La police des Lumières

Instrument de la puissance publique, la police du XVIIIème siècle intervient aussi dans l’économie, le travail, les échanges, la santé et l’hygiène des populations. La formation de ses métiers spécifiques s’amorce en Europe.

La police s’arroge aussi le droit d’exclure de la société tous ceux qu’elle considère comme nuisibles à la paix publique et tranche arbitrairement en faveur de ce qu’elle pense être l’intérêt commun. Face à elle, les gens ordinaires ne se limitent pas à l’obéissance muette ou à la résistance obstinée et recourent à la ruse, à la négociation et aux accommodements. Les policiers eux-mêmes savent modérer leur action pour éviter d’éventuelles réactions de grande ampleur. Certains, inspirés par les idéaux des Lumières, tentent d’adoucir des dispositifs jugés inefficaces ou trop rigoureux. La capacité de maintien de l’ordre de la lieutenance générale de police, instaurée en 1667 par Louis XIV, suscite l’intérêt des souverains de Prusse, d’Autriche, de Toscane et de Russie, qui en étudient la transposition chez eux. L’Espagne, le Portugal et le Danemark en adoptent des versions. A Paris, les commissaires du Châtelet assurent un rôle de police de proximité, qui désamorce la plupart des conflits locaux. L’ouvrage « Traité de police » (1709) recense onze domaines d’activité : religion, mœurs, santé publique, approvisionnement en nourriture, voie publique, sécurité, sciences physiques et humaines, commerce, production, personnel domestique et pauvreté. Il inspire toutes les grandes villes d’Europe, celles de la côte nord-américaine et même la capitale de l’Empire ottoman, confrontées aux mêmes difficultés socio-économiques. Le maintien de l’ordre à Paris y est présenté sous ses deux aspects : détecter, réprimer et punir la délinquance ; veiller à l’amélioration de l’environnement urbain. La conception d’une police « amélioratrice » en vient à prendre les attributs d’une science avec des textes et des méthodes spécifiques. Divers auteurs, disposant de réseaux internationaux, préconisent le recours prudent à des petites technologies, soulignent l’importance du détail dans le travail de la police et mettent l’accent sur la prévention. La culture politique de la fin du siècle des Lumières prône la transparence et les droits individuels face à l’opacité de la police parisienne avec sa pratique de l’espionnage, ses prisons d’Etat et ses « lettres de cachet », à savoir un ordre du roi permettant l’incarcération sans jugement, l’exil ou l’internement de personnes jugées indésirables. Par ailleurs, l’armée est mise souvent à contribution pour le maintien de l’ordre civil : sentinelles devant les bâtiments publics ; surveillance des marchés et des spectacles ; patrouilles nocturnes ; conduite des délinquants aux postes de garde ; haies de sécurité pendant les grandes fêtes et processions urbaines ; réglage de la circulation des véhicules. La « Ferme générale », qui collecte les droits de douane et les impôts indirects, dispose d’une force de police de 20.000 gardes armés aux frontières. La Révolution remplace la lieutenance générale de police par la Garde nationale, les justices de paix, l’institution d’un contrôle démocratique et la création d’un ministère de la Police, qui reprennent ultérieurement la plupart des techniques répressives de l’Ancien Régime. La « maréchaussée », chargée de la police et de la justice militaires et aussi de la police des routes, devient Gendarmerie nationale et perd ses compétences judiciaires.

Loïc Salmon

 « La police des Lumières », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Archives nationales, 256 pages, 200 illustrations, 35 €

Gendarmerie : lutte contre le terrorisme et renseignement

Garde républicaine

Garde nationale : objectif, fidéliser les réservistes

 

 




Les grandes affaires de la Libération 1944-1945

La représentation mémorielle de la seconde guerre mondiale a tendance à surévaluer l’apport des Etats-Unis et l’ampleur de la « collaboration » en France et à oublier l’impunité d’anciens nazis et le passé « douteux » de certaines personnalités d’après-guerre.

Cet ouvrage met en lumière une vingtaine d’épisodes à partir d’archives militaires et civiles des pays belligérants. Entre 1941 et 1945, les Etats-Unis ont perdu 416.837 soldats mais l’URSS 9.168.400. Du côté allemand, 3.543.000 soldats sont morts contre l’armée soviétique et environ 374.470 contre les troupes américaines. Entre 1939 et 1945, 740.000 soldats allemands sont tués sur le front de l’Ouest (France, Belgique, Pays-Bas et Allemagne de l’Ouest), dont 644.941 en 1944-1945 contre les armées américaines, britanniques, canadiennes et françaises. Lors de la bataille de Dunkerque (26 mai-4 juin 1940), la défense par les troupes françaises des poches de Dunkerque, Lille, Calais et autres secteurs fixe la majorité des divisions allemandes, facilitant le rembarquement de 224.686 soldats professionnels du corps expéditionnaire britannique, qui permettront la poursuite de la guerre. En outre, 300 navires de la Marine française embarquent 102.570 soldats alliés. En métropole et pendant toute la guerre, 266 réseaux de résistance sont créés par les services spéciaux de la France libre avec 150.000 membres permanents et 300.000 « occasionnels » et 125 autres par le SOE britannique avec des résistants français. Ces réseaux ont fourni 80 % des renseignements sur le dispositif militaire allemand. S’y ajoutent 300.000 maquisards homologués des Forces françaises de l’intérieur. En 1944, les Etats-Unis tentent de placer la France sous leur protectorat par la mise sur pied d’une administration militaire dénommée « AMGOT ». Mais le Gouvernement provisoire de la République française, qui ne sera reconnu par les Alliés que le 29 octobre, avait élaboré, deux jours avant le débarquement en Normandie, 400 décrets et ordonnances pour restaurer la légalité dans le pays. Fin février 1944, la division allemande « Das Reich », de retour du front soviétique où elle a subi de lourdes pertes, est envoyée dans le Sud-Ouest de la France pour reconstituer ses effectifs en hommes et matériel. Dès le mois de mai, elle mène des opérations féroces contre les maquis et les populations civiles et, le 8 juin, reçoit l’ordre de se porter le plus vite possible vers la Normandie. Au mois d’août, elle a massacré ou déporté 3.000 personnes en tout dans le Sud-Ouest. Par ailleurs, la Gestapo a recruté 6.000 agents français actifs et 24.000 informateurs occasionnels, aux motivations diverses. Mais de nombreux Français anonymes sauvent de la déportation 75 % des juifs présents en France (95 % de Français et 50 % d’étrangers). De son côté, l’Italie, quoique fasciste et alliée de l’Allemagne nazie, sauve 83,6 % de juifs sur son territoire et ses zones d’occupation. Pourtant plusieurs chefs gestapistes allemands, coupables de séries de crimes en France, seront épargnés ou faiblement condamnés après la guerre. Des responsables nazis seront exfiltrés vers l’Amérique latine. D’autres seront récupérés par les services de renseignements soviétiques ou américains. Des écrivains et journalistes français connus, compromis sous l’Occupation, dissimuleront leur passé, après avoir rendu de menus services à la Résistance lors de la débâcle allemande.

Loïc Salmon

« Les grandes affaires de la Libération 1944-1945 » par Dominique Lormier. Editions Alisio, 350 pages, 19,90€. 

Nouvelles histoires extraordinaires de la Résistance

Parachutée au clair de lune

Provence 1944




Cyberdjihadisme : baisse de la propagande et réorganistion

L’Etat islamique (EI) et Al Qaïda (AQ), principales organisations terroristes, diffusent plutôt leurs messages vers les petites plateformes et les réseaux chiffrés, pour des raisons financières et de « neutralisation » de leurs comptes sur les grands réseaux sociaux.

Cela ressort d’un rapport publié en mai 2019 par le ministère de l’Intérieur (Délégation aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces). L’EI et AQ utilisent les mêmes codes et protocoles de diffusion de propagande terroriste sur internet, à savoir le « web 2.0 » (interactivité alliant complexification de la technologie et simplicité d’utilisation), les applications mobiles et les réseaux sociaux. Ils visent des objectifs similaires : propagande idéologique et recrutement ; financement ; plateforme opérationnelle ; revendication.

Le réseau global de l’EI. La propagande de l’EI à destination de la mouvance occidentale s’est dégradée en termes de qualité et de quantité. Les vidéos de mise en scène de djihadistes francophones depuis la zone syro-irakienne, qu’il contrôlait, ont disparu depuis le second semestre 2017. La perte de son territoire et de nombreuses infrastructures a conduit à une baisse de production de contenus de propagande sur ses organes officiels Nashir News et Amaq. Le magazine Rumiyah a cessé de paraître en 2017. Cependant, le bulletin en pdf Al Naba et les bulletins quotidiens de la radio Al Bayan continuent leur diffusion. Le groupe sympathisant Fursan Upload présente de nouveaux contenus sur plusieurs canaux du réseau chiffré « Telegram » et différents services d’hébergement, dont le « cloud ». Les anciennes productions perdurent, grâce à des services de copie et de sauvegarde. Telegram demeure le premier vecteur de l’EI pour la publicité et de stockage de nouvelles parutions. Par ailleurs, les sympathisants de l’EI ont exprimé leur volonté d’acheter les outils et les services nécessaires à des cyberattaques par les « volontaires en ligne ». Mais leurs capacités offensives internes semblent limitées et guère organisées. En mars 2018, l’EI a tenté, sans succès, de monter le réseau social « Muslim’s Network ». Le recours aux monnaies virtuelles pour financer des attaques terroristes reste marginal.

La mouvance AQ. L’organisation AQ regroupe également d’autres entités, dont AQMI (Maghreb), AQPA (péninsule arabique), AQSI (Sinaï) et Al-Shebbaab (Somalie). Elle dispose des organes de propagande GIMF, Sahab M.dia, Al Malahem et Al Fustaat ainsi que de services de traduction et utilise aussi Telegram. En outre, elle publie régulièrement des infographies de menaces, lors des fêtes religieuses et des événements de société (« gilets jaunes ») ou sportifs (coupe du monde).

 « Pharos » à la rescousse. Le ministère de l’Intérieur a ouvert sur internet le portail « Pharos », permettant de signaler des contenus illicites, notamment la propagande islamiste. Cette plateforme a recueilli 4.550 signalements de contenus à caractère terroriste ou en faisant l’apologie en 2018, contre 6.750 en 2017 et 11.400 en 2016. Elle a transmis : 12.100 demandes de retrait pour les contenus à caractère terroriste, contre 30.634 en 2017 ; 4.877 demandes de « déréférencement » ; 51 demandes de blocage. Depuis le 28 février 2018, elle dispose d’un relais européen, via une connexion avec l’application IRMa d’Europol. Les échanges de données portent sur les transmissions d’adresses URL de contenus terroristes passibles d’un retrait. Au 31 décembre 2018, Pharos a ainsi transmis, à Europol, 69.937 contenus à caractère terroriste.

Loïc Salmon

Terrorisme : impacts et enjeux du « cyberdjihadisme »

Terrorisme : les forces armées préservées de la radicalisation

Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle




Sécurité : corruption et évasion fiscale, conséquences lourdes

Elément à part entière des relations économiques locales et internationales, l’argent « sale », issu de la corruption ou de l’évitement de l’impôt, sert à financer le terrorisme et les activités criminelles.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 20 mars 2018 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : le magistrat Eric Alt, vice-président de l’association Anticor ; Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS et co-auteure du livre « Argent sale. A qui profite le crime ? » ; Eric Vernier, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste du blanchiment de capitaux.

Complexification croissante. La définition de l’argent « sale » varie, car, même gagné de façon légale, il peut être considéré comme « noir » ou « gris » selon les pays et les époques, explique Carole Gomez. Cela permet de dissimuler l’origine des fonds à réinjecter dans les circuits économiques licites (blanchiment). Depuis l’Antiquité, les pouvoirs publics veulent gommer l’origine peu recommandable de certains fonds, afin de les faire rentrer dans les caisses de l’Etat. Ainsi, l’empereur romain Vespasien (9-79 après JC) avait taxé la collecte d’urine, qui servait à fixer la peinture. A son fils, le futur empereur Titus, qui s’en étonnait, il avait répondu : « L’argent n’a pas d’odeur ». Au Moyen-Age et à la Renaissance, les dirigeants politiques ont tenté de lutter contre la corruption, sans grand succès. Au XXème siècle et jusque dans les années 1990, les pots-de-vin versés pour emporter un marché étaient déductibles du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. L’argent sale provient des partis politiques, des groupes criminels, de la contrefaçon ou de trafics divers (drogue, prostitution et racket) pour alimenter des activités illégales. Transparency International, organisation non gouvernementale allemande anti-corruption étatique, établit des classements par pays mais selon des critères peu pertinents, précise Carole Gomez. Ainsi, certains pays comme le Soudan et la Syrie sont toujours mal traités et d’autres très bien, comme les pays scandinaves…dont certaines personnalités politiques ont pourtant placé des fonds dans les paradis fiscaux ! Ces derniers, qui permettent d’échapper à l’impôt, déresponsabilisent les particuliers qui en ignorent les dangers sous-jacents. Les flux d’argent sale se sont accrus avec la mondialisation et le développement de la technologie : la « crypto-monnaie » (argent électronique) a vu le jour en 1997. Les Etats et organisations internationales se sont rendus compte du danger, mais avec retard. Par ailleurs, les média renforcent l’idée de l’augmentation des flux en jeu. Toutefois, la crise économique persistante a rendu la société civile moins tolérante. La connaissance approfondie de ses mécanismes constitue un outil efficace contre l’argent sale. Mais les mesures de prévention et les actions des « lanceurs d’alerte » auront toujours un temps de retard.

Du « sale » au « propre ». Le blanchiment d’argent n’est jamais abordé dans les réunions du G-20 (19 pays et l’Union européenne), souligne Eric Vernier. L’argent du crime est estimé à 2.000 Mds$, soit autant que le produit intérieur brut du continent africain, et dont la moitié passe par les circuits bancaires. Le GAFI (Groupe d’action financière contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) établit une liste de pays non coopératifs, mais qui se vide au cours des années et n’inquiète guère la Russie, la Chine, Israël, le Liban, Singapour, Hong Kong ou l’Etat américain du Delaware. Selon des organisations non gouvernementales (ONG), seulement 1 % des avoirs des anciens dictateurs est retrouvé. Ainsi, des avocats recherchant ceux du colonel Kadhafi après sa chute (2011) en ont trouvé 800 M$ dans une banque sud-africaine. Les paradis fiscaux ne profitent qu’aux non-résidents, la France en étant un pour les riches Qataris, estime Eric Vernier. Les ONG spécialisées en dénombrent une soixantaine dans le monde. L’Union européenne (UE) a établi une liste de 17 pays, réduite à 7 après la publication des « Panama Papers » en avril 2016. Cette liste exclut une vingtaine d’Etats européens, dont les Pays-Bas, Malte, Chypre, Gibraltar, la Belgique et la Suisse. Les pays en développement qui acceptent des entreprises multinationales chez eux n’y figurent pas. Depuis, des sociétés extraterritoriales et tout à fait légales sont parvenues à des « arrangements ». Ainsi la société suisse de services financiers UBS a payé 2 Mds$ pour éviter une enquête sur le blanchiment d’argent. La Suisse doit donner les noms de 40.000 clients à la France…qui ne les réclame pas. Barons de la drogue d de la Colombie et du Mexique, hommes politiques et chefs d’entreprises de divers pays ont bénéficié des mêmes montages et avantages financiers. La publication des « Paradise Papers » (novembre 2017) a mis au jour un véritable « système de fraude fiscale », souligne Eric Vernier. Par exemple, un sportif français de haut niveau peut acheter légalement un bateau à Malte sans avoir à payer la taxe à la valeur ajoutée en France. Grâce à des montages sophistiqués, une société française, ayant pignon sur rue, aide des petites entreprises de commerçants ou d’artisans à s’installer en Grande-Bretagne pour éviter l’impôt. Dans le même but, l’agence de location de logements AirBnB propose à des particuliers d’ouvrir un « compte parabancaire » (non soumis aux obligations des banques) à Gibraltar, lequel ne sera pas déclaré aux autorités françaises. Les locations à Paris atteignent plusieurs centaines de millions d’euros par an. Selon Eric Vernier, les nouvelles technologies permettent aux marchés financiers supranationaux d’augmenter les fraudes, mais aussi de lutter contre.

Riposte possible. Au sein même de l’UE, certains Etats proposent des « optimisations fiscales » aux ressortissants des autres pays membres, rappelle Eric Alt. Toutefois, la coopération entre société civile et législateur a conduit à une loi sur la vigilance des sociétés mères et de leurs filiales. Des ONG comme Transparency International, Sherpa et Anticor ont obtenu l’agrément de se porter partie civile. Enfin, le parquet financier compte des personnalités qui prennent des décisions courageuses, conclut Eric Alt.

Loïc Salmon

Le service de renseignement « Tracfin » dépend du ministère des Finances. La cellule d’analyse stratégique exploite les informations disponibles, en vue d’identifier les tendances en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. Le département d’analyse, du renseignement et de l’information suit les déclarations relatives au soupçon et assure les relations internationales. Le département des enquêtes effectue les investigations approfondies sur tous les types de blanchiment. Le pôle juridique et judiciaire remplit des missions d’expertise et de conseil pour caractériser des faits susceptibles de constituer une infraction. Il travaille en liaison avec la Police nationale, la Gendarmerie nationale et l’Office de répression de la grande délinquance financière. La mission des systèmes d’information s’occupe du fonctionnement et de l’évolution des moyens informatiques de Tracfin.

Sécurité : la contrefaçon et ses conséquences économiques, sanitaires et criminelles

Afrique : fraude et corruption des agents publics, des fléaux difficiles à éradiquer




Trafics d’armes légères : comment les contrer

La construction des capacités étatiques de lutte contre les trafics d’armes légères et de petit calibre (ALPC), à destination des mouvements terroristes, nécessite une coordination entre experts et institutions internationales en matière de marquage et de traçage.

Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 31 janvier 2018 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité et l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont notamment intervenus : Thierry Jacobs, entreprise belge d’armement FN Herstal ; Claudio Gramizi, organisation « Conflict Armament Research » ; Johan Drugmand, police judiciaire belge.

Marquage industriel. Le fabricant de l’ALPC, qui en effectue le premier marquage (numéro de série), constitue le premier intervenant dans son traçage, souligne Thierry Jacobs. La firme FM Herstal conserve les fiches techniques de ses produits depuis 1889, numérisées depuis 1993. Elle reçoit 350 demandes de traçage par an, dont 90 % d’autorités judiciaires et 10 % de l’ONU. Elle donne l’information dans 100 % cas, si l’arme a moins de 25 ans, et dans 95 % des cas selon l’exactitude du numéro de série des armes plus anciennes. Elle connaît les caractéristiques des ALPC et de leurs marchés, différents pour les armes civiles ou militaires. Un même modèle d’ALPC militaire, d’une durée de vie supérieure à 30 ans, peut être fabriqué par plusieurs entreprises, qui lui conservent son interopérabilité. Le marquage repose sur les normes définies par l’ONU et l’Union européenne : numéro de série ; nom du fabricant ; pays d’origine ; calibre et année de fabrication si possible. Le marquage reste unique, difficile à effacer ou falsifier et facile à mettre en œuvre à grande échelle, sur différents types d’armes à feu, et à lire dans n’importe quelle condition. Une confusion peut se produire quand le numéro de série de l’arme diffère de celui de la pièce de rechange provenant d’un autre fabricant. En conséquence, le numéro authentique de série, accompagné d’un signe distinctif au poinçon, défini par le fabricant d’origine et approuvé par une commission d‘experts, devient obligatoire pour tous les fabricants du même modèle ou d’un modèle compatible, des pièces de rechange et des parties essentielles de l’arme vendues séparément. L’OTAN a standardisé les calibres des ALPC des pays membres (5,56 mm et 7,62 mm) et les marquages des munitions et emballages. En revanche, il existe plus de 350 calibres pour les armes civiles et une dizaine pour certaines armes militaires récentes. De nombreux fabricants produisent les mêmes munitions, en entier ou en partie, rechargeables par l’usager et d’une durée de vie supérieure à 25 ans, soit environ 10 milliards d’unités par an.

Traçage policier. Le numéro de série d’une ALPC et ses caractéristiques (marque, modèle et calibre) permettent d’identifier son dernier propriétaire légal connu, explique Johan Drugmand. La police belge, précise-t-il, n’enquête que sur les ALPC fabriquées, neutralisées et utilisées ou légalement importées en Belgique. Une première consultation de ses bases de données établit l’usage de l’arme pour commettre une infraction ou simplement son signalement en cas de perte ou de vol (enquête judiciaire). Une seconde vérification constate la détention, actuelle ou passée, de l’arme en Belgique (enquête administrative). Pour le traçage d’une arme fabriquée en Belgique, la recherche s’effectue dans les registres des armuriers qui y sont installés, surtout ceux de FN Herstal pour les marques FN (militaires) et Browning (civiles). La police reçoit des demandes de traçage par trois canaux et répond par les mêmes :  SIENA (Europol mailbox) pour les pays européens et quelques autres ; I-arms pour les pays membres d’Interpol ; Service mailbox pour les demandes belges. Ainsi, en 2017, la police belge a reçu 958 demandes de traçage de 43 pays, dont 75 pour FN Herstal, et a envoyé 941 réponses. En outre, 19 demandes ont nécessité des investigations plus approfondies en Belgique. Le délai de réponse varie de quelques minutes (contrôle) à plusieurs semaines (traçage approfondi), selon le type de la demande ou la complexité de la réponse.

Situation de conflit et après. L’organisation « Conflict Armament Research » (CAR), présente dans une vingtaine de pays du Moyen-Orient et de la bande sahélo-saharienne, agit sous mandat du Conseil de l’Union européenne. Elle recherche des preuves circonstancielles sur les approvisionnements en armes dans les zones de conflit et leur entourage immédiat ou de « post-conflit » aux structures étatiques faibles ou inexistantes, explique Claudio Gramizi. Les collectes de données (modèle, calibre, marquage et photo) sur le terrain, en vue d’un profilage individuel des armes et munitions illicites, sont enregistrées dans la banque de données interne « Trace », d’où sont exclues les informations non vérifiées ou non vérifiables. Les experts de CAR identifient ensuite le matériel documenté, éventuellement par des contributions externes. Chaque pièce fait l’objet d’une demande de traçage formelle auprès des producteurs, autorités ayant autorisé son exportation ou de tout détenteur légal connu. Ensuite, chaque arme et munition est présentée sur une fiche technique accessible au public. Ainsi, institutions étatiques et producteurs d’armement peuvent exercer un droit de réponse pour chacune, en vue de corriger ou compléter certaines informations. CAR complète les outils développés par Interpol et l’ONU et garantit la confidentialité de données couvertes par le secret d’une instruction judiciaire. Toutefois, son efficacité dépend du niveau de coopération volontaire des partenaires locaux et internationaux. Une gestion insuffisante des stocks d’armes illicites ne permet pas de reconstituer l’historique d’une pièce saisie, sans compter l’accès unique ou même restreint aux lots saisis. En outre flux et marchés illicites différents se superposent (groupes d’insurrection armés ou protections personnelles). Souvent, policiers et militaires ne remarquent pas les différences entre les fusils d’assaut « kalachnikov » fabriqués en Russie, Chine ou Egypte. Enfin, CAR contribue au renforcement de capacités techniques d’Etats, notamment au Burkina Faso, au Niger et au Nigeria, par l’établissement de procédures communes à partir de formatages corrects.

Loïc Salmon

La convention de Kinshasa a pour but de renforcer le contrôle des armes légères et de petit calibre, de leurs munitions et de toutes pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication, réparation et assemblage et de lutter contre leur commerce et trafics illicites en Afrique centrale. Adoptée le 30 avril 2010 par le Comité permanent de l’ONU chargé des questions de sécurité dans cette région, elle est entrée en vigueur le 8 mars 2017. La Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, créée en 1983, compte 11 membres : Angola ; Burundi ; Cameroun ; République centrafricaine ; Congo ; République démocratique du Congo ; Gabon ; Guinée équatoriale ; Tchad ; Sao Tomé-et-Principe ; Rwanda.

Trafics d’armes légères : la lutte contre les filières terroristes

Trafics d’armes : les Balkans, fournisseurs du terrorisme international et du crime organisé




Manche et mer du Nord : l’urgence et la gouvernance

Assurer une posture permanente de sauvegarde avec ses volets de défense maritime du territoire et de l’action de l’Etat en mer, telle est la mission de la Marine nationale dans une zone vitale pour le Nord de l’Europe et aussi fréquentée que le détroit de Malacca et trois fois plus que celui d’Ormuz.

Le vice-amiral d’escadre Pascal Ausseur, préfet maritime (Prémar) de la zone Manche/mer du Nord, l’a présentée à la presse, le 16 novembre 2017 à Paris.

Une zone « accidentogène ». La zone Manche/mer du Nord subit vents, forts courants, creux supérieurs à 2,5 m et mer 5 (forte) sur une échelle de 9 pendant 20 % du temps. Si un navire rate son virage, il sera poussé par les vents dominants vers la côte française, indique l’amiral Ausseur. En 2016, il a dû notamment intervenir d’office dans quatre cas graves : avarie du cargo Flinter-America au large du dispositif de séparation du trafic des Casquets ; panne totale d’électricité à bord du cargo Amadeus-Amethist au large de Fécamp ; collision entre le chalutier Gros-Loulou et le gazier Wassmunsteer en zone d’attente du Havre ; chimiquier Cape-Bon en avarie au large de Calais, à la suite d’un incendie à bord. Plus de 50 % du trafic maritime de fret de la métropole est traité dans les ports du Havre, de Dunkerque, de Rouen, de Boulogne-sur-Mer et de Calais. Les dispositifs de séparation de trafic effectuent 60.000 reports de passage par an. La Manche et la mer du Nord sont fréquentées par : 16 millions de passagers par an ; plus de 800 navires de pêche en activité sur la façade française ; environ 134.000 navires de plaisance immatriculés (10 % en France), surtout britanniques ; 20 à 46 t d’explosifs des deux guerres mondiales détruits chaque année ; les sites naturels du Mont-Saint-Michel, des baies de Seine et de Somme et les sites Natura 2000 ; des sites historiques et touristiques comme les plages du débarquement du 6 juin 1944 ; 600 à 700 manifestations nautiques par an. Le Prémar doit veiller à la sûreté de la bordure littorale française, qui compte 4 centrales nucléaires à refroidissement par eau de mer, 1 usine de retraitement et 55 sites classés Seveso (activités industrielles présentant des risques technologiques majeurs). En outre, 4 champs d’éoliennes de 300 MW chacun seront installés en mer, après une évaluation d’impact sur la pêche et la définition des règles d’emploi. Un champ d’hydroliennes (turbines sous-marines ou à flots pour la production d’électricité à partir des courants marins) est prévu au large du Cotentin, après une étude de compatibilité du traitement des granulats (fragments de roches utilisés dans la construction d’ouvrages de génie civil) avec l’environnement. Pour conduire son action, le Prémar s’appuie sur les Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage de Jobourg et Gris-Nez et les administrations et services de l’Etat. Le siège de la préfecture maritime de Manche /mer du Nord se trouve à Cherbourg, mais son titulaire vient souvent à Paris consulter ses autorités de tutelle, indique l’amiral Ausseur. En effet, le Prémar représente directement le Premier ministre et tous les membres du gouvernement par l’intermédiaire du secrétariat général de la mer.

Fonctions civiles. Le Prémar veille à l’exécution des lois, règlements et décisions gouvernementales. Investi du pouvoir de police générale, il a autorité dans tous les domaines où s’exerce l’action de l’Etat en mer, notamment la défense des droits souverains et des intérêts de la nation, le maintien de l’ordre public et la sauvegarde des personnes et des biens. Il coordonne la lutte contre les activités illicites menaçant la sécurité intérieure (immigration clandestine), la préservation de l’environnement maritime (pollutions) et la protection des ressources en zone économique exclusive (pêche). A ce titre, il anime les actions de sept entités : Marine nationale ; Gendarmerie nationale ; Douanes et droits indirects ; Sécurité civile ; Affaires maritimes ; Police de l’air et de frontières ; Société nationale de sauvetage en mer, composée de bénévoles qui assurent la moitié des interventions de ce type dans la zone. Le Prémar de Manche/mer du Nord coopère avec le préfet de la région Normandie pour la mise en œuvre des politiques publiques de l’Etat en mer, élaborées par divers ministères, notamment de l’Intérieur, de l’Economie et des Finances, de la Transition écologique et solidaire et des Armées. Il dispose d’un adjoint, officier général ou supérieur de la Marine, qui dirige la division « Action de l’Etat en mer » chargée de traiter les questions d’organisation, de règlementation et de coordination. Cette action s’exerce en coopération avec les Pays-Bas, la Belgique et la Grande-Bretagne. Le « Brexit » ne devrait avoir aucun impact en raison des accords bilatéraux.

Fonctions militaires. Le Prémar assure le soutien des forces et la protection du personnel de défense de l’arrondissement maritime Manche/mer du Nord. La menace reste terroriste très élevée, en raison des populations à risques en France et en Europe du Nord. Des fusiliers marins (présence dissuasive) et des tireurs d’élite embarquent sur les ferries. En outre, il s’agit de protéger, des agressions et de l’espionnage, la base technologique et industrielle de Cherbourg où sont construits et démantelés les sous-marins nucléaires. Dans certains cas, il est fait appel au Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale. Les moyens navals et aériens incluent : 3 patrouilleurs, 1 hélicoptère NH90 Caïman et 1 hélicoptère Dauphin de la Marine nationale ; 2 patrouilleurs et des vedettes de la Gendarmerie maritime ; des patrouilleurs des Affaires maritimes ; des vedettes des Douanes. Par ailleurs, en tant que commandant de la zone maritime Manche/mer du Nord, le Prémar relève du chef d’Etat-major des armées pour la planification, la conduite et le soutien des opérations de protection des approches portuaires. Les sous-marins doivent franchir la zone Manche/mer du Nord en surface, quoique la profondeur d’eau moyenne atteigne 40 m. La posture de sauvegarde maritime, permanente, allie prévention, dissuasion et renseignement.

Loïc Salmon

Marine nationale : permanence, Opex et police en mer

La zone Manche/mer du Nord s’étend du Mont-Saint-Michel à la frontière belge, soit 870 km de côtes, 2 régions, 7 départements, 251 communes et 45 ports. En 2016, la préfecture maritime a mobilisé près de 3.300 personnes pour coordonner 1.219 opérations de secours maritime et d’assistance aux navires, 53 détections de pollutions (17 avérées) et 102 opérations conduites par les Centres opérationnels départementaux d’incendie et de secours. Ces opérations ont coûté 23 M€, mais ont évité des préjudices estimés à 3,9 Mds. Les Douanes ont contrôlé 588 navires en mer, au mouillage et à quai. La Gendarmerie maritime a procédé à 234 contrôles dans le cadre de l’ISPS (code international de sûreté portuaire). Par ailleurs, 720 collisions de navires et 21 accidents majeurs ou graves ont été évités. La préfecture maritime a effectué 23 mises en demeure (10 majeures), outils juridiques pour faire cesser le danger représenté par un navire, une épave ou un conteneur, aux frais de l’armateur. Les remorqueurs de haute mer ont procédé à 7 remorquages et 7 escortes. Enfin 26 décès, dont 1 suicide, sont à déplorer dans la zone.




Asie-Pacifique : zone d’intérêt stratégique pour la France

Pays riverain de la zone Asie-Pacifique et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France entretient une coopération de défense avec de nombreux pays pour garantir la sécurité.

Son action, articulée autour de trois cercles, a été présentée à la presse, le 8 juin 2017 à Paris, par le contre-amiral Denis Bertrand, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française et commandant de la zone maritime du Pacifique. Les forces permanentes sont renforcées régulièrement par des bâtiments militaires de passage.

Souveraineté et protection. Le 1er cercle correspond à la surveillance des 118 îles et atolls où la France exerce sa souveraineté, précise l’amiral. Les forces armées de Nouvelle-Calédonie, qui assurent l’action de l’Etat en mer et peuvent, le cas échéant, être projetées, se composent de 1.800 personnels, 4 navires et 4 aéronefs (avions et hélicoptères). Les forces armées de Polynésie française (1.000 personnels, 4 navires et 5 aéronefs) assurent la protection de la zone économique exclusive (ZEE) et interviennent lors des menaces climatiques (cyclones) et criminelles (trafics et pêche illicite). L’imagerie satellitaire permet de discriminer les zones d’action efficace des moyens maritimes et aériens engagés. En matière de narcotrafic, celui de la cocaïne part d’Amérique latine, suit la côte ouest-américaine, traverse le Nord du Pacifique, longe les côtes du Japon, des deux Corées, de la Chine et des Philippines, puis bifurque vers l’Europe, par le détroit de Malacca et l’océan Indien, ou vers l’Australie qu’il peut aussi atteindre directement. Une cargaison record de 1.429 kg de cocaïne a été saisie en janvier 2017 grâce à la coopération avec les polices régionales. A titre indicatif, la dose fabriquée en Colombie revient à 10 $, est revendue 50 $ aux Etats-Unis et jusqu’à 250 $ en Australie. La surveillance des zones de pêche, notamment du thon, dans la ZEE consiste à cibler les bateaux étrangers pour les dissuader. Repérés par les signaux électroniques qu’ils émettent, ils sont localisés par un satellite ou un avion Falcon 200 Gardian. Une frégate de surveillance se dirige vers eux et envoie une équipe de visite vérifier, à bord, la légalité des prises. Enfin, la souveraineté implique de bien connaître la zone et de maintenir le lien avec les populations de territoires isolés : Iles de la Société, Tuamotu, Marquises, Gambier et Australes. Les bâtiments français s’y rendent selon des fréquences variant de moins d’un an à plus de trois ans.

Le voisinage proche. Le 2ème cercle concerne les partenariats avec les pays voisins, indique l’amiral Bertrand. Dans le cadre de l’accord FRANZ entre la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les forces de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française apportent leur concours en cas de catastrophe naturelle. L’accord QUAD entre la France, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, permet de gérer de façon durable les ressources du Pacifique Sud, en appui d’opérations locales de contrôle des pêches. Il a donné lieu à plusieurs opérations de police : « Tui Moana » (mai 2015) au large des îles Samoa, Cook, Tonga, Fidji, Tuvalu et Tokelau ; Kuru Kuru (octobre 2015) au large de la Polynésie française et des îles Cook et Kiribati pour contrôler des palangriers chinois et taïwanais ; « Tautai » (mars 2017) au large des Marquises, des Iles de la Société et de la Polynésie française. Ces deux accords permettent aussi d’apporter un appui direct aux pays insulaires du Pacifique (Cook, Kiribati et Pitcairn), sous forme de survol de leur ZEE et d’entraînement de leurs patrouilleurs à l’arraisonnement.

Le Pacifique. Le 3ème cercle s’étend sur l’ensemble du Pacifique jusqu’à la mer de Chine et inclut le soutien aux initiatives locales de sécurité maritime, explique l’amiral Bertrand. « L’International Maritime Bureau » de Londres a répertorié 191 actes de piraterie dans le monde en 2016 (246 en 2015). La moitié s’est produite dans le Sud-Est asiatique, où transitent près de 800 navires de commerce français. Un capitaine de vaisseau français est affecté à « l’Information Fusion Center » de Singapour, où se construit une image commune de la situation régionale au profit des compagnies maritimes. Le contrôle naval volontaire, protocole entre la Marine nationale et les armateurs français, permet de suivre les navires marchands, de les orienter et de leur porter rapidement assistance, lorsqu’ils transitent dans des zones à risques (piraterie ou terrorisme). En contrepartie, les navires marchands sont invités à reporter toute activité suspecte ou événement à caractère criminel ou illicite, observé en mer ou en escale. Ce dispositif, évolutif, permet d’affiner la connaissance des zones à risques et de ce qui s’y passe. Il s’applique notamment aux points de passage stratégiques : canal de Suez et détroits de Bab-el-Mandeb, d’Ormuz, de Malacca, de la Sonde et de Lombok. En application de conventions de l’ONU sur le droit de la mer (liberté de navigation), la France déploie régulièrement des bâtiments militaires dans l’Ouest du Pacifique : la frégate de surveillance Vendémiaire en 2014 et 2015 ; le Groupe Ecole d’application des officiers de marine (GEAOM) en « Mission Jeanne d’Arc » (2015 et 2017) ; la frégate multi-missions Provence (2016) ; la frégate furtive Guépratte (2016) ; le bâtiment de projection et de commandement Tonnerre (2016) ; la frégate de surveillance Prairial (2017). Certains ont participé à l’exercice « RIMPAC » organisé tous les deux ans par la Marine américaine dans le Pacifique.

Mission Jeanne d’Arc. Le GEAOM, en « mission Jeanne d’Arc » pour cinq mois (mars-juillet 2017), est composé du bâtiment de projection et de commandement Mistral, la frégate furtive Courbet et d’un groupe tactique embarqué de l’armée de Terre. Il effectue, notamment, des missions de connaissance-anticipation, de coopération régionale ou bilatérale et de soutien à la diplomatie. Il a effectué des exercices de préparation opérationnelle interarmées (protection des approches maritimes) en Grèce. Il a apporté un soutien aux opérations de lutte contre le terrorisme et la piraterie en mer Rouge et en océan Indien (Egypte et Djibouti). Enfin, il a participé à des manœuvres communes en Malaisie, au Viêt Nam, au Japon, à Guam et en Australie.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

Marines : outils de sécurité, du Moyen-Orient à l’océan Indien

 

L’Institut international des études stratégiques de Londres a publié les budgets de défense 2015 des principaux pays d’Asie-Océanie : Etats-Unis, 597 Mds$ ; Chine, 145 Mds$ ; Inde, 48 Mds$ ; France, 47 Mds$ ; Japon, 41 Mds$ ; Corée du Sud, 33 Mds$ ; Australie, 23 Mds$ ; Singapour, 9,7 Mds$ ; Indonésie, 7,6 Mds$. Les enjeux sécuritaires en Asie portent d’abord sur les pays détenteurs de l’armement nucléaire : Russie ; Chine ; Inde et Pakistan, non parties au traité de non-prolifération (TNP) ; Corée du Nord, qui s’est retirée du TNP. Les Etats-Unis stationnent des forces militaires à Diego Garcia, aux Philippines, en Corée du Sud, au Japon et à Guam. En outre, leur VIIème Flotte est déployée dans l’Ouest du Pacifique et en océan Indien. Membre d’une vingtaine de forums régionaux, la France est très présente en Asie-Pacifique, où se trouvent 63 % de sa zone économique exclusive, 500.000 de ses ressortissants et 130.000 expatriés. Elle dispose de 14 attachés de défense dans 33 pays, de l’Inde à l’Australie.




Gendarmerie : lutte contre le terrorisme et renseignement

La Gendarmerie doit, par contrat opérationnel, se trouver sur le lieu d’un attentat en moins de 20 minutes. Le maillage territorial lui permet de faire remonter le renseignement recueilli auprès de la population, dont elle assure la sécurité par sa proximité.

Le général d’armée Richard Linuzet, directeur général de la Gendarmerie, l’a expliqué, au cours d’une réunion organisée, le 4 juillet 2017 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Agir vite. La lutte contre le terrorisme, menace majeure, nécessite une vigilance totale et une coordination avec les autres forces de sécurité et de défense. Le Peloton de surveillance et d’intervention regroupe 450 gendarmes sur le territoire national. En outre, depuis le 1er novembre 2016, tout gendarme, témoin d’un attentat ou en soupçonnant la préparation, peut appeler le centre opérationnel qui prévient le directeur général. Dans les 14 minutes, celui-ci rappelle le gendarme concerné, afin de faire remonter directement l’information opérationnelle auprès des autorités politiques. Le général Linuzet a déjà reçu une dizaine d’appels de ce genre. En cas de suspicion d’attentat, le nouveau schéma national d’intervention précise que la proximité opérationnelle l’emporte sur le territoire imparti aux différentes forces d’intervention de la Police (RAID et BRI) et de la Gendarmerie (GIGN). Lors des opérations extérieures, les armées participent à la lutte contre le terrorisme pour en déterminer le lieu de départ, depuis celle en Afghanistan (2001-2014). Actuellement, 90 gendarmes sont engagés dans la bande sahélo-saharienne au sein d’organisations internationales. Sur le territoire national, les personnels des armées déployés dans l’opération « Sentinelle » selon un dispositif dynamique et non plus statique, représentent 7-8 % des effectifs des zones de Gendarmerie. La Garde nationale, soit actuellement 2.500 réservistes/jour encadrés par des militaires d’active, ne dépend pas d’elle. Suite à la levée de l’état d’urgence en automne annoncée le 3 juillet par le président de la République, un projet de loi prévoit l’établissement d’une zone de sécurité renforcée autour des grands événements et le droit de « visite » d’un lieu de résidence, en cas de suspicion de préparation d’attentat et après approbation des autorités administratives et judiciaires. Enfin, une réflexion est en cours sur l’infiltration possible des filières d’immigration par des mouvements terroristes.

Déceler les « signaux faibles ». La Gendarmerie ne pratique pas « l’infiltration » des réseaux suspects. En liaison avec la Police nationale, ses 100.000 personnels d’active, secondés par 29.600 réservistes et déployés à 74 % en zones périurbaines et à 26 % dans les campagnes, collectent l’information d’ambiance auprès des élus locaux. Ces données sont analysées puis transformées en renseignements en cas de menace avérée, à savoir les signes d’auto-radicalisation. Il s’agit de reconstituer le parcours de gens fragiles, qui souvent se cherchent une vocation. Leur motivation reste difficile à identifier, car ils se revendiquent de Daech après être passés à l’acte. Aujourd’hui, les terroristes se fondent dans la population. La fiche « S » (surveillance) signifie « être l’objet d’une investigation » et…pas seulement pour islamisme radical ! La première consultation d’un site violent n‘est pas répréhensible, mais il est possible de « cibler » quelqu’un qui en visite souvent. La personne fichée « S » ne doit pas le savoir, précise le général Linuzet.

Loïc Salmon

Garde nationale : catalyser les réserves militaires et civiles

Les gendarmes du ciel

Sécurité : exposition « Les sciences du crime » au musée de la Gendarmerie




Forces spéciales : opérations selon le droit de la guerre

Les forces spéciales remplissent, en uniforme, des missions que l’Etat peut revendiquer. Effectuées en toute discrétion pour des raisons  opérationnelles et de sécurité, ces dernières ne sont pas « secrètes ».

Leur commandant, le vice-amiral Laurent Isnard, l’a souligné devant la presse, le 22 juin 2017 à Paris, à l’occasion de leur 25ème anniversaire.

Evolution des missions. Intégrateur de forces, le Commandement des opérations spéciales (COS) compte une centaine de personnes. Mais son vivier totalise près de 4.000 opérateurs et 400 réservistes, répartis dans 13 unités spéciales dépendant des armées (Terre, Air et Marine nationale), directions et services. Ces composantes se chargent du recrutement, de la formation et de la mise à disposition du matériel adapté. Le COS y prélève des effectifs en fonction de la mission et des objectifs à atteindre. Des actions commandos dans les Balkans au début, le COS est passé aux opérations plus longues, en interarmées et interalliées, en Afghanistan. Puis, dans les pays d’Afrique, il lui a fallu comprendre la situation sur place, en vue d’une appréciation nationale, lancer un engagement avec un partenaire local et l’accompagner jusqu’à ce qu’il puisse réaliser la mission seul. Pendant l’opération « Barkhane » (Sahel), le COS lutte contre le terrorisme et partage les moyens (hélicoptères notamment) avec les troupes conventionnelles, dans le cadre d’un dialogue permanent avec le Centre de planification et de conduite des opérations à Paris. Pour l’opération « Chammal » (Irak), les forces spéciales françaises ne pratiquent pas le « ciblage » de combattants, précise l’amiral Isnard. Elles trouvent des partenaires désireux de reconquérir leur territoire national, les forment à la lutte contre les engins explosifs improvisés et les accompagnent pour l’appréciation de la situation tactique, afin de mieux exploiter les renseignements qu’ils peuvent obtenir. Avec le retour des « Etats puissances » (Russie et Chine), il s’agit d’anticiper des engagements plus durs, de la guerre hybride au combat de haute intensité. Le COS, qui ne dispose pas de gros moyens de renseignement, surveillance et reconnaissance, fait appel à ceux des armées via les états-majors.

Partenariats structurels. En vue de proposer une solution au chef d’Etat-major des armées, le COS entretient des relations avec les services de renseignement français et étrangers et travaille avec les ministères de l’Intérieur (RAID et GIGN) et des Affaires étrangères. Ses réservistes lui fournissent de l’expertise technique et d’appréciation de situation. Souvent engagé avec les forces spéciales américaines avec qui il échange des renseignements, le COS s’entraîne aussi avec les unités britanniques et allemandes présentes sur les mêmes théâtres. Par ailleurs, il entretient un réseau de startups dans le cadre du salon « SOFINS » (Special  Operations Forces Innovation Network Seminar), organisé par le Cercle de l’arbalète, qui regroupe les entreprises industrielles coopérant avec les forces spéciales. Le COS s’intéresse aux matériels innovants susceptibles d’obtenir la suprématie sur le terrain : drones tactiques au niveau individuel ; tueurs de drones ; systèmes de cryptage ; intelligence artificielle par laquelle un capteur peut appréhender un événement. Ce dialogue avec les industriels lui permet de voir évoluer la menace et donc d’orienter les angles de recherche. Une fois acquis les matériels les plus performants, le COS poursuit sa logique de programme : formation et entraînement des personnels.

Loïc Salmon

Forces spéciales : outil complémentaire des forces conventionnelles

Forces spéciales : ET «Poitou»/CPA10, binôme avions/commandos

Forces spéciales : création du commando Ponchardier de la Marine nationale




Marine nationale : la police en mer, agir au bon moment et au bon endroit

La Marine intervient loin, longtemps et par tous les temps contre les trafiquants en tout genre et la piraterie, pour que les mers restent un espace de liberté.

Cette mission de police de la mer a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 21 janvier 2016 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine (CESM) et l’École de guerre. Y sont notamment intervenus : le contre-amiral Thierry Rousseau, directeur du CESM ; le commissaire en chef Thierry de la Burgade, adjoint « action de l’État en mer » de l’état-major de la Marine ; Cyrille Poirier-Coutansais, directeur de recherche au CESM ; Geoffroy de Dinechin, directeur des opérations chez Orange Marine.

Résultats opérationnels. Dans la lutte contre les trafiquants, la Marine effectue des actions de la haute à la basse intensité en mer des Caraïbes, dans le golfe de Guinée, en Méditerranée et dans l’océan Indien, explique le commissaire de la Burgade. Elle coopère avec la Marine américaine au large des Antilles pour détecter les flux d’héroïne, dont les vecteurs, du semi-submersible au porte-conteneurs, nécessitent des modes de réaction différents. Ainsi, l’hélicoptère d’une frégate pourra obliger un navire suspect à s’arrêter en haute mer, afin qu’une visite soit effectuée à son bord par des commandos. La compagnie maritime CMA CGM fait inspecter la coque de ses navires dans les ports d’Amérique du Sud, depuis qu’une torpille chargée de cocaïne y a été découverte… soudée ! En Méditerranée, les narcotrafiquants remontent vers le Nord de l’Afrique et s’infiltrent dans les flux de migrants, secourus par la Marine italienne, pour tenter le passage. Selon l’agence européenne de contrôle des frontières extérieures Frontex, entre octobre 2014 et octobre 2015, l’immigration clandestine par la mer a augmenté de 1.009 % en Méditerranée orientale. La Marine française participe à plusieurs opérations européennes de lutte contre le trafic de migrants et les passeurs : « Indalo » (au large de l’Espagne) et « Héra » (Mauritanie et Cap Vert) en Atlantique ; « Triton » (Italie) et « Sophia » (Libye) en Méditerranée centrale. Suite au refus des autorités libyennes d’autoriser l’entrée dans les eaux territoriales (22 km), Frontex a redéployé ses moyens vers la côte turque, mais sans implication de la Marine française. En revanche, à Mayotte et en coordination avec les cinq radars terrestres, celle-ci intervient pour secourir les migrants qui sont reconduits dans leur pays d’origine, sauf les femmes enceintes et les enfants mineurs. En outre, elle participe aux opérations internationales de lutte contre la piraterie, dont : « Corymbe » (depuis 1990) pour la surveillance dans le golfe de Guinée et la formation des personnels des pays riverains ; « Atalante » (2008) avec déploiements du patrouilleur de haute mer L’Adroit et d’un avion de surveillance maritime F50M en océan Indien, où aucune attaque n’est survenue en 2015. Elle assure un contrôle naval volontaire avec les navires marchands par le partage du renseignement et la formation de convois ainsi que l’embarquement d’équipes armées sur les thoniers senneurs. Pour lutter contre la pêche illégale en Guyane où les comportements sont parfois violents, la Marine coopère avec les forces armées brésiliennes. Dans les terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le pillage des ressources halieutiques, dont la légine à la chair très appréciée des Asiatiques, se fait à grande échelle. Le dispositif de coercition et de répression inclut la surveillance satellitaire et la saisie des filets, qui coûtent jusqu’à 50.000 € pièce. Depuis quelques années, des prospections pétrolières illégales ont été constatées dans les Iles Éparses (TAAF), où sont exercées la surveillance des études sismiques et l’observation par satellite et avion. Les biens culturels maritimes constituent un nouvel enjeu pour les trafiquants, notamment les épaves d’anciens vaisseaux à voiles disparus en mer. Pour toutes ces missions de police en mer, les commandants de navires et d’aéronefs de l’État sont habilités à constater l’infraction et en informer un procureur.

Dimensions géopolitiques. Pendant la guerre froide (1947-1991), la présence des Marines américaine, soviétique et européennes sur toutes les mers a réduit la piraterie et les trafics de drogue, rappelle Cyrille Poirier-Coutansais. Ils ont repris ensuite et profitent aujourd’hui de la globalisation du commerce légal. Par ailleurs, la Convention de l’ONU sur le droit de la mer (1982) a offert aux États côtiers une zone économique exclusive, que beaucoup d’entre eux sont incapables de protéger. Ainsi, les 38 délimitations de la zone des Caraïbes facilitent le trafic de cocaïne d’Amérique latine vers les États-Unis et l’Europe. Actuellement, les principales zones de piraterie sont situées le long des principales routes maritimes de transport d’hydrocarbures et de marchandises : Est de l’océan Indien et golfe de Guinée vers l’Europe ; Asie du Sud-Est vers l’Extrême-Orient. En outre, 15 % des pêches dans le monde sont illégales. L’Union européenne (UE) a nommément désigné 18 pays contrevenants : 8 ont reçu un avertissement ; 3 font l’objet de sanctions commerciales avec interdiction d’exportation vers l’UE ; 7 ont corrigé leurs pratiques par la suite.  Télécommunications sous-marines. Le monde entier est desservi par des câbles de fibres optiques reposant sur le fond des océans et qui acheminent plus de communications que les satellites depuis les années 1980. Les pays directement reliés à plus de 20 d’entre eux sont exposés au risque de « coupure internet » : États-Unis, Grande-Bretagne, Suède, Espagne, France, Italie, États riverains de la mer Rouge, Inde, Chine, Corée du Sud et Japon. Actuellement, Orange Marine installe des câbles sous-marins entre la Somalie et le Kenya (Afrique de l’Est) et entre le Cameroun, le Nigeria et le Bénin (golfe de Guinée). Les navires spécialisés, qui posent (80 km/jour) et réparent ces câbles, sont très lents (11km/h), souvent à l’arrêt et donc vulnérables, explique Geoffroy de Dinechin. La protection des équipages, tous volontaires mais non armés, est assurée par : la Marine nationale qui fournit conseils, analyses des situations locales et équipes de militaires embarquées ; les procédures de sûreté et les mesures de protection passive à bord (barbelés et « citadelle refuge »). Le coût de la sécurité se répercute sur les salaires des équipages, qui incluent une « prime de mer », et les primes d’assurances, majorées de 20 % pour risques de guerre.

Loïc Salmon

Piraterie maritime : l’action d’Europol

Lutte contre le trafic de drogue : réponse internationale

Les quantités de drogue saisies en mer en 2014 et 2015 et à destination de l’Europesont passées de 1% à 5 % pour le cannabis et de 17 % à 67 % pour la cocaïne. En 2015, la Marine nationale a saisi 1,9 t de cocaïne (+ 290 kg rejetés en mer) et 2,5 t de cannabis (+ 1,5 t rejetée en mer). Elle a aussi intercepté 1.289 migrants en Méditerranée et 1.736 à Mayotte. En matière de pêche illicite, elle a procédé à 1.537 contrôles, dressé 1.828 procès-verbaux, dérouté 55 navires et saisi 8,5 t de poisson et 155 km de filets. En 2015, selon l’International Maritime Bureau, il y a eu 7 actes de piraterie dans le golfe de Guinée et 18 en Asie du Sud-Est ainsi que 17 actes de brigandage maritime (attaques de navires à quai ou au mouillage dans les ports) dans le golfe de Guinée et 153 en Asie du Sud-Est.