Marine nationale : l’application de l’IA à l’acoustique sous-marine

L’acoustique sous-marine bénéficie de l’assistance de l’intelligence artificielle (IA), dont l’analyse des modèles permet d’en connaître les limites et d’en évaluer le niveau de confiance à leur accorder.

Le capitaine de frégate Vincent Magnan, commandant le Centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique (CIRA), l’a expliqué à la presse, le 16 mai 2024 à Paris.

Besoins opérationnels. Pendant une opération aéromaritime, la détection des bruits émis par un sous-marin ou une frégate permet de déduire des éléments tactiques. Par exemple, le bruit du mode de propulsion renseigne sur la vitesse du navire et donne une idée des manœuvres possibles. La détection s’effectue en toute discrétion sans élever le niveau de crise, puisque l’adversaire ne s’en aperçoit pas. Les frégates et les aéronefs embarquent de plus en plus de capteurs passifs qui, dans un avenir proche, équiperont aussi les drones et les planeurs sous-marins. Ces capteurs vont augmenter en nombre et améliorer leurs performances, c’est-à dire les portées de détection et les gains en traitements de données. Ce flux massif de données est envoyé au CIRA. Pour les analyser et surtout isoler parmi elles les informations utiles et décisives pour la conduite des opérations au combat, il faut recourir aux innovations technologiques, dont l’IA. A titre indicatif, dans les années 1990-2000, le ciblage d’une menace particulière nécessitait des enregistrements acoustiques de cinq minutes. Aujourd’hui, la masse de données captées s’étend sur une quarantaine de jours, impliquant beaucoup de capacités humaines pour les traiter. A terme, le recours à l’IA vise à isoler, pendant une longue période, les signaux acoustiques d’intérêt tactique sur lesquels l’homme pourra conduire une analyse avec une forte valeur ajoutée. La technologie permet d’écarter ou de filtrer la partie presqu’inutile du signal pour que l’homme exploite la partie utile à la mer. Les futurs sonars, qui équiperont les sous-marins, notamment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, auront des capacités encore plus étendues.

Gestion des données. Le projet d’emploi de l’IA dans l’acoustique sous-marine remonte à 2021, quand le capitaine de frégate Magnan rencontre des dirigeants de la société privée Preligens, spécialisée dans l’application de l’IA à l’imagerie satellitaire et qui compte la Direction du renseignement militaire parmi ses clients. En 2022, plusieurs ateliers interactifs ont été conduits avec le Centre d’études et des programmes navals et le Centre de service de la donnée marine, en vue de l’élaboration d’un cadre contractuel. Il s’agissait d’associer la compétence métier de l’analyse acoustique, à savoir les techniciens dits « Oreilles d’or » à bord des sous-marins et frégates, à la capacité technique de la gestion de la donnée par l’IA. En 2023, Preligens a livré au CIRA un démonstrateur qui a obtenu des résultats encourageants sur l’extraction de signaux acoustiques, présentant un intérêt avec un premier type de classification, et sur de grandes plages de temps. Par exemple, l’algorithme distingue un navire de commerce d’un petit bateau de plaisance, son appareil propulsif et même le nombre de pales de l’hélice. En cas de passage d’un navire présentant un intérêt tactique, il s’agit de fiabiliser l’alerte par une fusion des renseignements d’origines satellitaire, visuelle, humaine et électromagnétique en augmentant la puissance de calcul du CIRA et en mer. En outre, le CIRA compte accroître sa capacité de stockage, passée d’un téraoctet en 2020 à dix téraoctets en 2024, pour dépasser cent téraoctets en 2030. En 2024, l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (AMIAD) doit livrer un démonstrateur et le CIRA mettre en œuvre une « Task Force-annotation », destinée à améliorer le fonctionnement de tous les algorithmes. Enfin, en 2025, l’AMIAD doit fournir des renseignements en temps réel et passer à l’industrialisation des matériels, en vue d’un usage opérationnel.

Loïc Salmon

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