Défense : l’IA, nombreuses applications militaires possibles

Le combattant de demain devra pouvoir décider plus vite que l’adversaire, grâce à l’intelligence artificielle (IA) applicable dans les équipements qu’il portera. Des robots armés automatisés sont déjà en cours d’expérimentation.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 30 janvier 2019 à Paris, par le Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CREC). Y sont intervenus : l’ingénieur général de l’armement Patrick Bezombes, directeur adjoint du Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations ; Gérard de Boisboissel, ingénieur de recherche au CREC ; Thierry Berthier, maître de conférence, Université de Limoges ; le professeur Jean-Gabriel Ganascia, président du comité d’éthique du CNRS ; le chef d’escadron Damien Sauget, stagiaire à l’Ecole de Guerre.

Champ très vaste. Le militaire doit comprendre le fonctionnement des équipements dotés d’IA, algorithme « apprenant », explique Gérard de Boisboissel. Selon la capacité militaire et le niveau hiérarchique du combattant, l’IA facilite ses choix grâce à l’aide « cognitive » (voir encadré). Toutefois, il convient de tenir compte des locaux et des déformations potentielles du langage, notamment quand la voix est altérée par le stress. Dans le domaine de la santé, elle permet un diagnostic performant des blessés. Lors de la préparation d’une mission, elle fournit une cartographie du mode opératoire adverse, utile pour le sien propre avec anticipation des cas non conformes. La simulation sur des systèmes d’information et de communication améliore l’entraînement du soldat avec un environnement enrichi par les modes de combat adverses. L’IA aide à détecter des cibles furtives (sous-marins), reconnaître des mouvements anormaux (faux bateaux de pêche) et prévoir des déplacements des cibles (cas non conformes). Cela conduit à modéliser le comportement de l’ennemi et de préparer l’action. Montée sur une antenne active, l’IA permet d’esquiver la menace. Sur un véhicule, elle procède à son autodiagnostic pour évaluer le niveau de réparations nécessaire, application utilisable par les unités militaires et le monde civil. L’IA analyse et clarifie les données pour découvrir des signaux faibles en provenance de sources différentes (passeport douteux d’un terroriste potentiel). Elle aide à évaluer les informations en réseaux pour ne transmettre que celles présentant un intérêt opérationnel. Elle procède au chiffrement automatique des ordres pour un déplacement sécurisé. Elle intervient dans la lutte informatique active pour la déception, l’influence et le droit de riposte. L’IA nécessite une grande qualité des données et une bonne gestion de leur cloisonnement dans ses diverses sphères d’emploi et de confidentialité. Toutefois, avertit l’ingénieur de recherche, l’adversaire se comportera toujours de façon intelligente et changeante pour bénéficier de l’effet de surprise.

Intégration technologique. Outil maîtrisé et de confiance, l’IA sert à produire des ordres plus rapidement, explique le chef d’escadron Sauget. La prise de décision aux niveaux stratégique (politique), opératif (théâtre) ou tactique (sur le terrain) suit le cycle « OODA » : observer, orienter, décider et agir. Celle d’une planification inférieure à 24 mois consiste à analyser le théâtre, en comprendre les acteurs, identifier des scénarios et déterminer des leviers d’action. L’IA y contribue comme « équipier fidèle », chargé de stimuler la réflexion du chef et non pas la remplacer. Elle travaille en temps réel, même en mode dégradé maîtrisé, pour donner des conseils en vue de reprendre l’ascendant sur l’adversaire. La planification confronte les modes d’action « amis » et « ennemis », pour mettre en lumière ses propres limites et les opportunités et prévoir des plans secondaires, afin de poursuivre la mission en toutes circonstances. L’IA, « adjoint numérique », décloisonne informations et données et conçoit la synthèse pour le chef…qui décide !

Robots armés. Les Etats-Unis entendent conserver leur avance dans l’IA par l’autonomie des systèmes sur terre, sur mer, dans les airs et dans le cyberespace, pour éviter d’envoyer des soldats américains au contact d’une unité robotisée dans des combats à haute fréquence, indique le professeur Berthier. Pour cela, ils mobilisent certains GAFA et une grande partie des ingénieurs de la Silicon Valley. La Chine aspire à les dépasser et acquérir la maîtrise dans les quatre domaines cités. Elle effectue un maillage exhaustif des océans, par des unités armées de surface et sous-marines autonomes, pour contrôler les territoires inhabités. La Russie veut retirer ses soldats de la zone d’immédiate conflictualité et prendre sa revanche après la Guerre froide perdue. Elle autonomise des robots sentinelles armés et expérimente des unités robotisées terrestres.

Concept fantasmé. Le terme « intelligence artificielle », qui signifie « automatisme industriel » induit en permanence en erreur, vu les difficultés à définir et mesurer les intelligences naturelle et émotionnelle, estime l’ingénieur général Bezombes. L’IA, intelligence mathématique, repose sur la donnée. Comme les algorithmes, elle ne décide pas, mais applique des instructions informatiques. Son concept, aligné sur la science, risque de ne pas être bien accepté par la société. Toutefois, l’IA constitue un jalon supplémentaire dans l’automatisation qui, passée de l’analogique au numérique, prendra en compte les nouveautés au sein des armées dans 15 ou 20 ans. Par ailleurs, « autonome » signifie être régi par ses propres règles, rappelle l’ingénieur général. Il s’ensuit une confusion sémantique, puis un fantasme et un risque de rejet sociétal. Ainsi le fantasme du « robot tueur » pourrait déboucher sur une interdiction des systèmes en cours de développement et réduire la capacité à garantir le droit et la souveraineté nationale. Or il s’agit de défendre les valeurs et les intérêts vitaux de la nation. La question de la place de l’homme se posera dans le monde numérique de demain. Les algorithmes peuvent l’améliorer, l’augmenter ou le diminuer s’il conduit à l’absence de réflexion, conclut l’ingénieur général.

Loïc Salmon

Selon le professeur Ganascia, l’intelligence artificielle (IA) modélise cinq fonctions « cognitives » : acquisition, traitement, classification et intégration de l’information ; mémoire et apprentissage pour stocker l’information et la rappeler ; organisation mentale de l’information et son utilisation ; prise de décision et action ; rendre possible la communication. L’IA interprète automatiquement les images par une reconnaissance des formes, visages ou objets et les rend accessibles dans des bases d’images. Elle traite la parole par la reconnaissance de mots ou de thèmes et identifie le locuteur, les accents et les langues. Elle analyse et fusionne les informations issues de capteurs. L’IA assure une fonction de sécurité par la biométrie : empreintes digitales et reconnaissances faciale et vocale. Elle automatise le fonctionnement des drones, robots et systèmes d’armes létales autonomes. Elle aide au commandement opérationnel et à l’entraînement par la visualisation. Elle analyse les signaux et textes pour le renseignement et effectue des recherches sur de très grands réseaux.

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