Dissuasion nucléaire : résultat de la puissance militaire et de l’excellence industrielle

La dissuasion nucléaire, qui repose sur des forces stratégiques aériennes et maritimes complémentaires dans la stricte suffisance, défend les intérêts vitaux de la France, garantit sa souveraineté et concourt à la liberté d’action de son autorité politique.

A l’occasion du cinquantenaire de sa composante aérienne (8 octobre 1964), elle a fait l’objet d’un colloque organisé, le 20 novembre 2014 à Paris, par l’armée de l’Air et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Sont notamment intervenus : le général d’armée Pierre de Villiers, chef d’État-major des armées (CEMA) ; le général de corps aérien Philippe Steininger, commandant les Forces aériennes stratégiques (FAS) ; le vice-amiral d’escadre Louis-Michel Guillaume, commandant les Forces sous-marines et la Force océanique stratégique (FOST) ; l’ingénieur général Alain Guillemette, chargé de la mission dissuasion à la Direction générale de l’armement.

Mission permanente. Domaine réservé du président de la République, chef des armées, la dissuasion fait l’objet d’un consensus pérenne au sein de la classe politique malgré les alternances, rappelle le général de Villiers. Ce dernier prépare les plans d’emploi opérationnel, s’assure des capacités et moyens techniques et en rend compte au ministre de la Défense et au président de la République. La crédibilité de la dissuasion dépend de la capacité de mise en œuvre à tout moment de l’arme nucléaire, qui inflige des dommages inacceptables à l’agresseur. Les forces aériennes et aéronavales démontre la capacité de montée en puissance jusqu’à la frappe nucléaire d’ultime avertissement. L’endurance des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) permet de garantir la capacité de frappe en second. La Direction du renseignement militaire joue un rôle spécifique dans la connaissance des objectifs et la détermination des cibles. Les moyens de transmissions de l’ordre présidentiel exigent rigueur et préparation opérationnelle. Les FAS, FOST et Force d’action navale nucléaire (centrée sur le porte-avions Charles-De-Gaulle) procèdent à plusieurs dizaines d’exercices de tir et de montée en puissance par an, en multipliant les hypothèses et les cas possibles. La dissuasion s’adapte aux circonstances d’une crise menaçant les intérêts nationaux vitaux et permet d’éviter la rupture technologique. La Direction générale de l’armement (DGA) définit les besoins opérationnels futurs. Enfin, il y a complémentarité entre dissuasion nucléaire, protection et stratégie d’action.

Dans les airs. La dissuasion impose de réaliser les missions aériennes les plus complexes, explique le général Steininger. Ainsi, un tir d’essai du missile ASMP-A (encadré), sans arme nucléaire réelle, nécessite 11 h de vol de Rafale. La phase aérienne de la dissuasion exige une grande sécurité nucléaire et un contrôle gouvernemental strict, afin que le président de la République puisse disposer de ces moyens à tout moment. Pour cela, il existe deux chaînes de commandement indépendantes : l’une pour la mise en œuvre de l’arme atomique, l’autre pour le contrôle de la sécurité nucléaire en toute transparence. Par ailleurs, les avions effectuent également des missions conventionnelles. La polyvalence des équipages et de tous les personnels des FAS s’acquiert par entraînement répété et le plus réaliste possible. Chaque semaine, est organisé un exercice sur un segment de la manœuvre d’ensemble. Celle-ci mobilise, 4 fois par an, plusieurs dizaines d’avions d’accompagnement et 1.000 personnels, en vue de simuler une montée en puissance avec des armes nucléaires réelles. La qualité des personnels (pilotes, navigateurs et techniciens) est régulièrement contrôlée en matière de connaissance des matériels, des procédures et de la sécurité. En outre, l’avenir se prépare : comment percer les défenses aériennes adverses vers 2030-2035 ; polyvalence des missions à adapter à une large palette de situations stratégiques. Enfin, indique le général Steininger, les moyens nucléaires aériens bénéficient d’une « sanctuarisation » : une attaque contre eux constituerait une agression contre un intérêt vital de la nation et déclencherait une frappe de SNLE.

Sous la mer. Depuis 1972, la FOST déploie à la mer au moins un SNLE, qui patrouille pendant des semaines à plusieurs centaines de mètres de profondeur avec ses missiles balistiques M51, rappelle l’amiral Guillaume. Divers moyens de la Marine assurent sa sécurité, depuis sa base de l’Ile Longue (Brest) à sa plongée et à son retour : frégate anti-sous-marine, sous-marin nucléaire d’attaque, chasseur de mines  et avion de patrouille maritime ATL2. Le maintien de sa discrétion dans la durée implique : une connaissance approfondie du milieu marin ; de communiquer à son commandant tous les renseignements nécessaires, notamment les perceptions de l’environnement à l’instant « t, », demain ou dans une semaine ; d’imaginer les questions qu’il pourrait se poser pour la réussite de sa mission. Depuis 1993, le personnel de l’Ile Longue, où travaillent environ 2.000 personnes et 200 entreprises, peut reconditionner un SNLE en quelques semaines. L’équipage regroupe plus d’une centaine d’hommes, qui exercent 50 métiers différents. La formation dure 10 ans pour un expert technique et 15-17 ans pour un commandant, soit 1 officier sous-marinier sur 5 ! Tout est lié dans la FOST, préc)-ise l’amiral : sécurité du personnel par anticipation de la radioactivité ; protection contre la malveillance ; contraintes d’efficacité et de productivité des industriels.

Excellence dans la durée. L’exigence de fiabilité et de sûreté nucléaires a conduit à l’excellence dans le domaine de l’armement, explique l’ingénieur général Guillemette. L’adaptation de la dissuasion à la stricte suffisance implique le maintien des compétences et de s’orienter vers la dualité entre les armements nucléaires et conventionnels ainsi que celle entre les domaines militaire et civil, notamment l’espace. Aujourd’hui, il convient d’examiner le monde industriel de façon fine, car certaines petites et moyennes entreprises exercent des métiers particuliers intéressant l’armement, comme par exemple l’horlogerie de précision. Enfin, la DGA réfléchit déjà au futur missile aéroporté. L’avenir repose sur une solide base industrielle et technologique de défense, la recherche et le développement et le soutien aux équipements conventionnels et à l’industrie duale (civile et militaire).

Loïc Salmon

Forces nucléaires : autonomie de décision et liberté d’action

Dissuasion nucléaire : pertinence pérenne et retombées pour les armées

La composante aérienne de la dissuasion nucléaire repose sur la pénétration d’avions de chasse en territoire hostile, à grande vitesse (1.000 km/h) et à très basse altitude (100 m) pour éviter la détection radar. Les Mirage 2000N et Rafale Air et Marine, servis par un pilote et un navigateur officier système d’armes, emportent un missile air/sol moyenne portée amélioré (ASMP-A), dont la tête nucléaire contient plusieurs bombes à trajectoires programmables à basse et haute altitude. Cette pénétration dans la profondeur nécessite des ravitaillements en vol à l’aller et au retour par avion C 135, capable d’emporter 88 t de carburant à 18.000 m d’altitude.




Gouverner au nom d’Allah

L’islamisme, mélange de politique et de révolution apparu au XXème siècle, a donné naissance à diverses appellations hybrides : « islam politique », « islam radical », « république islamique » et « révolution islamique ».

Aujourd’hui, il est l’élément dominant dans une vingtaine de pays regroupant plusieurs centaines de millions d’habitants. Ce courant religieux ultra-orthodoxe vise à transformer les pays musulmans sur les plans religieux, politique, social et culturel. Il veut reconstituer le « califat » du début de l’islam sous une direction arabe et repartir à la conquête du monde. Or, bien que se réclamant de l’identité arabe, les peuples dits « arabes » n’ont jamais pu former un État unique. Selon le « think tank » américain Pex Research Center, les musulmans sont présents dans 170 pays et majoritaires dans 47. Cette communauté de 1,572 milliard de croyants se répartit entre l’Asie (972 millions), les Moyen-Orient et Maghreb (315 millions), l’Afrique subsaharienne (240 millions), l’Europe (38,1 millions) et l’Amérique (4,97 millions). Malgré la haine multiséculaire entre les Iraniens chiites et les Arabes sunnites, tous les musulmans dénoncent Israël, puissance nucléaire avérée et belliciste au sein du Proche-Orient, et les États-Unis, ses indéfectibles alliés. En 2006, les statistiques de l’ONU font apparaître que les musulmans ont atteint 19,2 % de la population mondiale, devançant pour la première fois les catholiques avec 17,4 %. Pour les islamistes, ce fut le signe que la victoire était proche. Hier inconnu et persécuté, l’islamisme est devenu un phénomène planétaire et veut redessiner le monde par la terreur et la prédication. Il utilise les stations de radios et de télévisions spécialisées, internet, les réseaux sociaux et dispose d’importantes maisons d’édition, qui distribuent gratuitement manuels et coran dans l’ensemble du monde musulman. Pour l’islamiste radical, la guerre a pour but de tuer tout contrevenant aux lois de l’islam. En une trentaine d’années, l’opinion générale sur l’islamisme est passée de la sympathie (guerre soviétique en Afghanistan) à l’inquiétude (lapidation de femmes et destruction de patrimoine historique), la panique (terrorisme) et la confrontation (enracinement dissimulé dans la société). A terme, l’islamisme radical pourrait être assimilé à l’islam tout court. L’organisation terroriste Al-Qaïda a noué des liens avec celle, moins extrémiste, des « Frères musulmans ». Ces derniers se trouvent aujourd’hui au cœur de la finance islamique internationale, en coopération avec les princes et émirs du golfe Arabo-Persique et les richissimes hommes d’affaires arabes, par le biais des banques, sociétés boursières et d’investissement, du commerce, de l’hôtellerie et des industries de pointe. En effet, les élites des Frères musulmans étudient l’informatique, la physique nucléaire, les mathématiques, la médecine et la recherche spatiale dans les meilleures universités du monde. Par ailleurs, les islamistes mettent en avant les progrès scientifiques de l’Iran, en dépit des sanctions de l’ONU, et les succès industriels et commerciaux de la Turquie. L’influence de ce pays, gouverné par des islamistes, est considérable sur les Arabes démocrates, nationalistes ou…islamistes radicaux ! Pour l’Algérien Boualem Sansal, auteur du livre « Gouverner au nom d’Allah », l’unique moyen pacifique d’apaiser les tensions au sein du monde musulman réside dans la liberté d’expression de chaque individu et citoyen, mais en toute sécurité !

Loïc Salmon

Moyen-Orient : défi du terrorisme islamiste de l’EIIL

Moyen-Orient : chaos interne et répercussions périphériques

Prix Brienne du livre géopolitique 2014

« Gouverner au nom d’Allah », par Boualem Sansal. Éditions Gallimard, 156 pages, 12,50 €




Défilé 14 juillet 2014

L’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) a réalisé un recueil de courts métrages sur le défilé du 14 juillet 2014, qui marque le centenaire du début de la Grande Guerre, les 80 ans de l’armée de l’Air et le 60ème anniversaire de l’Aviation légère de l’armée de terre.

Les temps forts sont à l’honneur : élèves des Écoles militaires et de la police, pompiers, troupes et équipages de navires qui ont été déployés en opérations, Patrouille de France, avions et hélicoptères de combat et… Légion étrangère et Garde Républicaine à cheval ! Le premier conflit mondial est rappelé par une parade de « poilus » en uniforme bleu horizon et un canon de 75 mm, tracté par … des chevaux. Pour la première fois, des représentants  d’environ 80 pays ont descendu une partie des Champs Elysées avec leur drapeau. Mais un défilé d’une telle ampleur se prépare longtemps à l’avance et mobilise beaucoup de monde en dehors des troupes elles-mêmes. Les « coulisses du défilé » montrent les difficultés des derniers entraînements à 5 h du matin sous la pluie pour les soldats étrangers, qui ne marchent pas au même rythme que les Français. Le ballet des aéronefs est réglé à quelques secondes près, malgré les aléas de la météorologie. Le « Jour J », les véhicules sont en place dès 6 h du matin. Les légionnaires apprendront qu’un des leurs vient de mourir au combat au Mali. Certains militaires, qui défilent pour la première fois, expriment leur émotion et leur fierté pour leur famille et leur pays : le spectacle doit être magnifique ! La défense étant l’affaire de tous, les femmes, de préférence officiers, sont interviewées et bien mises en valeur. Un clip d’images d’actualités de l’époque rend hommage au monde combattant de 1914 : ceux du front dans les tranchées, les premiers aéroplanes rattachés à l’époque à l’armée de Terre et le soutien à l’arrière dans les hôpitaux et les usines d’armement. Les étrangers, « ceux qui sont venus du monde entier pour faire la guerre », ne sont pas oubliés. Et puis, c’est la victoire avec le gigantesque défilé du 14 juillet 1919 à partir de l’Arc de Triomphe. Aujourd’hui, les opérations extérieures ont remplacé les conflits autrefois déclarés officiellement, le dernier remontant à 1991 avec un vote du Parlement pour la guerre de libération du Koweït. Un dernier clip retrace les engagements de l’année écoulée avec les moyens terrestres, maritimes, aériens et logistiques déployés au Mali (« Serval »), en Afghanistan (retrait), en Guyane (protection du centre spatial de Kourou) et au large de la Somalie (lutte contre la piraterie). Il y a eu des morts, qui ont été honorés, mais aussi des blessés, dont la réhabilitation passe par le sport. Enfin, 2014 marque aussi le 70ème anniversaire des débarquements alliés en Normandie (6 juin) et en Provence (15 août), le commencement de la fin de la 2ème guerre mondiale. « Défilé 14 juillet 2014 » présente tout cela… avec le sentiment que l’armée française fait corps avec la nation !

Loïc Salmon

14 juillet 2014 : 80 nations invitées pour les 100 ans de la Grande Guerre

Grande-Bretagne : commémorations en France du « Jour J » et de la Grande Guerre

14 juillet 2013 : une armée d’avant-garde fière de ses traditions

« Défilé 14 juillet 2014 » ECPAD, agence d’images de la défense, 53 mn.

Boutique : www.ecpad.fr/boutique.ecpad.fr/prestations.ecpad.fr




OTAN : améliorer la disponibilité et la réactivité

L’OTAN retrouvera sa réactivité, perdue depuis la fin de la guerre froide (1991), par l’entraînement et les exercices majeurs. En outre, les lignes de forces de demain doivent être tracées aujourd’hui.

Son chef du « Commandement suprême allié de la transformation », le général d’armée aérienne Jean-Paul Paloméros, en a débattu, le 19 novembre 2014 à Paris, avec l’Association des journalistes de défense.

Incertitude permanente. Aux risques de tirs de missiles balistiques et d’emplois d’armes de destruction massive, s’ajoute aujourd’hui la menace dans le cyberespace. Il faut aussi, par l’anticipation, identifier les signaux faibles aux frontières terrestres, aériennes et maritimes des 28 pays membres de l’OTAN. La Russie et la Chine développent leurs moyens offensifs (missiles et avions de combat), mais leur capacité de déploiement reste encore difficile à évaluer dans le temps. Elles montent de très grands exercices, signes que leurs capacités techniques et humaines ne doivent pas être sous-estimées. Les États-Unis ont déjà déplacé leur pivot de défense vers l’Asie. L’OTAN adopte une position dynamique, pour disposer du volume de forces nécessaires là et quand le besoin s’en fait sentir. Si les forces aériennes russes enfreignent les règles internationales en matière de survol intempestif (Ukraine et États baltes), le niveau de risques de malentendus et de méprises augmente. Toutefois, le général Paloméros, ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air, recommande la prudence et la modération. Il s’agit de détecter, d’identifier et d’intercepter les avions qui ne respectent pas les règles d’authentification et de dépôt de plan de vol. La souveraineté des pays membres de l’OTAN n’a pas encore été menacée : aucun incident ne s’est produit récemment en matière de sûreté aérienne. Néanmoins, le nombre de décollages d’avions de chasse de l’OTAN augmente pour assurer la sécurité au-dessus des États baltes et de la Pologne. La relation de confiance, établie depuis une vingtaine d’années, entre l’Union européenne (UE) et la Russie s’effrite dans les domaines militaire, énergétique et financier. Par ailleurs, le continuum défense et sécurité s’impose contre la menace « hybride » (criminalité et terrorisme) de déstabilisation, souligne le général. Les grandes puissances peuvent influer sur le cours des événements par des pressions économiques, la communication et l’intimidation militaire. Les mouvements extrémistes, qui sévissent dans certains pays du Sud de la Méditerranée, manifestent de grandes capacités d’agressivité, de réactivité et d’anticipation. Leurs campagnes de communication deviennent tellement outrancières, que plus personne ne les contestent. « Dès qu’un responsable de l’OTAN parle, il y a une réaction dans les secondes qui suivent et qui insinuent au moins le doute ».

Réduire les déficits capacitaires.

Depuis 65 ans, l’OTAN a permis aux pays d’Europe de l’Ouest de se développer et a assuré leur défense collective, rappelle le général. Aujourd’hui, 22 pays de l’UE ont fait le choix stratégique d’adhérer à l’OTAN, avec la volonté politique que « les valeurs de démocratie et de liberté l’emportent sur le centralisme démocratique et l’obscurantisme ». Pourtant, depuis quelques années, les pays de l’OTAN, surtout les membres de l’UE, réduisent leur effort de défense. Les États-Unis comblent ce déficit capacitaire au niveau de l’OTAN et la France fait de même à celui de l’UE. L’OTAN, rappelle le général, est une alliance de nations souveraines, où chacune décide selon ses intérêts politiques, économiques et commerciaux et se positionne par rapport à sa vision du monde futur. Les restrictions budgétaires affectent surtout les équipements et, par voie de conséquence, les capacités militaires. Or, l’OTAN ne peut plus se permettre de se disperser. L’interopérabilité multiplie par 3 ou 4 les capacités de chaque pays membre. Ainsi, les armées de l’Air se sont transformées et s’entraînent en commun. « La disponibilité se gagne au quotidien ». La France adapte ses capacités à la menace en visant l’efficacité et la polyvalence. Elle construit bâtiments de projection et de commandement, frégates multimissions, avions multirôles (transport et ravitaillement en vol) et systèmes sol/air, qu’elle peut fournir aux pays partenaires qui le souhaitent. Par ailleurs, l’OTAN entreprend des exercices inopinés pour améliorer ses procédures d’entraînement et de contrôle. Ses engagements en Afghanistan et en Libye avaient entraîné une suppression des exercices en 2012. Cependant, les 4 grands exercices de 2014 ont été planifiés avant la crise ukrainienne. En outre, depuis mai 2014, le nombre d’exercices tactiques a été multiplié par 3, surtout à l’Est de l’Europe où il s’en déroule 1 tous les 2 jours. Lors du sommet de l’OTAN au pays de Galles (septembre 2014),  il a été décidé de créer, au sein de la NRF (encadré) une force opérationnelle interarmées dénommée VJTF, encore plus entraînée que l’IRF. Selon le général Paloméros, il s’agirait d’une brigade (7.000 personnels) avec des moyens de renseignement et de transport et capable de se déployer en 5 jours entre la Baltique et la mer Noire. Pour que l’OTAN regagne sa crédibilité, l’Italie, le Portugal et l’Espagne organiseront, en septembre et octobre 2015, un exercice majeur dénommé « Trident Juncture 2015 » et qui mobilisera 25.000 personnels. A partir de 2016, la NRF participera à un programme d’exercices élargis et de plus grande ampleur.

Préparer l’avenir. Les capacités militaires de demain devront être élaborées selon des mesures soutenables politiquement et dans la durée, souligne le général chargé de la transformation de l’OTAN. Il faudra, dès 2015, identifier les déficits capacitaires, établir un équilibre des grandes menaces à l’Est et au Sud et adapter les processus de planification. D’autres critères entrent en jeu : éviter de répondre à une menace par la technologie pure ; prendre en compte le coût d’entretien et de soutien des équipements ; éviter la fuite en avant technologique, car la plupart des pays membres ne pourront suivre. Il conviendra de se fixer des objectifs au-delà d’une quinzaine d’années. Par exemple, les AWACS (avions de détection et de commandement aéroporté), que seuls les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Arabie Saoudite et l’OTAN possèdent, arriveront en fin de vie en 2030. Les armées auront à travailler avec les industriels pour déterminer les capacités de demain, tirer les leçons du passé, se concentrer sur le présent et évaluer les hypothèses, notamment démographiques et climatiques, dans une vingtaine d’années.

Loïc Salmon

OTAN : réaffirmation des défense collective, gestion des crises et sécurité coopérative

OTAN : garantie d’une vision globale en matière de défense

La « Force de réaction de l’OTAN » (NRF en anglais) est une force internationale (30.000 personnels) de haut niveau de préparation, faisant appel aux technologies de pointe et regroupant des composantes terre, air et mer et des forces spéciales, que l’Alliance atlantique peut déployer rapidement partout où cela est nécessaire. Elle compte : un élément de commandement et de contrôle de la structure de commandement de l’OTAN ; la « Force interarmées de réaction immédiate » (IRF, 13.000 personnels); un pool de forces complémentaires.




Dissuasion nucléaire : pertinence pérenne et retombées pour les armées

Avec ses composantes aéroportée et océanique, la dissuasion nucléaire assure la sécurité extérieure de la France dans un monde incertain. Elle exerce aussi un effet d’entraînement sur ses capacités industrielles, technologiques et militaires.

Ces questions ont été abordées au cours d’un colloque organisé, le 20 novembre 2014, par l’armée de l’Air et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à l’occasion des 50 ans des Forces aériennes stratégiques (FAS). Sont notamment intervenus : Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense ; le général d’armée aérienne Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’Air ; l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la Marine ; Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires du CEA.

Contexte international et projets. La dissuasion dans sa stricte suffisance préserve l’autonomie stratégique de la France. « Elle permet en effet de prévenir  le risque de chantage qu’une puissance nucléaire pourrait être tentée d’exercer à notre encontre dans le cadre d’une crise internationale ou régionale », a déclaré  Jean-Yves Le Drian. Avec la protection du territoire national et l’intervention extérieure, la dissuasion s’inscrit dans une stratégie militaire globale et cohérente, qui bénéficie de moyens performants en matière de connaissance, de renseignement et d’anticipation. La composante aéroportée ouvre un espace de manœuvre politico-diplomatique en cas de nécessité. Actuellement, la crédibilité du Traité de non-prolifération nucléaire est en jeu au Moyen-Orient, avec le programme de l’Iran, et en Extrême-Orient avec celui de la Corée du Nord. Tout l’équilibre stratégique du continent asiatique se trouve fragilisé par : l’augmentation régulière des arsenaux nucléaires ; une volonté de diversification des vecteurs terrestres, aériens et sous-marins ; des tensions et conflits territoriaux anciens et non résolus ; la logique de concurrence ou même de rapport de force de certains pays (Chine et Russie) avec les États-Unis. Par ailleurs, le renouvellement des moyens de la dissuasion française se poursuit. Le ministre a annoncé la commande de 12 avions multirôles (MRTT), dont le premier sera livré à l’armée de l’Air en 2018, en remplacement des avions de ravitaillement en vol C135. Durant l’été, a été lancé l’élaboration du missile « ASMP-A rénové », capable de pénétrer toutes les défenses futures jusqu’en 2035. Les études de son successeur, dénommé « ASN4G », ont commencé et portent sur la furtivité et l’hypervélocité. Pour la composante océanique, le missile M51.2, doté d’une nouvelle tête nucléaire sera embarqué sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) à partir de 2016. Son successeur, le M51.3, dont la notification de réalisation date de juillet 2014, permettra de maintenir une capacité de pénétration renforcée face aux futures défenses adverses. Des études amont préparent le programme « SNLE-3ème génération » pour remplacer progressivement, à partir de 2035, les 4 SNLE en service.

L’armée de l’Air tirée vers le haut. La dissuasion nucléaire a fixé deux missions structurelles à l’armée de l’Air, à savoir la défense aérienne et les FAS, rappelle le général Mercier. Ces dernières ont exigé du soutien et des infrastructures, également nécessaires aux engagements conventionnels. En outre, la posture opérationnelle des FAS s’applique aux missions conventionnelles. Par exemple, un raid d’entraînement des FAS dans la profondeur, long, complexe et de nuit, mobilise une grande partie de l’armée de l’Air. Par ailleurs, les FAS ont induit des avancées technologiques, dont la réalisation du missile croisière Scalp utilisé en opération extérieure (Opex). Le niveau élevé de leur maintien en conditions opérationnelles profite aussi   aux avions des autres unités. Alors que l’opinion publique s’intéresse plus aux Opex qu’à la dissuasion, l’armée de l’Air n’en réduit pas pour autant l’entraînement des FAS, souligne son chef d’état-major. Par suite des progrès de l’hypervélocité, les avions futurs voleront à plus de Mach 3 (3 fois la vitesse du son), avec des conséquences sur les engagements conventionnels. Enfin, le fait que les grandes puissances conservent les composantes aéroportée et océanique de leur dissuasion a pesé sur le concept français de stricte suffisance, indique le général Mercier.

La Marine en mission. La dissuasion constitue la mission prioritaire de la Marine sous l’ordre direct du président de la République, souligne l’amiral Rogel, qui qualifie de « paix froide » la situation internationale actuelle. La Russie modernise sa composante océanique stratégique avec de nouveaux SNLE et des missiles de dernière génération. La Chine commence à mettre en œuvre sa dissuasion. L’Inde enverra un SNLE en patrouille dès 2016. L’efficacité d’une dissuasion, indique l’amiral, repose sur sa crédibilité, qui dépend de la permanence à la mer et de la qualité des équipages. « On n’est pas en entraînement, mais en mission, indique l’amiral, quand on est coupé de sa famille plus de 62 jours ». La discrétion acoustique réalisée pour les SNLE, inférieure au bruit de fond de la mer, profite aux sous-marins nucléaires d’attaque, de même que les capacités des transmissions. La dissuasion, qui garantit la sécurité collective, ne coûte que 5 € par Français et par mois ! Elle a été réduite à la stricte suffisance : 2 escadrons de Rafale au lieu de 3 pour la Force aéronavale nucléaire ; 1 SNLE au moins au lieu de 3 pour la Force océanique stratégique. Enfin, la Direction générale de l’armement, les services de renseignement et le CEA travaillent à l’adaptation des armes.

Le levier du CEA. Selon Daniel Verwaerde, la filière électronucléaire découle de la dissuasion, qui a permis les réalisations du réacteur à plutonium et des usines d’enrichissement de l’uranium et de retraitement des déchets radioactifs. Les programmes du CEA induisent 17.000 emplois dans le tissu industriel, où sont diffusés les travaux de recherche et développement de sa Direction des applications militaires. Le fonctionnement de l’arme thermonucléaire par simulation est garanti par un dispositif incluant le Laser Mégajoule, le système de radiographie Epure et les supercalculateurs Tera. Enfin, par sa capacité à détecter et caractériser les armements nucléaires, le CEA participe à la lutte contre la prolifération et le terrorisme nucléaire et radiologique.

Loïc Salmon

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Drones et armes hypersoniques : futurs enjeux de puissance

Les Forces aériennes stratégiques  comprennent :  le Centre d’opérations des forces aériennes stratégiques (COFAS), situé à Taverny ou à Lyon Mont-Verdun, avec des moyens de transmissions durcis aux agressions ; les escadrons de chasse 1/91 « Gascogne » et 2/4 « La Fayette » avec les avions Rafale et Mirage 2000 N armés du missile nucléaire air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) ; l’Escadre aérienne de ravitaillement et de  transport stratégique (31ème EARTS) avec les avions C135. S’y ajoute la Force aéronavale nucléaire avec les Rafale Marine du porte-avions « Charles-De-Gaulle ». Les systèmes d’arme C135/Mirage 2000N-Rafale/ASMP-A permettent d’exécuter une frappe nucléaire, taillée sur mesure, dans des délais très courts et à des milliers de km de la métropole.




Centrafrique : l’opération « Sangaris » un an après

Depuis leur intervention en République Centrafricaine le 5 décembre 2013, les forces françaises de l’opération « Sangaris » ont réussi à rétablir la sécurité dans la capitale Bangui et l’Ouest du pays. Leur commandant depuis le 17 juin 2014, le général Éric Bellot des Minières, a dressé un premier bilan devant la presse au cours d’une visioconférence, réalisée le 4 décembre 2014, entre Bangui et le ministère de la Défense à Paris. En un an, 9.000 soldats se sont succédé au sein de « Sangaris », qui déplore 3 morts et 120 blessés. Quelque 14 t de munitions et d’explosifs et 8.000 armes de guerre ont été saisis. « Le moral des troupes est bon », a souligné le général, qui l’a constaté à tous les niveaux. Par ailleurs, « la population, exaspérée, aspire à une paix durable. Les groupes armés ont perdu l’essentiel de l’adhésion de la population ». Les réfugiés estiment le niveau de sécurité suffisant pour envisager leur retour. En un an, leur nombre est passé de 100.000 à 20.000. Des pics d’insécurité demeurent, mais sont de plus en plus courts et de moins en moins violents. Il n’ y a pas de relents de djihadisme. L’action des groupes armés reste limitée et s’apparente plus au banditisme qu’à la lutte idéologique. L’activité économique a repris à Bangui et le contrôle douanier assure à nouveau des recettes fiscales importantes à l’État. Les soldats de « Sangaris » appuient ceux de la Mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation de la République Centrafricaine (MINUSCA) et ceux de la force de l’Union européenne en République Centrafricaine (EUFOR RCA). Le mandat initial de l’EUFOR RCA, qui devait se terminer mi-décembre, sera prolongée jusqu’en mars 2015. Cela permettra d’établir un calendrier de retrait de « Sangaris », en phase avec la montée en puissance de la MINUSCA. « Sangaris » densifie sa présence en diminuant le nombre de personnels sur le terrain, mais en accroissant celui des matériels pour renforcer les capacités aéromobiles et d’appui feu. A cet effet, , trois hélicoptères Tigre sont arrivés en novembre pour effectuer des missions d’attaques au sol, de reconnaissance et de protection, de jour comme de nuit. Ils complètent l’action des véhicules blindés de combat d’infanterie et des drones de reconnaissance au contact. Toutefois, la solution n’est pas seulement militaire, précise le général Bellot des Minières, et nécessite une approche plus globale avec l’action des organisations non gouvernementales sur le terrain et l’arrivée d’investisseurs industriels. Les autorités politiques de transition parcourent le pays pour adresser des messages d’apaisement à la population. Enfin, le Conseil national de transition réfléchit au mode de scrutin, en vue d’élections générales en été 2015.

Loïc Salmon

Centrafrique : passage de relais des forces Sangaris et EUFOR RCA à la MINUSCA

Mali : succès de la Mission européenne de formation et d’expertise




L’École militaire, une histoire illustrée

Ce monument parisien du « Siècle des lumières », où se développent l’action et la réflexion militaires,  a connu une histoire mouvementée, indissociable de celle du Champ-de-Mars qui la jouxte.

Tout commence en 1750, quand le « contrôleur de l’extraordinaire des guerres » Pâris-Duverney soumet à Louis XV un mémoire sur l’utilité d’un collège académique pour la formation des jeunes officiers. Il bénéficie de l’appui de la favorite du Roi, la marquise de Pompadour, qui souhaite un projet architectural supérieur à l’Hôtel des Invalides dont Louis XIV décida la construction en 1671. L’édit royal de 1751 concerne la création de l’École militaire, qui sera achevée en 1785 sous la direction des architectes Gabriel (celui des Hôtels de la Place de la Concorde) et Brongniart (celui du Palais de la Bourse et du Cimetière du Père-Lachaise à Paris). La marquise, qui y contribuera avec ses deniers personnels, y est immortalisée sous la forme d’une jeune femme symbolisant la « Vigilance », en support de la grande horloge de la cour d’honneur. L’édit précise que l’École est destinée  à « cinq cents jeunes gentilshommes nés sans biens, dans le choix desquels nous préférerons ceux qui, en perdant leur père à la guerre, sont devenus les enfants de l’État ». L’enseignement porte sur la géographie, le génie, l’équitation, l’artillerie, le maniement des armes (fusil et baïonnette) et l’escrime. Les élèves travaillent beaucoup et sous une discipline sévère, mais sont « servis magnifiquement », comme le note Bonaparte qui y séjourne d’avril 1779 à septembre 1784. Le Champ-de-Mars, vaste terrain d’exercice entre l’École et la Seine, sera le théâtre d’événements marquants dont notamment : la fête de la Fédération le 14 juillet 1790, dont la commémoration est devenue nationale en 1880 et non pas en référence à la prise de la Bastille en 1789 ; la remise des emblèmes (drapeaux, étendards et guidons) à toutes les unités militaires par Napoléon le 5 décembre 1804 ; la fête du mariage de Napoléon et de Marie-Louise le 24 juin 1810 ; la prise d’armes du 24 août 1855, où les officiers de Saint-Cyr arborent le « casoar » (plumet rouge et  blanc) en l’honneur de Victoria, Reine d’Angleterre. L’École militaire aura été  fermée à plusieurs reprises et transformée en caserne par intermittence jusqu’en 1945. Le capitaine Dreyfus y a été dégradé en janvier 1895, puis fait chevalier de la Légion d’Honneur en juillet 1906 après sa réhabilitation. Le bâtiment retrouve sa vocation première et deviendra « l’école des généraux », avec l’arrivée de l’École supérieure de guerre (ESG) en 1882, puis du Centre des hautes études militaires en 1911. Le lieutenant-colonel Foch, professeur à l’ESG de 1895 à 1901, y théorise ses principes de la guerre : économie des forces, liberté d’action et concentration des efforts. Il précise : « La réalité du champ de bataille est qu’on n’y étudie pas ; simplement on fait ce que l’on peut pour appliquer ce que l’on sait. Dès lors, pour pouvoir un peu, il faut savoir beaucoup et bien ». Sorti de l’ESG en 1924, le capitaine De Gaulle est convié par le maréchal Pétain à prononcer trois conférences devant les stagiaires et une grande partie de l’état-major général en avril 1927. Intitulées « L’action de guerre et le chef », « Du caractère » et « Du prestige », elles seront réécrites et complétées dans l’ouvrage « Le fil de l’épée » publié en 1932. Aujourd’hui,  l’École militaire accueille des officiers chercheurs… de plus de 80 pays !

Loïc Salmon

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

Les généraux français de la Grande Guerre

Les généraux français de 1940

« L’École militaire, une histoire illustrée » par Christian benoît. Éditions Pierre de Taillac, 128 pages, 150 illustrations, 14,90 €




Soldats de Napoléon

Malgré ses dysfonctionnements, la Grande Armée a connu peu de réfractaires et de désertions, grâce à la solidarité de village de ses soldats et la discipline militaire.

Abondamment illustré, ce livre la fait revivre à travers des extraits de lettres de grognards, écrites à leur famille lors de haltes et…guère soumises à la censure ! Dans la Grande Armée, héritière des armées révolutionnaires, le métier des armes repose sur l’honneur et l’excellence de ses membres. La conscription de 1798 concerne tous les Français de 20 à 25 ans, car les volontaires de l’an II ne suffisent plus. Ils seront plus de 2 millions sous les drapeaux d’avril 1792 à juin 1815. L’embrigadement de jeunes hommes du même village garantit en effet la cohérence de la troupe. L’infanterie de la Garde Impériale, créée en 1800 et réorganisée en 1804, constitue la réserve d’élite, composée de sous-officiers et de soldats s’étant distingués sur les plans moral et militaire et ayant participé à au moins deux campagnes. L’aigle, symbole de la victoire au combat, devient l’emblème de l’Empire en 1804 et orne drapeaux, étendards, shakos, gibernes et sabretaches. Malgré une solde irrégulière et le coût élevé de la vie, le statut d’officier est attractif et magnifié par le régime impérial. A partir de 1811, les officiers révolutionnaires, qui avaient appris leur métier sur le tas, sont surtout remplacés par des jeunes gens issus des écoles militaires. Mais le sentiment patriotique et politique du soldat révolutionnaire perdure chez le soldat impérial. En outre, l’Empereur exerce une réelle fascination sur lui. Voir physiquement Napoléon exerce un impact moral immense sur le soldat. L’aura des chefs importe beaucoup, car combattre sous leurs ordres c’est partager leur gloire. La motivation se trouve renforcée par l’espoir de promotion et surtout les récompenses pour intelligence, bonne conduite, bravoure et zèle. Créée en 1802, la Légion d’Honneur est attribuée pour services rendus dans des fonctions législatives, diplomatiques, judiciaires, scientifiques, militaires ou administratives. Toutefois, Napoléon ne l’accordera jamais aux comédiens, qui risquent d’être sifflés par le public, ni aux agents de renseignement, qui peuvent trahir, ni aux financiers qui peuvent être véreux, précise Jérôme Groyet. Malgré sa violence, la guerre est considérée comme une succession d’opérations militaires, où les combattants respectent une forme de code d’honneur. Ce n’est pas le cas avec les guérilleros espagnols. De 1800 à 1815, le nombre de soldats décédés au combat ou des suites de leurs blessures est estimé à 427.000, auxquels s’ajoutent les 550.000 morts de maladie et prisonniers jamais rentrés en France. Malgré le dévouement des médecins et infirmiers, les blessés manquent souvent de soins et les plus gravement atteints sont abandonnés sur le champ de bataille. Mais l’État paie la dot des filles pauvres qui épousent des anciens combattants. Après 1815, les soldats sont licenciés et les officiers mis en demi-solde, soit environ 1,5 million d’hommes. Les soldats, issus du monde rural y retournent. Les sous-officiers et officiers subalternes parviennent à se reconvertir dans la fonction publique, mais au prix d’un déclassement. Il faudra attendre la Monarchie de Juillet (1830-1848) pour que les combattants de l’épopée impériale passent du rejet social à la considération. Enfin, la Grande Armée a réalisé le rêve républicain…où la valeur et l’excellence l’emportent sur la naissance !

Loïc Salmon

Des Aigles et des Hommes : sur les traces de la Grande Armée

Exposition « Napoléon et l’Europe » aux Invalides

« Soldats de Napoléon» par Jérôme Groyet. Éditions Gaussen, 144 pages, 29 €




Cyberespace : enjeux géopolitiques

Cet ouvrage rédigé par des chercheurs universitaires et agrémenté d’un très utile lexique, fait le tour des questions (17 répertoriées !) que suscite le cyberspace. Ce terme englobe internet (plus de 40.000 réseaux autonomes) et son extension, à savoir un espace intangible où des citoyens de tous pays échangent des messages à une vitesse instantanée, qui abolit les notions de distance et de territoire. La géopolitique étudie les rivalités de pouvoir et d’influence sur un territoire à différents niveaux d’analyse, rappelle Frédérick Douzet. Parmi les divers thèmes abordés, figurent notamment le cyberterrorisme et les conceptions américaine, russe et chinoise du cyberespace. Pour Olivier Kempf, le terrorisme, difficilement identifiable en général, l’est encore plus dans le cyberespace. Les réseaux terroristes l’utilisent pour sa capacité subversive qui démultiplie leur influence, la transmission secrète de données (fabrication de bombes), son accès facile à des caractéristiques techniques de cibles éventuelles, son ingénierie sociale pour identifier les habitudes de victimes potentielles et la mise en place de recrutement. Parallèlement, de plus en plus d’actions terroristes sont dues à des « loups solitaires », individus qui se sont auto-endoctrinés par internet : attentats locaux et filières d’étrangers venant participer au « djihad » en Syrie. Après les attentats d’Al Qaïda du 11 septembre 2001 sur leur sol et leurs guerres en Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont pris conscience de la « dyssymétrie » de la terreur, qui les touche, et ont modifié leur stratégie en conséquence. Face à une intervention militaire qui se conclut par une guerre au sein de populations et désormais impossible à gagner, ils préfèrent l’action indirecte appuyée par les drones, les forces spéciales et… le cyberespace ! Par ailleurs, la Russie, leur principal adversaire de la guerre froide (1947-1991), compte 50 millions d’internautes et dispose d’un des réseaux les plus rapides du monde : son moteur de recherche Yandex est plus utilisé que l’américain Google ! Internet et les réseaux sociaux sont considérés comme de simples médias sur lesquels l’État a un droit de régulation, au nom de la souveraineté… que la notion de cyberespace tend à effacer, explique Kevin Limonier. « Runet », segment russophone d’internet, repose sur une communauté de langue (la 2ème après l’anglais et à égalité avec le français), de pratiques et de valeurs, dont le marché reste difficilement pénétrable par des entreprises occidentales comme Amazon. En outre, Moscou utilise Runet pour maintenir son influence sur les anciennes républiques soviétiques et les pays de la mouvance de l’ex-URSS. Mais en Russie même, la sourde contestation du pouvoir s’est structurée sur les blogs et les réseaux sociaux. Enfin, face à la supériorité militaire américaine, la Chine exploite toutes les ressources du cyberespace pour moderniser ses forces armées par le recueil de l’information de haut niveau scientifique, technologique, politique et stratégique (veille, renseignement, intrusions et espionnage), souligne Frédérick Douzet. Elle s’affirme au niveau international par son lobbying sur la gouvernance d’internet, sa tentative d’autonomisation du réseau, le renforcement de sa zone d’influence et ses démonstrations de force. Elle a mis sur pied une « armée bleue » d’experts informatiques pour affronter les puissances étrangères. Mais les États-Unis conservent une longueur d’avance… d’après les révélations sur les programmes de la NASA !

Loïc Salmon

Cyberspace : de la tension à la confrontation ou à la coopération

Moyen-Orient : le « cyber », arme des États et d’autres entités

La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

« Cyberespace : enjeux géopolitiques », ouvrage collectif. Revue Hérodote N°152-153, 320 pages, 25 €




La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

La géographie, représentation du monde, est aussi un savoir et un raisonnement pour penser les complexités de l’espace terrestre. La géopolitique porte sur les rivalités de pouvoir sur un territoire donné.

Ce credo du professeur Yves Lacoste l’a conduit à concevoir la géographie autrement, en intégrant les pouvoirs, acceptés ou combattus, des populations en raison de l’histoire qu’elles se racontent, des représentations d’un passé plus ou moins lointain et d’un passé plus ou moins proche. La guerre géographique, avec des méthodes différentes selon les contrées, peut être mise en œuvre dans tous les pays. Elle a été notamment appliquée pendant la guerre du Viêt Nam, surtout en 1972, selon un plan américain de destruction systématique des digues de protection des plaines, très peuplées, du Nord. Des frappes précises, avant un cyclone, auraient provoqué des fissures, puis des inondations…qui auraient paru naturelles ! Yves Lacoste, sur place à l’époque, l’a démontré, carte à l’appui, dans un article publié dans le quotidien Le Monde. Le retentissement international fut tel que les bombardements des digues furent interrompus. En 1976, le professeur écrit un petit livre intitulé « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre », qui sera réédité avec des ajouts en 2012. Il y explique que cette discipline permet de mener des opérations militaires et d’organiser des territoires, en prévision de futurs combats et du contrôle des populations par l’appareil d’État. Par ailleurs, la recherche en géographie appliquée s’est développée aux États-Unis avec des moyens considérables, publics et privés, dans le prolongement des études de marché des économistes. Les grandes entreprises et les banques ont pu ainsi décider la localisation de leurs investissements sur les plans régional, national ou international. En outre, cet outil est devenu indispensable pour des interventions militaires rapides dans les lieux les plus divers, par suite de l’expansion mondiale des intérêts américains. L’URSS d’abord et la Chine ensuite ont suivi l’exemple des États-Unis. Les monographies régionales du tiers monde, réalisées par des géographes, anthropologues et sociologues, présentent un grand intérêt pour les services de renseignement, qui les mettent à jour méthodiquement. Les recherches théoriques ont rendu possible la mise au point de techniques de cartographie automatique : l’ordinateur établit instantanément des cartes de tous les mouvements détectés par des capteurs électroniques. Ainsi, la vallée de Jérusalem se trouve sous la surveillance d’un système américain aux dimensions planétaires, pour la protéger d’éventuels tirs de fusées iraniennes à longue portée. Le développement de l’infographie a permis la publication, dans la presse, de cartes détaillées avec des légendes très documentées. En 1976 également, Yves Lacoste crée la revue Hérodote, du nom de l’historien grec (484-420 avant JC) qui a analysé les guerres médiques. Cette revue, dont 151 exemplaires ont été publiés entre 1976 et 2013, rencontre un grand succès dans les milieux diplomatiques étrangers et a valu à son fondateur le prix international « Vautrin Lud », une sorte de prix Nobel de la géographie, en 2000 au Festival de Saint-Dié. Le professeur Lacoste place Hérodote en tête de tous les géographes et historiens car, selon lui, le véritable raisonnement géographique est indissociable du raisonnement historique.

Loïc Salmon

Guerre de l’information et information de guerre

Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Prix Brienne du livre géopolitique 2014

« La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre » par Yves Lacoste. Éditions La Découverte/Poche, 250 pages, 11 €.

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