Opex : protéger juridiquement le combattant et garantir son droit à réparations
Devant la complexité croissante des opérations extérieures (Opex), l’action de combat, qui amène à donner la mort, implique de protéger le combattant contre toute « judiciarisation » excessive et déstabilisante. En outre, le soldat et ses ayants droit bénéficient de réparations consécutives à des blessures morales et/ou psychiques.
Ces aspects des Opex ont fait l’objet d’un colloque organisé, les 2 et 3 novembre 2015 à Paris, par le ministère de la Défense. Y sont notamment intervenus : Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense ; le général Didier Castres, sous-chef « Opérations » à l’État-major des armées ; François Molins, procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance de Paris ; Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense.
Combattre en « zones grises ». Aujourd’hui, l’insécurité est omnidirectionnelle et l’adversaire peut se trouver partout, explique le général Castres. Dans ce type de conflit asymétrique, la destruction du potentiel militaire de l’adversaire doit s’accompagner de l’affaiblissement et de la désorganisation de ses réseaux et de ses flux financier, logistique, de commandement, de recrutement, de formation et de propagande. A titre indicatif, les 2.760 sites francophones pro-Daech ne représentent que 25 % du total, où des milliers de « tweets » sont échangés chaque jour. Il s’agit dès lors d’identifier les points de fragilité de l’État islamique et de les mettre hors d’état de fonctionner. Il en est de même pour les individus y jouant un rôle majeur, quelle que soit leur nationalité, mais jamais en raison de leur seule nationalité, précise le général. Pour contourner l’avance technologique d’une armée régulière sur un théâtre d’opérations, cet adversaire asymétrique recourt aux armes chimiques de fortune, engins explosifs improvisés, tireurs d’élite, zones urbanisées, foules et combattants-suicides. Les actions militaires doivent donc s’adapter pour conserver l’ascendant. Dans ce but, le sous-chef « Opérations » préconise de : prendre l’initiative par la surprise, l’intensité et la fréquence des opérations ; développer l’ubiquité pour pouvoir agir en tout point de la zone d’opération, parfois très étendue ; d’accentuer la précision et la fulgurance des actions afin de contourner les mesures de sécurité de l’adversaire ; d’offrir une liberté de destin aux populations. Affronter un adversaire aussi déterminé que Daech impose une part de risque qui suppose de sortir du dogme de « zéro mort », souligne le général. Les conditions d’engagement et d’emploi de la force dans des pays différents varient, car ils sont rarement englobés dans la même logique en matière de droit international. De plus, la très courte durée d’une action militaire, entreprise avec des effectifs restreints, rend difficilement conciliables temps judiciaire et temps opérationnel. Enfin, le volet sécuritaire d’une crise doit être mené en continuité, cohérence et coordination avec les actions de nature politique, économique ou diplomatique, souligne le général.
Responsabilité pénale. L’intervention de la France en Syrie est licite, en raison de la menace permanente de terrorisme par Daech sur son territoire, rappelle François Molins. Par sa résolution 2170, le Conseil de sécurité de l’ONU qualifie Daech d’organisation terroriste et lie ses actions en Irak et en Syrie. Sa résolution 2178 fait de même envers les combattants rejoignant Daech et qui peuvent être poursuivis judiciairement et « ciblés » militairement. La légitimité des interventions armées est incontestable dans la bande sahélo-saharienne et dans la zone irako-syrienne, où les situations doivent être appréhendées comme des actions de combat asymétrique, souligne le procureur. Quand des personnes sont tuées au combat en Opex, les prévôts établissent les circonstances de la mort, procède à l’examen des corps et fournissent les renseignements judiciaires au Tribunal de grande instance de Paris, qui en informe éventuellement les familles à leur demande (encadré). Seul le procureur de la République peut engager des poursuites judiciaires en cas de délits et crimes commis par des militaires en Opex, y compris pour la libération d’otages ou l’évacuation de ressortissants. Il n’agit que sur dépôt de plainte ou dénonciation. Dans un contexte opérationnel, les homicides involontaires, comme les tirs fratricides ou les accidents aériens ou de convoi, sont classés sans suite. La responsabilité pénale d’un militaire n’est pas engagée quand l’usage de la force se justifie dans le cadre du droit international, par exemple quand un civil a été tué ou blessé pour n’avoir pas obtempéré aux sommations, indique le procureur.
Réparations et indemnisations. Le régime de pension militaire d’invalidité a pour missions d’exprimer une reconnaissance et de réparer le préjudice subi par un combattant blessé, explique Jacques Feytis. Les infirmités relatives aux Opex résultent surtout de : traumatismes par balles ou éclats ; « blast », variation de pression par explosion dans un environnement confiné ; mines, brûlures et accidents de véhicules ; stress post-traumatique, en hausse ; maladies exotiques (paludisme, tuberculose et parasitose) ; séquelles de la guerre du Golfe (1991, exposition à l’uranium appauvri). L’infirmité, dont le taux détermine l’accessibilité à pension, doit relever d’un fait précis et d’une relation directe avec une Opex. Sur les quelque 10.000 dossiers traités par an, 20 % sont rejetés. Enfin, l’État prend directement en charge les appareillages.
Éviter le doute. L’intervention militaire avec usage de la force létale doit se situer dans un cadre politique et juridique, clair et robuste, avec des conditions d’engagement (ouverture du feu) et une articulation entre objectifs et moyens, souligne Jean-Yves Le Drian. En raison de l’importance croissante de la dimension judiciaire, nationale ou internationale, dans la résolution des crises, il convient de tenir compte de la spécificité du métier des armes et de l’action de combat. En outre, la création d’un droit pénal du conflit armé, intermédiaire entre les temps de paix et celui de guerre, s’avère nécessaire, estime le ministre. Selon lui, la Loi de programmation militaire 2013-2019 a permis d’équilibrer la protection du combattant, agissant pour le succès de la mission confiée aux armées, avec les nécessités de la manifestation de la vérité et de la poursuite des infractions.
Loïc Salmon
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La Gendarmerie prévôtale a pour mission principale la police judiciaire militaire auprès des forces armées françaises stationnées hors du territoire national. En leur qualité d’officier de police judiciaire, les prévôts sont chargés de constater les infractions commises par ou contre les forces armées françaises ou contre leurs établissements ou matériels, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs sous la direction exclusive des magistrats du Tribunal de grande instance de Paris. Spécialisé dans les affaires militaires, ce dernier est notamment compétent pour le terrorisme et les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les prévôts sont détachés de façon permanente auprès des forces stationnées à l’étranger ou constituent des détachements de circonstance auprès des forces en opérations extérieures.