Robotisation du champ de bataille : état de l’art
La présence croissante des robots sur la zone de combat, dotés ou non d’une certaine autonomie de décision, constitue une mutation de l’affrontement lui-même avec des conséquences, notamment sur l’emploi des forces terrestres.
Cette question a fait l’objet d’un colloque organisé, le 21 février 2013 à Paris, par les Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan (ESCC), l’Association Minerve de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique et le Forum du futur. Y ont notamment participé : Ronan Doare, Yves Bergeon et Gérard de Boisboissel (Centre de recherche des ESCC) ; l’ingénieur principal des études et techniques de l’armement Eva Grück ; Guy Caverot (BA Systèmes) ; le colonel Thierry Pelletier (Section technique de l’armée de terre) ; Patrick Peras (groupe ECA).
La mise en service. Les drones sont les robots militaires les plus nombreux, car il est plus facile de se déplacer dans l’air qu’à l’intérieur d’un bâtiment. Ils apportent une réponse opérationnelle aux missions de surveillance, d’acquisition d’objectifs, de renseignement et de reconnaissance. Les robots terrestres doivent remplir les missions « monotones, sales et dangereuses », à savoir le déminage et la surveillance. Les Etats-Unis en ont déployé plus de 10.000 en Irak et en Afghanistan. Beaucoup de robots terrestres armés disposent d’une autonomie de déplacement, mais très peu d’une autonomie de décision.
Comme il faut garantir la maîtrise du feu en toutes circonstances, leur emploi est donc limité par la complexité de l’environnement pour la décision de tir. Israël et la Corée du Sud s’en servent pour garder les frontières, dont l’environnement est connu et où les intrus sont considérés comme « illégitimes ». Par ailleurs, les technologies grand public de robots télé-opérés pourraient trouver un usage militaire dans les escadrons d’éclairage et d’investigation de l’infanterie et de l’arme blindée-cavalerie, qui doivent notamment : déceler les positions de l’ennemi et déterminer sa nature et son volume ; reconnaître les itinéraires ; flanc-garder le dispositif ; couvrir les intervalles entre les unités déployées. En contrepartie, l’analyse des menaces doit prendre les robots en compte. Déjà, en juin 2012, l’armée de Terre française a élaboré une doctrine en la matière. Elle définit le robot militaire comme une plateforme mobile terrestre, réutilisable, équipée de capteurs et d’effecteurs (moyens d’action) et destinée à réaliser, avec un certain degré d’autonomie, des actes élémentaires dans le cadre de la manœuvre aéroterrestre. Le robot doit permettre au soldat de se concentrer sur la tâche que lui seul peut réaliser. Ainsi, il répond à des besoins : survie du combattant ; accroissement de ses capacités ; réalisation de tâches répétitives et fastidieuses. Le génie utilise des robots pour la neutralisation d’explosifs et l’ouverture d’itinéraire piégé. Le 2ème Régiment étranger d’infanterie évalue la robotisation au contact : petits véhicules à roues ou chenilles, portables par un seul homme, et microdrones à voilure fixe ou tournante. L’armée britannique développe un « nanodrone », qui tient dans la main et permet de voir de l’autre côté d’un mur.
La recherche. Vu que les missions des robots terrestres incluront bientôt la logistique, la recherche et le développement demeurent prioritaires pour ne pas « décrocher ». Selon le Centre de recherche des ESCC, les enjeux pour les forces armées sont d’ordres juridiques (réglementation), sociologiques (acceptabilité), économiques (coûts), tactiques et technologiques. Pour les Etats, ils deviennent politiques : éthique quant à l’emploi de drones armés ; protection « technologique » des frontières. En outre, le Conseil national de l’industrie, créé le 5 février 2013, va coordonner l’action de douze comités stratégiques de filières (entreprises, partenaires institutionnels et ministères), en vue de créer notamment une filière industrielle robotique. La Direction générale de l’armement et l’Agence nationale de la recherche coopèrent déjà dans ce domaine. Entre 2009 et 2012, elles ont développé les petits robots d’exploration pour cartographier un territoire. Depuis 2013, elles s’intéressent aux véhicules « intelligents », qui se déplaceront en milieu urbain. Un robot est capable d’actions réflexes comme la conduite de tir, d’assurer des mouvements répétitifs et de naviguer de façon autonome (GPS, évitement d’obstacles, suivi de routes), mais sa capacité d’interprétation (reconnaissance et classification d’objets) reste encore très limitée. Aujourd’hui, le robot militaire est utilisé isolément pour limiter l’exposition du combattant dans une zone potentiellement dangereuse. Demain, au sein d’un système de force, il aura un effet démultiplicateur, en vue d’assurer la permanence de l’action. L’approche industrielle passe par une mise en phase des cycles d’évolution robotiques (3 à 5 ans) avec ceux des armées (supérieurs à 10 ans) et l’identification des familles de robots à développer dans les dix prochaines années, avec des tendances à la miniaturisation, la réalisation de tâches de plus en plus complexes et la mise en réseau (micro-robots, bras manipulateurs très sophistiqués et essaims). Toutefois, le robot milita ire reste soumis à certaines contraintes : doctrine d’emploi spécifiée en amont ; fiabilité par des températures de – 40 ° C à + 70 ° C, simplicité, rusticité, durabilité et poids ; autonomie en adéquation avec la mission ; capacité opérationnelle dans tous les cas et toutes les conditions ; sécurisation des communications, chiffrement de données et interopérabilité. Compte tenu des aléas du combat, le robot doit rester un produit consommable, donc bon marché. Il devra être modulaire pour répondre à l’accroissement des performances. Ces modules seront sélectionnés selon la mission : caméra infrarouge ; bras téléopéré ; capteurs de menaces nucléaire, radiologique, biologique et chimique. Le robot du futur devra pouvoir s’adapter aux besoins propres des composantes de l’armée de Terre, à savoir, le génie, l’artillerie, l’infanterie, l’arme blindée-cavalerie, les transmissions et le matériel/train. Son cycle de développement devra rester court, y compris les périodes d’essais. Enfin, la dualité civil/militaire permettra d’intégrer les innovations technologiques et de réduire les coûts.
Loïc Salmon
Depuis 2010, le Centre de recherche des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan a lancé un programme sur la robotisation du champ de bataille, en partenariat avec des institutions, des universitaires et des entreprises. Par ailleurs, le Groupe national de recherche en robotique compte plus de 60 équipes (1.300 chercheurs, enseignants et étudiants en master et doctorat) dans diverses universités et institutions, dont le Centre national de la recherche scientifique, l‘Institut national de recherche en informatique et en automatique, le Commissariat à l’énergie atomique et l’Office national d’études et de recherches aérospatiales. Parmi ses partenaires industriels, figurent notamment Thales, Dassault Aviation, Nexter, BA Systèmes et Bouygues Construction.