Terrorisme : instrumentalisation de la pandémie du Covid-19

Les organisations terroristes Etat islamiste (EI) et Al Qaïda voient en la pandémie du Covid-19 une punition divine et non une crise sanitaire, qui ne remet pas en cause l’objectif de la fondation d’une société islamique.

Pierre Boussel, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, l’explique dans une note publiée le 29 juin 2020 à Paris.

Propagande et recrutement. Dans le cadre d’une propagande anti-occidentale, le Covid-19 est utilisé sur les réseaux sociaux pour séduire les populations musulmanes et susciter des vocations de djihadistes, indique Pierre Boussel. Ainsi, il touche surtout les pays riches sur les plans sanitaire et économique. Leurs banques leur portent secours par des prêts à intérêt, interdits par l’islam. Le virus, châtiment divin, infecte les personnalités influentes : des présidents (Botswana, Soudan du Sud) ; un vice-président (Iran) ; des Premiers ministres (Grande-Bretagne, Côte d’Ivoire) ; des ministres (Espagne) ; une vice-présidente d’Assemblée nationale (Burkina Faso) ; des députés (Italie) ; des sportifs, acteurs, musiciens et écrivains célèbres. La fréquentation des réseaux sociaux, accrue par le confinement, facilite le recrutement. Selon une étude (avril 2020) du Centre international d’étude de l’extrémisme violent, sur 236 nouveaux membres de l’EI, 49 % des hommes et 52,6 % des femmes ont été recrutés par voie « numérique ». Depuis sa fondation en 622, l’islam s’est renforcé malgré les crises, épidémies et autres aléas. Aujourd’hui, l’islam « radical » s’estime être le peuple « voulu » et « missionné par Dieu ». Comme lors de la grande peste de 1346, des djihadistes pourraient envoyer des personnes infectées par le Covid-19 au sein de populations vulnérables, notamment africaines. La cellule du renseignement financier du Luxembourg alerte sur les menaces liées au Covid-19, à savoir blanchiment d’argent et financement du terrorisme. Enfin, la récession économique creuse les inégalités sociales, causes de vocations djihadistes.

La complexité du Proche-Orient. En Irak, le confinement consécutif au Covid-19 affaiblit l’économie. La paupérisation, accrue et conjuguée à l’antagonisme sunnite/chiite, pourrait favoriser le recrutement de djihadistes, indique Pierre Boussel. Sur les 70.000 soldats américains présents au Moyen-Orient, 5.000 seulement se trouvent en Irak. Par ailleurs, la 5ème Division irakienne déployé à Diyala, bastion de l’EI, manque de matériels. Quelque 300 véhicules sont hors service et les caméras thermiques de surveillance, détruites par l’EI, ne sont pas remplacées. Selon un ancien directeur des forces spéciales américaines, la pandémie du Covid-19 donne l’occasion de revoir les priorités et d’examiner la valeur et les coûts des efforts entrepris. Le Pentagone a réduit la mobilité des forces déployées en Irak, mais y maintient leur capacité de réaction par le pré-positionnement d’urgence au Koweït de 3.000 soldats de la 82ème Division aéroportée. En Syrie, les forces américaines sont stationnées à l’Ouest de Deir er-Zor et de Bakamal, après l’offensive victorieuse contre l’EI en 2017-2019, avec parfois des incidents de tirs en présence d’éléments russes. En outre, les programmes américains de soutien et de formation à la lutte anti-terroriste se poursuivent en Jordanie, en Somalie et au Kenya. Par suite de la pandémie, la France a rapatrié la centaine de personnels chargés de la formation de l’armée irakienne, dans le cadre de l’opération « Chammal ». Mais des officiers français restent présents au sein de l’état-major de la force d’intervention combinée situé au Qatar, dans le cadre de l’opération internationale « Inherent Resolve » de reconquête des territoires syrien et irakien sur l’EI. Parallèlement au déclenchement de l’épidémie du Covid-19 en Irak au premier trimestre 2020, l’EI reconstitue ses forces, estimées à environ 500 à 3.000 hommes par les services de renseignement occidentaux. Il profite de l’affectation d’une grande partie de l’armée régulière irakienne à la surveillance du confinement pour conduire des attentats à Bagdad et des attaques contre des postes paramilitaires chiites.

L’Afrique en sursis. L’impact du Covid-19 sur le radicalisme islamiste dans la bande sahélo-saharienne (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) reste difficile à évaluer, estime Pierre Boussel. Une rivalité oppose le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans à l’Etat islamique au Grand Sahara. La répartition des subsides issus de la « zakat » (aumône légale de l’islam), les litiges pastoraux ou les défections de combattants entre les différents groupes l’emportent sur les considérations de santé publique. Le confinement n’arrête pas le terrorisme. Ainsi, en mars 2020 au Tchad, l’organisation Boko Haram a lancé un assaut avec plusieurs centaines d’hommes sur l’île de Bohoma, faisant 92 morts et 47 blessés. Le gouvernement tchadien a riposté par l’opération « Colère de Bohoma », qui a tué un millier de djihadistes. La crise économique, consécutive au Covid-19, parmi les Etats riverains du Lac Tchad pourrait inciter de jeunes déshérités à s’improviser djihadistes pour nourrir leur famille. Au Mozambique, le recul de la présence de l’Etat incite l’EI à lancer d’incessantes opérations « coups de poing » dans la province de Cabo Delgado. Au Sahel, des dizaines de milliers d’hectares, abandonnés par la puissance régalienne, se trouvent ainsi livrés à la prédation des organisations djihadistes.

La Chine, ennemi « verbal ». Selon Pierre Boussel, l’EI et Al Qaïda reprochent à la Chine son point de départ de la propagation du Covid-19, son athéisme, sa pratique de prêts financiers à intérêts et son oppression des Ouïghours musulmans de la province du Xinjiang. Celle-ci avait conquis son indépendance en 1933 sous le nom de « République islamique turque du Turkestan oriental » jusqu’à son absorption, en 1934, par la Chine devenue République populaire en 1949. Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les forces américaines engagées en Afghanistan contre Al Qaïda découvrent des combattants ouïghours, dont 22 sont envoyés à la prison de Guantanamo. Malgré un soutien financier, limité, au « Mouvement islamique du Turkestan oriental », Al Qaïda ne parvient pas à ouvrir un nouveau front dans le Xingiang, où l’islam radical reste minoritaire. A partir de 2011, des centaines de combattants ouïghours se rendent en Syrie. Il s’agit surtout de recrues issues des 25.000 ressortissants ouïghours de la diaspora d’Istanbul. L’effectif passe progressivement de 300 à 1.000 mis en scène dans une propagande vidéo. Mais, contrairement à ce qu’espérait l’EI, la province du Xingiang ne se soulève pas contre le pouvoir central chinois. En outre, les djihadistes ouïghours s’adaptent mal au conflit et réprouvent l’hyper-violence et les tactiques trop coûteuses en vies humaines. Sur le terrain, ils maîtrisent mal la langue, car leur connaissance de l’arabe du Coran diffère beaucoup de l’argot des troupes irako-syriennes de l’EI. Quant au Covid-19, les attaques de l’EI et d’Al Qaïda contre la Chine se limitent à la propagande, sans capacité opérationnelle ni engagement armé.

Loïc Salmon

Terrorisme : impacts et enjeux du « cyberdjihadisme »

Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Chine : diplomatie « sanitaire » via les « Routes de la Soie »