Ukraine : stabilisation du front, défense sol/air française en Roumanie, vers une adhésion à l’OTAN des Suède et Finlande

Les forces armées russes contrôlent l’Est et le Sud de l’Ukraine. La France fournit un système sol/air Mamba à la Roumanie. Suède et Finlande décident d’adhérer à l’OTAN. La Belgique va acheter 9 canons Caesar à longue portée.

L’Etat-major des armées (EMA) a présenté la situation au 25 mai 2022 (voir carte). Le 19 mai à Paris, il a annoncé le renforcement de la mission « Aigle », déployée en Roumanie. Le 15 mai, la Suède a déposé une demande d’adhésion à l’OTAN et la Finlande le 16 mai. Elles renoncent ainsi à leur neutralité traditionnelle, la première depuis 1814 et la seconde depuis 1948.

Le conflit sur le terrain. La carte de l’EMA présente : en rouge, la zone sous contrôle militaire russe ; en stries rouges, les gains territoriaux russes. Sur le front Est, les forces armées russes tiennent fermement leurs positions au Nord et à l’Est de Kharkiv. En outre, les forces armées ukrainiennes auraient transféré une partie de leurs troupes dans l’Est du Donbass, afin de s’opposer à l’avancée des unités russes (1). Par ailleurs la ville de Lyman subit toujours d’importants tirs d’artillerie, prélude probable à l’assaut russe (2).

La mission « Aigle » renforcée. En 2007, la France a conclu un partenariat stratégique avec la Roumanie, notamment dans la défense sol/air. Le 16 mai 2022, elle y a installé le système Mamba et un centre de management de la défense dans la 3ème dimension. Mis en œuvre par une centaine de militaires de l’armée de l’Air et de l’Espace, le Mamba assure une bulle de protection au profit des forces opérant dans la zone de couverture. Via une liaison de données tactiques, il est connecté et intégré au système de défense aérienne roumain et à celui de l’OTAN. Le Mamba est équipé de 8 missiles Aster 30 montés sur camions. L’Aster 30 compte deux étages et présente les caractéristiques suivantes : vitesse mach 4,5 (5.556 km/h) en 3,5 secondes ; portée supérieure à 100 km ; longueur, 4,90 m ; poids 465 kg. Dans le cadre de la mission « Aigle », des unités françaises ont été déployées en Roumanie le 26 février 202,2 soit deux jours après le déclenchement de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. La France assure le commandement du bataillon d’alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN, déployé en urgence à cette occasion. Depuis le 1er mai, ce bataillon multinational, qui inclut une compagnie d’infanterie belge, constitue le « Battle Group forward presence » (BG FP), dont la France est nation-cadre. Basé à terme à Cincu, (centre de la Roumanie), le BG FP intégrera une compagnie belge ou néerlandaise en alternance. En outre, l’OTAN a déployé trois autres bataillons en Slovaquie, Hongrie et Bulgarie pour la défense du flanc oriental de l’Europe.

Des canons Caesar pour la Belgique. Le partenariat stratégique « CaMo » entre la France et la Belgique est entré en vigueur en 2019. Selon le ministère des Armées, la Belgique va acquérir 9 systèmes d’artillerie sol/sol Caesar de 155 mm, montés sur camions et d’une portée de 4,5 km à plus de 50 km. Ces systèmes info-valorisés, livrables en 2027, compléteront la chaîne d’artillerie belge, à savoir les Griffon véhicules d’observations d’artillerie et les Griffon engins poste de commandement, déjà commandés. Le contrat d’acquisition, qui sera notifié dans les prochaines semaines, sera piloté par la Direction générale de l’armement française et la Direction générale des ressources matérielles belge. Le CaMo prévoit des entraînements communs et une formation intégrée entre unités de combat françaises et belges.

Loïc Salmon

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Ukraine : risques nucléaire, biologique et chimique

Menace d’emploi de l’arme nucléaire et risques d’ordres chimique et biologique en Ukraine, quoique réels, font partie de la rhétorique guerrière de la Russie.

En conséquence, le bataillon franco-belge déployé en Roumanie dans le cadre de la mission « Aigle » se prépare à ces scénarios, comme l’a indiqué l’Etat-major des armées (EMA) le 28 avril 2022 à Paris. De son côté, la Fondation pour la recherche stratégique a organisé une conférence-débat sur ces sujets, le 20 avril à Paris, avec Emmanuelle Maitre, chargée de recherche, et Elisande Nexon, maître de recherche.

La mission « Aigle ». Le bataillon d’alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN, composé de 500 Français et 200 Belges, participe au renforcement de la posture dissuasive, défensive et non agressive sur le front oriental de l’Europe. La mission « Aigle » a été lancée le 28 février 2022, rappelle le colonel Pascal Ianni, porte-parole de l’EMA. Le bataillon s’entraîne aux gestes et au savoir-faire en cas d’attaques NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) avec des instructeurs du 2ème Régiment de dragons. La formation au combat en atmosphère viciée inclut l’étude des instruments de détection des risques, des protocoles de protection individuelle et des techniques d’attaques ennemies pour les contrer.

L’ombre du nucléaire. La mise en alerte des forces nucléaires russes par le président Vladimir Poutine dès le 27 février, soit trois jours après le déclenchement de l’attaque contre l’Ukraine, a été précédée d’avertissements réguliers de la part des dirigeants russes. Selon Emmanuelle Maitre, la Russie rappelle son statut de puissance nucléaire pour mener des opérations conventionnelles. Elle utilise la peur d’une escalade du conflit vers une confrontation nucléaire, afin de se protéger d’un niveau trop élevé d’intervention de l’Occident. Dans les années 1990 après son indépendance vis-à-vis de l’URSS, l’Ukraine a rétrocédé à la Russie 2.500 armes nucléaires tactiques et 1.000 ogives nucléaires de missiles intercontinentaux. Ses dirigeants avaient renoncé à la possession de l’arme nucléaire en raison de son coût prohibitif, du manque d’infrastructures pour la maintenir en condition opérationnelle et de l’absence de doctrine pour la justifier. En contrepartie, l’Ukraine a bénéficié d’une aide financière et du mémorandum de Budapest (1994), selon lequel les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie s’engagent à respecter sa neutralité et son indépendance. Cet accord, mis à mal par l’annexion de la Crimée en 2014, est remis en cause par le conflit. Selon sa doctrine, la Russie n’utilisera ses armes nucléaires que pour défendre son existence. Les récentes déclarations du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov devraient donc écarter la menace de leur emploi rapide en Ukraine.

Le biologique et le chimique. Depuis 2015, la Russie présente comme « américains » les laboratoires de recherches biologiques et chimiques situés en Ukraine. Depuis les années 2000, les Etats-Unis leur apportent un soutien financier pour éviter leurs contributions à des programmes à vocation offensive et pour renforcer les capacités mondiales de lutte contre les épidémies. Toutefois, les bombardements pourraient endommager leurs infrastructures et libérer accidentellement des produits chimiques dans l’atmosphère. L’interruption de l’alimentation électrique des congélateurs de cellules souches pourrait provoquer une contamination des personnels puis la propagation de maladies infectieuses.

Loïc Salmon

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Armée de Terre : prête dans un contexte stratégique incertain

Anticiper l’évolution technologique et conserver au soldat son esprit guerrier en développant ses forces morales constituent les fondamentaux de l’armée de Terre. Celle-ci est amenée à intervenir dans tout type de conflit.

Son chef d’état-major, le général d’armée Pierre Schill, l’a expliqué le 7 octobre 2021 lors de sa présentation annuelle au camp de Satory.

Interopérabilités. L’édition 2021 a mis en valeur quatre particularités : l’intégration des robots, dont le projet Vulcain imagine l’emploi de systèmes automatisés en 2040 ; l’importance croissante des drones, qui modifient la manière de combattre et dont le parc atteindra 3.000 unités en 2023 ; la dimension interarmées avec les participations de l’armée de l’Air et de l’espace et des partenaires allemands et belges ; l’accompagnement des blessés avec un stand de la Cabat (Cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre). En 2020, l’armée de Terre a déploré 16 morts et 33 blessés sur des théâtres d’opération. La perspective d’un engagement majeur ne peut s’envisager que dans le cadre d’une alliance ou d’une coalition. Afin d’y tenir le rôle de nation-cadre, la France développe une interopérabilité opérationnelle et capacitaire avec ses Alliés. Ainsi au Sahel, elle joue un rôle moteur au sein de la force « Takuba » composée de forces spéciales de plusieurs pays européens. En outre, un sous-groupement tactique interarmes français participe à l’opération « Lynx » de l’OTAN en Estonie.

Contexte stratégique. Les dépenses militaires mondiales ont totalisé 2.000 Mds$ en 2020, soit le montant le plus élevé depuis la fin de la guerre froide (1991), indique le général Schill. En octobre 2020, l’affrontement entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie s’apparente à un conflit de haute intensité, comparable à celui dans le Donbass entre l’Ukraine et la Russie en 2014. En mai 2021, les hostilités entre l’armée israélienne et les groupes armés de Gaza révèlent la puissance militaire du Hamas, organisation palestinienne non étatique. En août 2021, la dissolution de l’armée afghane et la chute du gouvernement de Kaboul face aux talibans modifient l’équilibre régional et mettent en doute les assurances des alliances de la France. Le déploiement possible de groupes paramilitaires en Afrique (dont la société militaire privée russe Wagner) illustre les modalités de la compétition entre Etats, maintenue au-dessous de l’affrontement. Par l’instrumentalisation des conflits périphériques, certains Etats (dont la Russie et la Chine) cherchent à créer des situations de faits acquis ou des contournements par des procédés d’influence et des offensives effectives, y compris cyber. Les armées, souligne le général Schill, doivent se préparer aux conflits qui se dérouleront dans les zones « grises », face à des stratégies d’opérateurs de plus en plus hybrides.

Moyens. Suite à la revue stratégique de 2017 puis actualisée début 2021, l’armée de Terre remonte en puissance. Elle dispose actuellement de 6.578 blindés, dont 222 chars de combat, 137 véhicules à chenilles et 6.219 blindés à roues. Son artillerie compte 119 canons de 155 mm, 132 mortiers de 120 mm et 13 lance-roquettes unitaires. Ses 283 hélicoptères se répartissent en 86 Gazelle, 67 Tigre, 32 Puma SA 330, 24 Cougar, 8 Caracal, 48 Caïman HH90 et 18 Fennec AS555. Ses 893 drones se répartissent en 30 systèmes SMDR, 579 nano-drones, 278 micro-drones et 6 Drogen (mini-drones pour le génie). L’arsenal est complété par 1.260 systèmes d’armes anti-char, 196 systèmes d’armes sol-air et 23.075 équipements du combattant Félin.

Loïc Salmon

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