Armement : baisse de 50 % des exportations françaises en 2017

Les prises de commandes d’armements français à l’export ont atteint 6,9 Mds€ en 2017, selon le rapport du ministère des Armées remis au Parlement le 4 juillet 2017. Elles se montaient à 14 Mds€ en 2016 et 16 Mds€ en 2015.

En préambule, la ministre des Armées, Florence Parly, souligne la vigilance de l’Etat dans la protection des savoir-faire de la France en matière d’exportations d’armement et du soutien à son autonomie stratégique. Cette vigilance s’exerce du contrôle de la fabrication des matériels de guerre à celui, a posteriori, des exportations, moyen de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et de prévenir la dissémination des armements conventionnels.

Bilan des exportations. L’année 2017 a été nettement moins favorable que la précédente pour les ventes d’armement. L’incertitude des élections présidentielle et législatives en France a incité les partenaires traditionnels de la France à attendre la tendance générale qui en résulterait, avant de s’engager sur des prises de commandes. En outre, suite à la baisse des prix du pétrole, la plupart des pays producteurs ont subi un ralentissement économique et ont reporté des acquisitions de systèmes d’armement. Par ailleurs, certains grands contrats signés en 2017, comme l’achat de 12 Rafale supplémentaires par le Qatar, n’entrent en vigueur qu’en 2018. Les missiles destinés aux Marines étrangères et les hélicoptères ont représenté plus de la moitié des ventes à l’export. En 2017, le Proche-Orient et le Moyen-Orient ont cumulé un peu plus de 60 % des exportations françaises d’armement. La zone Asie-Pacifique arrive à la deuxième place avec 17 % des commandes, alors qu’elle occupait la première en 2016 grâce la vente de 36 Rafale à l’Inde. Viennent ensuite l’Europe et le continent américain.

Capacités militaires accrues. Première puissance militaire, les Etats-Unis effectuent 40 % des dépenses mondiales. Après plusieurs années de baisse pendant la période 2008-2016, le budget du ministère de la Défense s’élève à 598,5 Mds$ pour l’année fiscale 2017, soit 20 Mds$ de plus que la requête initiale de l’administration Obama. En outre, l’administration Trump prévoit 639,1 Mds$ pour 2018 et 686 Mds$ pour 2019. Très engagée dans la modernisation des capacités de ses forces armées (armement, formation et entraînement) et désireuse de rattraper son retard technologique, la Chine devrait doubler son budget militaire d’ici à 2020. Ce dernier pourrait alors dépasser celui, cumulé, des 28 Etats membres de l’Union européenne (UE). En 2030, les dépenses militaires de la Chine devraient être supérieures à celle de tous les autres pays d’Asie (Inde et Japon compris). Asie et Moyen-Orient ont concentré près des trois quarts des importations mondiales d’armement entre 2012 et 2017. La zone Asie-Pacifique, qui consacre déjà plus de moyens à la défense que l’UE, ont augmenté leurs dépenses militaires de 5 % par an entre 2013 et 2016 afin, notamment, de développer des capacités navales et aériennes de projection. Cette militarisation de la zone résulte des contentieux territoriaux en mer de Chine, attisés par l’affirmation de puissance de Pékin, et des provocations nord-coréennes (tirs de missiles et essais nucléaires), actuellement suspendues. Les 27 pays membres de l’Agence européenne de défense (les 28 de l’UE moins le Danemark) ont augmenté leurs dépenses militaires de 9 % entre 2013 et 2016, dont une hausse de 23 % pour les investissements (achats d’équipements et recherche et développement) entre 2014 et 2016.

Loïc Salmon

Armement : légère baisse des exportations françaises en 2016

Défense : vers 2 % du Produit intérieur brut à l’horizon 2025

Défense : 2017, budgets mondiaux et modernisation




14 juillet 2018 : l’engagement citoyen et patriote

L’édition 2018 du traditionnel défilé sur les Champs-Elysées à Paris met en valeur le caractère collectif (esprit d’équipe et interopérabilité), solidaire (blessés, familles et anciens) et international de l’engagement pour la défense et la sécurité de la France.

Le général de corps d’armée Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, a présenté le défilé à la presse le 28 juin à Paris. Le dispositif militaire « Sentinelle » de protection contre le terrorisme a été adapté, en coordination avec la Police et la Gendarmerie.

La coopération internationale. Cette année, le Japon et Singapour sont à l’honneur. Leurs emblèmes, à savoir un détachement de sept militaires autour du drapeau, ouvrent le défilé des troupes à pied en compagnie d’un emblème de la Marine française. Le 13 juillet, une visite a été organisée à la base aérienne 942 de Lyon-Mont Verdun pour le Premier ministre Lee Hsien Loong et son chef d’état-major, à l’occasion du renouvellement pour vingt ans de l’accord de défense bilatéral, justifiant la présence en France de forces aériennes de Singapour à des fins d’entraînement. Chargé de la formation avancée des pilotes de chasse, le Squadron 150 de Singapour compte une centaine de militaires qui, avec les familles, constituent une communauté de 300 personnes vivant au Sud du bassin d’Arcachon. Le défilé aérien inclut un avion d’entraînement avancé M346 singapourien, un avion d’entraînement ou d’attaque au sol Alphajet belge et de trois avions allemands de transport tactique (C160 Transall, A400M et C130J Super Hercules). Un premier escadron franco-allemand doit voir le jour sur la base aérienne105 d’Evreux en 2021. Une compagnie franco-espagnole de gendarmes, dite « compagnie Valdemoro », défile à pied. En effet, selon un partenariat bilatéral, une formation commune est dispensée aux gendarmes français et aux gardes civils espagnols. Dans le défilé motorisé, des blindés belges sont incorporés à ceux du 152ème Régiment d’infanterie. Enfin, dans le cadre de la coopération entre la France et la Grande-Bretagne, la 1ère Division de l’armée de Terre française, compte un officier général adjoint de nationalité britannique, qui défile dans le véhicule de commandement.

Les hommages. L’édition 2018 du défilé militaire marque divers anniversaires : le 130ème des troupes de montagne, le 70ème des opérations de maintien de la paix de l’ONU, le 50ème de l’équipe de voltige de l’armée de l’Air et le 20ème de l’escadron singapourien à la base aérienne 120 de Cazaux. Parmi les participations exceptionnelles, figurent : l’avion multi-rôles (transport et ravitaillement en vol) Airbus A330 ; le commandement de la cyberdéfense ; les centres d’instruction élémentaire de conduite ; la Musique de la flotte ; le service militaire adapté ; une formation des hôpitaux d’instruction des armées ; deux avions à décollage et atterrissage courts Pilatus PC6 de l’Aviation légère de l’armée de terre, inclus dans le défilé des hélicoptères. En outre, 305 personnels militaires et civils appartenant aux 13 unités ayant participé à l’opération « Irma » d’assistance aux Antilles, ravagées par le cyclone du même nom (septembre 2017), participent au défilé. D’une durée de deux heures, ce dernier totalise 4.290 personnels défilant à pied, 220 véhicules, 250 cavaliers de la Garde républicaine, 64 avions et 30 hélicoptères. Par ailleurs, chaque année, à l’occasion du 14 juillet, le Souvenir Français rend hommage aux 19 présidents de la République décédés et inhumés en France, dont 7 à Paris.

Loïc Salmon

14 juillet 2017 : « opérationnels ensemble » en interarmées, interministériel et international

14 juillet 2016 : les engagements militaire, sécuritaire et national




Marine nationale : « Jeanne d’Arc 2018 », missions opérationnelles et de formation

Outre son volet « entraînement », le voyage annuel du Groupe école d’application des officiers de marine (GEAOM), dit « Mission Jeanne d’Arc », constitue un outil de connaissance et d’anticipation et un ensemble de moyens visibles pour intervenir loin.

Le GEAOM est déployé du 26 février au 20 juillet 2018 dans le Sud de la Méditerranée, la mer Rouge et les océans Indien et Pacifique. Il compte le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude, la frégate Surcouf et 5 hélicoptères (1 Alouette III Marine, 2 Gazelle de l’armée de Terre et 2 Wildcat de la Marine britannique). Son commandant, le capitaine de vaisseau Jean Porcher, s’est entretenu avec la presse, le 7 juin à Paris, en visioconférence à bord du BPC.

Les opérations. Le déploiement dans des zones d’intérêt stratégique pour la France permet un soutien naval à sa diplomatie, une interopérabilité militaire et une coopération internationale pour conduire une action militaire de haute intensité ou une opération de gestion de crise humanitaire. La préparation opérationnelle a inclus un exercice amphibie en Corse en février, puis des entraînements avec les forces maritimes libanaise, israélienne et égyptienne. En mars, l’exercice amphibie majeur « Wakri 18 » a mobilisé 300 militaires du 3ème Régiment d’infanterie de marine et du 5ème Régiment interarmes d’outre-mer, les moyens interarmées des forces françaises stationnées à Djibouti et 45 « marines » américains. En mai, le GEAOM a participé à l’exercice de soutien humanitaire « Komodo 2018 », qui a nécessité 35 navires et 27 aéronefs de 42 autres pays au large de l’île indonésienne de Lombok. En outre, il s’est entraîné avec les Marines de l’Inde, de Malaisie, de l’Indonésie, de Singapour, du Viêt Nam et de l’Australie, partenaires stratégiques de la France. En effet, environ 1,5 million de ressortissants des départements et territoires d’outre-mer et 200.000 expatriés résident dans la zone Indo-Pacifique. Les escales, équilibrées avec les différents pays de la zone, sont préparées en amont par la Direction des relations internationales et de la stratégie. En tant que membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, la France contribue au respect de la liberté de navigation en mer de Chine méridionale. La « Mission Jeanne d’Arc » s’y est rendue en mai, avec des observateurs européens (militaires, réservistes et universitaires) pour montrer ce qui s’y passe et comment elle agit. Elle a patrouillé autour des atolls et îlots artificiels, où la Chine construit des ports et des aéroports, et y a recueilli des renseignements par radar, photos, caméras, drones et hélicoptères. Les échanges, courtois, avec les navires chinois, se sont faits selon le code de communication « Q », commun à 11 pays asiatiques, pour éviter toute incompréhension fâcheuse.

La formation « in situ ». Le GEAOM embarque 131 officiers-élèves, 35 cadres, 60 stagiaires (administrateurs des Affaires maritimes, médecins, sous-lieutenants de Saint-Cyr Coëtquidan, ingénieurs de l’armement et élèves de l’EDHEC), 25 marins de la flottille amphibie, 21 fusiliers marins, 7 membres du détachement drone, 9 commissaires « Marine », 10 officiers étrangers et 36 marins britanniques (pilotes d’hélicoptères, techniciens et soutien). Les missions de ces derniers portent sur le renforcement de la capacité « porte-hélicoptères d’assaut » du BPC et le partage de savoir-faire amphibie, pour intensifier l’intégration des forces armées franco-britanniques.

Loïc Salmon

L’océan Indien : espace sous tension

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer




Armée de Terre : prise en compte de « l’interculturalité »

Le réseau des attachés de défense relayé par les pôles opérationnels de coopération permet une plus grande proximité avec les forces militaires de cultures différentes et leur accompagnement en cas d’intervention.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 novembre 2017, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger (EMSOME). Y sont notamment intervenus : Olivier Hanne, expert en islamologie ; l’historien Eric Deroo, chercheur au CNRS ; le général de corps d’armée (2S) Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère des Affaires étrangères.

Le fait religieux au Sahel. Le terrorisme nécessite des groupes motivés, armés et soutenus par une population capable de les intégrer dans ses réseaux traditionnels, explique Olivier Hanne. Sa variante, le djihadisme, évolue selon le contexte, profite d’une fragmentation sociale et échappe à toute tradition stricte. Son projet idéologique lui permet de se détacher des particularismes locaux et de s’internationaliser. En cas de rupture sociale avec l’Etat, le prétexte religieux donne une légitimité aux groupes radicaux et facilite la gestion du manichéisme, par exemple l’opposition entre chrétiens et musulmans. Ainsi, les émirs de l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), issus de mouvements rebelles pendant la guerre civile algérienne (1991-2002), ont élaboré un projet politique anti-occidental avant de se rallier à Al Qaïda en 2007 puis ont recruté des troupes subsahariennes. Boko Haram apparaît dans le Nord-Est du Nigeria en 2010 et prend racine sur le rejet de l’autorité centrale. Sa dimension religieuse avec l’application rigoureuse de la « charia » (loi islamique) ne suscitant guère l’adhésion de la classe dirigeante, l’organisation bascule dans le terrorisme (éliminations physiques et viols). En 2014, Daech profite de l’effondrement du régime libyen pour instaurer le « califat », prêcher l’imminence de la fin du monde et recruter des étrangers, mais échoue au Niger et au Mali. Le djihadisme sahélo-saharien (attentats au Mali), qui recourt à la mémoire du mouvement de résistance des Peulhs à la présence française au XIXème siècle, profite de l’affrontement interethnique entre sédentaires et pasteurs. Le terrorisme africain s’accommode des « forces invisibles », indique Olivier Hanne. En effet, la magie (récupération de talismans dans les tombeaux) et la sorcellerie ancestrale se mélangent à l’islam et crée un sentiment anxiogène au sein des armées africaines. Des généraux viennent même consulter des féticheurs pour des raisons mystiques. Au Nigeria, la sorcellerie est utilisée à titre préventif au plus haut niveau de l’Etat pour contrer l’influence de Boko Haram. Par ailleurs, aucun courant djihadiste peulh n’a été constaté au Cameroun. Le Tchad assure sa propre sécurité, coopère avec la France et négocie avec la Libye pour sécuriser les zones propices aux trafics. La situation est aujourd’hui stabilisée entre Madama (Niger) et Faya-Largeau (Tchad).

L’expérience coloniale. Les officiers des troupes coloniales ont beaucoup écrit sur les territoires qu’ils découvraient. Cela permet de comprendre comment le modèle de société imposé a finalement été accepté par les populations locales, malgré le rapport de forces de « dominants » à « dominés », explique Eric Deroo. Le concept de l’évolution humaine conduit à classer les populations en « sauvages », « barbares » et « colonisées ». L’élément biologique resurgit dans la hiérarchie des races à travers un discours scientifique et idéologique. Au XIXème siècle, les deux principales puissances coloniales européennes développent une approche différente. Héritière de la tradition catholique et du siècle des Lumières, la France place l’homme universel au cœur de son discours républicain et décide d’enseigner sa langue aux peuples colonisés. En Grande-Bretagne, tout volontaire pour l’armée des Indes doit apprendre un dialecte local. Les Eglises protestantes traduisent la Bible dans les langues vernaculaires, alors que l’Eglise catholique l’interdit. La République, une et indivisible, devient le tronc commun de l’expansion coloniale, mais, dès les années 1920, des jeunes d’Algérie et d’Indochine refuseront la nationalité française. Par ailleurs, l’apparition de la photographie, moyen de communication aussi révolutionnaire à l’époque que l’informatique aujourd’hui, apporte une valeur absolue de preuve scientifique pour classer et identifier. Gouverneur de Madagascar, le général Joseph Gallieni recrute 10 photographes qui, entre 1896 et 1905, réalisent 7.000 clichés de paysages, ponts, routes et surtout peuplades selon leurs aptitudes physiques. Cela conduit à la création d’un service géographique et d’une typologie des ethnies, en vue d’orienter les populations vers la pêche ou l’agriculture. En outre, l’enseignement agricole et l’autonomie médicale sont mis au service de la colonisation et du développement. De son côté, le colonel Auguste Bonifaci devient un spécialiste de l’Indochine et enseigne à l’université d’Hanoï entre 1914 et 1931. Soldat puis sous-officier et officier des troupes de Marine, il avait appris l’annamite au contact des ouvriers de Saïgon, passé un brevet de chinois et parlait une dizaine de dialectes locaux. Correspondant de l’Ecole française d’Extrême-Orient, il avait représenté l’Indochine lors de l’exposition internationale tenue à Hanoï en 1902. Pourtant, il n’a vu venir ni les mouvements nationalistes et d’émancipation, ni la création du parti communiste indochinois. En raison de 22 ans de carrière outre-mer dont plusieurs séjours ai Niger et au Tchad, le colonel Jean Chapelle a été mis à la disposition du ministère de la Coopération et nommé conservateur du musée national tchadien entre 1962 et 1967. Pourtant, lui non plus n’a pas anticipé la rébellion Toubou de 1974. Par conséquent, les approches statistique et anthropologique permettent bien de constituer des bases de données mais ne suffisent pas pour pacifier un continent ou maîtriser une situation potentiellement dangereuse. Malgré leurs expertise et empathie locales, Bonifaci et Chapelle n’ont ni compris les évolutions, ni décelé les signes avant-coureurs des demandes radicales de populations colonisées en Asie et en Afrique. Eric Deroo conclut à la nécessité de prendre des décisions militaires ou politiques indépendamment des expertises, car cela relève d’un plan d’ensemble global.

Loïc Salmon

Armée de Terre : retour d’expérience de l’opération « Serval » au Mali

Sahel : l’opération « Barkhane », un effet d’entraînement fort

Afrique : les armées, leur construction et leur rôle dans la formation de l’État

Une réflexion sur la culture locale doit précéder toute action militaire extérieure, estime le général Clément-Bollée, pour qui une saine curiosité constitue un investissement. La remise en cause par le chef de ses propres certitudes s’accompagne d’une sélection de tout ce qui va aider à la réussite de la mission. Il s’agit d’éviter les analyses erronées, de trouver les bonnes clés, de lutter contre les idées préconçues imposées par son imagination et de comprendre le regard de l’autre. Le général recommande : de se baser sur l’expérience des autres ; d’analyser les risques liés à la réaction de l’autre ; de montrer son intérêt en apprenant quelques mots par jour de la langue locale ; de rester soi-même. Le commandement doit faire comprendre à ses troupes que leur comportement doit évoluer avec la situation sur le terrain.




Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

 

Ressources halieutiques et énergétiques convoitées, revendications territoriales d’îlots, récurrence de la piraterie et prolifération des sous-marins affectent la sécurité de l’Asie du Sud-Est. Tous les pays de la région renforcent leurs budgets de défense en conséquence.

Tel a été le thème traité au cours d’une conférence-débat organisée, le 19 avril 2017 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine. Y sont intervenus : la capitaine de frégate Marianne Péron-Doise, Institut de recherche stratégique de l’école militaire ; le capitaine de frégate Damien Lopez, ancien commandant (2016) de la frégate de surveillance Vendémiaire, basée en Nouvelle-Calédonie.

Géostratégie maritime chinoise. Pour l’Asie du Sud-Est, la mer constitue un marquage identitaire en raison des flux commerciaux internationaux, explique la capitaine de frégate Péron-Doise. Chaque année, 70.000 navires franchissent le détroit de Malacca, lieu de passage entre l’Europe, le Moyen-Orient et les grands pays économiques de l’Asie du Nord-Est (Chine, Japon et Corée du Sud). La mer de Chine méridionale s’étend sur 3 Mkm2 avec de nombreux îlots et atolls ne se découvrant qu’à marée basse. Le plateau continental ne présente aucune continuité avec les archipels, dont plusieurs pays riverains revendiquent la souveraineté (encadré). La Chine pratique une stratégie du fait accompli. Au delà du potentiel halieutique et énergétique de la mer de Chine méridionale, elle cherche à assurer la sécurité de ses approvisionnements en pétrole et gaz via l’océan Indien. Les Paracels sont situées à environ 170 milles marins (315 km) de la côte vietnamienne et de l’île chinoise de Hainan, qui abrite la base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Leur revendication par la Chine lui permet de protéger ainsi sa dissuasion nucléaire, dont la capacité se trouve déjà amoindrie par l’installation du système de missiles antibalistiques américain THAAD en Corée du Sud. La poursuite de cet objectif a été amorcée dès 2009. La Chine avait alors invoqué des raisons historiques pour justifier sa souveraineté sur 2.000 km2 de mer de Chine méridionale puis, en 2012, sur la totalité en y incluant les archipels des Paracels  et des Spratleys. Déjà en 1988, un atoll des Spratleys avait été le théâtre d’un grave incident entre les Marines vietnamienne et chinoise. Par ailleurs, au nom de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer, la Marine chinoise harcèle régulièrement les bateaux de pêche vietnamiens et philippins. Saisi en 2009 par les Philippines, La Cour permanente d’arbitrage de La Haye a conclu en 2016 que la légitimité historique de la Chine sur les Spratleys ne repose sur aucun élément et que celle-ci ne peut donc prétendre à une zone économique exclusive du fait de l’occupation de ces îlots. Depuis, la Chine a développé une flotte de garde-côtes, qui inspectent tous les navires pénétrant dans les eaux contestées. La nouvelle milice maritime de Tanmen (Hainan), embarquée sur des unités à coque rigide, coupe les filets des bateaux de pêche ou en saisissent les cargaisons. Ce dispositif coercitif ne concèderait que des droits de pêche épisodiques aux Philippins. En février 2017, la Chine a révisé sa loi sur le trafic maritime afin d’empêcher l’accès de navires au motif d’éventuels troubles à la sécurité. Ainsi, un sous-marin doit naviguer en surface en arborant son pavillon. Tout navire, militaire ou civil, doit demander l’autorisation de transit. La protection des systèmes de missiles surface/air, installés dans les îles artificielles des Spratleys, a été renforcée.

Situation géopolitique. Selon la capitaine de frégate Péron-Doise, la Chine exerce une forte dépendance économique des pays de l’ASEAN, dont elle mésestime les droits. Le Viêt Nam entretient des partenariats avec l’ensemble des autres pays, mais évite d’être trop marqué avec l’un pour ne pas indisposer la Chine. Il autorise les escales de bâtiments militaires français, japonais et australiens au port de Cam Ranh pour manifester l’indépendance de sa diplomatie navale de contrepoids face à la Chine. De leur côté, le Japon et l’Australie s’inquiètent de la stratégie chinoise d’appropriation maritime, qui pourrait limiter l’accès au détroit de Malacca. Leurs Marines participent à des exercices avec la VIIème flotte américaine. Les Etats-Unis ont opté pour une « dialectique du pivot » de l’Europe vers l’Asie, pour se montrer de façon plus visible. En fait, ils assument depuis longtemps une présence militaire au Japon, en Corée du Sud et surtout à Guam (archipel des Mariannes). De son côté, la France a conclu des partenariats avec Singapour et la Malaisie.

La France dans le Pacifique. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France exerce une responsabilité globale sur toutes les mers, rappelle le capitaine de frégate Lopez. La Marine nationale a pour mission d’affirmer le principe de liberté de navigation, menacée notamment en mer de Chine par la poldérisation de certains atolls et îlots. Sa stratégie repose sur la présence, la coopération, l’observation et le rayonnement pour maintenir sa liberté d’action. La diplomatie navale correspond à un comportement clair : ne pas prendre parti dans les différends ; promouvoir un ordre international fondé sur le droit ; résoudre les conflits par le dialogue. La présence se manifeste  par la participation à toutes les instances régionales : Réunion annuelle des chefs d’Etat-major des armées des pays du Pacifique ;  Symposium naval du Pacifique occidental ; Forum des garde-côtes du Pacifique Nord ; Association de l’océan Indien ; Rencontre des ministres de la Défense de pays du Pacifique Sud ; Groupe de coordination de défense quadrilatéral (Australie, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis et France). Il a fallu 11 ans pour se mettre d’accord sur le code (40 signes) sur les rencontres inopinées à la mer, en vue d’éviter les risques de méprise sur le comportement. Chaque année, des bâtiments français, venus de métropole, de Tahiti ou de Nouméa, se rendent en mer de Chine en adoptant une posture ferme mais sans action d’éclat, source de tension. La coopération porte sur des exercices communs avec les Marines étrangères pour mieux se comprendre : tirs ; ravitaillements à la mer ; partages d’expérience pour aider certains pays à développer leur défense maritime.

Loïc Salmon

L’appropriation des mers

Marine et Diplomatie

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

L’archipel des Spratleys, qui compte 14 îles naturelles et 150 récifs s’étendant sur 439.820 km2, fait l’objet de revendications de la part de la Chine, de Taïwan, du Viêt Nam, de la Malaisie, des Philippines et de Brunei. Depuis 2013, la Chine construit aéroports, héliports, ports et immeubles sur 7 îles artificielles adossées à 9 récifs totalisant 13,5 km2. L’archipel des Paracels (130 îlots coralliens, 25.000 km2), revendiqué par le Viêt Nam et la Chine, est occupé par celle-ci depuis 1974 et abritait environ 1.000 habitants en 2014. L’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) regroupe 10 pays : Brunei ; Birmanie ; Cambodge ; Indonésie ; Laos ; Malaisie ; Philippines ; Singapour ; Thaïlande ; Viêt Nam. La France dispose d’une zone économique exclusive de 11 Mkm2, dont 62 % dans le Pacifique. Elle en est riveraine par la Nouvelle-Calédonie, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française et l’île de Clipperton.

 




Marine nationale : en opérations sur toutes les mers

En posture permanente de sûreté, la Marine agit, dès le temps de paix, sur l’espace marin de liberté stratégique et de manœuvre. Responsable de l’action de l’État en mer, elle participe aussi aux opérations sur les théâtres extérieurs.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 15 avril 2015 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine. Y sont notamment intervenus : la contre-amirale Anne Cullerre, sous-chef d’état-major « Opérations aéronavales » ; le capitaine de vaisseau (R) Lars Wedin, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique ; le capitaine de vaisseau Jacques Rivière, chef du bureau « Opérations aéronavales ».

Enjeux et menaces. Outre ses ressources halieutiques et son importance pour le transport de marchandises dans le monde (90 % des échanges), la mer devient un enjeu énergétique, explique le capitaine de vaisseau Wedin. Le parc d’environ 170.000 plates-formes de production d’hydrocarbures (pétrole et gaz) s’accroît de 400 unités par an. S’y ajoutent les éoliennes et hydroliennes (sous-marines), génératrices d’électricité. Or, ces infrastructures affectent l’emploi des radars et les trajectoires de manœuvre des navires marchands pour les éviter. Ces entraves à la circulation maritime se répercutent sur la liberté de navigation. Certains pays riverains, notamment en mer de Chine, créent des zones d’interdiction pour les protéger, notamment des organisations terroristes susceptibles d’utiliser vedettes rapides ou sous-marins de poche pour les endommager, avec des conséquences écologiques et médiatiques. Le commandant Wedin en déduit une stratégie maritime pour le XXIème siècle avec ses composantes économique, financière, industrielle, de défense (OTAN et accords bilatéraux), diplomatique et morale, à savoir la prise en compte de l’importance de la mer par l’opinion publique. L’amirale Cullère rappelle que tous les pays commerçants disposent de Marines militaires pour défendre leurs intérêts maritimes. Ainsi, la Chine et les pays d’Asie du Sud-Est développent leur Marine pour s’assurer la maîtrise des mers environnantes. La guerre froide (1947-1991) semble de retour. Si un bâtiment étranger se rapproche trop près de la Crimée, des unités russes vont immédiatement à sa rencontre. La Russie reconstruit en effet sa Marine, qui montre son pavillon en océan Indien et en Méditerranée. Parallèlement, des avions russes se manifestent le long des côtes atlantiques, indique le capitaine de vaisseau Rivière.

Missions permanentes. Pour garantir la crédibilité de la dissuasion nucléaire, le programme « Cœlacanthe » poursuit la modernisation de la Force océanique stratégique par la mise au format du missile balistique M51 du 3ème SNLE. Pour participer à la protection de ses 80.000 ressortissants français dans le golfe de Guinée, l’opération « Corymbe » combine surveillance maritime et coopération avec les pays riverains pour la prise en charge de leur propre sécurité dans leurs eaux territoriales, explique l’amirale Cullerre. Sur le territoire national (métropole et outre-mer), l’action de l’État en mer (55 missions) inclut la protection des approches maritimes (sémaphores et renseignement). En 2014, 350 personnes ont été secourues, 500 kg de cocaïne saisis et 2.000 engins explosifs neutralisés. En outre, 3.280 marins et gendarmes maritimes ont assuré la sécurité d’enceintes militaires et des installations de la dissuasion. Début 2015, la Marine n’a donc pu fournir de personnels au-delà d’un mois à l’opération « Sentinelle » en Ile-de-France (10.000 personnels mobilisés). En conséquence, l’État-major des armées réfléchit aux nouveaux formats de la défense maritime, opérationnelle et aérienne du territoire. La France participe déjà à la lutte contre l’immigration clandestine dans le cadre de la mission européenne Frontex (renseignement et récupération de naufragés). La France dispose du plus grand réseau d’attachés de défense du monde. Les Commandements supérieurs en Nouvelle-Calédonie (armée de Terre) et en Polynésie française (Marine) remplissent, au sein des pays de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique, des missions de rayonnement, mais avec de plus en plus de difficultés car les moyens financiers diminuent. Les escales de deux frégates de surveillance y contribuent, notamment aux Mexique, Chili, Pérou et en mer de Chine. Si le ministère des Affaires étrangères décide, par exemple, l’envoi de secours aux victimes d’un cyclone aux Philippines, la Marine peut déjà en réaliser la planification sur place. En raison de la présence d’entreprises françaises (CMA et Total) dans la région, des bâtiments militaires français  s’y rendent, mais sans prendre parti dans les litiges territoriaux entre les pays riverains et la Chine, qui se pose en rivale des États-Unis. Par ailleurs, la Marine américaine doit assurer, en permanence, l’ouverture des détroits de Bab-el-Mandeb et d’Ormuz, où la Grande-Bretagne a envoyé des unités et la France un chasseur de mines en avril 2015.

Opérations ponctuelles. Avec ses bâtiments, aéronefs (avion radar Atlantique 2 ou Falcon 50 notamment) et commandos (forces spéciales), la Marine participe aux opérations extérieures, dans un cadre interarmées et en coalition : « Chammal » contre Daech en Irak, « Atalante » contre la piraterie en océan Indien et « Serval » puis « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne. Elle dispose de : 3 bases navales à Cherbourg, Brest et Toulon ; 4 stations navales au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon ; 2 bases interarmées à Djibouti et aux Émirats arabes unis. L’opération « Corymbe » dans le golfe de Guinée est dirigée par l’amiral préfet maritime de Brest, également commandant en chef pour l’Atlantique, en coordination avec ses homologues au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon. Auparavant uniquement effectuées en liaison directe avec la présidence de la République, les projections de forces sur des théâtres extérieurs intègrent la communication opérationnelle, en raison de l’accélération du temps « politico-médiatique », souligne l’amirale Cullerre. En échange du soutien des États-Unis à la France en matière de renseignement et de ravitaillement en vol pendant les opérations « Harmattan » (Libye, 2011) et « Serval » (Mali, 2013), le groupe aéronaval français a assuré la relève d’un porte-avions américain au cours de l’opération « Chammal » (Irak, avril 2015).

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

L’océan Indien : espace sous tension

Golfe de Guinée : zone de crises pour longtemps

Avec 11 Mkm2 de zones économiques exclusives réparties sur 7.000 km de côtes sur tous les océans, la France dispose du 2ème domaine maritime mondial, après les États-Unis. Sa Marine compte : 10 sous-marins, dont 6 d’attaque (SNA) et 4 lanceurs d’engins (SNLE) ; 42 bâtiments de combat et de soutien ; près de 200 avions de chasse, de patrouille et de surveillance ainsi que des hélicoptères ; 15 unités de fusiliers et commandos Marine ; 34.000 hommes et femmes, dont 3.000 civils. Le taux de féminisation atteint 13,8 %. Dès 2017, l’équipage du premier SNA Barracuda intégrera 3 officiers féminins. Toutes les spécialités sont ouvertes aux femmes, y compris celles de pilote de chasse embarquée et de commando Marine, si elles réussissent les mêmes tests que les hommes.




Piraterie : encore présente sur mer et en expansion dans le cyberespace

Transport maritime, production pétrolière et flux de données informatiques tirent profit de la mondialisation… avec la menace récurrente d’attaques de pirates, imprévisibles et difficilement identifiables.

Ce parallèle a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 8 avril 2015 à Paris, par le Master 212 de l’Université Paris-Dauphine et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : le vice-amiral Arnaud Coustillière, officier général cyberdéfense à l’État-major des armées ; Thierry Bourgeois, directeur de la sûreté du groupe Total (hydrocarbures) ; Jacques de Chateauvieux, président de Bourbon (services maritimes pour l’offshore pétrolier) ; Philippe Sathoud, directeur opérationnel au groupe DCNS (équipementier naval) ; Patrick Simon, avocat au barreau de Paris et président de l’Association française du droit maritime ; Patrick de la Morinerie, directeur général adjoint chez Axa Corporate Solutions (assurances).

État des lieux. La technologie informatique embarquée d’un navire civil et les infrastructures portuaires restent vulnérables aux cyberattaques. Via internet, un « hacker » (pirate informatique) pourrait en effet modifier les paramètres de conditionnement de sa cargaison ou, pire, ceux de ses automates et le dérouter de sa destination. Les risques encourus diffèrent pour les porte-conteneurs (CMA), les unités de servitude offshore (Bourbon) ou les navires spécialisés (Louis-Dreyfus Armateurs), souligne l’amiral Coustillière. Présent dans 132 pays où il produit (à terre ou au large) ou distribue pétrole ou gaz, Total les classe selon le niveau d’insécurité ordinaire, l’instabilité politique et le terrorisme. Il exclut toute activité en Somalie, Syrie et Afghanistan, classés « rouges ». Au Nigeria, les personnels de ses plates-formes en mer sont acheminés par hélicoptère et les matériels par chalands, escortés par des patrouilleurs militaires. Faute de moyens suffisants des États riverains, la piraterie perdure dans le golfe de Guinée. Un centre de coordination anti-piraterie est en cours d’installation. Comme pour le détroit de Malacca, les navires doivent y être connectés par le système d’identification AIS, qui permet de connaître leur position exacte en permanence. Toutefois, les pirates, très bien renseignés, peuvent ainsi les localiser et, en cas d’attaque réussie, commencent par déconnecter l’AIS. Selon AXA, la piraterie diminue dans le monde, mais devient plus efficace : pour un trafic annuel moyen de  150.000-200.000 passages dans les zones dangereuses (détroit de Malacca et golfes d’Aden et de Guinée), le taux de succès est passé de 66 % sur 445 attaques en 2009 à 95% sur 245 attaques en 2014. Il reste encore 400 marins détenus à terre par des pirates en mars 2015, contre 1.000 en 2005. Bourbon, qui déploie 90 bateaux-navettes au Nigeria et 300 dans le golfe de Guinée, n’y envoie que des volontaires parmi ses 12.000 marins. La Norvège et les Philippines ont interdit à leurs ressortissants de travailler au Nigeria. Les compagnies d’assurances prennent en charge les dommages en mutualisant les risques en fonction des données statistiques. Mais, indique AXA, comme ces dernières n’existent pas en cybercriminalité, elles établissent… des scénarios de risques !

Sûreté et protection. Total se prémunit de la cybercriminalité à bord de ses installations de diverses façons : anti-virus ; mesures des flux en entrée et sortie pour détecter les comportements anormaux ; recours aux agences de protection pour identifier les programmes malveillants et les éliminer. Des « passerelles » protégées relient l’informatique de gestion (connectée à internet) à celle, dite « industrielle », des installations techniques. Le manque de vigilance des personnels se trouve souvent à l’origine des dégâts mineurs constatés. De son côté, DCNS a établi une procédure réglementant l’accès à l’informatique du bord, a mis au point des logiciels de repérage et forme les équipages à la détection ou l’intervention. En ce qui concerne les attaques physiques, Total se protège différemment selon le contexte juridique. Dans les pays où l’État est actionnaire ou propriétaire des installations de production, il met des gendarmes à la disposition de Total, qui assure l’exploitation du site. Pour les forages en mer par grande profondeur, l’État riverain est unique propriétaire des installations, dont le coût d’exploitation est partagé entre les différents partenaires. Face à la menace de la piraterie maritime, Bourbon a équipé ses navires d’une « citadelle » à l’épreuve des balles du fusil d’assaut de type kalachnikov et où l’équipage se réfugie jusqu’au départ des pirates, incapables alors de conduire le navire. En outre, les équipages sont formés et entraînés pour prendre conscience du danger et s’habituer à la discipline. En cas d’attaque, une procédure permet à l’équipage  d’informer les autorités compétentes. Pour ce type d’opération, DCNS dispose du patrouilleur de sauvegarde maritime L’Adroit, équipé de moyens de communication sécurisés et qui embarque un hélicoptère, des drones de surveillance et des commandos. Concrètement, sur la base de renseignements, la Marine du pays riverain intervient, de jour comme de nuit et quelles que soient les conditions météorologiques. L’avocat Patrick Simon estime nécessaire l’embarquement de sociétés militaires privées, comme aux États-Unis et comme la loi l’autorise  en France. De son côté, l’amiral Coustillière, rappelle que les mers, où sévit la piraterie, doivent être occupées par des navires de l’État, seuls autorisés à employer la force en cas de légitime défense. Or, aux États-Unis, celle-ci correspond à l’anticipation, alors qu’en France l’analyse de la situation reste un impératif préalable. Au large de la côte somalienne, la piraterie est contenue, mais pas éradiquée, en raison notamment d’une coordination des patrouilles de Marines de divers pays et de la constitution de convois escortés, particulièrement dissuasifs. Toutefois, les pirates, bien renseignés, attaqueront tout navire qui, par indiscipline, s’aventurerait seul dans une zone réputée dangereuse.

Loïc Salmon

Piraterie maritime : l’action d’Europol

Cyberdéfense : une complexité exponentielle

Cyberdéfense militaire : DEFNET 2015, exercice interarmées à tous les niveaux

En matière de piraterie maritime, le Centre d’étude et de pratique de la survie (CEPS) recommande de : s’informer au préalable 0auprès des ambassades et consulats français et des autorités portuaires ou maritimes compétentes ; s’inscrire au contrôle naval volontaire en océan Indien ; s’assurer du fonctionnement optimal des moyens de communications (valises satellites, radio HF) et des moyens électroniques du bord (GPS, balise d’alerte, radar) ; maintenir une veille permanente anti-piraterie 24h sur 24 ; assurer des tours de garde dans les ports les plus sensibles. Le CEPS préconise aussi des mesures de protection à bord : leurres sur le pont avec des mannequins en tenue d’équipage ; protection du pont par un grillage ; barrière physique (barbelés par exemple) pour éviter l’abordage du navire par l’accrochage d’échelle ; panneaux et pictogrammes dissuasifs autour du navire ; diffuseur d’eau à haute pression autour du navire.




Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Face à la montée en puissance des États-Unis en Asie-Pacifique, la Chine compte sur sa puissance économique pour s’imposer aux pays riverains. Mais ceux-ci sont passés de la dépendance des deux « Grands » à leur mise en concurrence, renforçant ainsi l’ambiguïté stratégique de la zone.

Cette situation a fait l’objet d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y ont notamment participé Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Delphine Allès, professeur en sciences politiques à l’université de Paris-Est (Créteil).

Vision chinoise. La zone Asie-Pacifique se caractérise par son dynamisme et sa stabilité, contrairement au Moyen-Orient, sujet à une violence chronique, ou l’Europe, atteinte par la crise économique et financière de 2008, souligne Valérie Niquet. Le nouvel intérêt de Washington pour l’Asie, inquiète Pékin, d’autant plus qu’après sa réélection en 2012, le président Barack Obama a préféré se rendre d’abord, non pas en Chine, mais au Japon, en Corée du Sud et même au Myanmar, sphère d’influence de la Chine. Depuis l’arrivée au pouvoir du président chinois Xi Jinping la même année, les tensions se sont aggravées avec le Japon, les Philippines et le Viêt Nam. Elles font partie d’une affirmation de puissance du pays définie par le Parti communiste chinois, consécutive à une analyse des rapports de forces avec les autres pôles de puissance (États-Unis, Union européenne et Russie) et à une volonté de stabilité interne, en raison des failles du régime (inégalités et troubles sociaux). Selon Valérie Niquet, la Chine tente de rassurer ses interlocuteurs sur sa volonté de prolonger cette période d’opportunités et de paix dans la zone Asie-Pacifique, qui a assuré sa montée en puissance : interdépendance des relations économiques avec les Etats-Unis ; maintien de la stabilité en Asie par son influence sur la Corée du Nord. Mais, en même temps, Pékin affirme la défense de ses intérêts vitaux, non négociables, en mer de Chine méridionale et poursuit le « rêve chinois » d’occuper, comme du temps de l’empire, le « centre » de l’Asie… pour assurer la survie du régime communiste ! Les analystes chinois estiment que la fin de la guerre froide (1947-1989) a coïncidé en Asie avec une augmentation des tensions et même des risques de guerre. Ils dénoncent le renforcement de l’appareil de défense du Japon, l’augmentation des missions d’observation militaire des États-Unis en mer de Chine et le déploiement de bâtiments militaires des Philippines, alors que la Chine n’y envoie que des unités de garde-côtes « civils ». Malgré un climat de défiance, le partenariat avec la Russie est considéré comme stratégique, comme le montre le contrat signé le 21 mai 2014 portant sur la fourniture de gaz russe pendant 30 ans.

Vision du Sud-Est asiatique. Le retour périodique des différends territoriaux constitue une source de tensions récurrentes, explique Delphine Allès.  Ainsi, la Thaïlande et le Cambodge se disputent un territoire frontalier où se trouve le temple de Preah Vihear, classé par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité et donc susceptible d’y attirer le tourisme. En outre, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Myanmar font face à des contestations séparatistes, dues à l’héritage territorial des anciens empires, à la centralisation des États modernes et à la volonté de contrôle des ressources naturelles locales. Par ailleurs, les incidents de frontières maritimes résultent de la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Au-delà des 12 milles des eaux territoriales, le partage se complique lorsque le plateau continental d’un pays déborde de sa ZEE. En outre, Pékin considère la mer de Chine méridionale comme partie intégrante de ses eaux territoriales. Sont alors contestées les îles inhabitées qui s’y trouvent : Paracels, Spratleys et le récif de Scarborough. Or, dans ces zones, le volume des réserves d’hydrocarbures est peu prouvé et les ressources halieutiques se révèlent modérément élevées. De plus, leur intérêt purement stratégique reste limité. D’abord, ces îles sont trop petites pour y construire des installations militaires. Ensuite, les États riverains peuvent les menacer par des missiles. Enfin, un sous-marin, caché à proximité, peut en interdire l’accès aux bâtiments de surface. Par ailleurs, les tensions sont alimentées par l’implication de puissances extérieures. En outre, depuis les années 1990, les enjeux territoriaux traditionnels des pays de la zone Asie-Pacifique sont occultés par les questions non militaires et non étatiques, où la coopération et le partage d’informations s’imposent : environnement et catastrophes naturelles ; sécurité sanitaire ; terrorisme ; migrations ; trafics illicites ; piraterie maritime. Celle-ci a diminué après l’instauration du droit de poursuite des bateaux pirates dans les eaux  territoriales d’un pays riverain. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la sécurité humaine, à savoir le lien entre défense extérieure et sécurité intérieure, est valorisée par la communauté internationale et s’intègre dans les doctrines stratégiques des pays membres de l’ASEAN. En vue d’éviter l’internationalisation de conflits intérieurs ou bilatéraux, ceux-ci veulent dépolitiser les enjeux régionaux et favoriser la coopération stratégique. Ils augmentent leurs dépenses militaires en renouvelant leurs matériels à moindre coût auprès des États-Unis. Ils refusent de se positionner en bloc vers la Chine ou les États-Unis. Ainsi, Singapour, les Philippines et le Viêt Nam sont devenus les partenaires privilégiés des États-Unis, mais le Laos, le Cambodge et le Myanmar ont préféré la Chine. S’y ajoutent des partenariats croisés entre l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. La Chine multiplie les efforts diplomatiques envers la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande, augmente les patrouilles paramilitaires et le déploiement de pêcheurs sur zone et développe sa capacité de déni d’accès naval à Taïwan. De leur côté, les États-Unis accroissent leurs capacités aériennes et navales dans la zone, renforcent leur présence en Australie et aux Philippines, procèdent à des exercices maritimes et apportent un soutien diplomatique à l’ASEAN.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Marine et Diplomatie

L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a été fondée en 1967 par les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande, rejoints ensuite par Brunei (1984), le Viêt Nam (1995), le Laos (1997), le Myanmar, ex-Birmanie, (1997) et le Cambodge (1999). Le Timor oriental pourrait y adhérer en 2015. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a le statut d’observateur. Chaque année, 16 chefs d’État de la région se rencontrent au Sommet de l’Asie de l’Est, où la Russie a le statut d’observateur. « L’ASEAN Regional Forum », qui compte 26 membres, traite des questions de sécurité en Asie-Pacifique. « L’ASEAN + 3 », qui se tient pendant les sommets de l’ASEAN, inclut la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le « Dialogue Asie-Europe » réunit de façon informelle l’ASEAN + 3 et l’Union européenne. Enfin, il existe un sommet ASEAN-Russie au niveau des chefs d’État.




Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Présente sur les océans Indien et Pacifique où elle dispose de territoires et de ressortissants en nombre croissant, la France entend contribuer à la sécurité de la zone Asie-Pacifique, qui devrait réaliser plus du tiers du produit intérieur brut mondial en 2030.

En avril 2014, la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense a rendu public un document sur ce sujet, élaboré en concertation avec le ministère des Affaires étrangères.

Contexte stratégique. Quelque 70 % des échanges de marchandises conteneurisées de l’Union européenne (UE) transitent par l’océan Indien. En 2020, 45 % du trafic mondial de conteneurs concerneront les échanges UE-Asie. Depuis 1990, les pays de la région augmentent leurs dépenses militaires et modernisent leurs outils militaires, avec des impacts sur l’équilibre des forces et la stabilité de la région. Ainsi, la Chine, l’Inde et le Pakistan disposent de l’arme nucléaire. La Corée du Nord, qui exerce des activités proliférantes d’armes de destruction massive, a déclaré son intention de se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire. Face aux régimes communistes de la Chine, de la Corée du Nord et du Viêt Nam, les États-Unis maintiennent leurs traités d’alliance, datant de la guerre froide (1947-1989), avec la Corée du Sud, le Japon, les Philippines, l’Australie et la Thaïlande. Ils assurent une présence militaire en Corée du Sud, au Japon, à Singapour et dans les îles de Guam (Pacifique) et Diego Garcia (océan Indien). Parallèlement, des tensions s’aggravent entre alliés du même camp au sujet de territoires contestés, parfois inhabités mais riches en ressources naturelles. Ainsi, l’archipel des Kouriles du Sud, occupé par la Russie, est revendiqué par le Japon. L’île de Takeshima/Dokdo est revendiquée par la Corée du Sud et le Japon. Les îles Senkaku/Diaoyutai sont revendiquées par le Japon, la Chine et Taïwan… elle-même revendiquée par la Chine. Les îles Paracels, occupées par la Chine, sont revendiquées par le Viêt Nam. La Chine revendique l’ensemble de la mer de Chine du Sud. Les îles Sprateley sont revendiquées partiellement ou totalement par la Chine, Taïwan, le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. Le territoire indien d’Arunachal Pradesh est revendiqué par la Chine. Le territoire du Cachemire se trouve sous le contrôle de trois pays différents, qui s’en contestent la juridiction : la partie sous contrôle pakistanais est revendiquée par l’Inde ; celle sous contrôle indien est revendiquée par le Pakistan ; celle sous contrôle chinois est revendiquée par l’Inde. Enfin, une longue zone frontalière fait l’objet de négociations entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Protection des intérêts français. Toute crise en Asie-Pacifique pourrait porter gravement atteinte aux intérêts commerciaux de la France, 5ème exportateur et 3ème investisseur mondial. D’abord, le nombre de ressortissants français dans les départements et territoires d’outre-mer atteint 500.000 personnes dans le Pacifique et plus de 1 million en océan Indien. En 2012, il a dépassé 120.000 personnes dans les pays d’Asie-Pacifique, soit presqu’autant que dans ceux d’Afrique subsaharienne. Ensuite, la France dispose de 11 Mkm2 de zone économique exclusive, soit la 2ème du monde après celle des États-Unis, dont 62 % dans le Pacifique et 24 % dans l’océan Indien. Les forces de défense et de sécurité prépositionnées assurent des missions de lutte contre les trafics illicites et de protection de l’environnement et des ressources halieutiques, minérales et énergétiques. Elles participent aux secours aux populations régionales lors de catastrophes naturelles (tsunamis et cyclones). La coopération bilatérale dans tous les domaines de la défense repose sur les 18 attachés de défense, accrédités dans la quasi-totalité des pays d’Asie, et les coopérants militaires permanents. Ce dispositif est renforcé par la trentaine d’attachés de sécurité intérieure présents dans 21 pays d’Asie. S’y ajoute le soutien des coopérants gendarmes et d’experts de police et de sécurité civile.

Coopération internationale. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France assume des responsabilités internationales, qui dépassent le cadre de ses intérêts propres. En Asie-Pacifique, elle est signataire de plusieurs engagements politiques et de sécurité : traité de paix avec le Japon (1951) ; convention d’armistice en Corée (1953) ; traité de sécurité collective en Asie du Sud-Est (1954) ; traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est (1976). Sur le plan bilatéral, la France a conclu des partenariats stratégiques avec l’Inde, la Malaisie, Singapour et l’Australie. En outre, elle entretient un dialogue politico-militaire et des coopérations militaire et en matière d’armements, très variables selon les pays. Sont concernés : l’Afghanistan, le Cambodge, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, les Philippines, la Thaïlande, le Viêt Nam et bientôt la Mongolie. Cette coopération de défense repose sur le partage de compétences dans les domaines de l’expertise, du conseil et de la formation. Conçue par les ministères des Affaires étrangères et de la Défense, elle s’inscrit dans la durée, porte sur la prévention et n’intervient pas en période de crise, mais se situe dans la sortie de crise. Une centaine de stagiaires des pays d’Asie ont été formés dans des institutions militaires françaises d’officiers en 2013. En outre, des missions d’experts français ont été conduites au profit des forces armées locales et un soutien est apporté à des centres de formation aux opérations de maintien de la paix. Par ailleurs, la France respecte les embargos sur les armes et autres mesures restrictives du Conseil de sécurité de l’ONU et du Conseil européen (niveau des chefs d’État et de gouvernements de l’UE). En Asie-Pacifique, cela s’applique à la Birmanie, la Chine, la Corée du Nord ainsi qu’aux entités et individus liés aux talibans et à l’organisation terroriste Al Qaïda. Enfin, la France a été engagée dans diverses opérations militaires et de maintien de la paix : Cambodge (1991-1993) ; golfe Arabo-Persique (1990-1991) ; Timor oriental (1999-2000) ; moyens navals déployés sur zone lors du tsunami de décembre 2004 ; Indonésie (2005) ; Afghanistan (depuis 2001) ; golfe d’Aden (depuis 2008).

Loïc Salmon

L’océan Indien : espace sous tension

Opération « Atalante » : bilan du commandement français

Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

Les forces armées dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française totalisent 2.500 personnels militaires et civils, 2 frégates de surveillance, 3 patrouilleurs, 4 avions de surveillance maritime, 4 avions de transport tactique et 6 hélicoptères pour des missions de protection et de sécurité et l’action de l’État en mer. Du golfe Arabo-Persique à celui d’Aden, les forces permanentes comptent 700 militaires et mettent en œuvre 6 avions de combat Rafale depuis les Émirats arabes unis. A Djibouti, sont stationnés 1.900 militaires, 7 avions Mirage-2000, 8 hélicoptères, 1 avion de transport et 2 bâtiments de soutien. Enfin, en océan Indien même, 700 marins à bord des bâtiments de combat sont engagés en permanence dans la lutte contre la piraterie et le terrorisme, avec le renfort occasionnel du groupe aéronaval avec le porte-avions Charles-de-Gaulle, d’un groupe amphibie ou d’un groupe de guerre des mines.