Union européenne : une diplomatie en progression lente

L’autonomie stratégique de l’Union européenne (UE), prise en compte par ses 27 Etats membres juste après le vote du « Brexit » (2016), n’affecte en rien le lien avec les Etats-Unis. Elle se concrétise par un « partage du fardeau » notamment en Indopacifique et au Sahel.

La diplomatie de l’UE et son action extérieure ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 18 octobre 2021 à Paris, par les associations EuroDéfense-France et EUROPE IHEDN, l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et la Revue Défense nationale. Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Benoît Durieux, directeur de l’IHEDN ; l’ambassadeur François Laumonier ; l’administrateur général Pierre Mayaudon, ancien ambassadeur de l’UE ; le vice-amiral d’escadre Hervé Bléjean, directeur général de l’état-major de l’UE ; l’ingénieur général de l’armement Jean Fournet, ancien secrétaire général adjoint de l’OTAN.

De l’euroscepticisme au réalisme. En dix ans, l’opinion publique en France a évolué, explique le général Durieux. Elle a pris conscience de la dégradation rapide de l’environnement international, du monde numérique et de l’utilisation de la force dans ce qui est extraterritorial. Des actes terroristes et des trafics en tous genres se produisent sur le territoire de l’UE. La démocratie est contestée et vilipendée. Mais l’UE intervient à l’extérieur en coordination avec l’ONU. Elle dispose de capacités pour agir sur tout le spectre de la menace, à condition d’être claire sur ce qu’elle veut en termes d’indépendances militaire, industrielle et technologique. Elle a un rôle à jouer, quoique le multilatéralisme soit mis à rude épreuve. Cela implique une plus grande convergence dans la formation des élites militaires pour la gestion commune de crise et la résilience. L’UE a institué le Fonds européen de défense, a réalisé des progrès en cybersécurité et a développé des partenariats en diplomatie.

Avancer de façon pragmatique. L’Europe n’est plus le centre du monde et son poids s’est affaibli par rapport aux géants (Etats-Unis et Chine) et aux pays émergents (Moyen-Orient et Asie-Pacifique), rappelle l’ambassadeur Laumonier. L’UE s’est bâtie sur un projet économique, sans idée de souveraineté. Son Haut-représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité doit exercer une diplomatie de compréhension et d’écoute dans le cadre de la PESC (politique étrangère et de sécurité commune, traité de Maastricht 1992). Le Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement des Etats-membres) travaille et prend les décisions sur le commerce, la finance, la technologie, les normes juridiques et la sécurité. L’UE, dont la voix porte de plus en plus, représente une communauté de valeurs, à savoir respect, dignité, dialogue et absence de régimes autoritaires. Elle est devenue le premier donateur d’aide au développement et remporte des succès technologiques comme le système mondial de positionnement Galileo. Avec la volonté de vivre en paix, elle influence sans contraindre ni chercher à déstabiliser d’autres pays. Les échanges entre universités européennes créent des liens entre chercheurs et scientifiques qui, à leur retour, influencent leur propre pays. Une vision stratégique globale émerge sur une politique de voisinage (Russie) et un partenariat oriental (Asie-Pacifique). Toutefois, il existe des divergences sur les priorités stratégiques entre les pays du Nord de l’UE et ceux du Sud et entre ceux de l’Est et ceux de l’Ouest.

A l’épreuve du terrain. Par le traité de Lisbonne (2009), le délégué diplomatique de l’UE a été élevé au rang d’ambassadeur, rappelle Pierre Mayaudon qui l’a été en Afghanistan de 2017 à 2020. L’UE est alors perçue comme acteur de premier plan, en ce qui concerne la peine de mort ou les droits de l’homme. Son action en matière d’actions humanitaires et de recherche se monte à 90 Mds€ sur 7 ans, soit dix fois celle de la France dans un pays donné. Cela crée une influence qu’illustre sa participation à une cinquantaine de missions d’observateurs des processus électoraux. Par ailleurs, l’accès d’un pays tiers au marché européen sans droit de douane constitue un élément fort de l’action bilatérale de l’UE. Toutefois, la création d’un lien entre aide au développement et influence politique se heurte à la fierté de la souveraineté du pays bénéficiaire, qui risque de s’adresser…à la Chine ! Il s’agit de trouver un équilibre entre devoir d’assistance et réalisme commercial.

Opérations, la paix comme objectif. Bras armé du Conseil européen, l’état-major de l’UE constitue son seul organisme militaire, indique l’amiral Bléjean. Ses 200 membres travaillent au profit du Service (diplomatique) européen pour l’action extérieure et font bénéficier la Commission européenne de leurs expertises. L’état-major inclut une direction des capacités et de la planification, à laquelle la Grande-Bretagne s’opposait systématiquement jusqu’au « Brexit ». Depuis 2017, il connaît un nouvel élan avec la génération de forces militaires de l’UE pour répondre à une situation de crise, à la demande d’Etats qui ne veulent pas d’une relation avec un seul pays. Des missions de formation et de protection ont ainsi été envoyées dans quatre pays : Centrafrique, avec la participation de 8 Etats membres atteinte à 80 % ; Somalie, 5 Etats membres, 70 % ; Mozambique, 12 Etats membres, 70 % ; Mali, 25 Etats membres, 95 %. Au Mali, l’environnement politique et sécuritaire est rendu compliqué par deux coups d’Etat militaires en 2020 et 2021 (la force d’intervention européenne « Takuba » monte en puissance). La force de l’UE, limitée à 60 personnes pourrait être renforcée par 90 militaires en cas d’opération. Les investissements militaires de l’UE sont financés par le Fonds européen de défense pour 7 Mds€ en 2021…con2re 0 € en 2018 ! Un document intitulé « Boussole stratégique », en cours d’élaboration par les services de renseignement des 27 Etats membres, sera publié en mars 2022. Il porte sur l’évaluation des menaces étatiques, hybrides et environnementales.

Utiliser la « para-diplomatie ». Vers la fin de la guerre froide (1947-1991), les scientifiques de l’URSS et des pays de l’OTAN s’entretenaient, de façon informelle, des questions d’environnement et d’influence, indique l’ingénieur général Fournet. Aujourd’hui, militaires en opérations, ingénieurs de l’armement, scientifiques et journalistes parlent de sujets d’intérêt commun avec leurs homologues étrangers. Leur expérience de terrain pourrait être utilisée comme celle des expatriés et des retraités résidant à l’étranger. Cette multiplicité des acteurs pourrait travailler en concertation et coordination. Elle constitue un réseau de confiance, à réaliser dans la durée, et qui devrait s’accompagner d’un suivi des carrières des expatriés pour valoriser leurs compétences à leur retour. Jean Fournet donne quelques conseils à ces « para-diplomates » : apprendre l’histoire des peuples des pays de résidence ; se méfier des « faux amis » linguistiques ; éviter l’humour, qui ne se partage pas ; ne pas chercher à convaincre, mais plutôt écouter et proposer ensuite. Selon lui, l’UE ne sait pas communiquer sur ses succès ni mettre en valeur ses aides, pour les transformer en avantages politiques.

Loïc Salmon

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