Défense : loi de finances 2020, hausse des dépenses maintenue

Le projet de budget du ministère des Armées, présenté au Parlement en octobre 2019, prévoit une hausse de 1,7 Md€ en 2020, pour la 3ème année consécutive, pour le porter à 37,5 Md€, soit 1,86 % du produit intérieur brut.

Cette ressource nouvelle de 1,7 Md€ (+ 4,5 %) inclut des augmentations de 1,1 Md€ pour les programmes d’armement majeurs des armées, 250 M€ pour les opérations et 350 M€ pour les autres dépenses d’équipement. Le budget de 37,5 Md€ se répartit en 20,9 Md€ pour les équipements, 12,1 Md€ de masse salariale et 4,5 Md€ pour le fonctionnement du ministère. L’autonomie stratégique nationale se trouvera garantie dans quatre domaines : la dissuasion nucléaire avec 4,7 Md€, 2ème tranche d’un total de 25 Md$ entre 2019 et 2023 pour renouveler les composantes océanique et aéroportée ; la cyberdéfense avec 1,6 Md€ pour la lutte dans le cyberespace ; l’espace avec 448 M€, 2ème tranche d’un total de 4,3 Md€ pour la période 2019-2025 ; le renseignement avec 366 M€.

Livraisons attendues. En 2020, l’armée de Terre devrait recevoir : 1.000 véhicules légers tactiques polyvalents ; 128 blindés Griffon ; 4 blindés Jaguar ; 7 hélicoptères NH90 ; 1 système de drones tactiques ; 50 postes de missiles moyenne portée ; 12.000 fusils d’assaut HK 416 F ; 25.000 nouveaux casques composites de protection. La Marine nationale devrait prendre livraison de : 2 avions de patrouille maritime ATL2 rénovés ; 2 hélicoptères Caïman Marine ; 1 sous-marin d’attaque Barracuda ; 1 lot de missiles Aster pour les frégates multi-missions de défense aérienne. L’armée de l’Air devrait recevoir : 2 avions de chasse Mirage M2000 D rénovés ; 2 avions de transport tactique A400M Atlas ; 1 avion de transport stratégique et de ravitaillement MRTT Phénix ; 1 avion ravitailleur KC-130J ; 1 système de drones Reaper. Le volet spatial sera doté d’un 2ème satellite de reconnaissance optique Musis CS0, le 1er étant en service à 800 km d’altitude depuis fin 2018 et le 3ème attendu en 2021.

Commandes prévues. Pour 2020, l’armée de Terre a commandé : 1.500 véhicules légers polyvalents ; 271 blindés Griffon ; 50 chars Leclerc rénovés ; 42 blindés Jaguar ; 364 blindés Serval ; 14 hélicoptères Tigre rénovés ; 12.000 fusils d’assaut HK 416 F. La Marine nationale a commandé : 3 avions de guet aérien embarqués Hawkeye E20 ; 7 avions de surveillance et d’intervention maritime Falcon ; 2 modules de lutte contre les mines. L’armée de l’Air a commandé : 4 avions de transport tactique C-130H rénovés ; 4 drones européens Male (moyenne altitude longue endurance). Pour le volet spatial, ont été commandés : 4 stations sol utilisateurs ; 3 radars de trajectographie Satam rénovés.

Infrastructures. En 2020, la ville de Rennes accueillera le commandement de la cyberdéfense, celle de Tours les Directions des ressources humaines et celle de Toulouse le Commandement de l’espace. Le budget 2020 prévoit 1,7 Md€ de crédits pour la politique immobilière, dont 1,35 Md€ au titre des infrastructures de défense hors dissuasion nucléaire. Ainsi, le port de Brest sera doté des infrastructures d’accueil des frégates multi-missions et la base aérienne d’Istres de celles des MRTT Phénix. Plusieurs dizaines d’unités en disposeront pour les nouveaux blindés Griffon et Jaguar dans le cadre du programme Scorpion.

Recrutement. Le ministère des Armées embauche 23.000 militaires et 4.000 civils par an. En 2020, 150 postes seront créés dans le renseignement, 100 dans le cyber et 50 dans d’autres secteurs.

Loïc Salmon

Défense : se réapproprier la question militaire

Défense : des moyens face aux menaces de demain

Garde nationale : faciliter l’engagement et fidéliser

 




Chine : montée en puissance régionale et internationale

Fin 2014, le produit intérieur brut de la Chine en parité de pouvoir d’achat a dépassé celui des Etats-Unis, qui la considèrent comme une menace depuis les années 1990. En renforçant son expertise sur elle, l’Union européenne, sa partenaire et rivale, améliore sa liberté d’action vis-à-vis des Etats-Unis.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 3 octobre 2019 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique ; Alisée Pornet, économiste à l’Agence française de développement. En outre, l’association Les Jeunes IHEDN a organisé, le 10 octobre à Paris, une conférence-débat complémentaire sur Hong Kong et Taïwan. Y sont intervenus : Eric Meyer, journaliste et écrivain installé en Chine depuis 1987 ; Stéphane Corcuff, enseignant à l’Institut d’études politiques de Lyon.

Craintes occidentales. L’entrée de la Chine dans l’organisation mondiale du commerce en 2001 lui a facilité l’accès aux marchés internationaux, sans conduire à une démocratisation politique comme l’espéraient les pays occidentaux, explique Antoine Bondaz. La crise économique et financière de 2008-2009 a mis en avant le déclin de l’Occident et la résurgence de la Chine. Pour les Etats-Unis, le poids économique et militaire de la Chine est ressenti comme une menace dans leurs domaines de compétitivité et donc pour leurs intérêts. La diaspora chinoise est perçue de la même façon. Les dépenses militaires de la Chine, quoique moindres qu’il y a 15 ans en pourcentage du produit intérieur brut, augmentent mécaniquement pour atteindre 250 Md$ en 2019, soit autant que l’ensemble des budgets militaires du Japon et des pays de l’Asie du Sud-Est. Les investissements portent notamment sur les satellites, la robotique, les missiles, l’intelligence artificielle et le planeur hypersonique associé à un lanceur. L’intégration civilo-militaire se poursuit avec les grands groupes privés, comme Huawei, et les petites et moyennes entreprises. Depuis 2018, une loi oblige les laboratoires clés dans les domaines des innovations civiles et militaires à fournir des données sur leurs personnels et les résultats de leurs travaux. La capacité militaire de la Chine connaît une croissance qualitative continue en interarmées et en opérabilité. Toutefois, la Marine chinoise reste surtout à proximité et ne s’aventure guère jusqu’au détroit d’Ormuz, alors que la Marine américaine peut bloquer celui de Malacca et donc ses principaux échanges commerciaux par mer. Première puissance économique et militaire dans le monde depuis 1945, même pendant la guerre froide contre le bloc de l’Est, les Etats-Unis redoutent qu’une nation non blanche lui ravisse cette prééminence. De son côté, la Chine veut éviter un décrochage technologique par rapport à l’Occident, qu’elle veut rattraper par la recherche et l’innovation.

Capacité chinoise d’innovation. La Chine a commencé par importer de la technologie étrangère pour développer son potentiel de recherche et de développement (R&D), rappelle Alisée Pornet. Par le biais de co-entreprises avec obligation d’une participation chinoise de 51 % au capital et de fourniture du projet clé en mains, elle a assuré la formation de son personnel, en captant notamment des technologies japonaises. En 1985, elle change de politique pour créer une « dynamique de champions » avec des plans quinquennaux destinés à la placer en pointe dans l’innovation. Le capitalisme d’Etat s’allie aux grandes entreprises privées ou publiques pour produire de l’innovation. Parallèlement à la limitation d’envois d’étudiants à l’étranger, le nombre de dépôts de brevets chinois s’est accru, passant de 1.000 en 2000 à 55.000 en 2014. L’Etat augmente ses dépenses en R&D dans le domaine militaire auprès d’entreprises subventionnées, auxquelles il garantit une protection juridique dans le monde. L’économie numérique chinoise repose sur des millions d’utilisateurs, qui font remonter l’information. Les investissements en R&D portent surtout sur les domaines où les autres pays ne vont pas. Le projet des routes de la soie inclut des liaisons par satellites avec les pays traversés. Enfin, l’Inde concurrence la Chine en matière d’innovation.

Failles stratégiques. Hong Kong, qui pourrait réclamer l’indépendance, et Taïwan, qui entend la conserver, minent la stratégie de la Chine. Colonie britannique pendant 99 ans (1898-1997), Hong Kong disposait d’une population polie et instruite, compromis entre la Chine et l’Europe, inspirant stabilité et confiance, qui n’existent plus aujourd’hui, indique Eric Meyer. En 1993, la colonie britannique représentait 27 % du produit intérieur brut de la Chine à qui elle a été rétrocédée en 1997. Cette proportion est tombée à 2,9 % en 2017. Pour mieux arrimer l’île et ses nouveaux territoires au continent, Pékin y a entrepris de grands chantiers et a notamment investi 20 Mds$ dans la construction d’un nouveau port. Actuellement, 65 millions de touristes chinois s’y rendent chaque année et y dépensent 630 $ par personne. Le modèle scolaire britannique se trouve à l’origine de la créativité de Hong Kong, laquelle implique la liberté, notion incompatible avec le régime politique chinois. Le processus électoral actuel n’inspire plus confiance depuis le grignotage des libertés de la presse et des écrivains, qui s’exilent au Canada ou en Australie. Les mouvements de protestation pour la défense des droits de l’homme, lancés le 31 mars 2019, ont mobilisé 1 million de personnes le 9 octobre. Les manifestants, pour la plupart nés après le départ des Britanniques, savent que leur avis ne sera pas pris en compte et estiment que la créativité de l’île disparaîtra avec la liberté. Porte-parole de Pékin, le gouvernement de Hong Kong n’exclut plus d’appeler les 150.000 policiers chinois massés à la frontière pour rétablir l’ordre. Cela sonnerait le glas du principe du traité de rétrocession en vigueur jusqu’en 2047, à savoir « Un pays, deux systèmes », socialiste pour la Chine et capitaliste pour Hong Kong. De son côté, Stéphane Corcuff rappelle que la République populaire de Chine veut reconstituer un Etat fort et stable dans les frontières de la fin de l’empire en 1911. En outre, elle se considère comme seule représentante des communautés chinoises dans le monde. Alors que Hong Kong se trouve déjà dans sa sphère d’influence, Taïwan dispose de son propre régime et ne dépend pas d’elle. En 1949, le gouvernement nationaliste de la République de Chine s’est réfugié dans cette île de 26.000 km2, en emportant l’or de la Banque centrale et les biens culturels. Il conserve sa représentation à l’ONU et son siège permanent au Conseil de sécurité jusqu’en 1971. Au cours des années 1960-1970, la Chine oublie Hong Kong, qui devient une importante place financière et une porte utile pour ses exportations, et concentre ses efforts sur la « libération » de Taïwan. Pékin imagine, pour Taipei, le principe « Un pays, deux systèmes », qui sera appliqué à Hong Kong lors des négociations avec Londres entre 1979 et 1982. La Chine n’exclut pas de recourir à la force pour conquérir Taïwan, mais n’ose pas encore intervenir pour des raisons politiques, diplomatiques et militaires.

Loïc Salmon

Chine : routes de la soie, conséquences induites

Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique

Chine : l’intelligence artificielle, priorité de sécurité nationale




Terrorisme : mobilisation internationale publique et privée contre son financement

Pour lutter contre le financement du terrorisme, l’ONU enjoint les Etats à se doter de listes de gels d’avoirs et autorise des sanctions contre des organisations terroristes. Celles-ci reposent sur des spécificités locales mais profitent de facilités, voire de carences, au niveau international.

Cet aspect a été abordé au cours du Forum parlementaire sur la sécurité et le renseignement organisé, le 20 juin 2019 à Paris, par l’Assemblée nationale et le Sénat. Y sont notamment intervenus : Patrick Stevens, directeur du service de contre-terrorisme d’Interpol ; Emanuele Ottolenghi, Fondation pour la défense des démocraties ; Brahim Oumansour, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques ; Duncan Hoffman, directeur chez Chainalysis.

L’action d’Interpol. Les 194 pays membres d’Interpol travaillent sur le financement du terrorisme en établissant des liens entre les cibles et en fusionnant les renseignements sur les activités suspectes, indique Patrick Stevens. Pour les enquêtes conventionnelles, une plateforme permet de partager les informations avec les acteurs présents en Syrie, en Irak et au Mali. En cas d’attentat au Kenya ou au Sri Lanka, cela peut apporter une valeur ajoutée en approfondissant des enquêtes sur les réseaux sociaux. Des banques de données existent sur : les noms des personnes recherchées, dont 50.000 combattants étrangers en 2019 contre 8.000 en 2016 ; les bagages abandonnés ; les renseignements biométriques (8.000 en 2016). Interpol apporte son aide pour la constitution de bases biométriques en Syrie, en Irak et au Mali. La collecte de preuves sur le champ de bataille a permis des enquêtes, qui ont conduit à de nombreuses arrestations. Les banques de données vont inclure les noms de personnes incarcérées pour lien avec le terrorisme et qui restent radicalisées après leur sortie de prison. En matière de financement, Interpol émet des « notices » sur les bonnes pratiques, partagées avec le Groupe Egmond. Il existe une notice spéciale relative à la base de données de l’ONU sur les armes saisies par les armées et celles saisies sur des personnes qui voyagent. Enfin, les banques ont accès à 90.000 documents rédigés par Interpol

Les réseaux du Hezbollah. Le groupe islamiste chiite Hezbollah, considéré comme terroriste notamment par les Etats-Unis et l’Union européenne, a combattu contre l’Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak et intervient contre Israël, à partir du Liban, et au Yémen. En Amérique latine, il s’appuie sur l’importante diaspora libanaise chiite pour établir des réseaux de trafics de drogue, d’êtres humains, d’armes et de diamants, explique Emanuele Ottolenghi. Pour se constituer une façade légitime, il y investit dans les mosquées, écoles, centres culturels et associations caritatives. Grâce à ses réseaux de sympathisants, il a conclu des alliances avec les autorités et mouvements politiques locaux. Ses représentants permanents coordonnent les circuits commerciaux, exigent des contributions, recourent à l’extorsion de fonds envers les récalcitrants et assurent les transferts financiers. La plus grande communauté libanaise d’Amérique du Sud se trouve dans la « zone des trois frontières » entre le Paraguay, le Brésil et l’Argentine. Ces trois pays ne considèrent pas le Hezbollah comme une organisation terroriste et seul le Brésil dispose d’une législation contre le financement du terrorisme. Cette zone, traversée par 100.000 personnes/jour et 40.000 véhicules/semaine, est desservie par trois aéroports internationaux et reliée par routes aux principaux ports régionaux et à l’hinterland industriel. Trois juridictions, diverses langues (anglais, espagnol, chinois et persan), plusieurs monnaies (dont le dollar et l’euro) et peu de contrôle aux frontières facilitent la contrebande. Les transactions financières illicites ont atteint 18 Mds$ en 2017, grâce à la zone franche de Ciudad Del Este, la troisième du monde pour le commerce de détail après Hong Kong et Miami. Des entreprises locales, liées au Hezbollah, achètent des produits bon marché en Chine et Hong Kong, par l’intermédiaire de sociétés américaines installées à Miami qui les transportent par avions cargos directement à Ciudad Del Este ou à Asuncion (Paraguay), Montevideo (Uruguay) et Campinas (Brésil) puis par camions à Ciudad Del Este, pour y être revendues. En outre, l’Iran apporte un soutien direct au Hezbollah par ses propres réseaux latino-américains, déploie des agents du Corps des gardiens de la révolution islamique et s’appuie sur les agents de l’Organisation extérieure de sécurité du Hezbollah pour des actions coordonnées.

L’approche globale. La déstabilisation de l’Irak et de la Syrie a induit la montée du terrorisme et non pas l’inverse, souligne Brahim Oumansour. Entre 2000 et 2007, l’EI n’a revendiqué que 5,3 % des attentats dans le monde et Al Qaïda 1,9 %. Des facteurs spécifiques à chaque pays se trouvent à l’origine de la radicalisation politique dans une zone soumise à un conflit interétatique ou à la faiblesse de l’Etat. Nécessité financière et besoins en armes et équipements motivent l’allégeance de groupes locaux au terrorisme international (EI et Al Qaïda). Par ailleurs, l’effondrement du régime irakien a servi les desseins de l’EI et le conflit religieux, entre chiites et sunnites, ceux de l’Arabie saoudite et de l’Iran. En Libye, à la guerre civile entre milices islamistes et tribales se superposent des rivalités internationales entre Egypte, Emirats arabes unis, Qatar et Turquie. Toutefois, l’opération militaire transnationale, réussie, contre l’EI en Libye, doit être suivie par un retour au dialogue et à la réconciliation pour éviter la pérennisation des conflits entre minorités et autorités centrales, estime Brahim Oumansour. Mais cette sécurité apparente ne règle pas les conflits sociaux latents. Dans les pays touchés par le terrorisme majoritairement musulman, il s’agit d’éviter le sentiment d’exclusion. Parmi les 8.000 djihadistes maghrébins partis combattre en Syrie depuis 2013, 6.000 sont venus de Tunisie, 2.000 du Maroc et…78 d’Algérie, où des réformes économiques ont éradiqué les bidonvilles et des programmes sociaux ont réduit la menace terroriste. En Tunisie, l’Etat et son appareil sécuritaire restent fragiles.

Loïc Salmon

En 2018, l’activité économique des crypto-monnaies s’est montée à 1.242 Mds$, dont 812 Mds$ de Bitcoins et 430 Mds$ d’Ethereums, indique Duncan Hoffman. Seulement 1,6 Md$ ont été utilisés à des fins criminelles, dont 1 Md$ volé par les hackers et 500 M$ envoyés dans les « darknets » (réseaux anonymes). Plus rapide que le blanchiment d’argent, les chantages et demandes de rançons, effectués par des hackers d’Europe de l’Est disposant d’algorithmes très sophistiqués, portent sur des cibles de haute valeur financière ou de données sensibles, des agences gouvernementales, des contractants de défense, des campagnes électorales et des organisations privées vulnérables sur le plan informatique. Les hackers « étatiques » de Russie, d’Iran et de Corée du Nord veulent des gains financiers mais cherchent aussi à créer des perturbations politiques dans les pays visés.

Terrorisme : menace transnationale et moyens financiers considérables

Sécurité : Israël et la France, face au terrorisme islamiste

Sécurité : le renseignement dans la lutte contre le terrorisme




Quel projet demain pour l’Union européenne d’aujourd’hui ?

Dans une mondialisation exacerbée, l’avenir de l’Union européenne pourrait passer par une amélioration de ses relations avec la Russie, face à la rivalité accrue entre les Etats-Unis et la Chine.

C’est ce qui ressort de l’ouvrage du Club Participation et Progrès. Les Etats-Unis placent le numérique au cœur de leur puissance économique et militaire et de leur influence politique et culturelle, soutenues par une communauté de renseignement (17 agences) à l’écoute permanente du monde. Avec son projet géopolitique « Belt and road initiative », plus connu sous le nom de « Nouvelles routes de la soie », la Chine aménage l’espace eurasiatique, l’Afrique et l’Amérique latine au moyen d’infrastructures ferroviaires, routières énergétiques, aériennes et maritimes. A partir du XVème siècle, l’Europe occidentale prend un essor croissant jusqu’à la première guerre mondiale. Ses Etats-nations connaissent des révolutions démographique, intellectuelle et industrielle lui assurant une supériorité en matière technique et de ressources naturelles. Du XVIème au XVIIIème siècle, ils projettent leur excédent de population dans des conquêtes coloniales en Amérique et en Inde. Au XIXème siècle, cette expansion imprime son empreinte (mines, agriculture et réseaux de transport) aux sociétés, cultures et territoires des trois quarts du monde. Grande-Bretagne, France, Espagne, Portugal, Pays-Bas, Allemagne et, modestement, Etats-Unis et Japon, les dominent. Le charbon, l’électricité et le pétrole permettent le développement de la sidérurgie, de la chimie, de l’industrie mécanique et de la grande entreprise. L’Europe acquiert la suprématie dans le commerce international et la finance mondiale. Le système monétaire repose sur l’étalon-or, contrôlé par la position dominante de la Banque d’Angleterre et la « City » de Londres. La première guerre mondiale met fin à l’hégémonie mondiale de l’Europe. Entre 1900 et 1919, le Japon a multiplié par cinq sa production manufacturière et développé ses exportations. Les Etats-Unis profitent des commandes de guerre et dégagent un énorme excédent commercial par ses ventes de céréales et de produits manufacturés à la France et la Grande-Bretagne. A l’issue du second conflit mondial, une moitié de l’Europe rejoint le bloc de l’Ouest, sous domination américaine, et l’autre moitié la sphère de l’Est, sous contrôle de l’URSS. L’Empire soviétique éclate en 1991 et la crise financière de 2007-2008 ébranle la prééminence des Etats-Unis. En 1948, la décolonisation a commencé et les anciennes puissances s’associent en une Organisation européenne de coopération économique, devenue l’Union européenne (UE). En 2018, celle-ci et les Etats-Unis représentent la moitié de la production mondiale et contrôlent 40 % des échanges. Les Etats-Unis voient le « Brexit » de la Grande-Bretagne, avec laquelle un accord commercial se négocie, comme une opportunité pour diviser les pays européens. Depuis un siècle, ils empêchent l’émergence, en Eurasie, d’une puissance capable de défier leur prépondérance mondiale. Ils enveloppent ce continent par les fronts est-européen et indopacifique et désignent donc la Chine et la Russie comme leurs adversaires stratégiques, malgré la fin de la guerre froide depuis 1991. Il s’agit de contrer une orientation de l’UE vers elles, en particulier vers la Russie, historiquement tournée vers l’Europe sauf pendant l’ère soviétique.

Loïc Salmon

« Quel projet demain pour l’Union européenne d’aujourd’hui ?», ouvrage collectif. Éditions L’Harmattan, 282 pages, cartes, 30 €

La puissance au XXIème siècle : les « pôles » du Pacifique

Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global

Russie, alliance vitale




Terrorisme : menace transnationale et moyens financiers considérables

Les organisations terroristes parviennent à s’autofinancer pour leur fonctionnement (moyens militaires, propagande et rémunérations) et leurs attaques ponctuelles à bas coût.

Cet aspect a été abordé au cours du Forum parlementaire sur la sécurité et le renseignement organisé, le 20 juin 2019 à Paris, par l’Assemblée nationale et le Sénat. Y sont notamment intervenus : Anne-Clémentine Larroque, analyste géopolitique au ministère de la Justice ; Arnaud Baleste, responsable de la division lutte contre le financement du terrorisme au sein de Tracfin (service de renseignement du ministère de l’Action et des Comptes publics) ; Jérôme Beaumont, secrétaire exécutif du Groupe Egmont ; Emmanuel Jacque, expert en solutions de renseignement et de lutte contre la fraude ; Sonia Krimi, députée de la Manche ; Valérie Boyer, députée des Bouches-du-Rhône. Ces deux dernières ont publié, en avril 2019, un rapport d’information sur la lutte contre le financement du terrorisme. Elles préconisent six mesures : œuvrer en faveur d’une réponse internationale renforcée et toujours plus efficace ; renforcer l’assistance internationale aux Etats les plus vulnérables ; renforcer l’harmonisation européenne, en droit et plus encore dans les faits ; au plan national, œuvrer pour une pleine application des outils existants ; assurer une pleine mobilisation de tous les acteurs concernés et une coopération optimale entre les acteurs ; renforcer la vigilance sur certains secteurs (cagnottes en ligne et associations à but non lucratif) et outils (« crypto-monnaies » reposant sur la technologie « blockchain »  de stockage et de transmission d’informations sécurisées).

Evolution structurelle. La possession d’un territoire permettait à l’Etat islamique (EI) et Al Qaïda d’établir des liens entre leur idéologie et leurs sympathisants, afin de constituer un réseau et créer le discours qui suscitera une réponse de ces derniers, explique Anne-Clémentine Larroque. Le financement illicite par les trafics d’êtres humains, de drogue ou de cigarettes, quoique interdit par le droit islamique, a été justifié par les cheiks pour combattre les non-musulmans en Syrie, Irak et Afghanistan, comme du temps du califat abbaside (750-1258) mais avec les moyens modernes. En 2015, l’EI a prélevé du pétrole sur des sites libyens et l’a vendu pendant un an et demi, jusqu’à l’arrivée des troupes de la coalition. Pour son financement, il recourt aussi à des femmes, ainsi devenues des combattantes à l’égal des hommes. L’EI agit en Europe, Tunisie, Libye et au Sénégal, tandis qu’Al Qaïda perdure en Afghanistan et au Pakistan. D’autres organisations se développent en Afrique centrale et de l’Ouest, en Indonésie, aux Philippines, au Bangladesh et au Sri Lanka.

Autofinancement prépondérant. Avant sa défaite militaire, l’EI a préparé sa retraite au niveau logistique pour continuer à financer ses actions, notamment par le blanchiment d’argent, explique Arnaud Baleste. Il a envoyé de l’argent dans les pays aux législations plus permissives ou sans réglementation, afin de le faire fructifier et le rendre légal, donc invisible. Des transferts « d’aumônes islamiques » ont été ainsi réalisés par des mandats, inférieurs à 300 €, ou téléphonie mobile vers l’Afrique centrale et de l’Ouest. L’argent vient de revenus personnels, d’héritages, de fraudes aux crédits ou prestations sociales et de braquages. Entre 2014 et 2018, 1.000 personnes ont envoyé, de France, 1,5 M€ à l’EI, contre 5,6 M€ en provenance des pays du golfe Arabo-Persique. Toutefois, les banques disposent aujourd’hui d’outils performants, capables de détecter les « signaux faibles » et d’interpréter les menaces. Elles envoient 70 % de leurs informations à Tracfin, qui les transmet aux autres services de renseignement français et en reçoit les identités des suspects. D’autres informations proviennent des douanes, des attachés de sécurité intérieure dans les ambassades françaises et du GAFI (voir encadré). Enfin, Tracfin travaille avec la Banque de France, chargée de la réglementation des cagnottes en ligne.

Echanges de bonnes pratiques. Le Groupe Egmont mobilise ses 158 membres dans le monde au service des cellules de renseignement financier, pour lutter contre le blanchiment d’argent par la grande criminalité et le financement des réseaux terroristes, dont les intérêts coïncident, indique Jérôme Beaumont. Sous l’impulsion de Tracfin, il essaie d’établir, depuis 2015, le profil financier des personnes parties rejoindre l’EI et identifier leurs réseaux de soutien logistique avant, pendant puis après leur retour. Ensuite, il procède à une analyse financière, à partir d’informations sur un attentat ou une simple présomption d’attentat avec l’aide du GAFI, qui a l’obligation d’échanges à l’international (voir encadré). Comme tout acte terroriste, même à bas coût, nécessite un réseau, il s’agit d’en déterminer le lien financier avec la personne à risque. La coopération avec les banques privées permet le traçage des avoirs financiers et leur gel, notamment des associations caritatives dans les pays n’exigeant pas de déclarations comptables.

Anticiper pour réagir. Crise, propagande et menace cyber peuvent se contrer par une méthodologie, des outils dont l’intelligence artificielle (IA), de l’expertise et une stratégie, explique Emmanuel Jacque. Une radicalisation, qui implique une rupture comportementale dans les habitudes et contacts avec les proches, sera détectée par des analyses sémantiques et relationnelles automatisées à partir des données connues, à traiter selon un cycle comparable à celui du renseignement militaire (photo). Il s’agit de découvrir les liens entre manipulateurs et personnes manipulées, par exemple, quand un document a été diffusé plus de 300 fois par 10 personnes sur Twitter, Facebook ou autres. La Grande-Bretagne a ainsi constitué une liste de 20.000 personnes à surveiller. L’IA modélise une source, fusionne les informations et procède à des extractions d’identité permettant de reconstituer un réseau. L’anticipation empêche une surprise stratégique, comme une cyberattaque massive dont les différents acteurs doivent assembler leurs moyens offensifs. Appliquée au contre-terrorisme, elle détermine la cause des actes des groupes « voyous », propose des priorités sécuritaires (fiches « S »), détecte suffisamment tôt les individus radicalisés et cible les nœuds critiques des réseaux avant le passage à l’acte terroriste.

Loïc Salmon

Les 38 pays membres du Groupe d’action financière (GAFI) et 9 organismes régionaux similaires ont constitué un réseau mondial de plus de 190 juridictions. Il a élaboré une série de recommandations reconnues comme étant la norme internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Fondements d’une réponse coordonnée à ces menaces pour l’intégrité du système financier, ces recommandations contribuent à l’harmonisation des règles au niveau mondial. Publiées en 1990 et révisées en 1996, 2001, 2003 et 2012, elles ont vocation à s’appliquer partout, afin de susciter les réformes législatives et réglementaires nécessaires.

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Chine : routes de la soie, conséquences induites

La question se pose du maintien dans la durée du gigantesque projet chinois des nouvelles routes de la soie. Outre la nécessité d’un investissement annuel considérable, il suscite déjà des inquiétudes et des tensions à terme.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 mai 2019 à Paris, par le Club HEC Géostratégies en partenariat avec l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : Nicolas Lemoine, directeur exécutif HEC Paris ; Min Fan, fondateur du groupe chinois Ctrip Group ; Pascal Chaigneau, professeur à HEC Paris ; Matthieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne.

Vue d’une entreprise chinoise. Le prestataire chinois de services Ctrip assure des réservations d’hôtel, fournit des billets de transport (avion, train et cars) et organise des voyages à l’étranger, explique Min Fan, l’un de ses fondateurs. Les « routes de la soie » (voir encadré) ont assuré des échanges de marchandises mais aussi culturels (photo). Pour réaliser son projet des « nouvelles », désigné sous le nom de l’initiative « Belt & Road » (la Ceinture et la Route, B&R), la Chine a déjà signé des accords avec 123 pays et 29 organisations internationales. Entre 2013 et 2018, le nombre de Chinois visitant ces pays est passé de 15 millions à plus de 30 millions et celui des voyageurs des pays du B&R à s’être rendus en Chine de 9,03 millions à 10,64 millions, soit une croissance annuelle de 3,5 %. Le tourisme chinois assure 30,82 % des recettes touristiques et 14,11 % de l’emploi dans les pays du B&R. En 2018, Ctrip a traité 90 millions de « voyageurs actifs mensuels » dans les pays du B&R, soit la moitié de son total. Malgré la présence de guides touristiques chinois qui parlent l’anglais et le français, de plus en plus de guides locaux apprennent le chinois pour devenir plus compétitifs. La France reste l’un des pays les plus visités par les touristes chinois, dont le nombre devrait augmenter de plus de 30 % par an. Cette coopération « gagnant-gagnant » porte sur 71 pays, 3 millions de touristes chinois, 80.000 offres de voyages, dont 90 % en Europe et en Asie du Sud-Est. L’innovation dans ce domaine passe par l’intelligence artificielle, les « big data » (mégadonnées) et le « cloud computing » (exploitation de la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants par l’intermédiaire d’un réseau).

Vision chinoise globale. Depuis le Livre blanc de la défense de 2015, la Chine développe le « projet 2049 », centenaire de la naissance de la République populaire, explique Pascal Chaigneau. Il s’agit d’infiltrer cinq nouveaux espaces de puissance, afin de les contrôler : le domaine maritime, négligé et qui a permis la domination de l’Occident ; l’espace extra-atmosphérique, pour contester la prééminence des Etats-Unis ; le cyber ; la haute technologie ; les normes des systèmes internationaux. En 2018, la Chine a obtenu le poste de N°2 du Fonds monétaire international. A l’ONU, celui de sous-secrétaire général chargé des finances est occupé par un Chinois. L’initiative B&R terrestre part du Xinjiang, permettant ainsi le développement de l’Ouest du pays et « phagocyter » la région autonome des Ouïgours, population musulmane turcophone. Dans les pays pauvres traversés, elle crée des « clientèles économiques captives » et, par voie de conséquence, un « clientélisme diplomatique », incité à soutenir la Chine au sein des instances internationales. Le Forum des routes de la soie, organisé à Pékin puis à Shanghai, se transforme en Sommet des routes de la soie, complété par une Organisation des routes de la soie avec son siège à Shanghai, un secrétaire général et un budget dédié. Pour protéger ses intérêts économiques à l’étranger, la Chine développe ses moyens de projections militaires terrestre et navale dans une stratégie d’expansion mondiale. Face à elle et sur un fond de rétorsion, représailles, sanctions, embargos, les Etats-Unis discréditent l’initiative B&R, stratégie d’influence chinoise, dans toutes les instances mondiales. Estimant que son point faible se trouve en Afrique, ils agissent déjà là-bas. De son côté, l’Inde accroît fortement le budget de sa Marine depuis deux ans, pour éviter que l’océan Indien devienne un « lac chinois ».

Présence militaire et légitimité. Avant même les investissements de l’initiative B&R, la doctrine de sécurité de la Chine a connu une rupture avec l’établissement de la base de Djibouti et l’envoi d’unités navales et aériennes en Libye en 2011 pour évacuer 30.000 ressortissants, explique Matthieu Duchâtel. Djibouti fournit un soutien logistique à la présence navale chinoise dans le golfe d’Aden dans la lutte contre la piraterie, aux unités chinoises de maintien de la paix dans le cadre de l’ONU (2.500 hommes en 2019) et aux opérations d’assistance humanitaire (évacuation de ressortissants au Yémen en 2015). Outre la future capacité d’accueil de 10.000 personnes à Djibouti, la Chine assure une présence militaire permanente au Tadjikistan et renforce son infanterie de Marine. En outre, sa Marine va évoluer d’un réseau de soutien avec des ports étrangers amis à un modèle avec ses propres ports. Elle investit dans les ports pakistanais de Gwadar et de Jiwani, où la construction d’une base navale lui permettrait une présence militaire à proximité du détroit d’Ormuz. Toutefois, la construction de la prochaine base suivra les critères de celle de Djibouti pour légitimer des actions sur le plan international, en cas de crise menaçant des ressortissants chinois à l’étranger et d’une intensité justifiant un déploiement permanent. La loi chinoise contre le terrorisme autorise l’intervention à l’étranger de forces spéciales, en cas d’attaque d’une ambassade par exemple. Enfin, les forces armées pourraient intervenir en Asie centrale dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai (Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Ouzbékistan).

Loïc Salmon

Le terme « routes de la soie » a été inventé au XIXème siècle par le géographe Ferdinand von Richtofen, qui avait imaginé un projet de liaison ferroviaire entre l’Allemagne et la Chine, indique Nicolas Lemoine. Connues des Romains, ces voies commerciales coûtaient jusqu’à 100 millions de sesterces par an à l’Empire au Ier siècle. En fait, les caravanes transportaient des marchandises précieuses, mais très rarement de la soie, qui servait de monnaie d’échange utilisée par la Chine pour négocier des accords de passage avec les potentats des pays traversés. Elle servait aussi à dresser les « barbares lointains » contre les « barbares proches », pour sécuriser les frontières de la Chine. Initiatives chinoises de protection contre les Huns, les routes de la soie commencent au IIème siècle avant JC et la ville de Samarcande (Ouzbékistan actuel) en deviendra le pivot. Elles connaissent leur âge d’or sous l’empereur (mongol) de Chine Kubilaï Khan (1215-1294), lequel dure jusqu’à la dislocation de l’Empire mongol en 1368. La longue période suivante d’isolationnisme de la Chine, la découverte de l’Amérique (1492), avec ses perspectives de colonisation, et la voie maritime vers les Indes, ouverte par Vasco de Gama (1498), entraînent une décroissance progressive des routes de la soie.

Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global

L’océan Indien : enjeux stratégiques et militaires

Asie-Pacifique : zone d’intérêt stratégique pour la France




Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global

Le vaste projet chinois des nouvelles routes de la soie se présente sous une forme davantage géopolitique que commerciale avec, à terme, plus de menaces que d’opportunités.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 mai 2019 à Paris, par les Club HEC Géostratégies, l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : Etienne de Durand, directeur adjoint de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie au ministère des Armées ; Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002) ; Emmanuel Véron, enseignant chercheur à l’Ecole Navale ; Christoph Ebell, Emerging Technology Consultant.

Environnement à risques. Selon Etienne de Durand, la course aux armements a repris avec des programmes majeurs en développement en Russie, une rivalité technologique entre les Etats-Unis et la Chine et une accélération du progrès technologique. La compétition permanente entre grandes puissances, toutes nucléaires, se manifeste le long du « continuum paix, crises et conflit », mais souvent sous le seuil de ce dernier par des intrusions voire des agressions non revendiquées, notamment dans l’espace (approches des satellites nationaux) et le cyber (attaques quotidiennes). Elle s’étend même à l’économie et à la technologie. Les espaces communs sont de plus en plus contestés avec des velléités ou même tentatives d’appropriation par la revendication de territoires ou, en haute mer, par la poldérisation d’îles avec obligation de se déclarer pour tout navire qui s’en approche. Cette compétition présente des risques d’escalade, avec un arrière-plan nucléaire. Puissance devenue globale dans les domaines économique, militaire et stratégique, la Chine tente de remodeler l’ordre international, notamment en mer de Chine méridionale, met l’accent sur les technologies duales (usages militaires et civils) et déclare un budget militaire officiel de 170 Mds$/an, mais d’un montant réel supérieur le plaçant de fait juste après celui des Etats-Unis. Puissance spatiale, la Chine met au point des armes antisatellites et d’autres à énergie dirigée. En matière de capacités de projection de puissance, elle dispose de deux porte-avions, en construit un troisième, accélère le rythme de la production de sous-marins à propulsion nucléaire et développe ses facilités portuaires dans la zone indo-pacifique. Avec la mondialisation, une tension en océan Indien ou en mer de Chine du Sud aura des implications immédiates en Europe dans les domaines économique, de l’énergie et des approvisionnements.

Géostratégie. La Chine met en œuvre une géostratégie portuaire, diplomatique et commerciale d’abord en Asie du Sud-Est, puis en océan Indien vis-à-vis de l’Inde, du Pakistan et de l’Iran pour déboucher sur la Méditerranée et l’Europe du Nord, indique Emmanuel Véron. L’ouverture sur le Pacifique-Sud lui permettra d’accéder à l’Amérique latine. Elle construit tout type de navire, même un brise-glace à propulsion nucléaire. En raison de la concurrence locale en mer de Chine, sa flotte de grands bateaux de pêche s’aventure jusqu’à la côte péruvienne. Elle développe l’aquaculture, les biotechnologies, le dessalement de l’eau de mer et surtout la recherche océanographique pour la pose de câbles de communication numérique et pour servir son programme de sous-marins. Sur le plan militaire, outre l’installation d’armements, de relais et de moyens d’écoute sur les atolls aménagés en mer de Chine méridionale, elle a construit de nombreux navires, dont 1 porte-avions, 60 corvettes type 56 et 20 destroyers type 52 entre 2011 et 2018. Le programme de renouvellement des sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins va changer la donne dans le Pacifique vis-à-vis de la puissance navale américaine. La formation des 220.000-230.000 marins se poursuit ainsi que celle du corps expéditionnaire d’infanterie de Marine avec la composante commando. La diplomatie navale s’intensifie en Asie du Sud-Est, Afrique et Europe ainsi que la collecte d’informations, les réflexions sur la Marine à l’horizon 2030 et le soutien à l’export des équipements de sa base industrielle et technologique de défense. Enfin, la Marine chinoise effectue régulièrement des exercices communs avec son homologue russe.

Logique de puissance. L’Occident n’a pas encore intégré la perte du monopole de la puissance, estime Hubert Védrine. Le projet chinois des routes de la soie présente des similitudes avec les procédés du Portugal, de l’Espagne, de la France et de la Grande-Bretagne, pour établir des empires coloniaux et vis-à-vis de l’Empire ottoman au XIXème siècle : séduction ; promesses, sincères ou mensongères ; prêts avec l’engrenage de l’endettement ; opérations militaires, discrètes ou avouées. Pour les voisins de la Chine, les avantages à court, moyen et long termes, les opportunités commerciales, les inconvénients et les risques, plus ou moins graves, liés au projet varient selon les pays. En Afrique, la Chine a élaboré une politique très ambitieuse. La Russie, dont la population en Sibérie n’atteint pas 20 millions de personnes, s’en inquiète, mais se tourne vers la Chine en raison des tensions avec les pays occidentaux. L’Europe connaît un contraste entre l’idée de sa fondation sur des valeurs universelles et la réalité du monde, où les puissances anciennes et nouvelles, dont la Chine, se positionnent par rapport à elle. Dix-sept pays européens, dont la Grèce et ceux d’Europe de l’Est, demandent de l’argent chinois. De leur côté, les Etats-Unis considèrent la Chine comme leur adversaire principal, devant la Russie et l’Iran. L’affrontement, possible notamment sur la liberté de navigation dans les eaux internationales du détroit de Taïwan, dépendra, le moment venu, de l’intérêt de l’une ou l’autre partie de l’aggraver et de l’élargir. Quant à l’avenir du projet des routes de la soie, quelques pays deviendront des protectorats chinois, d’autres resteront à l’écart et certains résisteront, peut-être jusqu’à la contestation violente. Une option pour l’Europe, puissance, consisterait à obliger la Chine à le transformer en un vrai partenariat.

Loïc Salmon

Selon Christoph Ebell, le projet des routes de la soie prend aussi une dimension numérique avec les équipements informatiques, la valorisation des données et une cyberstratégie. Les fournisseurs chinois de services numériques proposent des applications pour les transactions financières. Ainsi en décembre 2018, Alibaba Cloud a signé un protocole d’accord avec le Koweït portant sur un centre d’échanges de données et d’informations entre tous les pays du monde. Les routes de la soie nécessitant des normes techniques communes, la Chine a construit des câbles de fibres optiques reliant Pékin aux Viêt Nam, Népal et Pakistan et a commencé à installer des réseaux 5 G. Parmi les cinq grands centres de calculs à haute performance entrant dans les applications de l’intelligence artificielle à grande échelle, les deux premiers se trouvent aux Etats-Unis et les trois suivants en Chine…qui dépend des Etats-Unis pour la fourniture des indispensables puces électroniques.

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

 

 




Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Dysfonctionnement de l’Etat et échecs sur les plans économique et démographique constituent le terreau du terrorisme dans la bande centrale de l’Afrique. Son éradication passe par le traitement de la démographie et de l’éducation nationale, la réforme des armées et l’aide aux forces de sécurité.

Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Mali (2002-2006), au Congo (2006-2009) et au Sénégal (2010-2013), l’a expliqué lors d’une conférence-débat organisée, le 12 juin 2019 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Croissance hétérogène. La contribution de l’Afrique sub-saharienne au produit intérieur brut (PIB) mondial par habitant est passée de 0 %, entre les indépendances (1960) et la fin du XXème siècle, à 5 % entre 2000 et 2015. Après la stagnation de 2016, la reprise économique moyenne s’établit à 3-3,5 % par an avec une croissance démographique de 2,5 %. Toutefois, 40 % de sa population ne dispose que de 1,9 $ par personne et par jour, seuil de pauvreté selon les normes de l’ONU. L’ambassadeur attribue ce réveil économique à l’annulation de la dette, l’essor du numérique, l’arrivée des investissements chinois, la progression de la scolarisation, un grand pas vers l’égalité des femmes et la diminution de la conflictualité entre 1990 et 2010 mais qui repart en 2013. Cependant, seulement une dizaine de pays allient croissance et développement, tandis que les autres connaissent une situation fragile, voire chaotique. Les importations se montent à 40M$/an pour la nourriture et à 15 Mds$ pour les biens. Négative jusqu’en 2010, la balance commerciale a provoqué un endettement croissant dans les secteurs public (budgets) et privé (taux d’intérêt de 7 %). A titre d’exemple, au Nigeria, la dette représente 60 % du budget de l’Etat et l’assiette fiscale moins de 15 % du PIB, contre 35 % pour la moyenne mondiale, et une hausse de 1 % de la fiscalité correspondrait à l’aide au développement. Environ 30 à 40 % des investissements étrangers vont en Asie, 20 % vers l’Amérique latine et seulement 3 % vers l’Afrique sub-saharienne, en raison de l’insécurité juridique et du manque d’infrastructures, notamment pour le réseau électrique. Ainsi, 55 % de la population n’a pas accès à l’électricité et à peine 15 % en a suffisamment.

Démographie et éducation. D’ici à 2050, la population de l’Afrique sub-saharienne devrait augmenter de 160 % pour atteindre 1 milliard d’habitants. Selon les estimations de l’ONU, le nombre d’enfants par femme, actuellement de 5, devrait tomber à 2 en 2100. Dans tous les pays asiatiques, la baisse de la natalité et l’effort sur l’éducation a permis leur décollage économique, rappelle l’ambassadeur. Or en Afrique, un enfant sur trois arrive en fin du cycle primaire, alors que 22 % des jeunes Européens obtiennent un diplôme d’enseignement secondaire. S’y ajoutent les handicaps de l’éducation insuffisante des filles et des mariages précoces dans de nombreux pays d’Afrique. Seuls le Ghana, l’Ethiopie, le Kenya et l’Afrique du Sud maîtrisent leur éducation nationale. Ailleurs, en zone urbaine, celle-ci se trouve concurrencée par les écoles coraniques aux idéologies anti-modernisme, anti-occidentale et anti-démocratique. L’Afrique sub-saharienne ne produit que 2 % de la valeur des biens manufacturés dans le monde, en raison de l’enclavement de certains pays, d’une compétitivité très faible, d’une électrification et d’infrastructures déficientes, d’une formation professionnelle limitée et d’une baisse de natalité trop lente. Chaque année, le marché du travail doit absorber 30 millions de jeunes dont la plupart ne trouve pas d’emploi, facteur supplémentaire d’insécurité.

Carences étatiques. L’aide au développement s’est concentrée sur la santé et divers projets, sans s’interroger sur les causes du sous-développement, souligne l’ambassadeur. La construction des routes ou du métro par des entreprises et personnels étrangers déresponsabilisent les autorités locales et les discréditent auprès des populations. La police et les armées ont été négligées et sont mal payées, faute d’une fiscalité efficace. Présence étatique limitée en zone rurale et mauvais fonctionnement de la justice créent un terreau propice à des désordres. Dans certains pays, l’Etat a dissous les autorités traditionnelles et délégué le maintien de l’ordre à des milices armées rurales pour régler les conflits entre nomades pasteurs et agriculteurs sédentaires, notamment pendant les périodes de sécheresse.

Djihadisme. En Afrique sub-saharienne, le terrorisme chrétien a déjà tué 100.000 personnes, soit plus que les djihadistes après 2000, indique l’ambassadeur. Selon le Programme des nations unies pour le développement, une répression étatique violente favorise le djihadisme, notamment au Nigeria où le salafisme « quiétiste » (cheminement spirituel) est devenu « djihadiste » avec Boko Haram. Le djihadisme suscite des adhésions car il propose un projet de civilisation, gère les besoins de justice et favorise les pasteurs. Dans le Nord-Mali, s’affrontent des groupes armés répartis en trois catégories aux frontières poreuses, où se mêlent lutte des castes et compétition pour le narcotrafic : Coordination des mouvements de l’Azawad, Touaregs sécessionnistes mais signataires des accords de paix d’Alger avec le gouvernement malien à l’issue de l’opération « Serval » ; groupes armés pro-gouvernementaux, également signataires ; djihadistes, répartis entre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l’Etat islamique, non signataires. Alors que la population penche plutôt du côté des djihadistes, l’opération « Barkhane », qui a succédé à « Serval », s’est associée aux milices. Le djihadisme, parti du Mali, s’est étendu notamment en République centrafricaine et en République démocratique du Congo, mais a disparu de l’Ouganda. La Mauritanie a procédé avec succès à la « déradicalisation » en plaçant des imams auprès de prisonniers djihadistes. Sur 60 détenus, un seul a repris le maquis après sa libération ! La solution, à terme, repose sur la réconciliation à partir du renoncement au djihadisme, à condition de négocier en position de force avec les djihadistes, conclut l’ambassadeur.

Loïc Salmon

Le nombre de morts dans les combats est passé de 607 en 2012 à 2.829 en 2018 dans les pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mauritanie). En 2018, le terrorisme sévit dans les pays les moins avancés (PMA), à savoir le Mali, le Niger et la Somalie, mais aussi au Nigeria, pourtant plus développé. En outre, guerre civile et exactions de groupes armés continuent au Soudan, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et au Mozambique. Quoique classés PMA, Mauritanie, Guinée, Sierra Leone, Liberia, Bénin, Togo, Angola, Zambie et Madagascar échappent à ces fléaux. Sont aussi épargnés des pays plus développés, à savoir le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Kenya, la Namibie, le Botswana, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. Y échappent également le Sénégal (PMA), la Côte d’ivoire, le Ghana, l’Ethiopie (PMA) et la Tanzanie (PMA), tous classés parmi les dix premiers pays du monde à forte croissance économique.

Afrique : zone sahélienne sous tension et résolution de crises

Afrique : fraude et corruption des agents publics, des fléaux difficiles à éradiquer

Afrique : les armées et leur implication dans la politique




Défense : augmentation des budgets mondiaux en 2018 et réaffirmations de puissance

Les budgets militaires ont totalisé 1.670 Mds$ en 2018, soit une hausse de près de 2 % en un an, surtout dans les pays occidentaux et en Asie. La Chine accélère la modernisation de ses équipements, comme le Japon et la Russie. Les armées africaines profitent des opérations internationales de maintien de la paix.

Tel est le constat du document « Military Balance 2019 » de l’Institut d’études stratégiques de Londres (International Institute for Strategic Studies, IISS), présenté lors d’une conférence-débat organisée, le 25 février 2019 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire. Sont notamment intervenus : François Heisbourg, conseil de l’IISS pour l’Europe ; le général de brigade (2S) britannique Ben Barry, IISS ; Sonia Le Gouriellec, maître de conférences à l’Université Catholique de Lille.

La Chine. Le budget militaire de la Chine a crû de 8 %/an en termes réels entre 2007 et 2017, puis de 6 %/an en 2017 et 2018 malgré le ralentissement économique, indique le général Barry. Sa Marine doit désormais faciliter les opérations à longue distance et accroître le rythme de ses missions. A cet effet, 2 croiseurs lance-missiles de la classe 055 (12.000 t) ont été lancés en juin 2018 et 4 autres sont en chantier. En outre, 13 frégates anti-aériennes 052C (7.500 t) et 052D (7.000 t) sont entrées en service entre 2008 et 2018. Pour la défense aérienne sur mer, les Etats-Unis arrivent en tête avec 87 bâtiments en 2018, devant 8 pays européens totalisant 30 unités : Grande-Bretagne, 6 ; Espagne, 5 ; Norvège, 5 ; Pays-Bas, 4 ; Allemagne, 3 ; Danemark, 3 ; Italie, 2 ; France, 2. L’Asie-Pacifique a presque rattrapé l’Europe avec 28 navires : Chine,15 ; Japon, 6 ; Corée du Sud, 3 ; Inde, 3 ; Australie, 1. Le porte-aéronefs chinois Liaoning, ex-Varyag racheté à l’Ukraine en 2000, a repris la mer après sa modernisation. Un second, construit en Chine, devrait entrer en service en 2019. Mais il leur reste à acquérir groupes aériens et navires d’escorte. Par ailleurs, la Chine a terminé son programme de poldérisation et de construction sur des îlots en mer de Chine et y installe des infrastructures pour abriter des armements, en cours de développement, pour gêner toute intrusion d’une force armée adverse en mer de Chine. Les forces amphibies chinoises augmentent en effectifs avec la transformation de 4 unités d’infanterie et de défense côtière en brigades, dont 2 affectées au théâtre du Nord et 2 à celui de l’Est, mais pas encore équipées ni entraînées pour une opération amphibie. En outre, les forces armées améliorent leurs capacités en matière de cyber, espace, énergie dirigée et technologies quantiques. Le plan national d’intelligence artificielle vise à faire bénéficier la défense des progrès réalisés dans le secteur civil. Quoique redoutée dans la région, la puissance militaire chinoise présente des faiblesses, notamment dans l’entraînement et la lutte anti-sous-marine, sans compter le manque d’expérience du combat. Des opérations sur un théâtre extérieur éloigné ou contre un adversaire aux capacités similaires se trouveraient limitées, en raison du petit nombre d’unités de soutien, à savoir avions-ravitailleurs, plates-formes ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) et navires logistiques. Contrairement à leurs anciens homologues de l’Union soviétique, indique François Heisbourg, les militaires chinois parlent de leurs faiblesses. De plus, la Chine met l’accent sur l’exportation d’armements pour projeter sa puissance et profiter aussi de l’expérimentation de l’efficacité de ses systèmes d’armes par d’autres pays. Ainsi, fin 2018, la présence de missiles air-air à guidage radar PL-12 chinois (portée de 3 à 50 km) a été constatée sur des avions de l’armée de l’Air birmane.

Le Japon. Selon le « Military Balance 2019 », le Japon va transformer ses deux porte-hélicoptères de la classe Izumo (19.500 t), en vue de recevoir des avions de combat américains F-35B à décollage court et atterrissage vertical, permettant une projection limitée de puissance ou, au moins, une opération autonome au-delà de la portée d’avions basés à terre. Comme leurs homologues américains, les destroyers de défense aérienne japonais sont équipés d’un système de combat Aegis spécifique, capable d’intercepter des missiles balistiques à 370 km de distance et 185 km d’altitude.

La Russie. Les 5 frégates anti-aériennes russes disposent des missiles hypersoniques SA-N-6 et SA-N-20 d’une vitesse de mach 20 (24.696 km/h) et d’une portée d’environ 4.000 km. En Crimée, la Russie a mis en œuvre le système de défense aérienne S-400, composé de 4 types de missiles tirés de navires : 9 M96 d’environ 50 km de portée ; 9 M96-2, 100 km ; 48 N6D, 200 km ; 40 N6 en développement, 400 km. S’y ajoutent le système de défense côtier 3K60 Bal, composé de missiles de croisière SSC-6A Sennight (130 km) et SSC-6 Sennight en développement (260 km), et le 3K55 Bastion avec le missile de croisière SSC-5 Stooge (300 km). En cas de crise, le S 400 pourrait dénier l’accès de cette région de la mer Noire à une intervention extérieure adverse. La Russie développe et déploie de nouveaux armements nucléaires et à capacité duale. Ainsi, la production en série du planeur hypersonique Avanguard, capable de porter des charges nucléaires ou conventionnelles, a commencé en 2018. En outre, le déploiement du système 9M729 se poursuit avec le missile de croisière SSC-8 Screwdriver, tiré du sol (2.500 km). En 2018, Washington a accusé Moscou d’enfreindre ainsi le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (500-5.500 km), conclu en 1987 entre les Etats-Unis et l’URSS à l’époque. Début février 2019, les deux Etats ont annoncé leur retrait du traité dans les six mois.

L’Afrique. Les armées africaines apportent une contribution essentielle à la résolution des conflits sur leur continent, explique Sonia Le Gouriellec. Depuis 2000, 22 missions de paix, internationales ou régionales, s’y sont déroulées. L’ONU y a envoyé 75.714 personnels militaires et civils, dont 44.100 ressortissants locaux, et l’Union africaine (UA) 36.550. Les opérations de maintien de la paix apportent avantages financiers et techniques, entraînement et compétences spécifiques aux armées africaines, qui reçoivent des matériels américains, français et russes, mais les entretiennent peu. Les Etats africains en retirent la paix sociale par la professionnalisation de leurs armées, qui acceptent la subordination aux autorités civiles. Sénégal et Tchad fournissent des troupes à l’ONU et l’UA et Kenya, Burundi, Ouganda et Ethiopie des appuis logistiques. Des formations sont assurées en Ethiopie et aux Ghana, Togo et Kenya, avec la coopération des Etats-Unis et de la France (Eléments français au Sénégal et au Gabon).

Loïc Salmon

Le document annuel « Military Balance », qui publie sa 60ème édition en 2019, a établi un classement par pays des 15 principaux budgets de défense dans le monde en 2018. Les Etats-Unis restent en tête avec 643,3 Mds$ devant : les pays européens membres de l’OTAN, 264 Mds$ ; la Chine, 168,2 Mds$ ; l’Arabie saoudite, 82,9 Mds$ ; La Russie, 63,1 Mds$ ; l’Inde, 57,9Mds$ ; la Grande-Bretagne, 56,1 Mds$ ; La France, 53,4 Mds$ ; le Japon, 47,3 Mds$ ; l’Allemagne, 45,7 Mds$ ; la Corée du Sud, 39,2 Mds$ ; le Brésil, 28,8 Mds$ ; l’Australie, 26,6 Mds$ ; l’Italie, 24,9 Mds$ ; Israël, 21,6 Mds$.

Défense : 2017, budgets mondiaux et modernisation

Chine : l’intelligence artificielle, priorité de sécurité nationale

320 – Dossier : « Sénégal, coopération avec la France et rayonnement régional »




Armée de Terre : pas d’intervention militaire ou civile sans « interculturalité »

Le succès d’une opération militaire extérieure ou d’une entreprise de défense à l’étranger repose sur l’interculturalité, impliquant compréhension, influence et coopération quant au pays concerné.

Ces questions ont été abordées lors d’un colloque organisé, le 28 novembre 2018 à Paris, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger. Y sont notamment intervenus : le général de division Bruno Guibert, ancien commandant de l’opération « Barkhane » au Sahel ; Dominique Rey, consultant d’entreprises ; le général de corps d’armée (2S) Gilles Rouby, institut de formation THEMIIS ; le colonel Christian Barthlen, Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire ; Pierre Servent, journaliste et écrivain.

Le « vécu » de « Barkhane ». La lutte contre le terrorisme djihadiste au Sahel nécessite de gagner l’adhésion des populations et de former les forces locales de sécurité, les conseiller, les accompagner au combat et les respecter dans l’action, souligne le général Guibert. La force française « Barkhane » est parvenue à démanteler le réseau logistique des groupes armés terroristes (GAT), aujourd’hui très affaiblis. Sa coordination tactique sur le terrain avec l’armée malienne donne des résultats, dans le respect du droit humanitaire. Toutefois, malgré le recul des revendications identitaires, la violence directe augmente. Les GAT aggravent les antagonismes ethniques, sociaux et politiques et détruisent les structures traditionnelles par le meurtre de chefs de village et de marabouts. Ils versent une prime de 2 MFCFA (300 €) à l’auteur d’un acte terroriste réussi. Ils attribuent les exactions interethniques aux groupes d’auto-défense, interlocuteurs de la force « Barkhane » qui apparaît alors comme leur complice. Mais ces groupes exercent une influence sur les populations, qu’il faut protéger des GAT. La MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation au Mali) assure le contrôle de zone et l’Union européenne forme les armées nationales. L’Estonie a détaché 1.000 militaires auprès de « Barkhane » et la Grande-Bretagne lui apporte une capacité de transport. Les Etats-Unis lui fournissent du renseignement et déploient des forces spéciales au Sud de la frontière nigérienne. En matière d’influence, la radio joue un rôle primordial en raison de la tradition orale. Le passif colonial de la France influe négativement sur l’opinion nationale au Tchad. En outre, Chine, Allemagne et Italie s’en servent pour proposer des aides financières bilatérales. Selon le général Guibert, la force armée de 45.000 hommes du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), émanation d’armées locales en difficultés pour contrer une menace régionale, reste fragile, faute de confiance entre les acteurs et de volonté de la communauté internationale. En fait, le djihad (guerre sainte) constitue un alibi pour des groupes marginaux, qui s’allient aux GAT pour contrôler la région, où les trafics en tous genres s’intègrent aux échanges commerciaux licites. Les GAT harcèlent « Barkhane », dont un départ précipité représenterait d’énormes risques d’enlisement de la crise et de représailles contre les populations. Le général Guibert estime nécessaire de transformer le résultat tactique de l’opération « Barkhane » en effet stratégique, en mobilisant les acteurs locaux, français et étrangers du développement et l’Etat malien, qui devrait aussi créer des unités spéciales.

L’expérience d’entreprises. A l’international, l‘incompétence interculturelle devient un facteur majeur de crise, alors que la connaissance de la culture du pays partenaire constitue une prévention efficace, explique Dominique Rey. Les entreprises présentent des vulnérabilités : patrimoine humain ; systèmes d’information ; image et exposition médiatique ; propriété intellectuelle et industrielle ; savoir-faire et sa transmission ; bâtiments abritant des données sensibles ; approches hostiles sur les capitaux. Il s’agit de mettre en place un système d’anticipation et des plans de gestion de crise, incluant maintien de l’activité, résilience du personnel et contrats d’assurance. Dans une compétition accrue par la mondialisation, les salariés expatriés doivent encadrer des équipes locales ou multiculturelles, mettre en œuvre les modes d’organisation et outils de gestion du siège, souvent mal compris, et gérer des partenariats ou des filiales communes. Il faut donc les former en amont, pour qu’ils se placent au bon niveau pour bien appréhender les différences entre les cultures. Outre une conception différente du temps, d’autres particularités apparaissent : logique individuelle ou collective ; relation hiérarchique et statut social ; acceptation des inégalités ; expression implicite ou explicite ; pensée pragmatique ou abstraite. Ainsi, pour les occidentaux, raison, force, volonté, science, technique et culture doivent dominer la nature. En outre, les lois et règles s’appliquent à tous au nom de l’égalité. Pour les Chinois et les Coréens, il convient d’accepter le changement et de saisir les opportunités pour agir au bon endroit. Les relations humaines et personnelles priment en raison de l’importance de la famille et du « réseau », gages de confiance. Chez les personnels binationaux, l’avantage linguistique va de pair avec le risque de « décrochage » vers la culture maternelle, indique Dominique Rey.

La défense à l’export. Selon le général Rouby, THEMIIS contribue à exporter la culture française en matière de défense et de sécurité vers les pays francophones, notamment africains, qui cherchent à émerger rapidement mais dont le français reste la deuxième langue. L’absence de classe moyenne se reflète dans les armées, qui manquent de fonctions intermédiaires. Les stagiaires, surtout des colonels et des généraux, n’ont qu’une culture d’officier subalterne ou même moins. Malgré ce niveau de connaissances inégal, les stagiaires souhaitent pouvoir faire aussi bien, voire mieux, et plus vite que leurs homologues français. Par tradition orale, la pédagogie repose sur les questions et réponses et les pratiques bilatérales. La diversité des régimes politiques exigeant neutralité et impartialité, les formations visent à développer l’autonomie stratégique locale.

Loïc Salmon

Selon le colonel Christian Barthlen, l’interculturalité s’applique aussi à l’adversaire pour comprendre sa pensée et son influence. Ainsi, la classe dirigeante et le corps social russes s’articulent autour du concept de « grande nation », de la notion « d’étranger proche » et de la sensation d’un encerclement par l’OTAN, perçue comme ingrate. La Russie estime n’avoir pas été payée de retour lorsque qu’elle lui a ouvert son espace aérien et ses bases pendant la guerre d’Afghanistan (2001-2014), comme le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. En outre, elle la considère comme dangereuse par ses menaces d’intervention en Géorgie ou en Ukraine et n’entend pas partager la Crimée avec celle-ci. Des engagements occidentaux en Afghanistan puis au Moyen-Orient, Pierre Servent tire quelques enseignements : comprendre la situation par une approche civilo-militaire ; intervenir sur les différents théâtres en profitant de l’héritage colonial mais en gardant ses distances ; agir en interarmées.

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