Stratégie : influence et puissance

Fonction stratégique, l’influence d’une nation consiste à promouvoir ses atouts auprès des autres pays et ainsi les convaincre de sa puissance. Elle repose sur des acteurs, des techniques et des vecteurs dans le champ des perceptions.

Ce concept complexe a fait l’objet d’un colloque organisé, le 12 juin 2024 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN en partenariat avec l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Bruno Durieux, président de l’Académie de défense de l’École militaire ; le général de brigade (2S) François Chauvancy, rédacteur en chef de la revue Défense de l’Union des associations de l’IHEDN ; Charles Thépaut, diplomate spécialisé sur la région Afrique du Nord-Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Tentatives de définition. L’influence vise à amener les autres à faire, refuser de faire ou les empêcher de faire quelque chose, explique le général Durieux. Elle consiste à infléchir leur comportement sans contrainte et sans qu’ils en aient conscience. Il faut donc bien les connaître, notamment pour les exportations d’armement. Dans ce domaine, les déboires résultent probablement d’une mauvaise compréhension du marché, du client et de son contexte. Les auditeurs de l’IHEDN réfléchissent sur la défense nationale à travers quatre cercles concentriques. Le premier concerne la défense militaire, à savoir la contrainte physique et l’effort de volonté, domaine de la guerre et de la paix où l’influence n’y joue pas un rôle clé. Le deuxième cercle, plus large que celui de la défense nationale et qui intègre le premier, consiste à protéger la population contre toutes les menaces, militaires ou non, qui portent atteinte aux intérêts de la France en tant que puissance dans les domaines de l’économie, de la société, par la subversion, et de la diplomatie. La défense nationale, souligne le général Durieux, ne vise pas à afficher sa volonté mais à affaiblir la puissance de l’adversaire ou, éventuellement, infléchir son influence. Le troisième cercle, qui englobe les deux précédents, porte sur la sécurité nationale et, en ajoutant les risques liés par le champ d’influence, s’étend à la sécurité internationale. Aujourd’hui, le champ politique international a perdu de sa visibilité du temps de la guerre froide (1947-1991) et ouvre un champ plus vaste à l’influence. Il va s’agir de créer des coalitions de circonstance, de rallier des partenaires, y compris dans le champ industriel. En outre, depuis quelques années, la place du secteur privé, à savoir individus, groupes ou grandes entreprises, s’agrandit. Toutefois, le rôle des États conserve son importance primordiale avec des moyens d’influence, qui incluent l’usage du numérique. Il s’agit de savoir comment et pourquoi une influence s’exerce. Cela repose d’abord sur la compréhension de la situation, la connaissance de l’environnement et celle de la « cible ». Ensuite, il faut la volonté d’agir, par exemple en communiquant, et, surtout, de bien élaborer le message à faire passer. C’est vrai dans le débat démocratique, le champ d’influence et celui de la compétition internationale. Il s’agit d’être capable de distinguer la guerre de la paix, les faits de l’opinion sur les faits, l’intérieur de la nation de l’extérieur. Le développement de la pensée stratégique, estime le général Durieux, repose sur une vision à long à terme et la connaissance précise des objectifs à atteindre contre quoi ou vis-à-vis de qui.

Rapports de force. Les États n’ont que des intérêts qu’ils doivent défendre, rappelle le général Chauvancy. Le monde connaît à nouveau la réalité de la guerre, à savoir celle de l’Ukraine contre la Russie depuis le 22 février 2022 et celle d’Israël contre l’organisation islamiste Hamas à Gaza depuis le 7 octobre 2023, ainsi qu’une forme d’insurrection internationale contre l’Occident. Ce discours anti-occidental, comparable à celui de la guerre froide et fortement renouvelé, réactive la guerre informationnelle, stratégie des États communistes pour contourner la lutte armée. Ce bouleversement implique deux impératifs concomitants. Le premier concerne la conception et la promotion des idées et des valeurs de l’Occident ainsi que son action politico-militaire. Le second investit le champ des perceptions sur les plans des valeurs et des émotions pour soutenir la parole publique, tout en participant à la déconstruction des narratifs des pays compétiteurs. L’influence, sixième fonction stratégique après la connaissance-compréhension-anticipation, la dissuasion, la protection-résilience, la prévention et l’intervention, se décline selon quatre axes majeurs. Le premier consiste à concevoir et expliquer les positions politico-militaires énoncées par les autorités étatiques. Le deuxième axe mobilise les différents cercles militaires pour construire des coalitions au sein de l’OTAN ou de l’Initiative européenne d’intervention. Le troisième garantit la circulation de l’information sur l’action en cours et la récupération des analyses des pays partenaires. Il entretient le dialogue avec les pays compétiteurs et les groupes infra-étatiques qui passent par des États tiers. L’influence se diffuse par des réseaux institutionnels, dont les attachés de défense face à la déstabilisation de la France à l’étranger, au sein des organisations internationales et via la recherche stratégique par la connaissance académique. L’influence d’un pays reflète sa puissance, constituée par une économie capable d’infliger des sanctions à l’adversaire, un outil militaire crédible, une culture, résultant d’une langue et d’une histoire communes, et enfin des institutions solides non remises en cause. Il convient d’agir avec détermination et une force mesurée, en évitant de donner des leçons. La guerre redevient une option, notamment contre l’agression des frontières nationales, après une longue période de diplomatie.

Contre-ingérence. Activités hostiles, agressions et polémiques d’origines étrangères dans les pays démocratiques constituent les symptômes de la transformation du champ informationnel au cours des dix dernières années et ouvre des espaces de conflictualité, indique Charles Thépaut. La stratégie d’influence montre la capacité de « rendre des coups », à savoir comprendre la situation puis proposer des options de réponses pertinentes et susceptibles d’exercer des effets dans le champ médiatique. Le ministère des Affaires étrangères a renforcé ses réseaux de veille existantes pour obtenir des remontées beaucoup plus rapides sur les signaux faibles et les dynamiques possibles dans des écosystèmes étrangers, afin d’informer les autorités politiques de ce qui se prépare à l’étranger et risquant de bousculer l’ordre public international. Dénoncer une ingérence étrangère nécessite la connaissance de la menace et la possession de leviers de communication, pour élaborer une explication vis-à-vis de la presse, et non pas des manœuvres de réponses aux contenus erronés sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de casser la « viralité » (diffusion rapide et imprévisible de photos et vidéos sur internet) d’une information authentique, mais de partager avec le public un niveau de connaissance de réseaux sociaux qui vont l’induire en erreur ou le manipuler. La seule parole de l’État ne suffit pas à créer de la crédibilité et de la confiance. Mais le partage de données brutes sur des valeurs démocratiques pendant plusieurs semaines permet de valider, de manière indépendante par d’autres États, l’enquête qui sera rendue publique par l’autorité politique. Ainsi dès octobre 2021, les États-Unis ont sensibilisé l’opinion publique internationale par le partage d’analyses et de renseignements sur l’attaque probable de la Russie contre l’Ukraine en 2022. La Commission européenne a élaboré un règlement sur les services numériques, entré en vigueur en août 2023, pour réagir aux menaces et lutter contre la désinformation. Toutefois, la mobilisation dans le champ informationnel, renforcée techniquement par l’intelligence artificielle, ne réduit pas la négociation diplomatique.

Loïc Salmon

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