Renseignement : opérations alliées et ennemies pendant la première guerre mondiale

La première guerre mondiale donnera ses lettres de noblesse au renseignement, pris depuis longtemps au sérieux par la Grande-Bretagne et l’Allemagne, contrairement aux États-Unis qui le redécouvriront.

Un colloque sur l’espionnage et le renseignement pendant la 1ère guerre mondiale a été organisé, le 26 novembre 2014 à Paris, par l’Académie du renseignement, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives. Y ont notamment participé : Taline Ter Minassian, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales de Paris ; Christopher Andrew, universitaire britannique ; Wolfgang Krieger, universitaire allemand.

Efficacité, technicité et naïveté. Jusqu’au début de la guerre, les gouvernements attachent moins d’importance à la cryptographie que le cardinal de Richelieu (1585-1642), qui avait attribué un château à son cryptographe pour le récompenser, chose inimaginable aujourd’hui, rappelle avec humour Christopher Andrew. George Scovell, cryptographe du général anglais Wellington casse le « grand chiffre » de Napoléon. Pendant la crise d’Agadir (1911) entre la France et l’Allemagne, l’ambassade allemande comprend que ses chiffres sont décryptés…par des indiscrétions du ministre français des Affaires étrangères ! Plus tard, les ambassadeurs français Paul Cambon (Londres) et Jules Cambon (Berlin) confient leurs correspondances personnelles aux valises diplomatiques, non pas françaises mais britanniques…qu’ils considèrent au-dessus de tout soupçon ! Alors que George Washington (1732-1799) estimait évidente la nécessité de bons renseignements, jusqu’à l’entrée en guerre des États-Unis, le président Woodrow Wilson (1856-1924) ignore que l’Allemagne n’est pas la seule à maintenir un service de renseignement. Dès 1914, le service de sécurité britannique MI5 instaure la censure postale et l’interception des communications. Il découvre ainsi le réseau allemand d’espionnage implanté en Grande-Bretagne et arrête ses agents. L’Allemagne ne reçoit donc aucun renseignement sur le départ du corps expéditionnaire britannique (70.000 hommes) pour la France en août 1914. Toutefois, le même mois, les officiers de renseignement allemands interceptent un message du commandement russe, en clair, qui entraîne la capitulation des troupes russes à Tannenberg. La coopération entre services de renseignement des pays alliés, à l’origine de la « relation spéciale » entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, débute en 1914. Ainsi, le chef de station du futur MI6 (service de renseignement extérieur) aux États-Unis parvient à exercer une influence certaine en matière de politique étrangère, en raison de sa proximité avec le président Wilson. En outre, Reginald Hall, chef du renseignement naval britannique, convainc l’ambassadeur américain à Londres de la menace allemande d’espionnage et de sabotage aux États-Unis. Le « Bureau 40 » de l’Amirauté décrypte les chiffres et codes ennemis, notamment le télégramme du ministre allemand des Affaires étrangères Zimmermann du 16 janvier 1917 (encadré). Publié dans la presse américaine, il révèle une proposition d’alliance avec le Mexique pour reconquérir les territoires du Texas, du Nouveau Mexique et de l’Arizona, au cas où les États-Unis renonceraient à leur neutralité. Hall impressionne aussi le secrétaire adjoint à la Marine et responsable du renseignement naval, Franklin Roosevelt (président de 1932 à 1944), par des récits d’exploits imaginaires d’agents britanniques. Par ailleurs, des agents doubles américains, travaillant pour le compte du MI5 et dont l’identité n’a jamais été divulguée, se sont rendus en Allemagne jusqu’en 1917. Enfin, lors de la révolution russe de 1917, le meilleur cryptographe de l’Ochrana (service de renseignement, ancêtre du KGB et du FSB) fuit en Grande-Bretagne et mettra son expérience à son service contre l’URSS.

Subversion et sabotage. Le renseignement allemand aux États-Unis repose sur l’importante minorité germanophone (7 millions de personnes en 1914), qui pèse sur la politique étrangère américaine, explique Wolfgang Krieger. Concentrée dans le Nord-Est, elle joue un rôle éminent dans la finance, l’industrie et le commerce. Pendant la guerre, les agents allemands agissent en Russie, en Inde et en Turquie et veulent empêcher une participation américaine en Europe. Leurs opérations secrètes, qui finiront par pousser Washington à intervenir, sont peu prises en compte avant la déclaration de guerre, en raison de l’actualité de la menace sous-marine. Faute de service national de renseignement extérieur, les consulats allemands disposent de leur propre service. Les agents sont en contact avec l’attaché militaire Franz Von Papen (futur et éphémère compagnon d’Hitler). Début 1914, les réservistes allemands résidant aux États-Unis tentent sans succès de déclencher des émeutes avec les immigrés irlandais, hostiles à la Grande-Bretagne. Les agents britanniques mettent les lignes téléphoniques des diplomates allemands sur écoutes, en raison de la guerre secrète d’influence auprès des dirigeants d’entreprises et de mouvements politiques. Avec l’aide des Irlandais et des syndicats américains d’extrême-gauche, les agitateurs allemands organisent des grèves dans les usines de munitions. Les opérations de propagande échouent, car divulguées dans la presse à l’instigation des agents britanniques. En 1915, un sous-marin allemand torpille, au large de l’Irlande, le paquebot transatlantique Lusitania, parti de New York avec 1.158 passagers, dont 128 Américains, et un chargement secret de munitions. Des opérations clandestines seront entreprises aux États-Unis par un réseau allemand très actif, soutenu directement par le commandement militaire de Berlin, à l’insu de l’ambassadeur allemand à Washington. Ce sont surtout des sabotages de la production d’armements destinés à la Grande-Bretagne. Ainsi, l’origine de l’explosion d’un dépôt de munitions près de New York sera établie après la guerre. Reconnue coupable en 1939, l’Allemagne sera condamnée à verser une indemnité de 53 M$… qu’elle paiera entre 1953 et 1979.

Loïc Salmon

Renseignement : importance croissante en France depuis la première guerre mondiale

Renseignement : hommes et moyens techniques pendant la première guerre mondiale

Renseignement : pouvoir et ambiguïté des « SR » des pays arabes

En1912, le pétrole remplace le charbon pour la propulsion des navires et revêt une importance stratégique. D’importants gisements ont été découverts en Asie centrale (Azerbaïdjan actuel) et en Perse (Iran actuel). Celle-ci, sous protectorat de la Russie au Nord et de la Grande-Bretagne au Sud, a entrepris des pourparlers secrets avec l’Allemagne. Au début de la première guerre mondiale, l’Allemagne et la Turquie menacent l’Asie centrale et l’Inde. Le lieutenant britannique Reginald Teague-Jones (25 ans) va déclencher une guerre de subversion avec les tribus locales en Afghanistan, zone du « Grand Jeu » entre Moscou et Londres. Lancé à la poursuite du diplomate allemand Wilhelm Wassmuss qui fait la même chose, il récupérera un exemplaire du code allemand, qui permettra de déchiffrer le fameux télégramme Zimmermann à l’origine de l’entrée en guerre des États-Unis en 1917.