Armement : l’influence des SALA sur la conflictualité future

Le développement des systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), dont l’efficacité se renforce avec l’intelligence artificielle (IA), fait l’objet de négociations internationales sur le « permis de tuer » susceptible d’être ainsi délégué à un robot.

Fabien Gouttefarde et Claude de Ganay, membres de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l‘Assemblée nationale, ont rédigé un rapport sur les SALA, présenté à la presse le 22 juillet 2020 à Paris.

Vigilance de rigueur. D’après les deux députés, de nombreux spécialistes estiment qu’un SALA respecte le droit humanitaire grâce à sa précision, mais le chef militaire engage sa responsabilité devant la justice pénale internationale. L’Etat-major des armées françaises ne voit aucun intérêt au développement d’armes totalement autonomes. Les industriels français, en l’occurrence MBDA (espace et systèmes de missiles) et Dassault (aéronautique), cherchent à développer des équipements de reconnaissance et de décision, donnant à l’homme quelques secondes pour réagir. La France dispose du missile de croisière Scalp (arme de précision tirée à grande distance), mais a pris du retard en matière de robotisation, comme le char inhabité avec une tourelle capable d’effectuer les mêmes mouvements que le fantassin. A titre indicatif, la Direction générale de l’armement (DGA) consacre 100 M€ par an aux études sur l’IA, contre 3 Mds$/an par la DARPA, son homologue américaine.

Stratégie de la France. Selon le rapport parlementaire, la France s’appuie sur la réputation internationale de son école de mathématiques, sur son expertise dans l’informatique, le calcul et le développement de logiciels et sur sa base industrielle et technologique de défense. Sa stratégie repose sur quatre principes : conserver la liberté d’action et l’interopérabilité avec ses alliés ; s’appuyer sur une IA de confiance, maîtrisée et responsable ; maintenir la résilience et l’évolutivité des systèmes ; préserver un cœur de souveraineté. Les efforts portent dans sept domaines : l’aide à la décision des chefs militaires et à la planification ; le renseignement pour l’autonomie stratégique ; le combat collaboratif avec une connectivité croissante des systèmes ; la robotique pour concentrer les ressources humaines sur les tâches les plus sensibles ; le cyber pour augmenter la capacité d’anticipation et de réactivité ; la logistique, la maintenance et le soutien pour gagner en efficacité ; l’administration et la santé des personnels. L’IA interviendra en grande partie dans les combats collaboratifs terrestres, navals et aériens. Pour l’armée de Terre, elle apportera au programme Scorpion des capacités en termes de situations tactiques amies ou ennemies, de protection, de fusion multi-capteurs et d’optimisation des itinéraires de combat. Pour la Marine, l’IA apportera au programme SLAM-F la détection automatique des mines dans des images sonars ou la mise en œuvre de drones sous-marins et de surface avec des capacités de guidage et d’évitement d’obstacles. Pour l’armée de l’Air et de l’Espace (nouvelle appellation depuis le 11 septembre 2020), l’IA apportera au programme SCAF une gestion assistée des capteurs et des effecteurs, la connectivité intelligente et la coopération entre aéronefs habités et drones. La cyberdéfense et le renseignement utiliseront l’IA pour la détection automatique d’anomalies sur les réseaux et dans les connexions informatiques, la compression des données et la détection assistée d’objets dans des images satellites. La stratégie française sur l’IA de défense a été élaborée dans une approche transverse entre les différents services concernés du ministère des Armées : DGA ; Agence de l’innovation de défense ; Inspection générale des armées ; Contrôle général des armées ; Secrétariat pour l’administration ; Direction des affaires juridiques ; Direction du renseignement militaire ; Direction générale de la sécurité extérieure. Elle a débouché sur la création, en janvier 2020, d’un comité d’éthique, composé de 18 personnalités des armées et du monde civil, pour analyser l’évolution des recherches sur le soldat augmenté et…les SALA !

Compétition internationale. Le rapport parlementaire souligne le lien entre l’autonomie des systèmes d’armes et l’essor de l’IA. Grâce à celle-ci, une machine peut opérer 24 h sur 24 sans la fatigue et l’inattention inhérentes au combattant. Aux Etats-Unis, le navire Sea-Hunter de 60 m de long, autonome et dédié à la lutte anti-sous-marine, a réussi à franchir 4.500 km entre Hawaï et San Diego (côte Ouest) en s’adaptant aux règles de la navigation dans les eaux internationales. Le programme LUSV en prévoit un autre de 90 m et 2.000 t, capable d’effectuer des missions « sales », « ennuyeuses » et « dangereuses ». La Chine développe le petit robot sous-marins HSU001, en vue de mailler les océans. Elle s’appuie sur ses réseaux sociaux (Baida, Alibaba, Tencent et Xiaomi) pour exploiter les données de sa nombreuse population (1,4 milliard d’habitants en 2018), afin d’accélérer les systèmes d’apprentissage. Des études portent sur des robots et drones programmables pour des attaques-suicides autonomes. Toutefois, le manque d’expérience du combat freine l’élaboration d’une doctrine d’emploi. Outre une coopération renforcée avec la Chine, la Russie met en place un centre national de l’IA militaire et un consortium technologique militaro-industriel d’IA et de mégadonnées. Elle profite des retours d’expérience rapides en opérations pour compenser ses capacités d’investissement moindres. Son engagement en Syrie lui permet d’expérimenter de nouveaux matériels en condition de guerre. Elle y a déployé des chars URAN-9, très automatisés. La plate-forme Marker, constituée d’un petit char robotisé qui tire sur la même cible que le soldat qu’il accompagne, y a été testée pour réduire des poches de résistance islamistes. Ce système devrait entrer en service dans les unités russes en 2021. La Corée du Sud, qui utilise la plate-forme de tir automatique SGR-A1 à sa frontière avec la Corée du Nord, envisage une unité complète de SALA pour la surveillance et l’alerte.

Loïc Salmon

Les rapporteurs définissent les SALA comme des systèmes d’armes capables de choisir et d’engager seuls une cible, sans intervention humaine et dans un environnement changeant. Cette autonomie totale exclut les systèmes semi-autonomes ou télé-opérés comme les drones. Avant tout engagement sur un théâtre d’opérations, le chef militaire doit pouvoir reprendre la main sur une machine à tout moment pour lui donner de nouveaux ordres, annuler les précédents ou fixer de nouvelles règles. Sinon, il ne pourrait pas évaluer la menace en fonction de sa connaissance du milieu, des règles d’engagement et de la situation tactique d’ensemble. En conclusion de leur rapport sur les SALA, les députés Fabien Gouttefarde et Claude de Ganay recommandent de : poursuivre les négociations dans le cadre multilatéral de la Convention sur certaines armes classiques, afin d’assurer le respect du droit international humanitaire ; conforter les efforts engagés, aux niveaux national et européen, sur l’intelligence artificielle de défense pour éviter un déclassement technologique, industriel et stratégique.

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