Exposition « Les agents secrets du Général » aux Invalides

Entre 1940 et 1944, les services secrets de la France libre ont fourni 80 % des renseignements utilisés dans la préparation du débarquement en Normandie, permis aux résistants français de participer à la libération du pays et évité une guerre civile.

Ces résultats exceptionnels ont été obtenus par quelques dizaines d’officiers et quelques centaines de personnes à Londres, moins de 1.000 agents envoyés en mission clandestine en France et près de 80.000 recrutés en France. En 1940, les cadres des services secrets de la IIIème République restent au service du gouvernement de Vichy. En juillet à Londres, des officiers inexpérimentés créent un 2ème Bureau, qui élargit ses fonctions et devient Service de renseignement en avril 1941, puis Bureau central de renseignement et d’action militaire en janvier 1942 et enfin Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) en juin 1942. Ce dernier organise toutes les missions secrètes, militaires ou politiques, en France et en Afrique du Nord. Il pose les fondations des services secrets français jusqu’à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), créée en avril 1982. Le 17septembre 2018, dans la cour d’honneur des Invalides, la ministre des Armées, Florence Parly, a remis la fourragère de l’Ordre de la Libération au 44ème Régiment d’infanterie, unité des personnels militaires de la DGSE. En 2020, l’institution d’un insigne spécifique souligne la filiation entre le BCRA et la DGSE. Portant les couleurs de l’Ordre de la Libération, le vert de l’espérance et le noir du deuil, cet écusson, orné de la croix de Lorraine, reprend une partie de la devise latine de l’ordre « Patriam Servando » (En servant la patrie).

Les services secrets. Depuis la fin du XIXème siècle, la France dispose de services de renseignement permanents, essentiellement militaires. Après la première guerre mondiale, ils se composent de la Section de recherche (SR) pour l’espionnage et de la Section de centralisation du renseignement (SCR) pour le contre-espionnage. Ceux de la France libre, basés en Grande-Bretagne, assurent d’abord le lien avec les résistants en France en organisant des liaisons radio et des opérations aériennes clandestines. Ils créent en France des réseaux de renseignement et d’évasion. Sur le plan militaire, ils participent à l’organisation de l’Armée secrète et des maquis et assurent la liaison avec l’Etat-major allié. Sur le plan politique, ils travaillent à unifier les divers mouvements de résistance derrière le général de Gaulle. Créé en mai 1943, le Conseil national de la Résistance permet d’affirmer l’autorité de l’Etat, reconstitué à Londres et à Alger. Or la Grande-Bretagne ne reconnaît pas la France libre comme un gouvernement en exil. Les services de renseignement britanniques coopèrent directement avec des résistants français qui n’ont aucun lien avec elle. Le SIS (Secret Intelligence Service) collecte le renseignement, le SOE (Special Operations Executive) s’occupe de l’action et le MI9 (Direction du renseignement militaire) des évasions. Ils recrutent des Français et agissent en France sans en référer au général de Gaulle. A partir de 1942, les Etats-Unis disposent de l’OSS (Office of Strategic Services) pour toutes ces missions. Les services secrets gaullistes ne peuvent agir en France qu’avec le soutien de leurs homologues britanniques, lequel comprend : la formation et l’équipement (postes de radio et armes) des agents ; l’acheminement en France et le retour en Grande-Bretagne par bateau ou avion ; le maintien du contact au moyen d’une centrale radio. Enfin, les services britanniques et américains fournissent armes et matériel à la Résistance.

Les agents clandestins. Contrairement aux membres des mouvements de résistance, les agents secrets de la France libre, volontaires civils ou militaires, sont soumis à l’autorité de son chef. Plusieurs centaines sont recrutés en Grande-Bretagne et en Afrique du Nord, formés puis envoyés en France comme « chargés de mission ». D’autres sont recrutés en France et formés en Grande-Bretagne. Les plus nombreux, recrutés eux aussi en France, restent sur place mais sont reconnus comme agents des autorités françaises. Comme tous les résistants, les agents clandestins se trouvent plongés dans une société, dont ils dépendent pour survivre et mener à bien leur mission sous une fausse identité. Ils savent qu’ils risquent la capture et la mort, mais aussi la torture et l’enfer des camps de concentration. En Angleterre, le BCRA recrute ses agents parmi les volontaires de la France libre après les avoir repérés lors de leur interrogatoire de sécurité. A partir de 1943, il en sélectionne aussi en Afrique du Nord. A l’issue des tests pratiques et psychologiques et selon leur profil, les candidats sont orientés vers le renseignement, l’action, l’encadrement (délégué militaire) ou la technique (opérateur radio, saboteur ou officier d’opérations aériennes). Infiltrés en France, ils recrutent d’autres agents parmi leurs relations ou dans les organisations clandestines. Comme tous les militaires de la France libre à Londres, les agents clandestins vivent sous le nom adopté lors de leur engagement, revêtent leur uniforme d’officier et fréquent les lieux de convivialité prisés des Français, mais cachent leur véritable affectation et leur future mission. En théorie, ils ne doivent pas se rencontrer, mais la consigne n’est pas toujours respectée. De nombreux agents, résidant en Angleterre ou y séjournant, suivent une formation dans les écoles britanniques. Ainsi, le SOE installe des dizaines de centres dans des châteaux isolés, dédiés au parachutisme (presque tous les agents sont brevetés), au sabotage, aux transmissions, aux opérations aériennes ou à la vie clandestine. Avant son départ en mission, l’agent abandonne le nom adopté lors de son engagement dans la France libre, confie au BCRA son testament et ses effets personnels. Il prend une fausse identité, apprend sa « légende » (biographie fictive mêlant le vrai et le faux), reçoit de l’argent et se familiarise avec ses faux papiers (carte d’identité, feuille de démobilisation, tickets de rationnement etc.). En France, les agents se procurent parfois de « vrais faux papiers », provenant réellement de l’administration. Désigné désormais par un pseudonyme lors de ses échanges avec Londres, l’agent clandestin revêt des habits en usage en France après vérification qu’il ne transporte rien qui puisse trahir son passage en Angleterre. Des matériels sont conçus pour cacher des messages et les postes de radio progressivement miniaturisés. Outre des renseignements militaires, le BCRA recueille des documents officiels pour ses agents et des renseignements politiques et économiques pour la propagande de la France libre et ses projets futurs. Traqués par la police française et les services allemands, les agents clandestins ne sont pas protégés par le droit de la guerre. Ceux qui le souhaitent reçoivent une pilule de cyanure (poison violent et efficace).

Loïc Salmon

Organisée par l’Ordre de la Libération et la Direction générale de la sécurité extérieure, l’exposition « Les agents secrets du général » (23 juin-16 octobre 2022) se tient aux Invalides à Paris. Elle présente objets, armes, archives photographiques et documents. Renseignements : ordredelaliberation.fr.

Les agents secrets du Général, 1940-1944

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Résistance et dissuasion