Marine nationale : une capacité opérationnelle globale

La capacité opérationnelle de la Marine repose sur la possibilité d’intervention partout dans le monde (groupes aéronaval et amphibie), la dissuasion (Forces océanique stratégique et d’action navale nucléaire), la protection (contre-terrorisme et guerre des mines) et le renseignement (connaissance et anticipation).

Son chef d’état-major, l’amiral Bernard Rogel a fait le point de la situation le 9 février 2015 à Paris, au cours d’une rencontre avec l’Association des journalistes de défense.

Permanence des opérations. En raison de la richesse du fond des océans, les pays riverains instaurent de nouvelles frontières maritimes pour y imposer leur souveraineté, à l’origine de tensions. Alors que le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale fixe 2 zones de surveillance à la Marine, celle-ci en couvre 4 ou 5 pour préserver les intérêts de la France, rappelle son chef d’état-major. Ainsi, le porte-avions Charles-de-Gaulle et un groupe de guerre des mines se trouvent en océan Indien, zone stratégique. Environ 90 % de la consommation mondiale de pétrole y transite et passe par le canal de Suez et les détroits d’Ormuz, de Bab-el-Mandeb et de Malacca. La piraterie continue en océan Indien et repart en Asie du Sud-Est (Malacca et Sud de la Chine) avec le détournement de pétroliers ou le siphonage des cargaisons en mer. Elle arrive dans le golfe de Guinée, où sévissent le brigandage maritime (attaques de navires de soutien des plates-formes pétrolières), la pêche illégale et surtout les trafics de drogue, d’armes et de cigarettes, qui alimentent le terrorisme à terre. Dans le cadre de l’opération permanente « Corymbe », un bâtiment de la Marine nationale patrouille dans le golfe de Guinée, où 75.000 ressortissants français vivent dans les pays riverains. Il s’agit notamment d’éviter un lien entre piraterie et l’organisation djihadiste Boko Haram, très active dans la région. Outre la prévention, « Corymbe » inclut un volet formation des Marines africaines. Le sommet de Yaoundé sur la lutte contre la piraterie, qui a réuni 13 pays africains en 2013, a décidé d’ouvrir des centres de surveillance en Afrique Centrale et de l’Ouest. Des moyens maritimes ont été fournis par 8 pays, dont la France. Cette dernière coopère avec l’agence européenne Frontex pour lutter contre l’immigration illégale en Méditerranée occidentale par le détroit de Gibraltar. Toutefois, « un immigrant illégal est un naufragé à sauver », rappelle l’amiral, qui indique que 13.000 migrants ont été interceptés ou secourus à Mayotte en 2014. Par ailleurs, la France entretient un partenariat stratégique avec l’Inde, qui acquiert une puissance navale. La Russie a conservé sa capacité sous-marine et déploie notamment une quinzaine de bâtiments au large de la côte syrienne. La montée en puissance de la Marine chinoise se manifeste par la présence croissante de frégates et de sous-marins en Méditerranée, autour de l’Afrique, en océan Indien et dans le golfe Arabo-Persique.

Capacités de demain. La Marine doit recevoir 4 frégates multimissions (FREMM) avant 2016 et 6 autres avant 2018, qu’elle mettra en service 6 mois après leur livraison. Leur financement entre dans le budget annuel de la Défense, complété par les ressources exceptionnelles des « sociétés de projet ». Ces dernières, à capitaux publics et privés, achèteront des équipements (FREMM et avions de transport tactique A400M) qu’elles reloueront aux armées, avec une clause de rachat par l’État à tout moment. Toutefois, précise l’amiral Rogel, l’activité opérationnelle de la Marine française sera préservée si un bâtiment est vendu en priorité à l’export. Déjà, la Marine égyptienne a manifesté son intention d’acquérir rapidement 1 FREMM (6.000 t) et 4 corvettes Gowind (2.700 t) auprès du constructeur DCNS, pour moderniser sa flotte. Les FREMM françaises, très automatisées, remplaceront progressivement les frégates F70 (4.900 t), très mécaniques. Leurs équipages, composés surtout de spécialistes, seront deux fois moins nombreux, impliquant une adaptation de la Marine. A l’horizon 2025, cette dernière aura besoin de 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de type Barracuda, livrables à partir de 2017, et de 15 frégates, dites de 1er rang. Celles-ci, destinées à aller au plus près des zones de crise, auront des capacités de défense aérienne et aussi de lutte anti-sous-marine, en raison de la prolifération des sous-marins dans le monde. Pour compléter les FREMM, la Marine étudie un projet de frégate de taille intermédiaire de l’ordre de 4.000 t. Le choix sera arrêté après la livraison des 3 dernières FREMM, fin 2018. SNA Barracuda et FREMM seront équipés du missile de croisière naval (MDCN) pour frapper dans la profondeur du théâtre d’opérations, dans le cadre d’un engagement en coalition. Cela implique une réflexion sur la stratégie et la tactique à partir de la mer, compte tenu de la polyvalence des missiles de précision Aster 15 (1,7-30 km de portée), Aster 30 (3-120 km) ou MDCN (1.000 km). La Marine, qui dispose déjà de 3 BPC (Mistral, Tonnerre et Dixmude), ne reprendra pas le Vladivostok, destiné à l’origine à la Marine russe et dont les spécificités diffèrent, indique l’amiral. L’avenir du Vladivostok dépendant d’une décision politique, le constructeur DCNS pourrait le proposer à l’exportation. Enfin, la coopération opérationnelle franco-britannique se renforce, notamment par la surveillance aérienne des côtes de la Grande-Bretagne…qui ne dispose plus d’aviation de patrouille maritime !

« Etre marin ». En 2015, après 226 ans de présence à la Place de la Concorde, la Marine installe son état-major à Balard, déménage son service des ressources humaines à Tours et transfère celui du recrutement à Vincennes. Mais elle conserve ses compétences, ses valeurs et son rôle d’intégrateur social, souligne son chef d’état-major. La Marine recrute 180 jeunes par an hors concours, dont 1 parviendra au grade d’amiral ! Elle s’évertue à leur donner une formation diplômante avec équivalence civile, qui facilitera leur reclassement ensuite. Comme plus de 80 % des personnels qui la quittent trouvent un emploi dans l’année qui suit malgré la mauvaise conjoncture économique, il faut fidéliser ceux qui restent, souligne l’amiral Rogel.

Loïc Salmon

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La flotte de surface de la Marine nationale inclut notamment : 1 porte-avions ; 3 bâtiments de projection et de commandement et 1 transport de chalands de débarquement ; 26 frégates ; 4 bâtiments de commandement et de ravitaillement ; 11 chasseurs de mines ; 20 patrouilleurs. La flotte sous-marine compte : 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ; 6 sous-marins nucléaires d’attaque. La flotte d’aéronefs totalise : 27 avions de patrouille et de surveillance maritime ; 57 avions de chasse embarquée (Rafale et Super Étendard modernisé) ; 3 avions de guet aérien (Hawkeye) ; 47 hélicoptères de combat et de sauvetage ; 56 aéronefs de service public, soutien et écoles. S’y ajoutent les fusiliers marins, pour la protection des « points sensibles », et les commandos Marine, pour les forces spéciales. En janvier 2015, 38 bâtiments et 5.039 marins sont déployés en Méditerranée occidentale et orientale, océans Atlantique, Indien et Pacifique, Antilles et Guyane.