Asie du Sud : Inde et Pakistan se veulent des puissances nucléaires responsables
Vecteurs de leur armes nucléaires, les missiles balistiques de l’Inde et du Pakistan affectent la sécurité régionale. La maîtrise des armements, réelle au niveau bilatéral, reste faible quant aux instruments juridiques internationaux.
Seule l’Inde a adhéré, en 2016, au Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC, voir encadré). Emmanuelle Maitre et Lauriane Héau, chargées de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, ont présenté la situation en Asie du Sud dans une note publiée à Paris en mars 2021.
Arsenaux balistiques. L’Inde a procédé avec succès à l’explosion d’un premier engin nucléaire en 1974 et le Pakistan en1998. Tous deux ont développé des technologies balistiques dès les années 1960. L’acquisition de missiles balistiques a été motivée par le statut et le prestige qui en résultent, la capacité d’infliger des dommages considérables, par l’emport d’armes de destruction massive (nucléaires, chimiques ou biologiques), et l’effet psychologique associé à une frappe éventuelle. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan et entre l’Inde et la Chine ont contribué au développement des arsenaux dans la zone Asie-Pacifique. Parallèlement à la recherche et au développement dans le domaine spatial, l’Inde a lancé des programmes de missiles dans les années 1970 et 1980. Dans la catégorie des missiles balistiques à courte portée (SRBM, jusqu’à 1.000 km), elle a mis au point, à partir de 1988, les Prithvi-I, II et III, Agni-1 et Dhanush et développe le Prahar. Elle dispose aussi du missile Agni-2 à moyenne portée (MRBM, de 1.000 à 3.000 km). Les missiles Agni-3 et 4 ont des portées intermédiaires (IRBM, de 3.000 à 5.000 km). Les Agni- 5 et 6, en développement, entrent dans la catégorie des missiles intercontinentaux (ICBM, au minimum 5.500 km). Le Sagarika K-15, réalisé, et le Sagarika K-4, en développement, pourront être tirés d’un sous-marin (SLBM, plus de 5.500 km). En outre, l’Inde a lancé un programme de défense anti-missile. De son côté, le Pakistan a poursuivi simultanément ses recherches spatiales et balistiques. Dès 1989, il a commencé les essais des SRBM Haft-1 et 2, suivis de ceux des Haft-3, 4 et 9. Dans la catégorie des MRBM, il dispose des Haft-5 et 6 et met au point les Ababeel et Shaheen 3. En outre, il développe plusieurs IRBM avec l’aide de la Corée du Nord (technologie Nodong) et de la Chine (achat de missiles M-11). De plus, il investit dans le système chinois LY 80 de défense aérienne à basse et moyenne altitudes et aurait acquis des « MIRV », à savoir des ogives de missiles capables d’emporter plusieurs bombes nucléaires et de les envoyer sur diverses cibles parfois distantes de centaines de km les unes des autres. Par ailleurs, dans la catégorie des missiles de croisière, l’Inde développe les BrahMos et Nirbay et le Pakistan les Ra’ad et Babur. Tous seront capables d’emporter une arme nucléaire ou une charge militaire conventionnelle.
Domaine spatial. A l’exception des Maldives, tous les Etats d’Asie du Sud possèdent au moins un satellite ou participent à sa mise en œuvre. Ainsi, l’Inde a construit le centre spatial Satish Dharwan à Sriharikola et la station équatoriale de lancement de fusées à Thumbo-Thiruvananthapuram. Sa présence s’affirme sur l’ensemble du spectre du domaine spatial : lanceur ; fusée sonde ; satellite de communications ; satellite d’observation terrestre ; satellite à vocation scientifique ; satellite militaire ; vol interplanétaire. Le Pakistan s’en rapproche : fusée sonde ; satellite de communications ; satellite d’observation terrestre ; satellite à vocation scientifique. Le Sri Lanka exploite des satellites de communications et à vocation scientifique. Le Bangladesh se limite aux satellites de communications ou à vocation scientifique. Actuellement, les satellites à vocation scientifique suffisent au Népal et au Bhoutan et ceux de communications à l’Afghanistan. L’exploitation pacifique des satellites porte notamment sur l’agriculture ou la réponse aux catastrophes naturelles. Toutefois, l’essai réussi d’une arme antisatellite par l’Inde en 2019 inquiète la communauté internationale, car tout nouvel essai d’une telle arme rendrait l’espace dangereux pour les entreprises civiles. Avec l’émergence du « New Space », industrie spatiale née aux Etats-Unis, des entités privées peuvent en effet utiliser des constellations de petits satellites en vue de développer des produits commerciaux. En conséquence, des petits systèmes de lancement pourraient envoyer dans l’espace des objets, dont certains risqueraient d’être confondus avec des missiles.
Freins limités à la prolifération. Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan et Sri Lanka ont ratifié (ou adhéré à) la Convention internationale sur les armes chimiques et à celle sur les armes biologiques. Tous ont envoyé un rapport initial au « Comité 1540 », créé en application de la Résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à l’unanimité le 28 avril 2004. Cette résolution stipule « que tous les États doivent s’abstenir d’apporter un appui, quelle qu’en soit la forme, à des acteurs non étatiques qui tenteraient de mettre au point, de se procurer, de fabriquer, de posséder, de transporter, de transférer ou d’utiliser des armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou leurs vecteurs, en particulier à des fins terroristes. » Toutefois, aucun n’a soumis au Comité 1540 de plan national de mesures de prévention de la prolifération de ces armes et de leurs vecteurs. Par ailleurs, l’Inde et le Pakistan n’ont pas ratifié le Traité sur la prolifération des armes nucléaires ni le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et ni le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Cependant, l’Inde a signé un protocole additionnel avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, ouvrant la voie à un accord de coopération avec les Etats-Unis en 2006. Quant à la lutte contre la prolifération de missiles balistiques, le Pakistan s’abstient systématiquement lors des votes des résolutions bi-annuelles de l’ONU en faveur du HCoC. Toutefois, l’Inde et le Pakistan ont conclu un accord en 2005, prolongé en 2011 et portant sur un préavis de 72 heures des essais en vol de missiles balistiques, en fixant des limites géographiques et des trajectoires claires pour ces essais.
Loïc Salmon
Seul instrument multilatéral centré sur les vecteurs d’armes de destruction massive, le Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC), créé en 2002, compte 143 Etats signataires en décembre 2020. Ceux-ci s’engagent à : respecter les traités de l’ONU et les conventions internationales sur la sécurité spatiale ; soumettre une déclaration annuelle sur leurs capacités en matière de missiles balistiques et leur politique nationale sur la non-prolifération et le désarmement ; envoyer des notifications préalables à tout lancement de missile balistique ou de lanceurs spatial. L’Autriche, qui assure le contact central immédiat du HCoC, met ces informations en ligne sur une plateforme réservée aux Etats signataires. Ceux-ci s’engagent à la plus grande retenue dans le développement de leurs capacités balistiques, sans pour autant y renoncer. Le HCoC permet d’accroître la transparence, d’éviter tout malentendu et de développer pacifiquement des activités spatiales.
Missiles balistiques : limitation, mais prolifération quand même
Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire