’expansion coloniale, mais, dès les années 1920, des jeunes d’Algérie et d’Indochine refuseront la nationalité française. Par ailleurs, l’apparition de la photographie, moyen de communication aussi révolutionnaire à l’époque que l’informatique aujourd’hui, apporte une valeur absolue de preuve scientifique pour classer et identifier. Gouverneur de Madagascar, le général Joseph Gallieni recrute 10 photographes qui, entre 1896 et 1905, réalisent 7.000 clichés de paysages, ponts, routes et surtout peuplades selon leurs aptitudes physiques. Cela conduit à la création d’un service géographique et d’une typologie des ethnies, en vue d’orienter les populations vers la pêche ou l’agriculture. En outre, l’enseignement agricole et l’autonomie médicale sont mis au service de la colonisation et du développement. De son côté, le colonel Auguste Bonifaci devient un spécialiste de l’Indochine et enseigne à l’université d’Hanoï entre 1914 et 1931. Soldat puis sous-officier et officier des troupes de Marine, il avait appris l’annamite au contact des ouvriers de Saïgon, passé un brevet de chinois et parlait une dizaine de dialectes locaux. Correspondant de l’Ecole française d’Extrême-Orient, il avait représenté l’Indochine lors de l’exposition internationale tenue à Hanoï en 1902. Pourtant, il n’a vu venir ni les mouvements nationalistes et d’émancipation, ni la création du parti communiste indochinois. En raison de 22 ans de carrière outre-mer dont plusieurs séjours ai Niger et au Tchad, le colonel Jean Chapelle a été mis à la disposition du ministère de la Coopération et nommé conservateur du musée national tchadien entre 1962 et 1967. Pourtant, lui non plus n’a pas anticipé la rébellion Toubou de 1974. Par conséquent, les approches statistique et anthropologique permettent bien de constituer des bases de données mais ne suffisent pas pour pacifier un continent ou maîtriser une situation potentiellement dangereuse. Malgré leurs expertise et empathie locales, Bonifaci et Chapelle n’ont ni compris les évolutions, ni décelé les signes avant-coureurs des demandes radicales de populations colonisées en Asie et en Afrique. Eric Deroo conclut à la nécessité de prendre des décisions militaires ou politiques indépendamment des expertises, car cela relève d’un plan d’ensemble global.

Loïc Salmon

Armée de Terre : retour d’expérience de l’opération « Serval » au Mali

Sahel : l’opération « Barkhane », un effet d’entraînement fort

Afrique : les armées, leur construction et leur rôle dans la formation de l’État

Une réflexion sur la culture locale doit précéder toute action militaire extérieure, estime le général Clément-Bollée, pour qui une saine curiosité constitue un investissement. La remise en cause par le chef de ses propres certitudes s’accompagne d’une sélection de tout ce qui va aider à la réussite de la mission. Il s’agit d’éviter les analyses erronées, de trouver les bonnes clés, de lutter contre les idées préconçues imposées par son imagination et de comprendre le regard de l’autre. Le général recommande : de se baser sur l’expérience des autres ; d’analyser les risques liés à la réaction de l’autre ; de montrer son intérêt en apprenant quelques mots par jour de la langue locale ; de rester soi-même. Le commandement doit faire comprendre à ses troupes que leur comportement doit évoluer avec la situation sur le terrain.




Chine : cyber-espionnage et attaques informatiques

La Chine utilise le cyberespace pour maintenir sa croissance économique, par l’intrusion informatique dans des entreprises privées surtout asiatiques, et pour accroître sa puissance régionale par l’espionnage militaire, plutôt à l’encontre des pays occidentaux.

C’est ce qui ressort d’une étude sur le cyber-espionnage chinois (2016-2018), publiée par le Centre de réflexions sur la guerre économique en décembre 2018. Seules les forces armées, des agences de renseignement civil ou des sociétés de sécurité chinoises seraient capables d’élaborer et de mettre en œuvre des intrusions informatiques de grandes dimensions, transversales et complexes.

Retard technologique à combler. La dépendance de la Chine à l’égard des technologies de l’information et de la communication (TIC), notamment américaines, et de sa vulnérabilité militaire ont été mis en exergue dans le livre « La guerre hors limites » des colonels chinois Liang Qiao et Wang Xiangsui, publié en 1998. Les TIC permettent en effet d’obtenir des avantages asymétriques dans une guerre qui recouvre la force, armée ou non, militaire ou non, et des moyens létaux ou non. Extension du champ de bataille, le cyberespace devient vital pour la Chine afin de récolter le plus d’informations possibles, en vue d’établir une asymétrie à son avantage. Les forces armées chinoises ont porté leurs efforts sur les renseignements d’origines humaine, électromagnétique et satellitaire. En 2013, l’entreprise américaine de cyber-sécurité Mandiant a identifié deux unités militaires de cyber-espionnage, installées à Shanghai. Ainsi la « Unit 61398 » a récupéré des térabits (1.000 milliards d’unités numériques) des données de 141 entreprises étrangères. La « Unit 61486 » a surtout ciblé les secteurs de la défense et de la haute technologie. En 2014, le ministère américain de la Justice a accusé cinq officiers chinois de vols de secrets d’entreprises américaines. En outre, l’agence de renseignement NSA a révélé que des hackers chinois avaient réussi des centaines d’intrusions dans des infrastructures aux Etats-Unis. En 2015, Washington et Pékin ont conclu un accord de collaboration pour lutter contre le cyber-espionnage. Ensuite, les agences privées chinoises auraient bénéficié d’une plus grande marge de manœuvre, pour éviter une implication directe de l’Etat. Les plus connues, « Menupass Team » et « UPS Team », ciblent les entreprises spécialisées dans l’ingénierie, l’espace ou les télécommunications aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Par ailleurs, le 13ème plan quinquennal chinois 2016-2020 fixe un objectif annuel de 6,5 % de croissance économique et transfère des fonds d’aide à l’exportation vers des investissements en Chine même. Il porte aussi sur le développement des secteurs technologique, biomédical et énergétique, orientant l’espionnage vers les entreprises étrangères de référence.

Le Japon. Cible de choix en raison de son avance technologique, le Japon a été attaqué par deux groupes de hackers d’origine chinoise. Le premier, « Stone Panda », a cherché à voler le maximum de données à haute valeur ajoutée. Son arsenal visait les universités, les entreprises de haute technologie, notamment pharmaceutiques, et des agences étatiques. Pour tromper ses cibles, « Stone Panda » s’est fait passer, entre autres, pour le ministère japonais des Affaires étrangères. Il a compromis les services d’entreprises de stockage numérique, afin d’exfiltrer une grande quantité des données sans être détecté. Le second groupe, « Bronze Butler », a pratiqué l’hameçonnage des réseaux critiques dans les milieux des biotechnologies, de l’électronique, de la chimie et de l’ingénierie maritime. Non détecté pendant plusieurs années, il est parvenu à récupérer des informations commerciales et des comptes rendus de réunions ainsi que des données de valeur sur la propriété intellectuelle et les spécifications de produits.

La Corée du Sud. Le groupe des hackers chinois « Stuckfly » a notamment ciblé les entreprises sud-coréennes de jeux vidéo, habilitées à délivrer des certificats numériques garantissant la provenance de logiciels et donc leur sécurité informatique. En possession de l’outil d’édition, « Stuckfly » pourrait signer les certificats de logiciels malveillants, qui ne seraient pas bloqués par les anti-virus. S’il est détecté, la société de jeux vidéo risque de voir tous ses certificats considérés comme malveillants et sa réputation ternie.

L’Asie centrale. Malgré un accord entre Moscou et Pékin, similaire à celui entre Washington et Pékin et signé également en 2015, des APT (logiciel malveillant, voir encadré) chinois ont ciblé des institutions bancaires et des entreprises de télécommunications de la Russie et de la Mongolie, pourtant alliées de la Chine. L’APT « Emissary Panda » s’est aussi attaqué à des infrastructures, institutions bancaires et universités turques. Peu avant des réunions importantes, il a visé l’Organisation de coopération de Shanghai (sécurité mutuelle et coopérations politique et militaire), qui regroupe le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, la Russie et…la Chine !

L’Asie du Sud-Est. L’APT « Lotus Blossom » a attaqué des institutions gouvernementales, des partis politiques, des universités et des entreprises de télécommunications en Indonésie, à Taïwan, au Viêt Nam, aux Philippines, à Hong Kong, en Malaisie et en Thaïlande. Il a également procédé à des intrusions lors des réunions des ministres de la Défense de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, Viêt Nam, Laos, Birmanie et Cambodge). L’APT « Platinum » a notamment visé les services diplomatiques et les agences de renseignement et de défense de Malaisie et d’Indonésie. L’APT « Mofang » a participé à une guerre économique en Birmanie. Dans le cadre d’un appel à investissements pour le développement d’infrastructures, il a récupéré des informations sur le concurrent singapourien d’une entreprise publique chinoise…qui n’avait pas été retenue.

Les « cinq poisons » chinois. Des cyberattaques chinoises visent des communautés considérées comme déstabilisatrices : Ouighours ; Tibétains ; secte du Falun Gong ; Mouvement démocratique chinois ; Mouvement pour l’indépendance de Taïwan. Pourtant, elles n’ont pu empêcher, en 2016, l’élection de la première femme présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, confortablement réélue en 2020.

Loïc Salmon

Les « menaces persistantes avancées » (APT) exploitent le maximum de données de leurs cibles par des cyber-attaques discrètes et prolongées, grâce à des groupes aux connaissances techniques pointues et des moyens importants. L’Union africaine a constaté, au bout de six ans, que son immeuble, construit et équipé gratuitement par la Chine, comportait des « backdoors » (portes numériques dérobées) donnant un accès discret aux échanges et à la production interne de l’organisation. Le cycle APT a été le suivant : organisation en fonction de la cible (don de l’immeuble) ; stratégie (hameçonnage par des courriels et backdoors) ; moyens techniques pour accéder à son réseau (systèmes informatiques installés et compromis) ; couverture pour maintenir l’accès pour de futures initiatives (logiciels malveillants sophistiqués).

Chine : montée en puissance régionale et internationale

Intelligence économique et renseignement

Cyber : instrument de la puissance russe en Baltique