Dissuasion nucléaire : pertinence pérenne et retombées pour les armées

Avec ses composantes aéroportée et océanique, la dissuasion nucléaire assure la sécurité extérieure de la France dans un monde incertain. Elle exerce aussi un effet d’entraînement sur ses capacités industrielles, technologiques et militaires.

Ces questions ont été abordées au cours d’un colloque organisé, le 20 novembre 2014, par l’armée de l’Air et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à l’occasion des 50 ans des Forces aériennes stratégiques (FAS). Sont notamment intervenus : Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense ; le général d’armée aérienne Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’Air ; l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la Marine ; Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires du CEA.

Contexte international et projets. La dissuasion dans sa stricte suffisance préserve l’autonomie stratégique de la France. « Elle permet en effet de prévenir  le risque de chantage qu’une puissance nucléaire pourrait être tentée d’exercer à notre encontre dans le cadre d’une crise internationale ou régionale », a déclaré  Jean-Yves Le Drian. Avec la protection du territoire national et l’intervention extérieure, la dissuasion s’inscrit dans une stratégie militaire globale et cohérente, qui bénéficie de moyens performants en matière de connaissance, de renseignement et d’anticipation. La composante aéroportée ouvre un espace de manœuvre politico-diplomatique en cas de nécessité. Actuellement, la crédibilité du Traité de non-prolifération nucléaire est en jeu au Moyen-Orient, avec le programme de l’Iran, et en Extrême-Orient avec celui de la Corée du Nord. Tout l’équilibre stratégique du continent asiatique se trouve fragilisé par : l’augmentation régulière des arsenaux nucléaires ; une volonté de diversification des vecteurs terrestres, aériens et sous-marins ; des tensions et conflits territoriaux anciens et non résolus ; la logique de concurrence ou même de rapport de force de certains pays (Chine et Russie) avec les États-Unis. Par ailleurs, le renouvellement des moyens de la dissuasion française se poursuit. Le ministre a annoncé la commande de 12 avions multirôles (MRTT), dont le premier sera livré à l’armée de l’Air en 2018, en remplacement des avions de ravitaillement en vol C135. Durant l’été, a été lancé l’élaboration du missile « ASMP-A rénové », capable de pénétrer toutes les défenses futures jusqu’en 2035. Les études de son successeur, dénommé « ASN4G », ont commencé et portent sur la furtivité et l’hypervélocité. Pour la composante océanique, le missile M51.2, doté d’une nouvelle tête nucléaire sera embarqué sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) à partir de 2016. Son successeur, le M51.3, dont la notification de réalisation date de juillet 2014, permettra de maintenir une capacité de pénétration renforcée face aux futures défenses adverses. Des études amont préparent le programme « SNLE-3ème génération » pour remplacer progressivement, à partir de 2035, les 4 SNLE en service.

L’armée de l’Air tirée vers le haut. La dissuasion nucléaire a fixé deux missions structurelles à l’armée de l’Air, à savoir la défense aérienne et les FAS, rappelle le général Mercier. Ces dernières ont exigé du soutien et des infrastructures, également nécessaires aux engagements conventionnels. En outre, la posture opérationnelle des FAS s’applique aux missions conventionnelles. Par exemple, un raid d’entraînement des FAS dans la profondeur, long, complexe et de nuit, mobilise une grande partie de l’armée de l’Air. Par ailleurs, les FAS ont induit des avancées technologiques, dont la réalisation du missile croisière Scalp utilisé en opération extérieure (Opex). Le niveau élevé de leur maintien en conditions opérationnelles profite aussi   aux avions des autres unités. Alors que l’opinion publique s’intéresse plus aux Opex qu’à la dissuasion, l’armée de l’Air n’en réduit pas pour autant l’entraînement des FAS, souligne son chef d’état-major. Par suite des progrès de l’hypervélocité, les avions futurs voleront à plus de Mach 3 (3 fois la vitesse du son), avec des conséquences sur les engagements conventionnels. Enfin, le fait que les grandes puissances conservent les composantes aéroportée et océanique de leur dissuasion a pesé sur le concept français de stricte suffisance, indique le général Mercier.

La Marine en mission. La dissuasion constitue la mission prioritaire de la Marine sous l’ordre direct du président de la République, souligne l’amiral Rogel, qui qualifie de « paix froide » la situation internationale actuelle. La Russie modernise sa composante océanique stratégique avec de nouveaux SNLE et des missiles de dernière génération. La Chine commence à mettre en œuvre sa dissuasion. L’Inde enverra un SNLE en patrouille dès 2016. L’efficacité d’une dissuasion, indique l’amiral, repose sur sa crédibilité, qui dépend de la permanence à la mer et de la qualité des équipages. « On n’est pas en entraînement, mais en mission, indique l’amiral, quand on est coupé de sa famille plus de 62 jours ». La discrétion acoustique réalisée pour les SNLE, inférieure au bruit de fond de la mer, profite aux sous-marins nucléaires d’attaque, de même que les capacités des transmissions. La dissuasion, qui garantit la sécurité collective, ne coûte que 5 € par Français et par mois ! Elle a été réduite à la stricte suffisance : 2 escadrons de Rafale au lieu de 3 pour la Force aéronavale nucléaire ; 1 SNLE au moins au lieu de 3 pour la Force océanique stratégique. Enfin, la Direction générale de l’armement, les services de renseignement et le CEA travaillent à l’adaptation des armes.

Le levier du CEA. Selon Daniel Verwaerde, la filière électronucléaire découle de la dissuasion, qui a permis les réalisations du réacteur à plutonium et des usines d’enrichissement de l’uranium et de retraitement des déchets radioactifs. Les programmes du CEA induisent 17.000 emplois dans le tissu industriel, où sont diffusés les travaux de recherche et développement de sa Direction des applications militaires. Le fonctionnement de l’arme thermonucléaire par simulation est garanti par un dispositif incluant le Laser Mégajoule, le système de radiographie Epure et les supercalculateurs Tera. Enfin, par sa capacité à détecter et caractériser les armements nucléaires, le CEA participe à la lutte contre la prolifération et le terrorisme nucléaire et radiologique.

Loïc Salmon

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Les Forces aériennes stratégiques  comprennent :  le Centre d’opérations des forces aériennes stratégiques (COFAS), situé à Taverny ou à Lyon Mont-Verdun, avec des moyens de transmissions durcis aux agressions ; les escadrons de chasse 1/91 « Gascogne » et 2/4 « La Fayette » avec les avions Rafale et Mirage 2000 N armés du missile nucléaire air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) ; l’Escadre aérienne de ravitaillement et de  transport stratégique (31ème EARTS) avec les avions C135. S’y ajoute la Force aéronavale nucléaire avec les Rafale Marine du porte-avions « Charles-De-Gaulle ». Les systèmes d’arme C135/Mirage 2000N-Rafale/ASMP-A permettent d’exécuter une frappe nucléaire, taillée sur mesure, dans des délais très courts et à des milliers de km de la métropole.