Exposition « Photographies en guerre » aux Invalides

En figeant l’événement, la photographie véhicule une information. Témoignage d’un conflit, elle suscite la réflexion. Son histoire, commencée lors de la première guerre d’indépendance italienne (1848-1849), continue jusqu’à celle du Donbass en Ukraine (depuis 2014).

Narration et mémoire. Le procédé photographique apparaît dans les années 1820. L’abaissement de ses coûts de production et de diffusion et son adoption par la presse illustrée, dès les années 1890, la transforment en un nouveau médium capable d’assurer un compte rendu objectif des faits. Les premières photographies de guerre, qui remontent au siège de Rome par les troupes françaises (juin-juillet 1849), sont prises à l’aide d’un « calotype » (négatif sur papier permettant plusieurs tirages sous forme de lithographies). La longue guerre de Crimée (1853-1856) favorise l’essor de la photographie de guerre. Dans les années 1860, le « collodion sec » (négatif monochrome argentique), préparé industriellement, facilite la logistique de la prise de vue. La photographie stéréoscopique (deux vues prises sous un angle légèrement différent pour donner l’impression de relief) permet une reproductibilité et donc une diffusion commerciale. Elle constitue une première « médiatisation » de la guerre avec des ruines et des cadavres de soldats. Ainsi, pendant la guerre de Sécession américaine (1860-1865), la photographie contribue à l’écriture de l’histoire des Etats-Unis par sa diffusion dans la presse et par les tirages artistiques destinés à l’édition de coûteux albums. Par ailleurs, la démocratisation de la photographie coïncide avec la conquête et l’expansion des empires coloniaux européens en Afrique et en Asie. Ainsi, la révolte des Cipayes (mercenaires indiens au service de l’armée britannique) menaçant les intérêts de la Compagnie anglaise des Indes orientales en 1857 conduit à la chute de l’Empire moghol et à l’instauration d’un régime colonial. Des photos montrent le massacre de Cipayes en représailles d’exactions commises contre des civils. D’autres présentent des cadavres de combattants français pendant la guerre franco-prussienne (1870) ou des têtes coupées, lors de la conquête du Sénégal (1891). Les progrès de la technique et de la chimie, la réduction du poids et du coût des appareils transforment la photo en enjeu commercial pour la presse, qui publie des suppléments illustrés. Entre 1880 et 1914, ceux-ci propagent dans les foyers les événements de guerre dans les colonies et en Europe, à savoir armements, portraits, paysages dévastés, blessés, prisonniers, cadavres de combattants et réfugiés civils.

Documentation et lien social. Sur les théâtres d’opération, les militaires côtoient les « photoreporters », qui alimentent la presse d’information et les agences photographiques, apparues au début du XXème siècle. Les armées utilisent des nouvelles possibilités de la photographie comme un moyen de renseignement, complémentaire des reconnaissances de terrain et des interrogatoires de prisonniers. L’invention du cinématographe (caméra et projecteur) en 1895 puis de la caméra argentique permettent de réaliser des films muets à des fins commerciales et militaires. Lors de la guerre russo-japonaise (1904-1905), des sociétés de production de plusieurs pays envoient des reporters d’actualités dans les deux camps pour rapporter des images des combats. Lors du premier conflit mondial, la photographie, associée à l’aéroplane, devient un outil opérationnel qui accompagne les manœuvres militaires. Pour contourner la censure étatique, la presse illustrée demande directement aux soldats de fournir des images du front. Outils du souvenir et du témoignage, celles-ci renforcent les liens sociaux et affectifs entre le front et l’arrière et même entre les combattants. Pendant la seconde guerre mondiale, la photographie devient un outil fondamental dans la conduite des opérations et sert de preuve lors des procès de criminels nazis après 1945. Les photos prises clandestinement par des déportés, celles du Service photographique des armées et 25.000 images confisquées aux Allemands révèlent la réalité des ghettos, des camps de concentration et des centres de mises à mort. Dislocation de l’Union soviétique (1991), guerres civiles, conflits asymétriques et terrorisme font surgir de nouveaux motifs photographiques, à savoir ressorts économiques, conséquences sociales, politiques et environnementales ainsi que traumatismes individuels et collectifs.

Communication et propagande. Pour la presse illustrée, les photos prises par les soldats pendant la première guerre mondiale en montrent l’authenticité avec les tranchées, la boue, les camarades, les armes, l’ennemi et la mort. Pour les belligérants, la photographie devient un outil au service de la guerre pour en légitimer les buts, dénoncer les exactions de l’ennemi ou manipuler les opinions publiques. La création de services photographiques officiels appuie la propagande d’Etat, pour mobiliser l’opinion, avec le contrôle de la production et de la diffusion des images. Toutefois, la photographie dite « amateure » permet un récit personnel des conflits et peut contredire les discours officiels par une point de vue de l’intérieur. Avec le retour à la paix, les photos du conflit sont détournées dans un militantisme anti-guerre ou réutilisées comme supports de la mémoire combattante. Pendant la guerre d’Espagne (1936-1939), le « photojournalisme », engagé dans la défense d’une cause, légitime la presse et s’impose comme le fer de lance des démocraties face au totalitarisme. La seconde guerre mondiale, massivement documentée et photographiée, se double d’une guerre de communication. Parmi les millions d’images des photojournalistes, certaines, fixées dans la mémoire collective, deviennent des symboles universels. Ainsi, deux photographies, diffusées dans le monde entier sur divers supports (affiches, timbres et produits dérivés), construisent le récit de la victoire. Sur l’une, prise en février 1945 et qui inspire un monument à Washington, des soldats hissent le drapeau américain sur le mont Suribachi (île japonaise d’Iwo Jima). Sur l’autre, datant de mai 1945, un soldat soviétique agite le drapeau rouge sur le bâtiment du Reichstag (Parlement) à Berlin. La photo d’enfants fuyant un bombardement au napalm (1972) a été utilisée par les mouvements pacifistes américains et les propagandes de la Chine et de l’URSS contre la guerre au Viêt Nam (1954-1975).

Loïc Salmon

Le musée de l’Armée dispose de 60.000 photos datant du milieu du XIXème siècle aux conflits contemporains. Cette collection compte 30.000 tirages en feuilles, 20.000 photographies sur support verre négatif et positif, 4.000 photos sur support souple, près de 400 albums, quelques calotypes et une dizaine de daguerréotypes (images réalisées sans négatif sur une surface d’argent exposée à la lumière). L’exposition « Photographies en guerre » (6 avril-24 juillet 2022), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Elle présente des objets, tableaux, archives photographiques et documents. Concerts, conférences et journées d’études sont aussi prévus. Renseignements : www.musee-armee.fr.

Photographies en guerre

Henri Gouraud, photographies d’Afrique et d’Orient

Défense : mémoire et culture, véhicules des valeurs militaires