La Colombie : un pays en quête de paix et de justice
En Colombie, des zones pacifiées et prospères côtoient des territoires aux conditions de sécurité et de développement économique fortement dégradées. Les militaires doivent y combattre les groupes dissidents des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et les narco-trafiquants.
Une douzaine de membres de l’Association des auditeurs de l’Institut national des hautes études de défense nationale l’ont constaté lors d’un voyage d’études du 19 au 29 mai 2024 et au cours de rencontres avec des responsables civils et militaires, des journalistes et des diplomates.
Une histoire unique en Amérique latine. La constitution de 1991, particulièrement progressiste et adoptée par référendum, se voulait un « modèle », mais le pays n’a pas eu les moyens de ses ambitions. La réforme agraire n’a pas été promulguée, l’éducation gratuite et l’amélioration du système de santé restent à l’état de promesses. Pourtant, la population aspire à vivre et travailler en paix. Depuis son indépendance de l’Espagne en 1819, la Colombie n’a pas connu de coups d’État militaires, sauf pendant quatre ans dans les années 1950. La population, instruite, est attachée à la démocratie et les militaires doivent uniquement protéger le territoire et la nation. Le fonctionnement institutionnel et le développement économique se fondent sur des principes démocratiques stables, où le respect de l’état de droit a toujours été recherché. Toutefois, une recrudescence des actes criminels, sans pourtant de référence idéologique systématique, est constatée et à laquelle s’ajoute le narcotrafic, source inépuisable de revenus.
Le combat contre le narcotrafic. La Colombie ne dispose pas de cadastre, la terre appartenant à de grands propriétaires. Le gouvernement actuel s’est engagé à distribuer 16 millions d’hectares de terre aux paysans, afin de les inciter à produire et commercialiser autre chose que la seule feuille de coca. Cette réforme, jugée trop lente et insuffisante, permettrait de réduire le narcotrafic et la guérilla…qui y trouve une partie de son financement !
Les responsabilités des armées. Configuration inédite, les forces armées colombienne sont parmi les rares au monde à combattre sur leur propre territoire depuis plusieurs décennies. L’armée de Terre assume l’essentiel de la sécurité intérieure sur l’ensemble du territoire, en sus de sa mission fondamentale de défense des intérêts souverains et vitaux du pays vis-à-vis de menaces extérieures. La police relevant du ministère de la Défense, l’armée de Terre assure donc les missions de sécurité extérieure et intérieure, notamment dans les nombreuses zones isolées et/ou en état de guerre. Selon un général, « les priorités sont d’assurer la sécurité de la population, de réduire la menace, de protéger les instances de gouvernance de l’État et également de renforcer les moyens nécessaires aux forces armées ». De son côté, la Marine doit assurer la sécurité extérieure et intérieure sur 2.900 km de côtes sur l’océan Pacifique et la mer des Caraïbes, un million de km² de la Zone économique exclusive et 2.000 km de fleuves et rivières. A la protection du territoire maritime et des infrastructures critiques du pays, s’ajoutent des actions auprès d’autres acteurs de l’État et de la société, à savoir pouvoirs publics centraux et locaux, services étatiques, entreprises publiques et privées, organisations sociales non gouvernementales (communautés religieuses, fondations et associations).
La construction de la paix. En 2016, les accords conclus avec les FARC et d’autres organisations armées prévoyaient plusieurs étapes jusqu’au cessez-le-feu définitif et au désarmement de toutes les forces non-gouvernementales. Cependant, la société civile a rejeté ces accords. En 2018, les activités violentes des factions dissidentes des FARC et celles, illégales, des groupes mafieux alimentés par le trafic de drogue ont repris. La crise sanitaire du Covid-19 a réduit l’efficacité des actions de l’Etat et des opérations militaires et a favorisé une remontée en puissance des groupes armés, plus nombreux et plus déterminés. Le trafic de drogue, celui de migrants et l’extraction illégale de l’or génèrent des sommes importantes et donnent aux trafiquants un grand pouvoir d’intimidation et de coercition. Mais ces diverses activités permettent de donner du travail aux populations locales, qui se soumettent à la loi du plus fort. Au cours des cinq premiers mois de l’année 2024, 210 tonnes de cocaïne ont été saisies, soit une hausse de 36 % par rapport à la même période en 2023. Cependant, le processus de construction de la paix reste au centre de la vie politique colombienne depuis de nombreuses années. Les accords de paix de 2016, malgré des difficultés d’application, constituent la base du projet actuel de reconstruction de la société colombienne. La nouvelle présidence de 2022 s’est engagée à faire appliquer les accords de paix de 2016 sur six points : réforme agraire complète ; participation de tous à la vie politique ; fin du conflit ; solution au problème des drogues illicites ; accord sur les victimes du conflit ; mécanismes de vérification des plaintes mettant en place la « Juridiction spéciale pour la paix ». Trois institutions composent le « Système intégré pour la vérité », car sans elle, il n’y a pas de réconciliation possible et le risque d’une reprise des combats par les FARC persiste. Pendant quatre ans, une commission, dite de la « vérité », a recueilli les témoignages de 30.000 personnes et étudié 1.236 dossiers de diverses organisations pour comprendre les faits et les motifs d’une guerre de près de 60 ans. Son rapport final de 900 pages, publié en juin 2022, met en évidence les principales caractéristiques du conflit et formule des recommandations pour un avenir plus serein. Il est divisé en 10 volumes : 6 à caractère général sur les droits de l’Homme, le droit international humanitaire et le droit de la Guerre appliqués à la Colombie ; 4 sur les ethnies, les jeunes (garçons et filles), les femmes et l’exil. La Commission estime à 700.000 les homicides sur un total de 9 millions de morts dus au conflit entre 1964 et 2019, dont 80 % de civils non-combattants. En outre, la « Juridiction spéciale pour la Paix », instance judiciaire, vise à redonner confiance dans les institutions. Elle diffère de la « Commission de la Vérité » et de « l’Unité de recherche des disparus », processus extrajudiciaires à caractère humanitaire. Il s’agit en effet d’un tribunal colombien autonome et non d’une juridiction internationale. Elle doit satisfaire les droits des victimes et dispose de 38 juges et d’une unité d’enquête. Même les auteurs des crimes participent à la recherche grâce à la justice transitionnelle, dite « restaurative » et qui établit un dialogue entre les accusés et les victimes. Par ailleurs, conformément à l’article 6.3.3 de l’accord de paix de 2016, le conseil de sécurité de l’ONU a mis en place une « Mission de vérification des nations unies en Colombie » avec un mandat initial de 12 mois, renouvelable tous les trois ans et dont le dernier remonte à octobre 2023. En outre, le 29 juin 2024, le chef de l’État Gustavo Petro et le groupe dissident des FARC « Segunda Marquetalia» ont signé un accord sur un cessez-le-feu unilatéral dès l’entrée en vigueur du décret présidentiel sur les opérations militaires offensives. Les deux parties doivent établir le calendrier de la désescalade et l’identification des projets sociaux. Le lien entre amélioration socio-économique et stabilisation politico-militaire y est à nouveau souligné. Une véritable réforme agraire avec une répartition équitable des terres, accompagnée de projets de développement menés par l’Etat dans toutes les parties du territoire, permettrait une reconstruction du lien social et diminuerait l’emprise des trafiquants. En dépit de longues années de guerre civile, la Colombie a réussi à préserver ses institutions, basées sur des principes démocratiques et une diversité de partis politiques. Malgré les difficultés restant à surmonter, une pacification totale et la reconstruction d’une Colombie stable et réconciliée apparaît comme un projet ambitieux mais pas utopique.
Hélène Mazeran
Mexique : ambition économique mais violence récurrente