Marine nationale : motiver, fidéliser et accompagner
La Marine a entrepris une démarche « marque employeur » par ses actions de recrutement, de communications interne et externe, de suivi du moral, de gestion des carrières, de fidélisation des compétences rares, de formation, de validation des acquis de l’expérience et enfin d’égalité des chances.
Son directeur du personnel, le vice-amiral d’escadre Olivier Lajous, les a présentées au cours d’un atelier organisé, le 20 septembre 2012 à Neuilly (banlieue parisienne), par le cabinet de conseil en recrutement Hudson pour une vingtaine de responsables de ressources humines de grands organismes et entreprises, dont le ministère de la Défense, Valeo, Nespresso, Accor et la Française des Jeux.
Les ressources humaines de la Marine en 2012 se montent à 44.000 personnels, dont 4.000 civils et 15 % de femmes. Chaque année, 3.000 nouveaux y entrent et 3.800 militaires la quittent en raison de la limite d’âge, du non-renouvellement du contrat ou de l’aide au départ. Les unités opérationnelles emploient 21.000 militaires, dont 5.000 sont déployés en permanence et absents 120 jours par an. Après 15 ans de service en moyenne, 80 % des personnels retrouvent un emploi dans l’année qui suit leur départ de la Marine. Une étude sociologique sur dix ans, soit depuis la suspension du service national, a analysé les motivations des nouvelles recrues. Les jeunes en difficulté scolaire y trouvent un refuge et constituent 70 % des « fidélisés ». Ceux qui veulent faire carrière passent différents brevets et certificats qui leur permettent de monter un « escalier social » valorisant. Les « professionnels », désireux d’apprendre un métier, y suivent diverses filières techniques. Enfin, les « illuminés », qui se croient investis d’une mission salvatrice de la nation, sont les plus difficiles à fidéliser, car rapidement déçus dans leurs espérances. L’enquête a aussi porté sur les motifs de départ. Après une dizaine d’années, les jeunes marins sont souvent en couple, puis parents et veulent accéder à la propriété, donc se sédentariser. Pour les gens de 40-50 ans, chargés de famille et ayant contracté des emprunts immobiliers, il s’agit de gagner plus d’argent. En conséquence et afin de fidéliser son personnel compétent et formé à grands frais, la Marine a trouvé une solution au « célibat géographique » métropolitain : pour éviter dix heures de train entre Brest et Toulon en passant par Paris, une navette aérienne quitte l’un des ports le vendredi soir et y revient le dimanche soir. Pourtant, trop fidéliser risque de trop sédentariser. Comment convaincre de changer de métier des gens qui ont encore au moins une dizaine d’années de vie professionnelle devant eux et ne s’estiment pas capables faire autre chose ? C’est le cas d’officiers supérieurs compétents, mais dont l’espoir de finir leur carrière en beauté risque d’être déçu par suite de la sélectivité accrue de l’accès aux fonctions d’officier général. « Il faut prendre le temps de discuter avec eux », souligne l’amiral Lajous.
La formation technique est primordiale. Les cadres reçoivent un complément éthique : tuer ou mourir au nom de la France, intrinsèque au métier militaire, ne doit pas être oublié. Chaque année, la Marine envoie 15.000 marins se former pendant 23 jours en moyenne à plus de 50 métiers et entretenir 1.000 qualifications. Une frégate, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) et un porte-avions constituent des ensembles complexes, dont la compréhension et la sécurité des systèmes sont indispensables à l’accomplissement de leurs missions. Ainsi, un pilote de chasse embarquée coûte 1 M€ en formation pour faire décoller et apponter du Charles-De-Gaulle un Rafale de 70 M€ ! Après avoir été largué d’une altitude de 10.000 m, un nageur de combat doit être capable de « palmer » 20 km, remplir sa mission et maintenir un comportement éthique. Les équipages des grands bâtiments de surface, autrefois de l’ordre de 300 membres, sont réduits à 100. Certains métiers évoluent ou vont disparaître. Ainsi, les « météos », chargés d’analyser l’environnement des radars (en l’air) et sonars (sous la mer) reçoivent désormais leurs informations directement du siège de Météo-France à Toulouse, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. De jeunes opérateurs sont formés à l’usage des panneaux solaires, qui équiperont les bâtiments de demain. La Marine doit adapter en permanence les métiers dont elle a besoin et en anticiper d’autres, comme les « maintenanciers ».
L’environnement professionnel est d’abord perçu par le témoignage d’un proche. L’engagement ferme peut être motivé par le désir de voyager, les mythes du sous-marin et du pilote de chasse embarquée ou l’esprit d’équipage. Une fois dans la Marine, le compagnonnage entre générations transmet les règles de travail et de vie en commun. La féminisation est considérée comme un succès dans la Marine. Les femmes ont accès à presque toutes les spécialités, mais sont surreprésentées dans certaines : les transmissions, les ressources humaines et surtout le service de santé (80 % des médecins). Une exception demeure : les SNLE où les patrouilles durent 70 jours. Le principal refus de leur présence provient… de la jalousie des épouses de marins ! Dans une large majorité, les personnels de la Marine nationale soulignent la qualité de l’ambiance du travail et des relations avec le commandement ainsi que la clarté de l’information interne et de la concertation. Tous reconnaissent être correctement payés par rapport au monde civil. Enfin, l’attractivité de la Marine se traduit par un sentiment de fierté d’appartenance : 88 % des sondés se définissent d’abord comme étant marins avant d’être militaires ou d’une spécialité précise.
Loïc Salmon
Olivier Lajous, matelot du Service national en 1974 et titularisé dans le Corps des officiers de marine en 1987, terminera sa carrière au grade de vice-amiral d’escadre le 8 novembre prochain. En 36 ans de service dont 17 à la mer, il a participé à des opérations au Liban, en Iran, en Libye, au Tchad, au Yémen, en Erythrée et en Afghanistan. Il a notamment dirigé le Service de communication de la marine (Sirpa Marine) et commandé la frégate De-Grasse (2001) et le Centre d’enseignement supérieur de la marine (2007). Nommé directeur du personnel militaire de la Marine en 2009, il a reçu, trois ans plus tard, le « trophée du DRH de l’année », décerné par le cabinet de conseil en recrutement Hudson (sa représentante à droite sur la photo), la publication Figaro économie et le site internet d’emplois pour les cadres et dirigeants en France Cadremplois.fr. Cette distinction est le plus souvent remise à des directeurs de ressources humaines d’entreprises privées pour leur réalisations et engagements. Actuellement chargé de mission auprès du chef d’état-major de la Marine, il va entrer en novembre au conseil d’administration de la Société nationale de sauvetage en mer, dont il prendra la présidence quelques mois plus tard. L’amiral Lajous est officier de la Légion d’Honneur et de l’Ordre national du Mérite, titulaire de la croix de la Valeur militaire et chevalier du Mérite maritime.