Corée du Nord : « royaume ermite » et facteur de crise en Asie du Nord-Est

Pays au régime totalitaire et dynastique, la Corée du Nord inquiète la communauté internationale, en raison de ses essais nucléaires et balistiques menaçants. Pourtant, la pérennité d’une péninsule coréenne coupée en deux a convenu, jusqu’à aujourd’hui, à ses grands voisins de l’océan Pacifique.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 27 mars 2017 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont intervenus : Barthélémy Courmont, maître de conférences à l’Université Catholique de Lille ; Juliette Morillot, rédactrice en chef adjointe du média électronique Asialyst.

Dialogue en panne. Barthélémy Courmont s’est exprimé à cette occasion et dans une interview publiée le 10 mars par Asialyst. Depuis le début de 2017, les essais de missiles nord-coréens, quoique critiqués par la communauté internationale et surtout sanctionnés économiquement par les principaux acteurs de la région, sont tombés en mer sans présenter d’amélioration technique depuis plusieurs années. La Corée du Nord semble ainsi vouloir affirmer sa détermination et sa capacité de menace, en réponse à ce qu’elle perçoit comme des atteintes à sa souveraineté, à savoir les manœuvres militaires américano-sud-coréennes annuelles et l’installation progressive du bouclier antimissile THAAD américain en Corée du Sud. Par ailleurs, le projet international KEDO de développement de l’énergie nucléaire dans la péninsule, initié par Pékin en 1994 contre l’abandon par Pyongyang de tout programme nucléaire militaire, a été gelé en 2003 après le retrait de la Corée du Nord du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Depuis, la multiplication des essais nucléaires nord-coréens a conduit à la suspension des négociations multilatérales entre les deux Corées, la Russie, le Japon et la Chine sur les meilleures conditions pour diminuer la menace nord-coréenne. En 2002, Pyongyang avait ouvert la zone industrielle de Kaesong à des entreprises sud-coréennes qui, en 2012, réalisaient 400 M$ de chiffre d’affaires et y employaient 50.000 Nord-Coréens. Cette zone a été fermée par Séoul en février 2016, à la suite de l’essai nucléaire du 6 janvier. Selon Barthélémy Courmont, la Chine reste le seul pays susceptible de faire pression sur la Corée du Nord, alors qu’elle ne comptait pas 15 ans auparavant dans les discussions diplomatiques dominées par les Etats-Unis. A la suite de la dernière campagne de tirs de missiles en 2017, la Chine a annoncé des sanctions économiques, notamment sur les produits miniers nord-coréens. Toutefois, le « statu quo » apparaît comme la meilleure solution pour toutes les parties. En effet, une réunification de la péninsule aurait un coût financier très élevé, que seule la Chine pourrait assumer, et ôterait toute justification à la présence militaire américaine, situation difficilement acceptable par Washington. Par ailleurs, comme 50 millions de personnes vivent au Sud du 38ème parallèle et 25 millions au Nord, une réunification équivaudrait à une extension de la Corée du Sud, démocratique. Mais celle-ci changerait alors de nature par suite des votes massifs des Nord-Coréens et la désaffection des Sud-Coréens à l’égard du personnel politique.

La rationalité de Pyongyang. Juliette Morillot a présenté la vision de la situation par le régime de Pyongyang. Les deux Corées n’ont toujours pas signé de traité de paix depuis l’armistice de 1953. Celle du Nord se sent donc encore en guerre et sous la menace directe des Etats-Unis, qui avait installé des armes nucléaires en Corée du Sud de 1958 à 1991 pour dissuader le Nord de développer un arsenal nucléaire. La doctrine officielle, dite « Juche », repose sur l’autosuffisance économique et défensive et vise à hisser le pays au niveau des grandes puissances, l’arme nucléaire constituant une véritable assurance-vie. La Corée du Nord veut d’abord un traité de paix sur la péninsule en préalable à toute discussion sur sa dénucléarisation, alors que les Etats-Unis exigent l’inverse. Elle souhaite aussi un pacte de non-agression avec les Etats-Unis et un accord sur le nucléaire civil, similaire à celui avec l’Iran (2015). Devenue une puissance nucléaire, elle revendique une reconnaissance diplomatique. Pyongyang veut un dialogue direct avec Séoul et une relation bilatérale avec Washington et refuse la conférence multilatérale à 6, considérée comme un « tribunal » (Corées du Nord et du Sud, Etats-Unis, Japon, Russie et Chine). En fait, estime Juliette Morillot, tous les pays de la région souhaitent le maintien du « statu quo ». Pour le Japon, une péninsule réunifiée et nucléarisée justifierait son réarmement, actuellement freiné par un sentiment antinippon latent dans la région depuis la seconde guerre mondiale. Lassée des rêves nationalistes, la Corée du Sud n’a guère envie d’une réunification, surtout sa jeunesse qui voit la Corée du Nord comme un pays étranger dont elle ne perçoit pas la menace. La Chine conserve une attitude ambiguë. Pour se maintenir dans le concert des nations, elle condamne la Corée du Nord à l’ONU et vote les sanctions, contournées à leur frontière commune. En outre, elle préfère un « Etat-tampon » à une péninsule unifiée  et « américanisée ». Elle ne souhaite guère la constitution d’un bloc nucléaire à proximité : Corée du Nord mais aussi Japon et Corée du Sud sous l’égide des Etats-Unis. Pyongyang se méfie de Pékin et redoute un conflit armé avec Séoul…sous le commandement réel de Washington. Ses diplomates jouent sur l’ambiguïté régionale pour assurer la survie du régime. Enfin, son dirigeant, Kim Jong-Un jouit d’une relative popularité, en raison de l’amélioration des conditions de vie de la population par rapport à l’époque de son père où la famine avait sévi. La Russie se sent menacée par l’installation du bouclier antimissile américain THAAD et veut créer un pôle économique régional. Washington justifie la présence de 30.000 soldats en Corée du Sud et au Japon par la volonté expansionniste de Pékin en mer de Chine orientale, notamment sur les îles Senkaku sous contrôle japonais depuis 1895 et revendiqué par Taïwan et la Chine. Sous l’administration de Barack Obama (2009-2017), les « faucons » américains parlaient peu, mais depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, ils préconisent une frappe préventive contre la Corée du Nord.

Loïc Salmon

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Séparée de la Corée du Sud par une zone démilitarisée (DMZ) de 238 km le long du 38ème parallèle, la Corée du Nord a une frontière commune de 1.416 km avec la Chine et se trouve à 1.000 km au Nord-Ouest du Japon. Elle est dirigée depuis sa fondation par les Kim, de père en fils : Kim-Il Sung, de1948 à 1994 ; Kim Jong-Il, de 1994 à 2011 ; Kim Jong-Un, depuis 2011. Fortement minée, la DMZ est surveillée par 700.000 soldats nord-coréens et 410.000 militaires sud-coréens appuyés par des éléments de la 2ème Division d’infanterie américaine, conformément au pacte de sécurité conclu entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. L’unique point de passage, dénommé « Joint Security Area », se trouve sous le contrôle de l’ONU. Disposant d’une force armée de 9,5 millions de personnels, la Corée du Nord développe des programmes nucléaire et spatial.