Napoléon à Sainte-Hélène, la conquête de la mémoire

« C’est un tombeau, une tombe, une pyramide, un cimetière, un sépulcre, une catacombe, un sarcophage, un minaret et un mausolée » ! Sainte-Hélène, ainsi décrite en 1839 par le naturaliste anglais Charles Darwin, est une île volcanique de 122 km2, située à 2.000 km du Sud de l’Angola et découverte par les Portugais en 1502. Cette « maison à mi-chemin au beau milieu du grand océan » sur la route commerciale des Indes, sera annexée par l’English East India Company en 1659. Inhabitée, elle sera colonisée par des civils britanniques, des esclaves africains et une population chinoise. A partir de 1815, Napoléon vient y vivre ses dernières années. Sous la pression des autres capitales européennes, Londres ne pouvait lui accorder en Angleterre l’asile politique qu’il espérait, car sa présence risquait d’attirer la curiosité et même la sympathie de l’opinion publique britannique. Il fallait le couper du monde dans un endroit isolé, où les nouvelles de son activité ne pourraient filtrer jusqu’en France. Choisie pour prévenir toute possibilité d’évasion, l’île de Sainte-Hélène voit la défense de ses côtes renforcée. Chaleureusement accueilli dans le domaine des Briars le 16 octobre, l’Empereur doit emménager le 10 décembre dans une ferme bâtie sur le plateau de Longwood, l’endroit le moins ensoleillé et le plus humide de l’île où le brouillard et le vent dominent, même l’été. Cette résidence (150 m2 pour lui-même), dénommée « Old » House, sera remplacée par une demeure plus vaste, en éléments préfabriqués en provenance d’Angleterre, et connue sous le nom de « New » House. Celle-ci ne sera achevée qu’en décembre 1820, mais Napoléon, malade, ne sera plus en état de déménager. Au début, les dépenses de Longwood étaient à la charge exclusive du gouvernement britannique, notamment l’entretien des 40 à 50 personnes qui y vivent ou y travaillent. Mais à l’automne 1816, le nouveau gouverneur Hudson Lowe exige que l’Empereur contribue à ses dépenses, jugées excessives. La destruction ostentatoire d’une partie de l’orfèvrerie, dont les aigles sont ôtées et les armes martelées, puis la fonte d’une partie de l’argenterie donnent une publicité éclatante à la mesquinerie du gouverneur, qui réduit également la domesticité. Il n’aura rencontré son illustre prisonnier que les 17 avril, 30 avril, 15 mai, 20 juin, 16 juillet et 18 août 1816 en tout…et toujours de façon orageuse ! Par la suite, Napoléon refusera de le recevoir. « A la postérité de juger », finira-t-il par dire. Celle-ci n’épargnera pas le « geôlier de l’Empereur ». Les mémorialistes Las Cases, Gourgaud, O’Meara, Montholon, Marchand et Saint-Denis, dit le « mamelouk Ali », tireront sur lui à boulets rouges. Même le duc de Wellington, le vainqueur de Waterloo (1815), dira de lui avec mépris : « Lowe n’était pas un gentleman ». Puis, de mois en mois, l’ennui et la promiscuité conduisent les compagnons de l’Empereur à quitter Sainte-Hélène les uns après les autres. La réclusion, même volontaire, le temps qui s’écoule lentement et la moiteur du lieu aggravent la situation. Pourtant, malgré leurs incessantes disputes, ceux qui restent, neuf à la mort de l’Empereur le 5 mai 1821, l’auront protégé des atteintes à son rang et à sa mémoire. En 1868, Napoléon III rachète la maison de Longwood et la vallée du Géranium, où avait été enterré son oncle. En mai 2016, l’ouverture d’un aéroport à Sainte-Hélène devrait y favoriser le tourisme… surtout à Longwood !

Loïc Salmon

Exposition « Napoléon à Sainte-Hélène » aux Invalides

« Napoléon à Sainte-Hélène », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Musée de l’Armée, 304 pages, 35 €