État-major des armées : bilan de l’amiral Édouard Guillaud

Chaque fois que le gouvernement les a sollicitées, les armées ont réagi avec un préavis très court, comme pour les opérations aéroterrestres au Mali et aéromaritime en Libye. En outre, le cyberespace est devenu un nouveau théâtre d’affrontement international et l’espace fournit des renseignements.

C’est ce qu’a déclaré l’amiral Édouard Guillaud, le 27 janvier 2014 à Paris, devant l’Association des journalistes de défense à l’issue de son mandat de chef d’État-major des armées (CEMA).

Les opérations. Les réformes ont accru la réactivité et la modularité des armées, qui ont dépassé les stades de l’interarmes et de l’interarmées. Ainsi en Libye, ont été mobilisés : 1 avion d’alerte avancée AWACS, des ravitailleurs en vol, l’aviation légère de l’armée de Terre, 1 sous-marin, les Forces spéciales ainsi que des Rafale, Mirage 2000 et Super-Étendards Modernisés, dont la trajectoire a été modifiée quand il le fallait. Dans l’ensemble, les relations avec les divers grands commandements américains sont « lucides », précise l’amiral. La coopération en matière de ravitaillement en vol et de renseignement est indispensable à la sécurité des opérations, car « la capacité intellectuelle d’analyse de nos adversaires est extrêmement puissante ». Le Sud de la Libye, où l’État doit se reconstruire, l’Algérie, le Tchad et le Niger sont conscients de la nécessité de sécuriser leurs frontières pour éviter qu’elles deviennent un centre de gravité du terrorisme. Au Sahel, à défaut d’éradiquer le terrorisme des mouvements djihadistes, précise le CEMA, il s’agit de le maintenir à un niveau contrôlable par les gouvernements locaux. Cela passe par l’entraînement de leurs armées, du ressort de la Mission de formation de l’Union européenne au Mali. Avant l’intervention française (2013), les troupes d’Al Qaïda, qui venaient auparavant se reposer au Mali, s’y étaient installées, vu le nombre de caches logistiques et d’armes découvertes. Désormais, « nous voulons empêcher le terrorisme international de reprendre le pays comme sanctuaire ». En République Centrafricaine, pays grand comme la France et la Belgique et peuplé de 4,7 millions d’habitants, il n’y a plus d’État et il est donc facile de vivre de rapines, souligne le CEMA. Chaque jour, quelque 40.000 personnes (le double la nuit) se réfugient à proximité de l’aéroport de Bangui, sécurisé par les troupes françaises. Seuls des moyens militaires peuvent rétablir l’ordre, en raison des niveaux de violence et de l’armement utilisé : « On se fait tirer dessus au RPG (lance-roquettes anti-char) et à la mitrailleuse de 14,7 mm » ! La reconstruction du service public se fera avec les forces de police et de gendarmerie. Les 1.600 soldats français s’y emploient avec l’aide de 6.000 Africains de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, dont 1.500 sont déployés en province, en attendant l’arrivée d’un contingent européen de 500 hommes (autorisé le 28 janvier 2014 par le Conseil de sécurité de l’ONU). Au Liban où sévit le mouvement chiite Hezbollah qui dispose d’une branche armée, la France dans le cadre de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, les États-Unis et certains pays arabes aident l’armée libanaise à réagir dans l’urgence opérationnelle. L’Arabie saoudite va lui fournir 3 Mds$ pour répondre à ses besoins. A la frontière Sud du Liban, Israël se satisfait de la situation face à la Syrie en pleine guerre civile. Par ailleurs, le plan prospectif à 30 ans de la Direction générale de l’armement oriente les recherches pour dégager les besoins futurs des forces. Toutefois, l’amiral Guillaud regrette l’insuffisance du nombre de « think tanks » en France par rapport aux pays anglo-saxons. Ces structures indépendantes de l’État, produisent des rapports d’experts, notamment sur la stratégie. De son côté, le CEMA anticipe des menaces potentielles : détroit de Malacca, où transitent 40 % des exportations européennes ; Yémen, devant lequel circule 40 % du pétrole destiné à l’Europe ; delta du Niger, théâtre de brigandage maritime.

L’évolution des forces. Au cours de son mandat, le CEMA a constaté un grande continuité dans la politique de défense de la France, quel que soit la majorité au pouvoir, le Premier ministre ou le ministre de la Défense. Il a cité deux présidents de la République : « Les armées sont le fer de lance de la politique étrangère » selon l’un ; « Sans armée forte, pas de diplomatie forte », selon l’autre. Interrogé sur l’utilité du porte-avions, il a rappelé que 80 % de la population mondiale se trouve à moins de 500 km de la mer, théâtre potentiel d’opérations. Les autorités politiques décident de l’emploi du Charles-de-Gaulle, à quai 165 jours/an pour entretien. Malgré les restrictions budgétaires, les Etats-Unis restent fidèles à leur stratégie « From the Sea » (à partir de la mer) en maintenant 10 groupes aéronavals en service. Le 18 janvier 2014, la Chine a annoncé la construction d’un 2ème porte-avions, moins de 2 ans après la mise en service du premier. Par ailleurs, la France est la seule nation occidentale, après les Etats-Unis, à disposer de satellites optiques. Toutefois, certains matériels (véhicules de l’avant blindés et Mirage 2000) vieillissent. Une quinzaine d’années s’écoulent entre le lancement d’un nouvel équipement et son entrée en service opérationnel. Trop d’achats à l’étranger conduisent à une dépendance envers les pays fabricants et « l’industrie de défense ne se délocalise pas », souligne le CEMA. La France coopère avec la Grande-Bretagne en matière de recherche et développement, pour le drone Watchkeeper de taille intermédiaire et pour la « force expéditionnaire commune ». Avec l’Allemagne, l’évolution de la classe politique permet de grandes avancées, notamment la participation d’instructeurs à la formation des troupes maliennes. Au terme de son mandat, l’amiral considère indispensable de préserver la sophistication capacitaire des armées (moyens, formation et entraînement). Il reconnaît la fragilité du moral des personnels, apparente après les ratées du logiciel de paie « Louvois », mis en œuvre en 2011 et qui sera remplacé en 2015. Enfin, malgré la limitation de leurs budgets, les armées renouvellent leurs ressources humaines par l’embauche de 18.000 jeunes par an, dont le CEMA a salué la qualité sur les théâtres d’opérations.

Loïc Salmon

Les armées, réforme, budgets et opérations

État-major des armées : changement des deux principaux titulaires

Chef d’état-major des armées (CEMA) depuis le 25 février 2010, l’amiral Édouard Guillaud quitte ses fonctions le 14 février 2014. Conseiller militaire du gouvernement, le CEMA est responsable de l’emploi des forces et assure le commandement des opérations militaires sous l’autorité du président de la République et du gouvernement, sous réserve des dispositions relatives à la dissuasion nucléaire. Il a autorité sur : les chefs d’état-major des armées de Terre de l’Air et de la Marine nationale ; les commandants supérieurs dans les départements d’outre-mer, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ; les commandants des forces françaises à l’étranger et leurs états-majors interarmées ; les officiers généraux de zone de défense. II est aussi chargé des relations avec les armées étrangères et les structures militaires de l’Union européenne et de l’OTAN.