Tout savoir sur les drones

Engins autonomes ou télépilotés, les drones sont utilisés dans les milieux aérien, terrestre et maritime, au cours des conflits successifs depuis 1944, pour le renseignement et le combat.

Après les essais de la première guerre mondiale, une percée technologique se produit avec le V1 allemand à aile droite et réacteur dorsal, mis en œuvre lors de la seconde. Dès 1946, des bombardiers américains B17G sont télépilotés à partir d’autres B17, pour récupérer des échantillons dans l’atmosphère après les explosions nucléaires. La perte de deux avions de reconnaissance à haute altitude U2, abattus au-dessus de l’Union soviétique (1960) et Cuba (1962), incite les Etats-Unis à développer les avions sans pilote. Pour éviter les tirs de barrage meurtriers adverses pendant la guerre du Viêt Nam, les Ryan AQM-34 Firebee effectuent plus de 3.000 missions de reconnaissance de 1965 à 1975. Suite à celle du Kippour (1973), Israël met au point le drone tactique Mastiff, déployé lors de la 1ère crise du Liban (1982) pour identifier les radars syriens et monter des opérations de leurrage. Pendant la 2ème crise (2006), la planification de toute action au sol inclut des reconnaissances par des drones, en appui des forces spéciales. Dès le début des années 1960 et pendant deux décennies, les Etats-Unis utilisent des engins sous-marins CURV pour récupérer des matériels perdus en mer par 1.000 m de fond. Pendant la guerre du Golfe (1990-1991), l’armée de l’Air américaine teste les drones de reconnaissance à longue portée Sentinel, Pointer et Pioneer (800 km, 60 heures). En 2000, le Predator, équipé de missiles antichar, participe à des opérations de combat ciblées. Lors des conflits d’Irak (2003) et d’Afghanistan (2001-2014), apparaissent les drones HALE (haute altitude longue endurance) et MALE (moyenne altitude longue endurance) puis les drones terrestres pour la détection d’engins explosifs improvisés et l’exploration de caches d’armes. Les drones navals Protector (israélien) et Spartan (franco-américain) sont chargés du déminage, de la lutte anti-sous-marine et antinavire, de la protection de ports et du déni d’accès de zone. Le micro-drone américain MUV VideoRay, sous-marin et filoguidé, peut filmer jusqu’à 300 m de profondeur dans des eaux de moins de 50 cm de visibilité. Toutefois, la transmission des informations entre le drone et la station sol peut constituer un facteur de vulnérabilité. Ainsi, au Levant en 2009, les insurgés irakiens ont piraté les flux de données des Predator américains avec un logiciel grand public et ont eu ainsi le temps de se préparer à l’éventualité d’une attaque ou de localiser les régions visées. Après l’embuscade d’Usbeen en 2008 (10 morts, 21 blessés), la France envoie des drones en appui des troupes en Afghanistan. Lors de l’offensive contre le Hezbollah au Liban (2006), des drones israéliens ont tué des civils par erreur. Depuis, les drones sont équipés de senseurs combinés à des radars, lasers et caméras électro-optiques et thermiques pour fournir, en temps réel, des images nettes distinguant les enfants des adultes, les équipements et matériels avec une grande précision, de jour comme de nuit. Le drone terrestre américain de reconnaissance armée Talon peut riposter et attaquer selon son armement : fusil d’assaut, mitrailleuse, roquette antichar, lance-grenade et arme non létale. Enfin, deux démonstrateurs aériens de combat sont en cours de développement : le X-47B américain, utilisable sur un porte-avions, et le nEURon européen.

Loïc Salmon

Les drones Un peu d’histoire

Les drones : de l’OPEX au territoire national

Drones civils : réponses opérationnelles et juridiques aux usages malveillants

« Tout savoir sur les drones » par Jean-Christophe Damaisin d’Arès. Editions JPO, 132 pages, 9,90 €.




Ethnographie du Quai d’Orsay

La diplomatie s’élabore dans les salles de réunion du ministère des Affaires étrangères à Paris et le bureau de l’ambassadeur en poste à l’étranger. Actuellement, 7 concours, externes et internes, donnent accès à des emplois à ce ministère, surnommé « le Quai d’Orsay ». Pour les postes les plus élevés (catégorie A+ de la fonction publique), les voies les plus sélectives restent l’Ecole nationale  d’administration, par le concours externe, et celui de conseiller du cadre d’Orient, passé souvent après obtention des diplômes de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Institut national des langues et civilisations orientales. Les énarques y recherchent les considérations liées à la haute fonction publique (rang de sortie, rémunération et prestige), alors que les conseillers d’Orient veulent vraiment devenir diplomates. L’enquête qualitative du livre conclut que : les diplomates viennent en majorité des classes moyennes et supérieures ; les « dynasties » de diplomates sont aujourd’hui peu nombreuses, probablement du fait des contraintes professionnelles vécues par leurs enfants. Depuis 2010, tout(e) lauréat(e) d’un concours est envoyé(e) en formation (14 semaines) à l’Institut diplomatique et consulaire, pour acquérir les premiers savoir-faire professionnels, se sensibiliser à la culture du ministère et connaître la cohésion de groupe et l’esprit de promotion. Ensuite, il (elle) comprend vite que la « carrière » revêt un sens très concret au Quai d’Orsay, où il (elle) y restera normalement jusqu’à sa retraite et conservera même un fort sentiment d’appartenance après. Il s’agit pour lui (elle) de choisir, très tôt, entre une voie généraliste et la spécialisation. La première, préférée par la majorité des cadres du ministère, brille par la variété des tâches, qui peuvent changer totalement tous les 3 ou 4 ans au gré des affectations. Pour la seconde, plusieurs filières se distinguent : l’Union européenne, avec des postes à Paris et dans les grandes ambassades européennes ; les affaires politico-stratégiques pour les questions de sécurité et les ambassades à l’OTAN, l’ONU et Washington ; les zones géographiques en Afrique, Moyen-Orient et Asie-Pacifique. Traditionnellement, le métier de diplomate reste une mission pour laquelle les heures ne se comptent pas. Toutefois, depuis 2014, les cadres du ministère disposent de « tablettes » pour consulter les notes internes et les télégrammes  diplomatiques, à l’extérieur du Quai d’Orsay et en toute sécurité.  Selon les ambassades, les diplomates travaillent parfois avec des fonctionnaires d’autres ministères : Agriculture ; Défense ; Economie et Finances ; Education nationale ; Intérieur ; Justice ; Commissariat à l’énergie atomique. Parallèlement, les consulats assument diverses fonctions complémentaires : assistance aux ressortissants ; développement des relations commerciales, économiques, culturelles et scientifiques ; délivrance de documents de voyage et d’état-civil aux ressortissants et de visas aux étrangers. Mais depuis les années 2000, le travail consulaire se rapproche de la pratique générale de la diplomatie en raison de l’augmentation des flux de personnes, du débat sur l’immigration en France et des enjeux électoraux liés à la représentation des Français de la diaspora. Enfin, chaque diplomate en poste à l’étranger s’attend à devoir gérer une situation difficile, à savoir un état de guerre, une crise humanitaire ou une relation bilatérale difficile.

Loïc Salmon

Les diplomates, acteurs de la politique étrangère et représentants de la France

Diplomatie : actions de la DCSD sur les moyen et long termes en matière de sécurité et défense

Diplomatie parallèle : l’action discrète de particuliers influents et engagés

« Ethnographie du Quai d’Orsay » par Christian Lequesne. CNRS Editions, 258 pages, 24 €.




Images interdites Grande Guerre

La photographie, apparue sur le champ de bataille pendant la guerre de Crimée (1853-1856), devient véritablement une « arme » au cours de celle de 1914-1918. Dès le début du conflit, la presse perd la liberté dont elle avait joui pendant la guerre contre la Prusse (1870-1871).

La censure devient indissociable de la propagande. D’abord, les autorités civiles et militaires veulent protéger la population des mauvaises influences et lui inculquer les bonnes. Ensuite, cette guerre étant celle de la nation armée, elles doivent maintenir le moral des non-combattants à l’arrière du front. Ne pouvant empêcher les soldats de lire les journaux, elles veillent à ce que les informations qui parviennent aux tranchées ne sèment le désordre ou la démoralisation. L’Allemagne saisit d’emblée l’intérêt de la photo pour véhiculer sa propagande à destination de pays neutres. Pour la contrer, le ministère français des Affaires étrangères manifeste en 1915 un besoin d’approvisionnements réguliers de photos sur des sujets variés. La Section photographique de l’armée (SPA) est alors constituée pour produire l’image officielle du pays en guerre. Dirigée par le sous-lieutenant Pierre-Marcel Lévi, professeur d’histoire générale à l’Ecole des Beaux-Arts dans le civil, elle n’a de militaire que son nom et une partie de son personnel. Pour éviter un usage commercial des photos du front, l’Etat-major recrute essentiellement des soldats mobilisés au service auxiliaire, photographes professionnels sans lien avec des entreprises privées. La formation à « l’Ecole des opérateurs de prise de vue » pour photographes et cameramen dure deux mois avec notamment : « dégrossissement » et « élimination des inaptes physiques » ; perfectionnement et utilisation de la lumière. Sur ordre du Grand Quartier Général français, les reporters sont envoyés en mission, au front ou à l’arrière, en France, Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Orient, Proche-Orient et même Russie. Chaque mission répond à une commande des autorités françaises, stationnées en France ou à l’étranger, ou à des organismes comme la Croix-Rouge internationale. Industrielle, cette guerre oppose des technologies et des brevets. L’armement y joue un rôle plus important que les soldats. Véritable laboratoire, elle inclut la recherche de l’arme secrète, facteur de surprise. Par ailleurs, la politique française de communication se construit sur un postulat majeur : par leurs destructions de monuments historiques, les « barbares » allemands constituent une menace pour la civilisation que la France et ses Alliés défendent. La SPA dispose de ses propres moyens de diffusion et envoie des clichés sur des cartes postales, albums thématiques, périodiques en toutes langues, projections d’images fixes lors de conférences, expositions et produits dérivés. Ainsi, entre septembre 1917 et février 1918, les cartes postales de la série « profanations allemandes » totalisent plus d’un million d’exemplaires. En outre, 41.000 albums photographiques, 12.000 plaques pour projection et 205.000 clichés sont envoyés à l’étranger. « Images interdites Grande Guerre», catalogue de l’exposition éponyme, en présente les 40 photos avec un texte explicatif détaillé pour les remettre en perspective. Entre 1915 et 1919, les « soldats de l’image » ont dû effacer leur nom au profit de la seule mention de la SPA. Mais, quelques uns ont pu sortir de l’anonymat.

Loïc Salmon

Exposition « Images interdites de la Grande Guerre » à Vincennes

Renseignement : les archives secrètes françaises et allemandes de la seconde guerre mondiale accessibles

« Images interdites Grande Guerre », ouvrage collectif. Éditions ECPAD et Presses universitaires de Rennes, 186 pages, Nombreuses illustrations, 25 €.




La guerre par ceux qui la font

Trois généraux et treize colonels ou assimilés du Centre des hautes études militaires présentent leurs réflexions sur les enjeux de défense et de sécurité.

Depuis l’Antiquité, la guerre a toujours été motivée par la peur, l’honneur ou les valeurs, éventuellement religieuses, et l’intérêt. Dans les années 1990, la « révolution des affaires militaires », d’origine américaine, prône le recours à la guerre psychologique et à la maîtrise du champ de bataille par l’imagerie. La guerre se construit autour de la boucle « observation, orientation, décision et action ». Elle s’appuie surtout sur les innovations technologiques : vélocité des plates-formes, puissance unitaire et précision de l’armement, volume et vitesse des communications et supériorité absolue en matière de « C4ISR » (commandement, contrôle, communications, systèmes informatiques, renseignement, surveillance et reconnaissance). Or, les attentats terroristes du 11 septembre  2001 aux États-Unis, par leur soudaineté, l’ampleur des destructions et la désorganisation qui s’ensuit, atteignent un niveau de violence comparable à celui d’une opération de guerre. Ils annoncent les interactions entre sécurité nationale et sécurité globale et entre territoire national et théâtre extérieur. Leur impact, aussi dévastateur qu’une guerre, a nécessité un investissement limité : Al-Qaïda n’aurait dépensé que 500.000 $, alors que les guerres qui ont suivi (Irak et Afghanistan) auraient coûté 3 Mds$ entre 2001 et 2014. En outre, les armées régulières ont perdu le monopole de la guerre. Terrorisme, guérilla, cyber-guerre et sanctions économiques sont mis en œuvre séparément ou combinés au service d’une stratégie asymétrique, utilisée par les puissances dominantes : cyberattaques menées par les États-Unis,  la Chine ou la Russie ; annexion  de la Crimée par la Russie, sans intervention militaire violente ; stratégie chinoise d’extension de la zone économique exclusive en mer de Chine. Depuis 1945, la dissuasion nucléaire a démontré son efficacité à proscrire toute montée des tensions aux extrêmes ou prévenir tout conflit majeur. Certaines puissances régionales d’Asie et du Moyen-Orient veulent acquérir des capacités nucléaires crédibles et les grandes puissances rénovent les leurs. La France a adopté une dissuasion strictement défensive de frappe en second et uniquement nucléaire. En revanche, les États-Unis basent la leur sur la combinaison des capacités nucléaires et conventionnelles, à caractère offensif et défensif, dans une perspective de prévention d’une guerre majeure et de maîtrise de l’escalade lors de conflits périphériques. Ainsi, les missiles de croisière ou balistiques équipés de charges conventionnelles leur permettent, théoriquement, de neutraliser ou de menacer des cibles à haute valeur politique ou militaire, fugaces, protégées ou camouflées partout dans le monde, en quelques dizaines de minutes et avec une précision métrique. Toutefois, leur emploi reste hasardeux en temps de crise ou de guerre, en raison de leur localisation à proximité des vecteurs d’armes nucléaires. En effet, les moyens d’alerte de la Russie ou de la Chine pourraient l’interpréter comme une attaque nucléaire. Enfin, la « surprise stratégique » reste possible, à savoir la transgression des règles du jeu ou un événement peu ou mal anticipé et à très fort impact sur les fondements d’un État.

Loïc Salmon

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

La guerre future : hybride, majeure ou mondiale ?

Cyber : au cœur des enjeux de défense et de sécurité

« La guerre par ceux qui la font », ouvrage collectif. Éditions du Rocher 366 pages, 22 €.




Guerres secrètes

Renseignement et actions secrètes nécessitent anticipation, investissement humain et pluridisciplinarité pour mieux comprendre un monde, imprévisible et en évolution permanente, et tenter d’y exercer une influence.

La distinction entre paix et guerre s’efface par le biais du renseignement, aspect le plus politique de la stratégie. En outre, la guerre secrète rend poreuses les frontières entre les forces armées et le monde civil. L’efficacité des agents secrets repose surtout sur leur absence de charisme et leur physique ordinaire. Leur plus grande frustration se manifeste par l’absence d’écho de l’usage et de l’utilité de leur travail, alors qu’il présente parfois des aspects violents et dangereux. L’ouvrage « Guerres secrètes » présente quelques portraits d’hommes et femmes, célèbres, de l’ombre :  Lavrenti Beria, directeur du NKVD ; Allen Dulles, directeur de la CIA ; Stewart Menzies, directeur du MI6, André Dewavrin, dit Passy, directeur du BCRA ; Alexandre de Marenches, directeur du SDECE ; le colonel Thomas Lawrence « d’Arabie » ; Georges-Jean Painvin, décrypteur des codes allemands de la première guerre mondiale ; Richard Sorge, agent soviétique au Japon qui annonce l’imminence de l’attaque allemande contre l’URSS, dont Staline ne tiendra pas compte ; Roger Marin, dit Wybot, directeur de la DST ; Marie-Madeleine Fourcade, MI6 puis animatrice d’un réseau de résistance en France ; Jeanne Bohec, BCRA puis parachutée en France ; Robert Maloubier, SOE puis créateur de l’école des nageurs de combat du SDECE ; Harold « Kim » Philby, le plus connu des « Cinq de Cambridge » au service de l’URSS ; Youri Andropov, directeur du KGB puis président de l’URSS. L’ouvrage énumère 37 « guerres secrètes » de 1874 à 1991 avec leurs caractéristiques : renseignement, opérations clandestines, désinformation, déstabilisation et contre-espionnage. Mata-Hari sera démasquée en 1917 par le décryptage d’un télégramme, intercepté par le poste militaire de la Tour Eiffel. Pendant la seconde guerre mondiale, les agents de l’OSS américain utilisent du matériel militaire et agissent le plus souvent en uniforme, pour être traités en prisonniers de guerre en cas de capture. En revanche, ceux du SOE britannique, qui interviennent en civil avec des équipements sans marque, risquent la torture et la mort. Le BCRA emploie de nombreuses femmes à Londres, mais en envoie peu en France. Par contre, le SOE en parachutera 50, dont 39 furent arrêtées et exécutées. L’univers des guerres secrètes exige duperie et intoxication, pour abuser l’adversaire, et un cloisonnement de sa propre organisation, afin que personne ne puisse la trahir en livrant les clefs d’un seul coup. Pendant la première guerre mondiale, l’opinion publique devient un enjeu majeur pour raffermir le moral de son camp et briser l’unité nationale de l’ennemi. Au début de la seconde, la Wehrmacht est pourvue d’unités de propagande chargées de semer la discorde parmi les Alliés, en faisant croire à l’existence d’une « 5ème colonne ». La Grande-Bretagne crée alors un service équivalent avec les émissions radio de la BBC dès 1941. Les avions américains larguent 3 milliards de tracts du 6 juin 1944 au 8 mai 1945. Pendant la guerre froide, la vague de pacifisme, lancée par l’URSS dans les années 1980, n’est pas parvenue à miner ni la solidarité atlantique ni la stratégie de dissuasion nucléaire, piliers de la sécurité des pays membres de l’OTAN.

Loïc Salmon

Exposition « Guerres secrètes » aux Invalides

James Bond dans le spectre géopolitique

Espionnage : de la réalité à la fiction par l’écriture

« Guerres secrètes », ouvrage collectif. Éditions Musée de l’Armée et Somogy Éditions d’art, 368 pages, 450 illustrations, 32 €.




Intelligence économique et renseignement

L’intelligence économique (IE), indispensable à toute entreprise, couvre l’information « ouverte », donc accessible de manière licite, et se pratique dans le strict respect de la loi.

Les informations ouvertes représentent 95 % de l’information globale. A l’issue de leur collecte, corrélées les unes avec les autres et mises en perspective avec les objectifs à atteindre, elles se transforment en renseignements. Ceux-ci servent au montage de scénarios, en vue de décider l’option à mettre en œuvre. Cette démarche suit un cycle : examiner la situation et les besoins, orienter selon les objectifs ; rechercher par différents capteurs ; exploiter par recoupement, évaluation, comparaison et analyse ; diffuser auprès des personnes les plus concernées ; réexaminer de la situation. Toute entreprise en pointe dans un domaine particulier dispose d’informations stratégiques susceptibles d’intéresser ses concurrentes, américaines et chinoises notamment, qui ne s’embarrassent guère de « morale ». L’IE « défensive » vise à protéger ces informations et prévenir les actes de malveillance et les négligences, externes et internes. En effet, 80 % des cas de perte ou de destruction d’informations sensibles viennent de maladresses du personnel ou de l’absence de sauvegarde fiable des équipements ! Au niveau de son patrimoine immatériel, toute entreprise encourt des risques accidentels (dégâts des eaux, incendies ou explosions électriques) et des erreurs dues à un manque d’attention ou d’incompétence (effacement de données ou erreurs de saisie). En outre, elle va devoir affronter des menaces directes ou indirectes : espionnage, perturbation du système d’information, vols de données, fraudes physiques, usurpation ou chantage envers le personnel. Outre la recherche et la diffusion de l’information utile, l’IE « offensive » vise à anticiper et même maîtriser les évolutions d’un marché ou à réduire l’avantage concurrentiel d’un adversaire économique. Elle permet d’influencer les décideurs, souvent politiques, en vue de favoriser la stratégie et les actions de l’entreprise. Elle inclut le « lobbying », ensemble des techniques de communication pour anticiper et agir sur les contraintes ou opportunités normatives, juridiques, politiques, administratives, technologiques ou environnementales. En outre, des scénarios-types, préalablement établis, permettent de gérer rationnellement une crise et d’en limiter la panique qui s’ensuit. La crise résulte de difficultés financières ou juridiques de l’entreprise, d’une atteinte à sa réputation ou même d’actes mettant en péril son existence. L’ouvrage présente, de façon didactique, les étapes de la démarche et les techniques de l’IE ainsi que les divers métiers qui en découlent. Parmi quelques acteurs clés de l’IE, figurent l’Agence pour la diffusion de l’information technologique, la COFACE (assurance-crédit couvrant les risques dans près de 200 pays), la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, les Directions régionales du renseignement intérieur, les Douanes, la Gendarmerie nationale (cellule intelligence économique régionale) et le Service de coordination à l’intelligence économique. Des formations spécifiques sont assurées à Paris, notamment par l’Institut des hautes études de défense nationale, l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice et l’École de guerre économique.

Loïc Salmon

Renseignement et intelligence économique : complémentarité et divergences culturelles

Renseignement et intelligence économique : complémentarité et divergences culturelles

Sécurité : l’usurpation d’identité, un risque mal maîtrisé

 

« Intelligence économique et renseignement » par Jean-Christophe Damaisin d’Arès. Éditions JPO, 176 pages, 39 €.




Terrorisme islamiste

La radicalisation islamiste, à caractère sectaire, cible, notamment en Europe, des jeunes sensibles à la frustration et au désir de revanche sociale, mais sans pour autant présenter des pathologies graves susceptibles de les repérer et d’anticiper leur comportement.

Les mouvements « salafistes », partisans d’un retour à « l’islam des origines » se réfèrent à l’obédience sunnite pour qui l’interprétation du Coran est close depuis le IXème siècle. Le salafisme « djihadiste », dont se réclame Daech (État islamique), prône le combat armé et légitime le terrorisme et les attentats- suicides contre ceux qui attentent à la communauté musulmane dans son ensemble, mais aussi contre les « faux » musulmans qui ont une interprétation de l’islam considérée comme dévoyée. Les sunnites constituent la plus grande partie de la population des pays des Proche et Moyen-Orient : 90 % en Arabie Saoudite ; 90 % au Qatar ; 90 % en Jordanie ; 85 % en Égypte ; 80 % aux Émirats arabes unis ; 75 % en Syrie ; 70 % au Koweït ; majoritaires dans les Territoires palestiniens ; 35 % en Irak ; 30 % à Bahreïn ; 30 % au Liban. Les représentants du régime syrien actuel pratiquent, en majorité, le chiisme alaouite, très tolérant envers les autres religions et dénué de prosélytisme. En conséquence, les femmes alaouites sont généralement plus libres que celles des autres obédiences musulmanes et atteignent un niveau d’éducation plus élevé que les autres femmes sunnites. Pourtant, des femmes, musulmanes d’origine ou occidentales converties, rejoignent les rangs de Daech, à la suite d’une consultation quotidienne des réseaux sociaux djihadistes, qui les convainquent de leur rôle essentiel de mères de futurs combattants. En raison du climat de méfiance et de suspicion à l’égard des musulmans consécutif aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les groupes islamistes radicaux ont prospecté de fertiles viviers parmi les diasporas musulmanes en Europe, où elles sont moins prospères et plus confinées dans des ghettos qu’en Amérique du Nord : immigrants récents, immigrants de la deuxième génération qui n’ont pas su s’intégrer et même des professionnels instruits. Le discours djihadiste vise à leur faire sentir que leur appartenance à la communauté musulmane est plus importante que celle de leur pays d’accueil. Les individus de nombreux groupes ethniques, culturels et religieux (le leur ou celui de leurs ascendants) restent en effet profondément préoccupés par ce qui touche leur pays d’origine. En outre, pour contourner les mesures de sécurité et internationaliser leur combat, les groupes islamistes ciblent de plus en plus les convertis, capables de se déplacer librement en Europe, Asie et Amérique du Nord sans éveiller les soupçons et prêts à accepter des missions dangereuses, pour prouver leur nouvel engagement. Enfin, les réseaux islamistes utilisent des vecteurs d’influence : les médias, à savoir vidéos de propagande sur internet, magazines d’information, retransmissions de discours et de prêche ; « think tanks » (cercles de réflexion) avec des organisations représentatives connues de l’islam, utilisées souvent à leur insu ; organisations non gouvernementales communautaristes qui, sous couvert d’actions humanitaires, établissent et renforcent des réseaux d’informateurs et de recruteurs ; groupes de pression liés à l’islam et agissant aux niveaux politique et administratifs locaux pour faire adopter des mesures allant dans le sens de certains principes de la charia.

Loïc Salmon

Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle

Le piège Daech

L‘Égypte en révolutions

« Terrorisme islamiste » par Jean-Christophe Damaisin d’Arès. Éditions JPO, 104 pages, 9,90 €.




L’ultime champ de bataille

Dans un conflit, le cœur de l’action, la victoire ou la défaite se joue souvent en ville, surtout dans la capitale, centre stratégique.

Le combat en zone urbaine se rapproche de celui en espace confiné organisé, à savoir des réseaux de grottes, souterrains ou tunnels, un labyrinthe végétal, une succession d’ouvrages fortifiés, des ruines industrielles ou tout cela à la fois. Les auteurs de ce livre, un chef de bataillon et un colonel experts en la matière, expliquent notamment l’importance prise par la puissance de feu du char d’assaut, à condition qu’il bénéficie de la protection rapprochée de l’infanterie. Les exemples traités parlent d’eux-mêmes : Madrid (1936), Stalingrad (1942), Aix-la-Chapelle (1944), Budapest (1944-1945), Hué (1968), Beyrouth (1975-1990), Sarajevo (1992-1995), Grozny (1995-2000), Mitrovica (1999-2009) ou Fallouja (2004). Technologie (drones et robots), nombre et qualité des combattants et de leurs chefs deviennent déterminants dans ce type de combat, où la solution tactique dépend de l’échelon le plus bas. Les techniques de tir et de combat, enseignées aujourd’hui dans la plupart des armées modernes, ont été mises au point par les SAS (forces spéciales) britanniques lors des combats de jungle en Malaisie (1948-1960), puis améliorées avec le retour d’expérience en zone urbaine et confinée. Pendant la guerre civile en Irlande du Nord (1969-2006), l’armée professionnelle britannique a appris à gérer le recrutement, difficile, des soldats et leur polyvalence. Elle a mis en place un tour de participation aux opérations par les diverses spécialités (génie, artillerie et transmissions) et ne l’a plus réservée à certaines unités de réaction rapide. Les SAS ont monté quelques opérations clandestines d’élimination des groupuscules extrémistes les plus dangereux. Par ailleurs, l’impact médiatique amplifie une guerre civile. La violente répression de l’insurrection de Budapest par l’armée soviétique a ruiné son image de libératrice des peuples opprimés, héritée de la seconde guerre mondiale. A Mitrovica où la haine interethnique accumulée menaçait en permanence d’embraser la ville, l’erreur d’un seul soldat de la KFOR (OTAN) sous les caméras du monde entier aurait eu une influence directe sur l’action diplomatique et les bonnes volontés à l’œuvre pour désamorcer la crise. Désormais, il ne s’agit plus de gagner, mais de stabiliser une situation avec un minimum de pertes en y intégrant la population comme actrice et enjeu, principal objectif de l’action militaire et politique. Les conflits contemporains se caractérisent par le mélange de clanisme traditionnel, religieux ou ethnique avec des technologies de pointe (IPhone, IPad et internet). En Syrie, les miliciens des deux bords utilisent caméras de surveillance, minidrones et systèmes d’alerte électronique, achetés au marché noir ou fabriqués sur place. Dans les combats en zone urbaine, dont les centres de formation sont ouverts aux forces conventionnelles, l’utilité des blindés et la capacité de réversibilité se sont imposées. Les unités conventionnelles déployées doivent donc maîtriser tous les savoir-faire, de l’action non létale antiémeute au combat à l’arme automatique contre les éléments extrémistes. Le renseignement humain sur la population et non plus seulement sur l’organisation et les intentions de l’adversaire devient primordial. Il s’agit d’acquérir une image globale des faits et de tous les acteurs.

Loïc Salmon

Combat en zone urbaine : au cœur des engagements actuels

École de guerre : « Coalition 2016 », exercice d’état-major pour conflit hybride ou asymétrique

Forces spéciales : outil complémentaire des forces conventionnelles

« L’ultime champ de bataille » par Frédéric Chamaud et Pierre Santoni. Éditions Pierre de Taillac, 228 pages, 22,90 €.




L’armée au féminin

Depuis Jeanne d’Arc contre les Anglais (1429-1430) et Jeanne « Hachette » contre les Bourguignons (1472), les femmes continuent de s’illustrer dans les armées françaises.

Après les infirmières de la Grande Guerre, elles seront 6.000 à s’engager en 1939, nombreuses dans la Résistance et 13.000 dans l’armée de la Libération en 1944. Pendant la guerre d’Indochine, deux personnalités entrent dans la légende : le médecin pilote d’hélicoptère Valérie André, croix de Guerre des théâtres d’opérations extérieurs avec 7 citations et qui deviendra la première femme officier général ; la convoyeuse de l’air Geneviève de Galard, qui sert comme infirmière dans le camp retranché de Diên Biên Phu. Grande école militaire, Polytechnique accepte 7 femmes pour la première fois … en 1972. Saint-Cyr Coëtquidan suivra en 1983 et l’École navale en 1992. Mais, dès 1969, la Marine recrute des officiers féminins sur titres universitaires. De 1983 à 1987, 40 femmes embarquent à titre expérimental. La première pilote d’aéronautique navale est brevetée en 1986. La « féminisation » des frégates commence en 1993. Aujourd’hui, environ 200 femmes font partie de l’équipage du porte-avions Charles-de-Gaulle (1.910 marins). Les armées françaises sont devenues les plus féminisées d’Europe avec 15 % de leurs effectifs, mais avec des variantes sensibles. Selon le tableau de bord 2014 sur l’égalité hommes/femmes, la participation féminine se présente ainsi : 3,7 % des effectifs dans l’artillerie, soit 225 postes ; 0,5 % dans l’infanterie (87) ; 2,3 % dans le génie (187) ; 0,5 % dans l’arme blindée (32) ; 6,6 % dans la sécurité (102) ; 5,1 %  dans la maintenance (591) ; 6,3 % dans la logistique (482) ; 0,6 % parmi les fusiliers marins (16) ; 4,1 % dans la détection sous-marine (35) ; 2,8 % dans la mécanique navale (80) ; 7,2 %  parmi les maintenanciers aéronefs et vecteurs/matériels télécoms (626) de l’armée de l’Air ; 4 % du personnel navigant (112) ; 5,7 % parmi les spécialistes de l’armement (86) ; 5,7 % dans la sécurité incendie (76) ; 6,1 % dans les matériels environnement et mécanique sol (139) ; 4,6 % dans l’infrastructure (68). En revanche, le taux de féminisation du Service de santé des armées atteint 41,23 %, tous services confondus ! Discrétion oblige, ceux des services de renseignement et des forces spéciales réaliseraient des scores importants, même sur le terrain. Une lieutenante-colonelle a même commandé le détachement ALAT des opérations spéciales. Une pilote d’hélicoptères aux 4.500 heures de vol, qui a participé à une dizaine d’opérations extérieures en Afrique et dans les Balkans, a été récompensée pour son comportement au feu : chevalier de la Légion d’Honneur, croix de la Valeur militaire (2 citations) et Médaille de la défense nationale (2 étoiles). Par ailleurs, « L’armée au féminin » présente une galerie de portraits de femmes de tous grades, dont certaines témoignent directement de leur métier avec ses difficultés et ses moments forts. Les plus brillantes ont réussi le concours de l’École de guerre, puis quelques unes ont été désignées pour le Centre des hautes études militaires. En 2015, la vice-amirale Anne Cullerre est devenue sous-chef d’état-major « opérations aéronavales » et l’autorité pour la cyberdéfense de la Marine. Première femme ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, très populaire de surcroît, a pu conserver son portefeuille 5 ans (2002-2007).

Loïc Salmon

Femmes en guerre 1940-1946

Parachutée au clair de lune

Femmes dans les armées : promotion par la compétence et soutien contre le harcèlement

« L’armée au féminin » par Jean-Marc Tanguy. Éditions Pierre de Taillac, 176 pages, plus de 150 documents, 22,90 €.




L’âge d’or de la cavalerie

L’épopée de la cavalerie commence avec la mosaïque de Pompéi magnifiant Alexandre le Grand à la bataille d’Issos (333 avant J.C.). A Rome, la statue équestre de l’Empereur Marc-Aurèle (161-180) inspirera longtemps les représentations des souverains chefs de guerre, pour associer symboliquement le cheval au pouvoir.

Au début du Moyen-Age, l’essor de la cavalerie, comme facteur décisif de la bataille, promeut, dans l’entourage royal, ceux chargés de son fonctionnement. Ainsi, le seigneur chargé des écuries (« comes stabuli ») deviendra « connétable », principal chef militaire, auquel sont subordonnés les « maréchaux » (« marhschalk » ou valet des chevaux). Le terme de « chevalier », apparu au XIème siècle, signifie « combattant monté ». La littérature épique le présente comme un guerrier professionnel paré de toutes les qualités martiales : force, vaillance, esprit de sacrifice et fidélité. Cet idéal « chevaleresque », au service de la foi chrétienne, de la justice et de la paix, renforce le caractère élitiste de la cavalerie. S’y ajoute le coût élevé de son entretien (chevaux, équipements et personnels), qui réserve ce mode de combat à la noblesse. Avec les défaites de Crécy (1346), de Poitiers (1356) et d’Azincourt (1415), la guerre de Cent Ans sonne le glas de la chevalerie française, face aux archers anglais. Pourtant, la cavalerie s’adapte aux progrès des armes à feu et des tactiques de l’infanterie, nouvelle « reine des batailles ». Les guerres d’Italie (1498-1559) favorisent l’émergence de deux corps aux missions complémentaires. La cavalerie « lourde » se compose de « gens d’armes » en armure avec une lance, soit une masse individuelle de 830 kg projetée à 25 km/h, pour enfoncer le dispositif adverse en une ou plusieurs charges au galop. La cavalerie « légère » se développe aux frontières de l’Europe pour livrer la « petite guerre » d’escarmouches, de coups de mains et de harcèlement, où la rapidité prime. L’armement de ces « chevau-légers » passe du javelot à l’arquebuse et au pistolet. L’extension européenne des conflits, la complexité des changements tactiques et stratégiques, l’allongement des distances et les difficultés de communication soulèvent plusieurs défis pour la cavalerie : le besoin croissant de chevaux, l’unification de la discipline du combat et … la « révolution militaire » ! Celle-ci implique la spécialisation : la charge qui porte l’offensive, le renseignement, la protection, l’observation et la défense. Le métier des armes se démocratise et l’instruction collective devient essentielle pour l’unité et la cohésion, nécessaires aux nouvelles manœuvres et tactiques. La délicate association du feu (infanterie) et du choc (cavalerie) débouche au  XVIème siècle sur la formation des « escadrons », dont certains atteignent 2.000 hommes sur 16 rangs. Les cavaliers se différencient avec des appellations qui perdurent : « cuirassiers » en armure  qui se réduira à la cuirasse ; « dragons », mousquetaires montés ; « hussards », lanciers polonais à l’origine. La charge de cavalerie cherche à briser le moral de l’armée adverse, ébranlée par l’infanterie et l’artillerie. La plus spectaculaire reste celle de Murat à la tête de 10.000 cavaliers à Eylau (1807). Aujourd’hui, l’arme blindée a remplacé la cavalerie. Pendant la Grande Guerre, plutôt que de devoir se battre dans les tranchées, de nombreux cavaliers choisissent l’aviation naissante et créent la légende des « chevaliers du ciel » !

Loïc Salmon

D’Azincourt à Marignan, Chevaliers & Bombardes

Les cavaleries de l’Histoire

De la cavalerie aux forces spéciales, l’histoire du 13ème Régiment de dragons parachutistes

« L’âge d’or de la cavalerie », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Ministère de la Défense, 288 pages, 280 illustrations, 35 €