Défense : la féminisation des armées, un enjeu opérationnel

Motivation, volonté, courage et talent ouvrent la carrière aux femmes dans les armées. Des mesures en faveur de la mixité et de l’égalité professionnelles ont permis des avancées réelles.

Ce thème a fait l’objet d’une présentation à la presse, le 4 mars 2021 à Paris, par le contre-amiral Anne de Mazieux, haut fonctionnaire à l’égalité des droits et chargée de la mise en œuvre de l’égalité entre les femmes et les hommes. Un colloque sur le même sujet a suivi le 8 mars à Paris, organisé par l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont notamment intervenus : la sociologue Camille Boutron, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire ; le capitaine Marion Buchet, pilote de chasse ; Nathalie Tournyol du Clos, directrice adjointe des ressources humaines au ministère des Armées.

Mesures d’accompagnement. Deux ans après l’entrée en vigueur du Plan mixité, les effectifs féminins des armées ont augmenté de 4,7 %, indique l’amiral de Mazieux. Outre la présence d’une femme militaire dans chaque centre de recrutement, un mentorat se développe pour aider les jeunes filles, notamment celles admises à l’écrit des concours, à acquérir les codes et usages. Toutefois, elles doivent faire leurs preuves, sans bénéficier de « passe-droits », souligne l’amiral. Depuis octobre 2020, le droit à l’avancement est maintenu après un congé parental de cinq ans pour élever les enfants en bas âge. La mise en place de « référents Egalité-Mixité », à l’écoute, permet de désamorcer des situations du vécu quotidien. Le portail intitulé « Combattre le sexisme ordinaire », interne au ministère des Armées et particulièrement détaillé, vise à obtenir une « tolérance zéro » en matière de comportement en toutes circonstances. Par ailleurs, l’Association française de normalisation a décerné le label « égalité » au ministère des Armées pour le Service des essences, le Service des ressources humaines civiles et le service achat du Service parisien de soutien de l’administration centrale (53.000 agents). En outre, le Plan égalité professionnelle entre les femmes et les hommes civils, signé le 14 décembre 2020 par la ministre des Armées et les organisations syndicales, concerne les 62.500 agents civils du ministère. Enfin, depuis 2017, une circulaire du Premier ministre exclut l’usage, au sein du gouvernement et des armées, de l’écriture « inclusive » consistant à tout mettre au masculin et au féminin.

Evolutions et résistances. Outre les cantinières, le débat sur la place des femmes dans les armées a commencé sous la Révolution, rappelle Camille Boutron. La professionnalisation, décidée en 1996 et effective en 2002, joue un rôle majeur dans l’égalité professionnelle. En 2000, une résolution de l’ONU porte sur la mise en place d’un programme visant à une plus grande participation des femmes dans les armées et dans les opérations de sécurité. Au cours des conflits, la frontière s’estompe entre combattants et non-combattants avec une participation accrue des femmes aux combats, notamment celles parties rejoindre Daech après 2014. En Inde, les femmes ont obtenu l’accès au rang d’officier dans l’armée de Terre, décision politique pourtant contestée par son chef d’état-major auprès de la Cour suprême. Par ailleurs, la gestion de la vie de famille dévolue aux femmes, reflet de la société en général, freine, par autocensure ou culpabilisation, leur accès à certaines spécialités. Le choix d’une carrière s’avère complexe dans les armées, faute de modèle féminin dans ce monde d’hommes, où perdure l’idée de ne pas mettre les femmes en danger. Pourtant depuis 2012, elles se trouvent en opération en Afghanistan. Des unités féminines américaines y ont été constituées pour le renseignement et des groupes féminins suédois pour les actions civilo-militaires. Au sein des forces spéciales, les femmes se montrent aussi performantes mais plus à l’aise entre elles que dans des unités mixtes.

Ouverture et fidélisation. A part la Légion étrangère, toutes les spécialités militaires sont ouvertes aux femmes, rappelle Nathalie Tournyol du Clos. Les barèmes des épreuves physiques sont en cours de réexamen pour les femmes, car la force n’intervient plus dans le domaine numérique, par exemple dans le cyber, pour contrer les attaques des hôpitaux militaires, ou la technologie du combat collaboratif Scorpion. Les jeunes filles performantes dans les écoles techniques sont recrutées comme sous-officiers mécaniciens dans l’armée de l’Air et de l’Espace. En revanche, elles ne constituent que 20 % des effectifs du niveau ingénieur dans l’Ecole de l’Air ou l’Ecole navale. En moyenne, les femmes restent dix ans de moins que les hommes dans les armées. La fidélisation repose sur les sous-officiers et les jeunes lieutenants pour pallier les démissions de soldats dans l’armée de Terre, fréquentes pendant les premiers mois. L’incitation financière fonctionne pour les spécialités pointues. Quant aux carrières courtes sous contrat, les femmes restent en moyenne 4 ans de moins que les hommes parmi les sous-officiers et 2 ans de moins chez les officiers. Elles sont donc encouragées à préparer le concours de l’Ecole de guerre, afin de pouvoir rester plus longtemps. Il faut en effet 20 ans pour atteindre le grade de colonel et 30 ans pour celui d’officier général. Comme 60 % des femmes militaires vivent en couple avec un militaire, la Direction des ressources humaines de chaque armée doit gérer au mieux leurs carrières et affectations respectives.

Opérations et vie privée. En 1946, le général de Gaulle a accordé le droit de vote et le statut militaire aux femmes, souligne le capitaine Buchet. La première femme pilote de chasse a reçu la croix de Guerre 1939-1945 et a été faite officier de la Légion d’honneur. Cette spécialité ne requiert pas une force physique exceptionnelle. La légitimité des femmes va de pair avec leur ambition. Quant au sexisme, il tend actuellement à la culpabilité générale des hommes. La différence entre interdiction et manque de respect ne s’applique pas spécifiquement aux femmes. Tout dépend du chef, qui règle une situation problématique ou l’élude quand il comprend mal certains comportements. La garde des enfants nécessite une disponibilité peu compatible avec les missions de plusieurs mois en opération, mais palliée par une bonne solde en France. Dans les pays anglo-saxons, les mères célibataires confient leurs enfants aux voisins. Enfin, la perte de deux femmes pilotes de chasse n’apparaît pas plus tragique que celle de pilotes masculins.

Loïc Salmon

Avec 33.000 femmes, soit 16,1 % de ses effectifs, les forces armées françaises se trouvent en 4ème position derrière celles d’Israël (33 %), de la Hongrie (20 %) et des Etats-Unis (18 %). Parmi les 20.000 jeunes recrutés chaque année, les femmes représentent 17,2 % des militaires et 41,3 % des civils. Au niveau officier, elles ont pu intégrer l’Ecole de l’air en 1977, l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr en 1983 et l’Ecole navale en 1993. Elles représentent 9,8 % des officiers généraux et 41,3 % des postes civils en 2020. Le taux de féminisation du ministère des Armées se monte à 21 %, ainsi réparti :  Service de santé des armées, 61,2 % ; Secrétariat pour l’administration, 30,9% ; armée de l’Air, 23,6 % ; Marine nationale, 14,8 % ; armée de Terre, 10,7 % ; Délégation générale pour l’armement, 46,2 %.

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