Marine nationale : opérations de sûreté maritime en coopération avec Frontex

La Marine participe, avec les Douanes et la Direction centrale de la police aux frontières, aux missions de contrôle des flux migratoires en mer de l’agence européenne Frontex qui gère la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Les Etats côtiers exercent leur souveraineté sur leurs eaux territoriales jusqu’à 25 km au large. Au-delà, la haute mer est régie par le droit international qui garantit la liberté de navigation. La Marine doit lutter contre les filières d’immigration illégale tout en portant assistance aux naufragés sur de vastes zones. Ainsi, la Méditerranée s’étend sur 4.000 km du détroit de Gibraltar à la côte libanaise. Il faut 3 jours de mer pour aller des Canaries à Gibraltar, 3 à 4 jours de Gibraltar à l’île de Lampedusa, au large de la Sicile, et autant de Lampedusa aux détroits turcs. Depuis 2002, la France met en œuvre le réseau « Spationav », constitué de la chaîne sémaphorique, des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage et du Centre opérationnel de la marine. L’espace Scpπhengen va des Canaries au Bosphore, soit près de 5.000 km. Frontex, qui a son siège à Madrid, coordonne la surveillance des frontières par un réseau d’échange européen d’information et de coordination des patrouilles et le montage d’opérations conjointes avec les Marines française, italienne, espagnole et des autres pays membres de l’Union européenne sur zone. Touts les opérations de détection, d’interception, de sauvetage ou de reconduite au point de départ se font en coordination avec les Etats côtiers, conformément à des accords bilatéraux. La Marine française, qui assure aussi des patrouilles permanentes entre Toulon et la Corse, participe aux opérations Frontex depuis 2006 avec ses bâtiments et avions de surveillance pour des patrouilles de 1 à 2 mois par an. Ainsi, le 16 septembre 2013 à proximité de Gibraltar, une opération conjointe franco-espagnole avec le patrouilleur de surveillance océanique L’Adroit a permis de détecter des migrants, interceptés ensuite par des moyens navals algériens. Le 19 septembre 2012, le bâtiment hydrographique Laplace a sauvé 5 naufragés à 36 km au large de Cabo Cervera (Espagne), qui ont été remis à la Guardia Civil espagnole. En septembre 2008 au large de la Sicile, le patrouilleur français Arago a recueilli des migrants entassés dans un petit bateau (photo). La Marine exerce aussi un contrôle des flux migratoires illégaux dans les départements et territoires d’outre-mer. À Mayotte, elle procède à 450 interceptions par an, soit environ 12.000 personnes en situation irrégulière venues des Comores… distantes de 60 km !

Loïc Salmon

Marine nationale : permanence, Opex et police en mer

Piraterie maritime : l’action d’Europol




Angkor, naissance d’un mythe

Avec les travaux archéologiques du site d’Angkor par l’Ecole française d’Extrême-Orient fondée en 1898, la France a réalisé dans la jungle cambodgienne ce qu’elle avait déjà entrepris avec des institutions similaires à Rome (1829) et Athènes (1846).

A l’occasion de l’exposition « Angkor, naissance d’un mythe » au musée Guimet à Paris (16 octobre 2013-13 janvier 2014), un ouvrage retrace le parcours et l’œuvre de celui qui fit connaître ce site en France, à savoir l’officier de Marine Louis Delaporte (1842-1925) qui y a consacré sa vie. Après avoir conquis la Cochinchine (Sud de l’Empire d’Annam), les amiraux de Napoléon III placent le Royaume du Cambodge sous la protection de l’Empire français en 1863, le dispensant ainsi de l’obligation du tribut qu’il versait au Royaume du Siam, son voisin. Toutefois, ce dernier ne lui restitue les provinces de Battambang, de Siem Reap et d’Angkor qu’en 1907. Ce fut l’occasion de festivités grandioses en 1909 dans le site des temples qui stimulèrent un tourisme naissant. Les fêtes d’Angkor, suspendues pendant les guerres de 1970 à 1991, perdurent aujourd’hui pour affirmer l’identité khmère et la souveraineté nationale.

L’enseigne de vaisseau Louis Delaporte part en Indochine en 1865. L’année suivante, le gouverneur de la Cochinchine, l’amiral Pierre-Paul de la Grandière, le désigne pour l’expédition de reconnaissance du cours du Mékong, sous les ordres du capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée et du lieutenant de vaisseau Francis Garnier. Les ruines imposantes et harmonieuses d’Angkor stupéfient Louis Delaporte. Il écrit : « L’art khmer, issu du mélange de l’Inde et de la Chine, épuré, ennobli par les artistes qu’on pourrait appeler les Athéniens de l’Extrême-Orient, est resté en effet comme la plus belle expression du génie humain dans cette vaste partie de l’Asie qui s’étend de l’Indus au Pacifique ». Il met ses talents de dessinateur au service de cette « Mission du Mékong », qui connaît un grand retentissement en France avec la publication du récit du voyage par Francis Garnier dans la revue Le tour du monde (1870-1871 et 1873). Louis Delaporte retourne au Cambodge en 1873 en mission officielle pour vérifier la navigabilité du fleuve Rouge et permettre la collecte, pour les musées nationaux, de tout ce qui présente un intérêt archéologique et artistique. De retour à Paris, il est chargé de monter, au château de Compiègne, un « musée khmer », dont l’Exposition universelle de 1878 assure la notoriété. Il effectue une dernière mission au Cambodge en 1881 pour lancer plusieurs chantiers de fouilles, qu’il continuera à contrôler depuis Paris. Son « musée indochinois », installé au palais du Trocadéro (Paris), abritera, jusqu’aux années 1930, des sculptures originales, des moulages en plâtre et des reconstitutions composites d’architecture des temples khmers. Ces moulages furent longtemps considérés comme sans valeur, car ne relevant pas de l’histoire de l’art. Mais, depuis quelques années, ils sont restaurés et exposés en tant qu’œuvre d’art à part entière au musée Guimet. L’Ecole française d’Extrême-Orient se charge des travaux scientifiques sur l’art khmer. Mais, Louis Delaporte n’en fit jamais partie, « laissant aux érudits la recherche des idées mystérieuses, du sens caché des diverses parties des édifices et des représentations sacrées qui en sont l’ornement ».

Loïc Salmon

Exposition « Indochine, des territoires et des hommes, 1856-1956 » aux Invalides

INDOCHINE, des territoires et des hommes, 1856-1956

« Angkor, naissance d’un mythe » ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Musée des arts asiatiques Guimet 312 pages dont 3 dépliants et environ 280 illustrations 49 €




INDOCHINE, des territoires et des hommes, 1856-1956

Cet ouvrage, véritable « somme » de la présence française en Indochine pendant 100 ans, complète l’exposition organisée par le musée de l’Armée à Paris (16 octobre 2013-26 janvier 2014).

La première partie concerne les rapports politiques et culturels. L’Histoire, vue par les vainqueurs ou les vaincus, a pour but le dialogue à égalité de tous les acteurs de cette période. La domination politique française, souvent acquise par les armes, s’est prolongée par la domination juridique. L’administration et la justice, abandonnées par les mandarins de l’empire d’Annam en fuite, sont alors exercées par des officiers de Marine et d’Infanterie de marine. En 1873, le recrutement s’élargit aux civils à Saigon puis l’Ecole coloniale voit le jour en 1889 à Paris. En outre, dès le début de la conquête, officiers de Marine et militaires mènent des explorations scientifiques pour reconnaître les espaces inconnus et le réseau hydrographique, notamment le Mékong (Henri Mouhot, Ernest Doudart de Lagrée et Francis Garnier). Sur le plan sanitaire, l’Indochine n’a pas la sombre réputation de l’Afrique subsaharienne. Dès 1867, les médecins militaires exercent leur art et collectent des données botaniques, ethnographiques et cartographiques. Tout médecin doit remplir trois missions : humanitaire ; politique, en montrant la supériorité occidentale et d’abord française ; économique, en fortifiant et accroissant la main-d’œuvre indigène. Les consultations gratuites itinérantes et les campagnes de prévention et de vaccination sont lancées dans les années 1870. La médicalisation est un fait militaire, contrairement à l’éducation, autre pilier de l’action sociale civilisatrice. Les militaires exercent les plus hautes fonctions pendant les périodes troublées : amiraux gouverneurs du début ; colonels chefs de territoires militaires et généraux commandants supérieurs dans les capitales de la colonie de Cochinchine et des protectorats du Tonkin, d’Annam, du Cambodge et du Laos, pendant la pacification ; amiraux Decoux et Thierry d’Argenlieu et généraux de Lattre de Tassigny et Salan cumulant les responsabilités civiles et militaires à partir de 1940. Pourtant dès 1946 et quoique bien renseignés, les chefs militaires français, auréolés de leur victoire sur l’Allemagne nazie, ne comprendront pas la forte volonté d’indépendance de la population indochinoise. L’autodidacte Ho Chi Minh (1890-1969), fondateur du journal Le Paria et militant du Parti communiste français, est envoyé à Moscou en 1923 et devient l’un des cadres les plus actifs du bureau Orient de l’Internationale communiste. La suite est connue. La seconde partie de l’ouvrage constitue le catalogue de l’exposition. Les militaires sont les premiers collectionneurs de « bibelots » (boîtes incrustées de nacre, ivoires ou soieries), à l’origine des collections de nombreux musées d’Europe enrichies par legs ou dons. Mais, pour limiter le pillage d’œuvres d’art, des décrets sont promulgués en 1900, 1913 et 1924. L’exotisme inspire les écrivains, dont Henri Casseville (Sao, l’amoureuse tranquille, 1928), André Malraux (La voie royale, 1930) et Claude Farrère (Fumée d’opium, 1932). Enfin, les affiches des diverses propagandes de l’époque et les polémiques récurrentes rappellent que l’ex-Indochine ne laisse pas indifférent.

Loïc Salmon

Exposition « Indochine, des territoires et des hommes, 1856-1956 » aux Invalides

Angkor, naissance d’un mythe

INDOCHINE, des territoires et des hommes 1856-1956, ouvrage collectif de 50 auteurs. Editions Gallimard Musée de l’Armée 320 pages 39 €




Exposition « Indochine, des territoires et des hommes, 1856-1956 » aux Invalides

A l’occasion de l’Année France-Viêt Nam  (2013-2014), une exposition du musée de l’Armée met en scène un siècle d’histoires croisées de la France, du Cambodge, du Laos et du Viêt Nam avec le double processus de colonisation et de décolonisation.

Lors de sa présentation à la presse le 26 septembre 2013, le directeur du musée de l’Armée, le général de division (2S) Christian Baptiste, en a souligné la finalité : permettre de parler de l’ancien ennemi sans vision unique de l’Histoire. « Le musée de l’Armée, dit-il, n’est ni un avocat ni un procureur, il projette un regard scientifique sur les faits et leurs enchaînements pour comprendre l’Histoire ».

De la conquête à la « pacification ». Située au carrefour de l’Inde et de la Chine, la péninsule, qui tire son nom de ces deux pays, intéresse les puissances européennes dès le XVème siècle. Le pape y envoie des missionnaires et le Portugal, la Hollande et la Grande-Bretagne y établissent des relations commerciales. De son côté, la France cherche des points de ravitaillement pour les navires de la Compagnie des Indes orientales, fondée en 1664. Des officiers français vont moderniser la Marine vietnamienne et édifier des citadelles style Vauban. À l’époque, les royaumes « indianisés » du Cambodge et du Laos sont dominés par le Siam (Thaïlande) et le Viêt Nam se trouve dans l’orbite de la culture politique chinoise. Ces pays sont peuplés de diverses ethnies, qui entretiennent entre elles des relations tendues. Pendant la première guerre de l’opium (1839-1842) entre la Grande-Bretagne et l’Empire chinois, la France intensifie sa présence maritime en mer de Chine. En fait, la conquête de la péninsule indochinoise résulte de la rivalité franco-britannique dans la région, des intérêts économiques liés au marché chinois et des persécutions des chrétiens par l’empereur du Viêt Nam, Tu Duc. Entre 1856 et 1867, la Marine française conquiert la province méridionale de Cochinchine, étend son influence sur le Cambodge et contrôle le bassin inférieur du Mékong. La corvette Catinat, qui donnera son nom à la principale rue de Saigon, arrive dans la baie de Tourane. Après l’échec des négociations diplomatiques avec les mandarins, elle bombarde les forts de la ville de Tourane (aujourd’hui Da Nang). Le corps expéditionnaire français passe de 2.000 hommes en 1858 à 6.000 en 1862 et se renforce par la levée d’unités indigènes composées de catholiques des environs de Saigon. De 1873 à 1897, la  IIIème République poursuit l’action de Napoléon III et envoie un corps expéditionnaire conquérir l’Annam (Centre de la péninsule) et le Tonkin (Nord), à la suite des pressions des milieux d’affaires (le « Parti Colonial ») et au nom de la grandeur et de la « mission civilisatrice » de la France. Mais, la pénétration française se heurte à la résistance militaire du Viêt Nam, aidée par des bandes chinoises dont celle des « pavillons noirs », et à l’intervention  de la Chine elle-même. Dès 1887, « l’Union indochinoise » regroupe la colonie de Cochinchine et les protectorats du Cambodge, de l’Annam et du Tonkin. Un 4ème protectorat, le Laos, la rejoint en 1893. Dès le début, les militaires érudits étudient les populations et les civilisations et cartographient les terres et les fleuves. Les officiers de santé luttent contre les pandémies. Ces « savoirs coloniaux » permettront de contrôler et d’administrer toute l’Indochine. Cela ne se fera pas sans mal, en raison de révoltes rurales et du soulèvement des élites mandarinales après la perte de souveraineté de l’empereur du Viêt Nam. La « pacification », presqu’achevée en 1897, ne devient définitive qu’après la première guerre mondiale. Toutefois, dès la fin du  XIXème siècle, la construction d’un réseau ferré, de routes et d’infrastructures, l’extension des surfaces cultivées, l’exploitation des ressources minières et l’implantation d’industries transforment la colonie indochinoise en « perle de l’Empire ». En 1910, quelque 20.000 Français y vivent, dont 75 %  dans les villes de Saigon, Cholon et Hanoï. Après le premier conflit mondial, les élites mandarinales ruinées sont remplacées par une bourgeoisie de commerçants et propriétaires fonciers vietnamiens et chinois et une nouvelle « intelligentsia » formée en France et dans les écoles de l’Union indochinoise. Cette élite intellectuelle choisit le nationalisme radical puis le communisme naissant, qui s’appuie sur le mécontentement des paysans et le malaise des ouvriers après la crise économique de 1929.

De la guérilla à la guerre conventionnelle. Après l’invasion de la Chine en 1937, le Japon instaure une politique de collaboration avec le représentant du gouvernement de Vichy en 1940. Pourtant, le 9 mars 1945, il prend le contrôle de l’Indochine par un coup de force surprise… cinq mois avant sa capitulation. Dès 1941, le parti communiste vietnamien crée l’organisation politique et paramilitaire « Viêt Minh » pour obtenir l’indépendance de la péninsule. Deux ans plus tard, afin de rétablir l’autorité de la France dans l’Indochine occupée par les troupes japonaises, le Comité français de libération nationale, installé à Alger, crée le Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO). Commandé par le général Leclerc, il y débarque en 1945 et reprend le contrôle de la Cochinchine, du Cambodge et du Laos. La même année, le Viêt Minh a repris les points stratégiques du Tonkin sous contrôle chinois et, le 2 septembre à Hanoï, Ho Chi Minh proclame la « République démocratique du Viêt Nam ». Le 6 mars 1946, les accords « Ho Chi Minh-Sainteny » entérinent le retour des troupes françaises au Tonkin et reconnaissent « l’Etat libre » du Viêt Nam  au sein de l’Union française. Toutefois, les incidents se multiplient et une insurrection éclate à Hanoï le 19 décembre. La « guerre d’Indochine » dure jusqu’à la chute du camp retranché de Dien Bien Phu le 7 mai 1954. Suite aux accords de cessez-le-feu à Genève (juillet 1954), le CEFEO rentre en France en avril 1956.  Entre 1943 et 1954, il aura perdu environ 100.000 hommes, dont plus de 20.000 métropolitains, 11.000 légionnaires, 15.000 Africains et Maghrébins et 4 .000 Indochinois.

Loïc Salmon

INDOCHINE, des territoires et des hommes, 1856-1956

Angkor, naissance d’un mythe

L’exposition intitulée « Indochine, des territoires et des hommes, 1856-1956 » se tient du 16 octobre 2013 au 26 janvier 2014 au musée de l’Armée aux Invalides à Paris. Quelque 350 objets, armes, costumes, uniformes, peintures, photographies, affiches, films et documents proviennent d’archives de particuliers et de diverses institutions, dont l’INA, l’ECPAD, les Archives françaises du film (CNC), les Archives nationales d’outre-mer, le Service historique de la défense, la Bibliothèque nationale de France, le ministère des Affaires étrangères et le musée du quai Branly. Parallèlement, l’Indochine fait l’objet de deux autres expositions : « Angkor, la naissance d’un mythe » au musée Guimet à Paris (16 octobre 2013 – 13 janvier 2014) ; « Indochine 1920-1950 Voyages d’artistes » au musée des Années Trente à Boulogne-Billancourt (23 octobre 2013-16 février 2014). Renseignements : www.musee-armee.fr; www.guimet.fr; www.boulognebillancourt.com.




Renseignement aérospatial : complémentarité entre drones et aéronefs légers ISR

En matière de renseignements d’origine électromagnétique (« sigint » et « comint ») et par imagerie les drones complètent les aéronefs légers de renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR), selon les critères de missions définis par leurs utilisateurs.

Certains aéronefs (avions, drones, hélicoptères et dirigeables) peuvent opérer avec ou sans pilote. Leur « dronisation » a fait l’objet d’un colloque organisé le 30 septembre 2013 à Paris, par le Club Participation et Progrès, le magazine Air et Cosmos et la revue Défense nationale.

Systèmes et emplois. En 2008, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, ancien directeur de la CIA, lance le programme « Liberty » de plate-forme ISR pour les opérations en Irak et en Afghanistan en vue de dresser des cartes de renseignement sans intervention des troupes au sol, explique le lieutenant-colonel Eric Tantet de l’état-major de l’armée de l’Air. « Liberty » a récupéré un avion civil à faible coût de maintien en condition opérationnelle. Le cahier des charges varie selon la taille du vecteur et le nombre de capteurs installés. La plate-forme emporte divers types de charges utiles dont notamment: la boule optronique (imagerie) à « champ étroit » ; le radar à « champ moyen », indicateur de cibles mobiles et utilisable tous temps ; le capteur de communications à « champ large » pour localiser des émetteurs dans des zones désertiques ; la télédétection par laser ; la caméra hyper-spectrale ; le système américain « Gorgon Stare » (5 caméras électro-optiques et 4 autres infrarouges) pour couvrir le maximum de terrain ; le système de fusionnement des informations des capteurs. Le concept d’emploi de l’avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) s’articule ainsi : « champ large » pour la recherche de cibles sur la zone d’intérêt définie ; « champ moyen » pour la détection et la localisation des cibles ;  « champ étroit » pour leur identification ; production et transmission des renseignements vers les autorités politico-militaires ou les éléments terminaux de la chaîne d’action (troupes au sol, bâtiments et aéronefs de combat) ; poursuite éventuelle de la cible ou surveillance de la zone. Dans le cadre d’une crise émergente, l’ALSR peut être utilisé sous faible préavis pour renforcer les moyens de recueil déployés sur un théâtre extérieur. Sur le territoire national, il peut participer à un dispositif de sûreté du ministère de la Défense ou en appui d’autres ministères pour la lutte anti-drogue, la sécurité intérieure, la lutte contre la piraterie, l’anti-terrorisme et l’évaluation rapide de la situation après une catastrophe naturelle ou technologique. Divers ALSR sont en service dans les armées de Terre et de l’Air aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne et dans les forces aériennes du Canada, d’Israël et d’Algérie. D’autres sont déjà commandés par celles d’Irak et de Singapour.

Comparaison et perspectives. Guillaume Steuer (Air et Cosmos) a dressé un tableau comparatif entre le drone moyenne altitude longue endurance (Male) et l’ALSR. Tous deux se valent en discrétion moyenne. Le drone Male l’emporte pour l’endurance (plus de 24 h sur zone contre 6-8 h pour l’ALSR) et l’armement éventuel. L’ALSR présente des avantages en termes de flexibilité d’emploi, d’évolution dans l’espace aérien civil, d’acquisition (offres multiples) et d’autoprotection. L’armée de l’Air américaine (USAF) dispose de 160 drones armés MQ-1 B « Predator » mis en service opérationnel en 2005, 100 drones de combat MQ-9 « Reaper » (2007) et 42 ALSR MC-12 W « Liberty » (2009). Le Commandement des opérations spéciales de l’USAF déploie des MQ-1B « Predator » sur 6 orbites permanentes et des MQ-9 « Reaper » sur 4. Il emploie aussi 36 petits avions Pilatus PC-12/U-28 capables d’utiliser des pistes sommairement aménagées et en a commandé 18 exemplaires pour les forces spéciales afghanes. Outre ces trois types de vecteurs, la CIA possède des DHC6 « Twin Otter » équipés de roues, de skis ou de flotteurs. Depuis sa base de Waddington, l’armée de l’Air britannique déploie 10 MQ-9 « Reaper » et 6 petits avions « King Air 350 » équipés de multicapteurs. En France, indique Guillaume Steuer, les drones Male sont peu nombreux et peu adaptés aux besoins : optronique obsolète et absence de capacité « sigint ». En outre, les capacités ISR aéroportées sont éparpillées entre les avions de transport tactiques « Transall » et « Hercules », les avions de patrouille maritime « Atlantique 2 »  et le C-160 « Gabriel » de guerre électronique. Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit des vecteurs aéroportés complémentaires des renseignements d’origine image. Finalement, les drones Male devraient être affectés d’abord au soutien des forces et les ALSR au Commandement des opérations spéciales, à la Direction du renseignement militaire (DRM) et à la Direction générale de la sécurité extérieure.

« Dronisation » et complémentarité. Malgré le développement du drone, l’ALSR rebondit en raison de son moindre coût et du savoir-faire venu du monde civil, indique le général de corps aérien (2S) Jean-Patrick Gaviard, ancien sous-chef opérations de l’État-major des armées. Mais, il ne fonctionne qu’avec la supériorité aérienne, comme pour les interventions en Libye (2011) et au Mali (2013). En temps de crise, les « sigint » et « comint », captés aussi par les sous-marins et navires de surface, constituent les renseignements initiaux, que doivent compléter l’imagerie et l’infrarouge pour l’identification des cibles. « Même pour les théâtres africains, ça commence par là ». Le successeur de l’avion C-160 « Gabriel » devra disposer d’une capacité « sigint » plus importante pour informer la DRM et les forces sur le théâtre des bandes d’émissions à brouiller. Une réflexion est en cours sur la reconstitution d’une escadre de reconnaissance, basée dans le centre de la France et incluant les drones, les ALSR et du personnel hautement qualifié. De son côté, le général de corps aérien (2S) Michel Asencio, ingénieur consultant en technologies nouvelles, rappelle la vulnérabilité des moyens de transmissions des renseignements des drones. Ainsi informé début août 2013, le mouvement chiite Hezbollah avait pu piéger le passage de commandos israéliens en territoire libanais, faisant plusieurs blessés.

Loïc Salmon

Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

La guerre électronique : nouvel art de la guerre

Le drone français (mode piloté en option) « Patroller » peut croiser sur zone à 25.000 pieds (7.620 m) d’altitude plus de 20 heures et même jusqu’à 30 heures dans sa configuration capteur optronique jour/nuit avec deux réservoirs sous voilure. Il emporte des caméras TV (couleurs ou noir et blanc) et infrarouges, des radars météorologiques, de détection NBC (nucléaire, chimique et biologique) et à synthèse d’ouverture et un télémètre laser. Il transmet directement des images aux personnels au sol ou aux véhicules d’intervention via un terminal tactique vidéo portable. Aéronef à décollage et atterrissage automatiques, le « Patroller » est aérotransportable par avion-cargo. Son rayon d’action varie de 200 km (liaison de données à portée optique) à 2.000 km (liaison satellite).




L’anticipation géopolitique aidée par l’intelligence collective

La mesure systématique de l’intelligence collective pour anticiper des événements, même de nature géopolitique, permet de réduire l’incertitude grâce à la décentralisation des sources, la diversité des opinions et l’indépendance d’esprit.

C’est ce qu’a expliqué Emile Servan-Schreiber, directeur général de Lumenogic, lors d’une conférence-débat organisée le 8 octobre 2013 à Paris par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Les bases théoriques. Le philosophe grec Aristote (384-322 avant J.C.) définit l’intelligence collective comme le rassemblement de nombreux individus ordinaires mais capables, ensemble, d’être meilleurs que les quelques meilleurs d’entre eux. En 2010, une étude américaine met en évidence que le quotient intellectuel (QI) d’un groupe, tangible et mesurable, se détermine non par la moyenne des QI individuels ni l’âge moyen, mais par la proportion des femmes en son sein. En outre, l’égalité du temps de parole et la sensibilité sociale (capacité de se mettre à la place de l’autre) rendent le groupe plus performant. Dans son livre « La sagesse des foules », James Surowiecki démontre que l’intelligence d’un groupe repose sur le savoir cumulatif de chacun des membres, dont les « subsidiarités » s’annulent. L’intelligence du groupe se détermine par la qualité des communications entre ses membres et sa diversité cognitive, à savoir les différentes approches d’un problème. Les sociétés les plus innovantes sont celles qui impliquent le plus de monde et non le plus d’argent. L’agilité à s’associer intellectuellement à d’autres personnes améliore l’intelligence collective. Il convient d’y ajouter un autre élément : le pari ! En effet, le fait de parier mobilise, dans le cerveau, des neurones spécialisés dans l’évaluation des risques et des récompenses. De plus, l’émotion est refoulée et le raisonnement privilégié. Parier encourage la confrontation d’idées plutôt que la conformité. Les parieurs prennent en effet des risques avec leur argent ou leur réputation si le pari n’est pas monétaire. Ainsi motivés, ils recherchent la « bonne » information. Pour eux, il s’agit d’avoir raison avant les autres. L’organisation de paris sur des pronostics d’événements constitue un véritable marché « prédictif », où la question posée aux parieurs est directement liée à l’objet de la prédiction. Tous les parieurs essaient de maximiser leurs gains et modifient leurs options d’achat ou de vente s’ils y trouvent un intérêt, rendant ainsi leur pronostic équilibré. Celui qui ne connaît rien du domaine concerné ne va pas jouer en bourse. Par contre, celui qui le connaît bien va jouer de plus en plus gros et son opinion va peser plus lourd. Selon des études américaines, les prévisions du marché se vérifient dans le monde réel : actualité, politique, économie, sciences et technologies. Dans son livre « Expert Political Judgement », Philip Tetlock donne les résultats d’une enquête réalisée entre 1985 et 2005 sur 82.000 prévisions et 284 experts américains. Il dresse une typologie des « renards » et des « hérissons ».  Le « renard » apparaît comme « visionnaire », ouvert à tout et connaissant beaucoup de petites choses. L’écrivain Michel de Montaigne (1533-1592) correspond à ce type. Le « hérisson », qui ne connaît qu’une chose ou un principe très important, apparaît comme un « idéologue ». Le philosophe et mathématicien Blaise Pascal (1623-1662) et le président George W. Bush s’approchent de ce type. Philip Tetlock conclut que les experts ne sont pas meilleurs que les amateurs avertis et que les « renards » sont bien meilleurs que les « hérissons ». Pourtant, les média préfèrent les gens bardés de certitudes : c’est plus divertissant et plus convaincant ! Les décideurs font naturellement confiance aux experts…  qui savent très bien se justifier.

Les applications opérationnelles. Dans le domaine géopolitique, personne ne peut prétendre avoir toutes les connaissances nécessaires, rappelle Emile Servan-Schreiber. La mise à jour en temps réel des données se fait au fil de l’information auprès de ceux qui sont sur le terrain. Par exemple, les prix des produits laitiers ont été multipliés par 3 en quelques mois, car les pays émergents ont perturbé ce marché. Les principales données doivent être calibrées, numérisées et « discriminantes ». Quand elles deviennent  floues, elles sont mieux analysées par plusieurs cerveaux travaillant ensemble que par un ordinateur. Les marchés « prédictifs » se sont avérés plus déterminants et surtout plus rapides (quelques minutes) que les sondages (deux jours). Les premiers donnent une prévision du résultat final, en continu, auprès de participants auto-recrutés par la connaissance du sujet et interactifs. Les sondages indiquent une préférence à un jour donné et une photographie ponctuelle d’un échantillon représentatif, mais aucunement impliqué. Ainsi, une étude des marchés des élections présidentielles américaines de 1884 à 1940 révèle qu’ils ne se sont trompés qu’une seule fois en 1916 (réélection de Woodrow Wilson). Ces paris, interdits depuis aux Etats-Unis, sont autorisés en Grande-Bretagne où la presse a plutôt tendance à regarder les marchés « prédictifs » que les sondages de moins en moins représentatifs. De son côté, la CIA a lancé une étude sur 4 ans (2011-2015) pour améliorer considérablement l’exactitude, la précision et la rapidité des agences de renseignement américaines. Il s’agit de : développer des techniques de pointe qui suscitent, pondèrent et combinent les jugements de nombreux analystes ; mesurer systématiquement la justesse des prévisions à l’aune d’événements géopolitiques réels. Ce projet intitulé « Good Judgement » (bonne évaluation en vue d’une décision) est confié aux universités de Pennsylvanie et de Berkeley et à… Lumenogic ! Cinq équipes université/industrie sont mises en concurrence pour développer les meilleures méthodes. Des dizaines de politologues, psychologues, statisticiens et praticiens analysent les réponses de plusieurs milliers de participants (payés 200 $/an) aux 100 à 200 questions annuelles de la CIA. En 2013, un premier résultat montre que les meilleurs parieurs sont capables de faire mieux que les professionnels à plein temps de la CIA qui disposent d’informations « sensibles » !

Loïc Salmon

Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Diplômé de mathématiques appliquées et de psychologie, Émile Servan-Schreiber est le fils de Jean-Jacques Servan-Schreiber, fondateur de l’hebdomadaire « « L’Express », et le petit-fils d’Émile Servan-Schreiber, co-directeur du quotidien économique « Les Echos ». Arrivé à 18 ans aux Etats-Unis, il a obtenu la nationalité américaine en 1993. Il y a créé plusieurs entreprises, dont Lumenogic. Son métier, a-t-il expliqué en avril 2012 à « France-Amérique, le journal français des Etats-Unis », consiste à mettre en place, dans les entreprises, des systèmes sur Internet qui permettent à l’intelligence collective de s’exprimer pour aider à prendre les meilleures décisions. Ainsi, Lumenogic combine l’expertise en technologies de l’intelligence collective, l’analyse sociale et la gestion des processus.




Défense et sécurité : complémentarité et responsabilités internationales

Lors de l’ouverture des sessions nationales de l’Institut des hautes études de défense nationale et de l’Institut nationale des hautes études de la sécurité et de la justice le 4 octobre 2013 à Paris, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a fait le point sur ces deux domaines d’action. Une Direction générale de la sécurité intérieure et un Service central du renseignement territorial seront prochainement créés, pour lutter contre la menace terroriste intérieure dans un contexte international tendu. En outre, la nouvelle Délégation interministérielle à l’intelligence économique est placée sous la juridiction directe du Premier ministre. La protection contre la cybermenace est désormais l’une des priorités de la stratégie française de défense et de sécurité nationale. La cyberdéfense militaire sera dotée d’une chaîne opérationnelle dédiée avec des capacités défensives et offensives accrues. Le projet de loi de programmation militaire (2014-2019), présenté au Parlement, définit trois priorités : protection du territoire et de la population ; maintien de la capacité de dissuasion nucléaire ; capacité d’intervention extérieure. La spécificité du métier des armes implique de prévenir une « judiciarisation » excessive de l’action militaire, a indiqué le Premier ministre : « C’est pourquoi nous voulons mieux protéger les militaires agissant dans le cadre spécifique des opérations de combat, sans bien sûr signifier l’impunité des acteurs ni porter atteinte aux droits légitimes des familles ». De son côté, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a présenté les grandes lignes de l’exercice budgétaire 2014 au cours d’une conférence de presse tenue le 3 octobre à Paris. Le budget du ministère se monte à 31,4 Md€, comme en 2013. Le chapitre « équipement des forces » atteint 16,5 Md€ (+3,1 % en un an) ainsi répartis : opérations d’armement hors dissuasion, 42 % ; dissuasion, 21 % ; entretien programmé du matériel, 19 % ; petits équipements, 9 % ; infrastructures, 6 % ; études hors dissuasion, 3 %. En 2014, seront livrés ou commandés : des avions ravitailleurs multi-rôles ; des drones moyenne altitude longue endurance ; des pods de désignation laser nouvelle génération pour les Rafale ;  des véhicules du programme Scorpion (armée de Terre) ; le 4ème sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda ; le satellite franco-italien de télécommunications spatial SICRAL ; 1 frégate multi-missions ; 4 hélicoptères de combat Tigre ; 7 hélicoptères NH90 ; 11 avions de chasse Rafale ; 4 avions de transport A-400 M, dorénavant dénommés « Atlas » ; 60 missiles de croisière navals ; 77 véhicules blindés d’infanterie. Premier employeur de France, le ministère de la Défense va procéder à 17.000 recrutements militaires et civils. Toutefois, 7.881 postes seront supprimés, le 4ème Régiment de dragons sera dissous et 2 sites de l’armée de l’Air seront fermés.

Loïc Salmon

IHEDN : vision présidentielle de la défense et de ses moyens

DCRI : anticiper les menaces futures

Cyberdéfense : perspectives européennes




Renseignement et intelligence économique : complémentarité et divergences culturelles

L’intelligence économique monte en puissance et le renseignement devient un outil incontournable des entreprises pour se maintenir sur le marché mondial. En effet, les techniques du second complètent la première, dont la perception varie selon les pays.

C’est ce qu’a expliqué Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, au cours d’une conférence-débat organisée, le 17 septembre 2013 à Paris, par la Mairie de Paris et l’Association IHEDN région Paris-Ile-de-France.

Risques et menaces. Le renseignement d’affaires sert à gérer les risques, d’abord ceux d’ordre géopolitique ou international. Ainsi, terrorisme et guerre civile rendent nécessaire l’obtention d’informations en amont, avant d’entreprendre des travaux dans un pays du tiers monde. Le grand banditisme infiltre le monde de l’entreprise par le réseau des actionnaires. Il faut aussi surveiller la concurrence et exercer une influence sur les décisions des institutions économiques aux niveaux national et international. S’y ajoutent les risques sociétaux sur les rapports entre individus et groupes humains, notamment le développement de sectes, souvent originaires d’outre-Atlantique, au sein des entreprises. Par ailleurs, profitant du fait que 45% des musulmans d’Europe vivent en France, les adeptes de l’Islam radical infiltrent les syndicats et, par exemple, refusent de serrer la main de leurs collègues féminins ou manifestent un comportement sectaire, comparable à la « scientologie ». L’évolution préoccupante du militantisme écologique, au nom de la sécurité du consommateur ou de la défense des animaux ou de la planète, peut représenter une menace pour certaines entreprises. Selon Éric Denécé, le processus commence par un petit groupe autour d’un théoricien du sujet. Puis une association se met en place et se lance dans le prosélytisme à la sortie des supermarchés. Cela peut déboucher, par exemple, sur l’interdiction de la consommation du foie gras en Californie. L’activisme violent se manifeste par des intrusions dans les laboratoires et même par des attentats à la bombe au nom de « la cause ». Par ailleurs, le temps libre  a doublé en une vingtaine d’années, en raison de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, de l’accroissement du chômage et de l’allongement de la durée de la vie. Par désœuvrement, certains se laissent entraîner dans des organisations « éco-terroristes », qui peuvent aller jusqu’à s’allier à des mouvements politiques d’extrême-droite, par exemple, opposés à l’abattage rituel des moutons. Ces implications pour toute une société relèvent du renseignement. Il s’agit de savoir quels sont ces mouvements et comment ils pourraient s’en prendre aux entreprises. En outre, la cyberguerre, omniprésente, se matérialise surtout par le cybersabotage, mais pas encore par le cyberterrorisme . « Le monde des affaires n’est pas éthique, indique Éric Denécé, mais il facilite la créativité intellectuelle pour trouver des solutions ». L’espionnage économique, par intrusion dans les locaux d’une entreprise et photocopies de documents confidentiels, est plus rapide et moins cher que l’intelligence économique, mais guère créatif. En outre, il est puni par le code pénal de tous les pays. En revanche, la consultation sur internet de l’annuaire téléphonique, du « trombinoscope » et de l’organigramme d’une entreprise, complétée par une enquête par téléphone, n’a rien d’illégale. Cette méthode permet de comprendre beaucoup de choses sur elle.

Approche française. Les Grandes Ecoles françaises forment des individus, dont la carrière s’annonce brillante dès l’âge de 25 ans. Toute information remettant cette certitude en cause est mal vue, souligne Éric Denécé.  « Par nature, l’élite française sait ! ».  Or, ces élites politique, militaire et économique se caractérisent par la faiblesse de leur culture du renseignement, qu’elles confondent avec l’espionnage. « On pense que tout ce qui ne provient pas de source ouverte est de l’espionnage ».  Pourtant, depuis 1995, l’Etat déploie beaucoup d’efforts pour faire évoluer cette forme de handicap culturel, à savoir le refus du renseignement, synonyme de « coups tordus » et de manipulations. Par ailleurs, conséquence de l’héritage du « siècle des lumières », l’économie, considérée comme un champ d’action pacifique et non pas d’affrontement pour détruire les ressources d’autrui, doit reposer sur des normes. L’Etat a alors développé une logique de l’offre par la création de cycles d’études supérieures spécialisées. Il existe aujourd’hui 45 « Master II » qui forment chaque année 900 étudiants… qui trouvent difficilement un emploi ! En outre, les cabinets d’intelligence économique foisonnent en France, mais moins de 20 cumulent les expériences du renseignement et de l’entreprise. Si l’Etat agit en stratège, les entreprises, surtout petites et moyennes, constituent les gros bataillons. Or, 90 % d’entre elles pensent que l’espionnage économique constitue une « arme magique » pour conquérir les marchés, sans avoir besoin d’investir.

Culture anglo-saxonne. Commerçants par nécessité, les Britanniques se sont intéressés très tôt aux cartes et savoir-faire maritimes, terreau de leur culture du renseignement. Pendant la seconde guerre mondiale, les autorités militaires américano-britanniques ont employé des économistes pour planifier les bombardements sur l’Allemagne. Ces méthodes du renseignement technique s’appliqueront au « marketing » dans les années 1960. Par ailleurs, les « fils à papa » américains diplômés d’université, envoyés faire la guerre dans les services de renseignement, entretiendront par la suite les liens entre ce monde et celui des affaires. Puis, la mentalité historique de la conquête de l’Ouest sera transposée sur celle des marchés à dominer. La Grande-Bretagne a institué des diplômes d’intelligence économique… après 30 ans d’expérience en la matière ! Ses cabinets spécialisés emploient 200 à 300  personnes, contre 2 ou 3 par leurs concurrents français. En général, dans les pays anglo-saxons, les associations professionnelles prennent l’initiative, pas l’Etat. De  plus, les personnels politiques vont travailler dans les entreprises privées et vice-versa. « En 2013, indique Éric Denécé, il faut encore tout expliquer » aux Français, tandis que les Britanniques leur disent : « You think, we do » (vous pensez, nous faisons) !

Loïc Salmon

Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales

Le Centre français de recherche sur le renseignement regroupe une quinzaine de chercheurs, qui analysent le renseignement à travers l’Histoire et son fonctionnement aujourd’hui. Il identifie et suit les nouvelles menaces : terrorisme, conflits, espionnage économique, criminalité internationale, cybermenaces et extrémisme politique et religieux. L’intelligence économique consiste à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l’information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité d’un Etat, d’une entreprise ou d’un établissement de recherche. En France, la Délégation interministérielle à l’intelligence économique a été créée par décret en 2009.




La Légion d’honneur

En 2013, environ 93.000 personnes sont décorées de la Légion d’honneur. Chaque année, celle-ci est attribuée à 2.100 civils à parité hommes/femmes, à 1.100 militaires d’active, de réserve et anciens combattants et à 400 étrangers.

Toutefois, ces derniers ne font pas partie de cet ordre de chevalerie, institué en 1802 par Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, pour récompenser les « services éminents » rendus à la Nation et selon les principes égalitaires de la Révolution. Le fameux « ruban rouge » moiré, pérenne depuis plus de deux siècles mouvementés de l’Histoire de France, remonte à Louis XIV qui avait créé l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis en 1693, supprimé par la Convention en 1792. L’Ordre de la Légion d’honneur est, depuis sa création, dirigé par un Grand Maître, en l’occurrence le chef de l’État intronisé le jour de son investiture. Son nom vient de la Rome antique, modèle des révolutionnaires de 1789 : les soldats romains étaient nommés « honorati » et la « légion » en regroupait l’élite. Son siège est installé depuis 1803 à l’hôtel de Salm (Paris), qui abrite aussi le musée de la Légion d’Honneur où sont exposées des décorations de plus de 120 pays : 4.600 œuvres, dont 4.000 insignes d’ordres et récompenses français et étrangers depuis le Moyen-Âge. En raison de son prestige, de nombreux gouvernements étrangers s’en sont en effet inspirés pour créer leurs ordres nationaux. Les femmes ont accédé progressivement aux trois grades et deux dignités, finalisés en 1816 : chevalier dès 1851 ; officier, 1895 ; commandeur, 1931 ; grand officier, 1953 ; grand-croix, 1998. Soucieux de l’instruction des filles de « légionnaires », Napoléon crée en 1805 les « maisons d’éducation de la Légion d’Honneur » aux Loges (collège) et à Saint-Denis (lycée), qui dispensent encore aujourd’hui une éducation morale et citoyenne ainsi qu’une formation intellectuelle de qualité : 100 % de réussite au brevet et au baccalauréat. Ces maisons sont ouvertes aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des membres de la Légion d’Honneur, des titulaires de la Médaille militaire (créée pour les militaires non officiers par Napoléon III en 1852) et des membres de l’Ordre national du Mérite (fondé par le général de Gaulle en 1963), mais les places sont chères : 300 places par an pour 1.000 candidates !

Les décorés de la Légion d’honneur, sans distinction de naissance, d’origine sociale, de profession et de diplôme, se retrouvent sur l’essentiel : le dépassement de soi, l’excellence au bénéfice du bien commun et le rayonnement de la France. Ils sont ensuite incités à faire partie de la Société des membres de la Légion d’honneur (SMLH), fondée en 1921, reconnue d’utilité publique et qui compte aujourd’hui 60.000 membres. Sous la devise « Honneur Patrie Solidarité », la SMLH poursuit trois objectifs : concourir partout au prestige de l’Ordre de la Légion d’honneur ; promouvoir ses valeurs et développer l’esprit civique et patriotique auprès de la jeunesse ; participer à des activités de solidarité nationale.

Pour éviter les abus, certaines personnes ne peuvent être proposées pendant l’exercice de leurs fonctions : ministres, parlementaires, membres des cabinets ministériels et fonctionnaires internationaux. Toutefois, les anciens Premiers ministres de la Cinquième République ayant exercé leurs fonctions pendant deux ans au moins sont élevés à la dignité de grand officier. Par ailleurs, tout acte déshonorant commis par un « légionnaire » peut entraîner une sanction : blâme, suspension et même exclusion de l’Ordre. Enfin, le port sans droit de la Légion d’Honneur est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende !

Loïc Salmon

La Légion d’honneur, ouvrage collectif, 3ème édition en 2013. Éditions Nane 48 pages 10 €

 




Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Le caractère interarmées des besoins exprimés et des réponses à fournir rend le renseignement militaire de plus en plus complexe. Outre l’évolution permanente de ses processus de mutualisation, il doit garantir une rapidité accrue de la boucle observation, analyse, décision et action.

Telle est l’impression qu’en retire le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian (photo), à l’issue de sa visite à la Direction du renseignement militaire à Creil (banlieue parisienne) le 13 septembre 2013, visite à laquelle la presse a été conviée.

La Direction du renseignement militaire (DRM), qui dépend directement du chef d’Etat-major des armées (CEMA), collecte tout ce qui concerne les forces et systèmes de combat d’adversaires potentiels au profit des autorités politiques et militaires. Elle échange des renseignements avec les services étrangers, surtout américains. Ses effectifs se montent à environ 1.700 personnes civiles et militaires (moyenne d’âge 38 ans), dont 24 % de femmes. Les militaires se répartissent entre les armées de Terre et de l’Air, la Marine et la Direction générale de l’armement. Près de 300 personnes sont réparties dans les 9 détachements avancés de transmission pour les interceptions de télécommunications : métropole (Giens), outre-mer (Guadeloupe, Mayotte, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française), Sénégal, Gabon, Djibouti et Emirats arabes unis. Au sein du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) du ministère de la Défense à Paris, la DRM dispose d’un bureau de renseignement interarmées dénommé J2 (appellation OTAN), résultant de la fusion des anciens 2èmes Bureaux Terre, Air et Marine et du Centre d’exploitation du renseignement militaire. La base aérienne 110 de Creil abrite les organismes techniques de la DRM : Centre de formation et d’emploi relatif aux émissions électromagnétiques ; Centre de formation et d’interprétation interarmées de l’imagerie (CF3I) ; Centre interarmées de recherche et de recueil de renseignement humain ; unité interarmées Helios (satellites de reconnaissance). Le ministre s’est fait expliquer le fonctionnement du CF3I à partir de consoles de visualisation d’images satellitaires précises, enrichies de cartes et de renseignements d’origines électromagnétiques et humaines et collectés par des moyens français et alliés. Ainsi, celles de la veille stratégique sur l’Iran montrent le centre spatial de Semnan, pour la prolifération d’armement, et la centrale nucléaire de Bushehr pour la prolifération nucléaire. Celles du suivi de crise en Syrie présentent les situations sécuritaires en plein cœur des villes de Damas et d’Alep. Celle de l’appui aux opérations au Mali étudie le terrain de l’aérodrome de Gao. Une autre expose la mission de reconnaissance en Guyane française  pour la lutte contre l’orpaillage illégal. Le réseau du CF3I de Creil inclut de façon permanente : le J2 du CPCO (Paris) ; les états-majors interarmées de Guyane, Djibouti, N’Djamena (Tchad) et Naqura pour le détachement français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban ; le Centre d’exploitation du renseignement terrestre de Lille ; le Centre de renseignement air de Lyon-Mont Verdun ; le porte-avions Charles-De-Gaulle. Les images, captées par les senseurs des nacelles de reconnaissance montées sur les Rafale, sont transmises en vol en temps ou en différé à des stations d’aide à l’interprétation des images connectées au CF3I. Ce dernier reçoit et diffuse les renseignements sur les théâtres d’opérations en cours.

Le renseignement de terrain. Système de renseignement complet, la DRM oriente les recherches, selon les besoins, vers le commandement d’un théâtre qui les répercute vers les équipes de recueil au sein des unités engagées. Les renseignements sont ensuite transmis et fusionnés avec ceux d’origine spatiale ou provenant de drones, notamment américains, en vue de leur analyse puis d’une synthèse finale réalisée sur place et qui sera diffusée vers la DRM. Spécialisé dans la recherche de renseignement d’origine humaine, le 13ème Régiment de dragons parachutistes (RDP) remplit des contrats opérationnels auprès de la DRM et du Commandement des opérations spéciales (COS), dépendant lui aussi directement du CEMA. Intégré à la Brigade des forces spéciales Terre comme le COS, le 13ème RDP projette en permanence 150 à 200 personnels sur 9 théâtres d’opérations pour la DRM et 7 théâtres pour le COS. Son nouveau chef de corps est un colonel (chuteur opérationnel) d’à peine 40 ans ! Certains sous-officiers y effectuent toute leur carrière. En effet, ce régiment pratique une logique de recherche et de développement interne pour améliorer les performances des capteurs, les intégrer à l’environnement et en concevoir de nouveaux. Ainsi, entre autres « gadgets », a été présentée une pierre en résine contenant une balise de géolocalisation…  si bien imitée (poids compris) que l’informateur qui l’a déposée chez l’adversaire ne s’est rendu compte de rien ! Une équipe d’infiltration dispose d’un véhicule tout terrain (autonomie de 1.000 km pendant plusieurs jours), équipé d’une mitrailleuse, de capteurs optiques et électroniques et de moyens de transmissions autonomes. Le traitement, sur un ordinateur portable, d’interceptions de communications concentrées sur un destinataire permet de l’identifier comme chef.

Amplifier l’effort. Dans la prochaine programmation militaire, a indiqué le ministre, « le renseignement d’intérêt militaire bénéficiera ainsi de la livraison des satellites CSO du programme Musis, de la réalisation du système satellitaire d’écoute Ceres, mais également du renforcement des moyens techniques mutualisés avec la DGSE (Direction générale du renseignement extérieur) ainsi que du renforcement des ressources humaines de l’ensemble des services ». En outre, la livraison des drones Male (moyenne altitude longue endurance) et tactiques se concrétisera. Enfin, seront également financés les nouveaux capteurs légers ISR (renseignement surveillance reconnaissance) et les programmes de capteurs électromagnétiques et optiques qui seront embarqués sur les frégates et les avions Rafale et A-400M.

Loïc Salmon

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

Le renseignement, clé pour la connaissance et l’anticipation

Un chuteur opérationnel du 13ème Régiment de dragons parachutistes (RDP) saute d’une altitude variant de 4.000 m à 10.000 m avec un inhalateur d’oxygène et emporte une charge lourde de 50 kg. En raison des missions du  13ème RDP, ses personnels effectuent des stages au Centre de formation interarmées au renseignement (CFIAR), situé à Strasbourg et dépendant de la Direction du renseignement militaire. Dans ce centre, sont notamment enseignées environ 40 langues étrangères, dont certaines rares : russe, polonais et tchèque avant la chute de l’URSS (1991), arabe depuis les années 1980, serbo-croate depuis 1990, pachtoune depuis l’engagement en Afghanistan (2001) et langues de la Corne de l’Afrique, utiles dans le cadre de la lutte contre la piraterie en océan Indien.