Marine nationale : Harmattan, les BPC en action
Pendant l’opération Harmattan en 2011, les Bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral et Tonnerre se sont succédé sur zone à proximité de la Libye pour remplir une mission importante de la Marine : la projection de puissance et de force.
Le capitaine de vaisseau Philippe Ebanga, commandant du Tonnerre à l’époque, a relaté cette aventure humaine, technique et opérationnelle à l’occasion d’une conférence organisée, le 3 avril 2012 à Paris, par le Club Sup Mer. Le vice-amiral Jean-Louis Vichot, directeur du Centre d’études supérieures de la marine, est également intervenu.
Avant la Libye, le Mistral avait évacué 8.000 Libanais de Beyrouth lors de l’opération « Baliste » (juillet 2006-février 2008). Cinq ans plus tard, il est envoyé en Côte d’Ivoire. Lui puis le Tonnerre, qui l’a relevé, ont été positionnés quatre mois devant le port d’Abidjan en appui des forces françaises de l’opération « Licorne », qui protégeaient les ressortissants étrangers. Comme tous les ports et aéroports du pays étaient fermés, les caisses de ravitaillements ont été parachutées à proximité du BPC, récupérées à bord puis transportées à terre sur des chalands de débarquement. Le Tonnerre est ainsi resté 63 jours d’affilée devant Abidjan jusqu’à l’issue de la bataille finale. A peine de retour à Toulon, il a dû repartir le 17 mai pour relever le Mistral au large de la Libye, où il est resté deux mois en zone de guerre. Pendant tout ce temps, les membres de l’équipage ont eu peu de communications avec leurs familles.
L’opération Harmattan a été précédée d’observations par satellites et de reconnaissances (vidéos et écoutes électromagnétiques) par un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA). Du côté français, l’opération a mobilisé six SNA (dont un à deux reprises), un porte-avions, deux BPC et six frégates. Des missions ont été interrompues en Atlantique. En océan Indien, les avions de patrouille maritime ATL2, engagés dans l’opération « Atalante » contre la piraterie, ont été retirés et les frégates ont été remplacées par des patrouilleurs de haute mer. Le porte-avions Charles-De-Gaulle et le BPC Tonnerre ont passé 38 jours en situation de combat. Ce dernier a bénéficié de conditions météorologiques, océanographiques et géographiques favorables. Il a constitué une « bulle » de sécurité de 5 km de diamètre… sous la seule responsabilité de son commandant. Au-delà, c’est du ressort de l’état-major embarqué de l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT). Le transfert de responsabilité se fait lors de la mise en œuvre tactique des hélicoptères. Il s’agit d’abord de mettre les bons hélicoptères au bon moment et au bon endroit sur le pont d’envol, afin de partir en opération à l’heure dite. Malgré l’aide de l’informatique, les « chiens jaunes » (personnels du pont d’envol) sont indispensables au bon déroulement de la mission. Un hélicoptère de l’armée de l’Air assure la recherche et le sauvetage de l’équipage d’un hélicoptère d’assaut abattu lors d’une attaque. La planification d’une mission d’aérocombat se fait entre midi et le coucher du soleil. Ensuite, escorté par un SNA et une frégate, le BPC s’approche au plus près des objectifs, tous feux éteints, en silence radio et avec la lumière infrarouge comme unique éclairage. La côte est visible du bord. De sept à douze hélicoptères Tigre, Puma et Gazelle partent effectuer des frappes. Pendant le transit au dessus de la mer, ils sont précédés d’un hélicoptère Lynx Marine, qui retourne ensuite se poser sur sa frégate d’origine. Les adversaires, qui les entendent arriver sans les voir, sortent de leurs bunkers. De 23 h à 05 h, l’équipage du BPC est maintenu aux postes de combat, prêt à réagir en cas d’attaque, de sinistre (incendie) ou de crash d’hélicoptère. Les aéronefs, qui reviennent plusieurs fois se ravitailler en munitions, restent vulnérables même de nuit. Les pilotes, équipés de lunettes de vision nocturne, reviennent épuisés, car ils ont essuyé des tirs. Tout le monde doit être récupéré au petit matin. C’est la première fois que des hélicoptères sont utilisés de cette façon au sein de l’OTAN.
Les spécificités du BPC ont été ainsi validées par une opération de guerre. Porte-hélicoptères d’assaut, ce bâtiment déstabilise l’adversaire en se déplaçant le long de la côte. Intégrateur interarmées avec les hélicoptères de l’ALAT, centre de communications connecté à tous les réseaux classifiés de l’OTAN, il est au cœur d’un dispositif maritime qui doit durer sur zone : un pétrolier-ravitailleur (munitions, carburant, nourriture) ; des frégates anti-aérienne et anti-sous-marine d’escorte, qui ont eu l’occasion de tirer contre la terre pour protéger le transit des hélicoptères ; un SNA. Pourtant, il reste très vulnérable aux batteries côtières de missiles et aux mines. Pendant le transit de 48 heures de Toulon au golfe de Syrte, l’équipage du Tonnerre (180 personnels) a dû intégrer 500 militaires venus de différentes unités et qui ne se connaissaient pas entre eux. Pour le stockage, il a été épaulé par le soutien aéronautique pour éviter les accidents dus à l’incompatibilité des chargements (munitions, missiles, combustibles). Un pilote de l’aéronavale a formé les équipages de l’ALAT aux procédures aéronautiques d’un navire en mer et au tir des munitions depuis la mer. Le plus difficile a été la validation des qualifications à l’appontage de nuit, tous feux éteints et en silence radio. Le commandant du BPC a autorité sur tous, sauf l’état-major de l’ALAT embarqué. Il valide ces qualifications… qui n’ont pas été décernées à tous les pilotes ! Il a aussi dû gérer la « guerre médiatique », qui a contribué à la guerre psychologique à quelques km des côtes. Au début, il n’y a pas eu de communications, puis un voyage de presse a été organisé pour les équipes des chaînes nationales de télévision : un beau sujet pour le journal de 20 h !
Loïc Salmon
Sept pays dans le monde disposent, ou disposeront à court terme, de porte-hélicoptères : les Etats-Unis, le Japon, la Corée du Sud, la France (trois bâtiments de projection et de commandement, BPC), l’Espagne (bientôt), l’Australie (bientôt) et la Russie (deux BPC en construction en France et livrables en 2014 et 2015). Les BPC Tonnerre et Mistral (photo) ont participé à l’opération Harmattan. Le Dixmude effectue sa traversée d’endurance dans le cadre de la mission Jeanne d’Arc (voir « Archives » 29-02-2012). Un BPC a une longueur de 199 m, une largeur de 32 m, un tirant d’eau de 6,20 m, une hauteur de 60 m et un déplacement de 22.000 t. Son pont d’envol de 5.200 m2 peut recevoir tous les types d’hélicoptères en service dans le monde, y compris le convertible américain V-22 Osprey. Son radier embarque divers types de chalands de débarquement, dont 2 LCAC (véhicules de débarquement sur coussin d’air) américains dont les essais, concluants, ont eu lieu pendant Harmattan. Son hangar accueille des véhicules blindés et des chars sur deux ponts (voir « écorché » dans revue téléchargeable décembre 2010, p.7). Par ailleurs, le BPC peut se transformer en navire-hôpital (70 lits) ou en poste de commandement de théâtre (850 m2 disponibles pour un état-major interarmées embarqué). Enfin, le bilan du Groupe aéromobile engagé dans Harmattan a déjà été présenté : voir « Archives » du 28-09-2011.